Répondre à: Films, séries et autres Féministes
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Imitations of life est un de mes films préférés ! Et oui, clairement il y a une dimension féministe, puisque le personnage principal (Lana Turner) est d’abord une jeune mère veuve qui veut devenir actrice mais galère seule avec sa fille. C’est parce qu’elle aide, recueille et vit avec Annie (Juanita Moore), qu’elle arrive à finalement rester seule et décrocher des castings, parce que sinon son option est de se marier – ce que lui propose Steve (John Gavin) – mais elle refuse parce qu’elle sent qu’il veut la sauver et pas lui permettre d’avoir une carrière à elle, elle le lui dit cash et lui se trahi (mais ce rattrape ensuite). Finalement, ils ont une relation mais il faudra que Steve ait accepté qu’elle vive sa vie d’abord pour elle.
Annie est en fait sa bonne et, c’est sûr, reste une bonne, qui sert celle qui est aussi censée être (qui prétend et pense vraiment être) son amie. Annie l’accompagne et la soutient et en retour Lora lui offre une place relativement non violemment subordonnée – même si elle reste subordonnée quand même ! Mais, le film n’est pas si complaisant que ça avec ça. C’est la fille d’Annie qui souligne – radicalement – l’inégalité et l’injustice des positions entre les mère-fille blanches et les mère-fille noires (cf. notamment la scène où Sarah Jane joue la serveuse exotique pour montrer l’hypocrisie de l’agencement entre elles toutes devant les invités de Lora) et qui apporte de la dialectique dans le propos du film. Inégalité et injustice qui donnent lieu a de la haine chez Sarah Jane vis à vis de sa mère et d’elle-même, parce qu’elle comprend vite que si elle se fait passer pour blanche, sa vie sera plus facile, mais pour ça, elle doit renier sa mère et une bonne partie d’elle-même (c’est pas traité vite fait, c’est presque la moitié de l’intrigue). Cette violence là est montrée de manière dramatique/tragique, puisque sa mère meurt sans avoir pu se réconcilier avec sa fille, et c’est même ce qui la tue (en lui brisant le coeur).
Dans le magnifique docu de Delphine Seyrig, sois Belle et Tais-toi, Juanita Moore parle des rôles de servantes et c’est super intéressant. Elle reconnaît que oui, c’est un problème que les femmes noires soient si massivement cantonnées à des rôles de servantes mais qu’après, elle préfère jouer un rôle de servante que rien du tout et que surtout : tout dépend de ce qu’on fait faire à ce rôle, qu’un rôle de servante peut être important et avoir de l’envergure. Elle ne cite pas explicitement ce film là, mais je pense qu’elle l’avait bien en tête. Parce que la fin du film est clairement une célébration d’elle. D’abord, y’a la scène où Lora est à son chevet et la pleure et la supplie de ne pas partir: c’est une déclaration d’amour, mais Annie lui règle gentiment son compte, quand elle lui dit qu’elle est restée en contact avec leur ancien propriétaire avec qui elle dealait en secret pour obtenir sa mansuétude quand elles payaient le loyer en retard. Et Lora se rend compte de ce qu’elle lui doit pour avoir pu avoir sa carrière.
Et puis Lora, lui dit, « je ne savais pas que tu avais tant d’amis », et Annie lui dit : « mais ça c’est parce que tu étais tellement préoccupée par toi-même ».
Et à partir de là, c’est vraiment Annie la star.
J’ai lu quelque part (mais ne sait plus où) que la scène de l’enterrement était une scène révolutionnaire à l’époque (le film est de 1959, en plein coeur du Mouvement pour les droits civiques, quatre ans après le début du Montgomery Bus Boycott) et y’a une immense foule d’African-Americans qui sont là pour le faste de l’enterrement d’Annie et c’est une forme de valorisation glorieuse de toute la communauté.
Le générique du film montre une pluie de perles précieuses, et je pense que c’est très symbolique, ça annonce à la fois l’artifice de la richesse (on ne sait pas si ce sont des faux), les multiples facettes de la lumière (qui et qu’est-ce est-ce qui brille dans ce film ? Celles qui ont du succès et la scène, ou celles qui ont du coeur ?), et la multiplicité des points de vue (comme les multiples facettes d’un joyaux). Au final, le point de vue particulier d’Annie et Sarah Jane ne sont pas moins importants que celui de Lora ou sa fille (qui elle souffre d’être dans l’ombre de sa mère, mais a clairement joui de ses privilèges de blanche par / à Sarah Jane).
Et aussi, y’a beaucoup de choses dites et montrées sur la sexualité dans ce film (Lora qui a d’abord des relations hors mariage, puis qui s’ennuie dans le mariage, qui est harcelée en tant qu’actrice – on lui fait comprendre qu’elle doit couchée pour avoir un rôle et elle refuse – Annie n’a pas de sexualité, Susie tombe amoureuse de l’amant de sa mère, Sarah Jane part faire danseuse dans un bar à gogo.)
Moi, je trouve que ce film montre comment les questions et enjeux de race et de genre (les inégalités et les privilèges) influent sur les relations interpersonnelles et à quel point celles-ci sont politiques, comment elles peuvent créer des solidarités mais aussi sacrément pervertir les relations.
Et le film se consacre à montrer ça entre ces quatre femmes (d’âges, de couleurs, de statuts différents).
Voilà, bon y’a encore sans doute beaucoup à en dire, peut-être même en plus nuancé, mais je trouve que Sirk (qui a eu un parcours bien singulier) a fait de chouettes films et celui là vaut la peine d’être connu vu et revu.
Des fois, je vois des films contemporains et je repense à celui là et je me prends la tête dans les mains et me demande bien si des fois on avance…