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#37464
seb petit
Invité

Bonjour,

Je viens de voir ce film, qui est en effet parmi les sorties « phénomènes » en terme de box-office, et même de réception critique. Pour ma part, il m’a pas mal dérangé, voire même choqué sur cette question sociale prise de manière très globale, notamment à travers deux personnages.

Je vais « spoiler » totalement, cela me semble nécessaire – s’il faut prévenir, voilà qui est fait.

D’un point de vue global, tout d’abord, il inverse le racisme sans pour autant l’annihiler, puisqu’il en reprend strictement les mécanismes les plus basiques : pour ne citer que les exemples qui m’ont le plus marqué, les noir.e.s apparaissent comme des citadin.e.s posé.e.s (Chris ne s’énerve pas face aux blanc.he.s racistes, sa copine s’en extasie) et soucieux/ses de raison et de justice (les policiers/ères noir.e.s restent sceptiques face à l’histoire maladroitement racontée par Rod Williams), tandis que les blanc.he.s sont manipulateurs/trices, incarnant l’Occident profond venu d’une campagne reculée dans tous les sens du terme. C’est méprisant pour la campagne, ce qui ajoute à l’idée que ce film n’est qu’un fruit de la digestion du capitalisme par des générations d’occidentaux de tous horizons : dans ce film, l’idée de « tolérance » n’est en fait qu’une revanche bête, où les victimes se réapproprient les armes de leurs oppresseurs (l’image finale du fusil retourné). C’est l’illustration absolue de ce qu’une certaine droite française appelait le racisme anti-blanc.

L’utilisation que fait ce film de l’hypnose, même s’il s’apparente malheureusement à une moquerie des médecines douces et alternatives (dans la même lignée, vient de sortir Problemos, de Eric Judor, dont seule la bande annonce m’est apparue nauséabonde), sert une charge contre l’esclavagisme, la colonisation et le racisme anti-noir, mais si on imagine un instant exactement le même film mais avec les personnages inversés, c’est-à-dire avec des noir.e.s manipulant des blanc.he.s, je n’ai aucun doute que l’on appellerait à l’interdire. Et je serais d’accord, aussi cela me semble injuste et plutôt imbécile de féliciter le même phénomène juste parce que les icônes sont inversées. Pour moi, ce film n’appelle en rien à une tolérance apaisée et mutuelle, mais, au contraire, est un appel aux armes revanchard, que je trouve stupide.

C’est à partir d’ici que ça « spoile ».

Parce que, plus en détail, je parlais de deux personnages : Logan et Georgina, deux « confrères » noirs qui ont été « avatarisés » hors-film. Ces deux personnages achèvent de me convaincre de ce que j’évoquais juste au-dessus, c’est-à-dire du fait que ce film n’est qu’un fruit digéré (pour le dire moins poétiquement : une déjection) du système occidental, un capitalisme pour lequel le concept de « tolérance » est un argument marketing comme un autre, peu importe la forme qu’il adopte – même violente, donc.
C’est pas galant, mais je commence par le personnage masculin : Logan est un des premiers personnages à apparaître suspects à Chris. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas habillé à la mode (bonjour capitalisme !), et surtout parce qu’il apparaît au bras d’une femme blanche plus âgée que lui. Ce qui abonde abominablement dans le sens d’un cloisonnement et d’une ghettoïsation de la société : les couples ne doivent se former qu’entre gens du même âge, et de la même couleur – au cours du film, plusieurs personnages confirment à Chris qu’il n’aurait pas dû se mettre en couple avec Rose, une blanche.
Le personnage de Georgina repose, je pense, sur un mécanisme narratif et monstratif beaucoup plus pernicieux : elle apparaît suspecte aux yeux de Chris de manière beaucoup plus confuse, diffuse, par son attitude sans qu’on comprenne vraiment de quoi il s’agit précisément – la confusion est entretenue parce qu’elle est assimilée aux autres personnages noirs (ce qui est pour moi un des problèmes majeurs du film, je l’ai évoqué rapidement ci-dessus : la vision du monde racisé en deux blocs, comme une Guerre Froide). Le gros problème vient pour moi dans la scène de la grande révélation, lorsque Chris tombe sur la boîte à photos, comprenant que sa petite amie blanche l’a en réalité manipulé pour le piéger dans cette maison de campagne, exactement tout comme elle avait manipulé, dans le pré-texte du récit, en les séduisant les autres personnages noirs qui servent de domestiques dans la propriété familiale. Même Georgina. Le problème est que cette séquence articule le récit du film, sert à faire comprendre à Chris et au spectateur que le personnage de Rose, comme les autres blancs, est aussi manipulatrice, fausse et monstrueuse. Et la photo des deux femmes arrive en conclusion de cette séquence, ce qui, en termes narratifs, est loin d’être anodin : c’est amené comme un espèce de point d’orgue, comme si le fait que Rose ait « joué la lesbienne » soit le summum de la monstruosité humaine.

J’espère avoir été à la fois succinct et clair dans mon idée.

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