Répondre à: Moana: verdict ?
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Bonsoir,
En ce qui concerne le physique de Maui, j’ai personnellement l’impression que c’est plus complexe que « soit homme fort à la Brian Shaw, soit obèse ». Il me semble que Disney a voulu jouer sur les deux tableaux. S’il y a plein de gens qui le perçoivent comme un homme fort et en même temps plein d’autres gens qui le perçoivent comme un homme obèse, c’est à mon avis parce que sa représentation est assez ambiguë pour connoter les deux à la fois. Il me semble que c’est ce qu’essaie d’expliquer le dessinateur qui analyse le physique des personnages et dont l’article que j’ai mis en lien au-dessus reproduit le schéma
https://pbs.twimg.com/media/Clq-FSGUoAAog1y.jpg
(https://www.theguardian.com/world/2016/jun/27/disney-depiction-of-obese-polynesian-god-in-film-moana-sparks-anger)
Et j’ai l’impression que l’ambiguïté de ce physique correspond à la dualité de ce personnage qui est à la fois un sidekick comique et un véritable héros (au sens où le film prend au sérieux ses souffrances et lui donne une importance égale à Moana dans l’action). Et malheureusement, je pense que le côté obèse est utilisé plutôt pour le caractériser comme un sidekick comique alors que le côté homme fort contribue à le caractériser comme un héros, parce que telles sont les normes dominantes (à la fois virilistes et grossophobes). Par exemple, dans Les Nouveaux Héros (autre Disney sorti il y a 2 ans), le personnage du robot est plutôt rigolo au début lorsqu’il est « bedonnant » puis cesse d’être comique quand le héros le transforme en machine de guerre plus conforme aux normes physiques de virilité (http://www.lecinemaestpolitique.fr/les-nouveaux-heros-iii-labcd-de-linegalite/). Donc pour moi, ça n’est pas du tout progressiste à ce niveau (Kung Fu Panda l’est peut-être un peu plus sur ce point ?).
Et en ce qui concerne le racisme, j’ai l’impression que les connotations obèses du personnage participent de l’essentialisme du film et de son occultation de la colonisation. L’obésité qui touche effectivement la Polynésie aujourd’hui est une conséquence de la domination coloniale, non ? J’ai l’impression que c’est le sens de la déclaration de Will Ilolahia (“This depiction of Maui being obese is typical American stereotyping. Obesity is a new phenomena because of the first world food that’s been stuffed down our throat.”). Du coup, représenter un héros de la tradition orale polynésienne d’une manière qui connote l’obésité est franchement raciste, non ? (sur la dimension postcoloniale du film, j’ai l’impression que cet article est intéressant (même si je ne comprends pas tout dans le détail parce que c’est en anglais) : https://indiancountrymedianetwork.com/news/opinions/dont-swallow-or-be-swallowed-by-disneys-culturally-authenticated-moana/)
Plus largement, j’ai l’impression que le film verse dans une exotisation/essentialisation type « le bon sauvage », qui va parfois jusqu’à la caricature la plus outrancièrement raciste, comme dans la scène où on voit les gens du village de Moana chanter leur amour pour les noix de coco. C’est assez grave je trouve… Un article parle de ça :
Another depiction that is tiresome and cliché is the happy natives with coconuts trope. Coconuts as the essential component of Pacific Island culture became a comedy staple on the 1960s television series « Gilligan’s Island, » if not before. They are part of the shtick of caricatures about Pacific peoples.
Not only do we see the villagers happily singing and gathering coconuts, but a whole race of peoples, the Kakamora, is depicted as, well, coconuts. This is a band of pirates that Moana and Maui encounter. Disney describes them as “a diminutive race donning armor made of coconuts. They live on a trash-and-flotsam-covered vessel that floats freely around the ocean.”
In the film, their vessels resemble “Mad Max meets the Tiki Barge,” complete with coconut palms growing on them. Disney’s Kakamora are mean, relentless at getting what they want, and full of sophisticated technology. And utterly silly at the same time.
But in fact, the Kakamora have actual cultural roots: they are a legendary, short-statured people of the Solomon Islands. Somewhat like the menehune of Hawai‘i, and bear no resemblance to the Disney knock-off.
“Coconut” is also used as a racial slur against Pacific Islanders as well as other brown-skinned peoples. So depicting these imaginary beings as “coconut people” is not only cultural appropriation for the sake of mainstream humor, but just plain bad taste.
Et même si c’est présenté plus tard comme une sorte d’aliénation pour ce peuple qui aurait perdu son essence d’aventuriers parcourant les océans, il y a encore cette idée selon laquelle ce peuple aurait une essence avec laquelle il doit absolument renouer, donc quelque chose de très essentialiste (sans parler du fait que la cause de ces problèmes est attribuée à l’action de divinités, jamais à quelque chose qui ressemblerait à de la domination coloniale).
Du coup pour moi c’est encore plus grave que Pocahontas, qui était déjà grave dans le même genre (http://www.lecinemaestpolitique.fr/pocahontas-1995-etre-femme-et-indienne-chez-disney/). L’héroïne racisée et sa destinée sont encore une fois liées de manière ultra-insistante à la nature (Moana veut dire « océan » il me semble ; il y a aussi le truc de l’océan qui la remet sur le bateau quand elle tombe ; la grand-mère, qui a un rôle similaire à celle de Pocahontas d’ailleurs ; les petits animaux ; la quête qui la mène jusqu’à la « déesse nature » ; etc etc). Cette naturalisation à outrance est à la fois sexiste et raciste (ça ne va jamais aussi loin avec les « princesses » blanches de Disney, et Maui est beaucoup plus placé du côté de la technique, contre la nature (cf tout le truc autour de son arme ou le fait qu’il lui apprenne à piloter le bateau).
Après je ne suis pas non plus spécialiste de ces questions, donc je peux me tromper, mais j’ai l’impression que tout ça est quand même assez raciste, grossophobe et sexiste…