Répondre à: Bande de filles – Céline Sciamma

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#23057
Arroway
Invité

Salut,

Juste une autre chose: Je lis souvent que la réalisatrice n’a pas de légitimité pour filmer des Noirs car elle est Blanche.
C’est un sujet qui me questionne beaucoup: doit-on absolument être Noire pour filmer des Noirs? Doit-on être homosexuel pour filmer des homosexuels? Doit-on être une femme pour filmer des femmes?
Peut-être oui…. mais pourquoi? Est-ce dans le cadre de la recherche d’une vérité sur le sujet? Et dans ce cas, quel est le rôle et le pouvoir de l’artiste s’il doit être prisonnier de sa nature, de sa race, de son sexe, etc?
Pourquoi une femmes blanches ne peut-elle pas être légitime à filmer des femmes noires?

Tout dépend ce que l’on entend par « légitimité » : si le but du film est de visibiliser des femmes noires, de leur donner la parole et de parler de leurs conditions de vie de femmes noires opprimées au moins en raison de leur genre et de leur « race », alors d’un point de vue politique, le fait que ce soit une femme blanche et non une femme noire qui réalise le film reproduit qu’on le veuille ou non une forme d’oppression dans le sens où une fois de plus, c’est le discours d’une femme blanche qui est écouté et distribué.

Maintenant, cela ne veut pas dire que le propos d’une femme blanche sera forcément raciste ou pas pertinent. De mon point de vue (de femme blanche), j’ai tendance à penser que l’on peut servir de relais à des textes, des discours, des analyses produits par des femmes et des hommes noir-e-s pour donner plus de visibilité à certaines problématiques qui ne seraient autrement pas forcément abordées dans certains espaces/contextes. Le danger principal, c’est d’introduire un biais en privilégiant tel ou tel discours qui nous « arrangerait » en tant que blancs, parce qu’on n’a pas encore pris conscience de nos biais/préjugés/réflexes racistes qu’il reste à déconstruire.
IL y a des blanc-h-es dont on dit qu’illes sont « noir-e-s à l’intérieur » (par exemple, Johnny Clegg, le « zoulou » blanc), mais cela ne sort pas de nulle part, c’est un parcours de vie.

Dans le cas de Bande de filles, ce qui est gênant, c’est qu’on ne sent pas cette démarche chez Sciamma : le scénario a été écrit par elle, le film a été réalisé par elle… d’un point de vue militant, c’est tronqué, cela donne juste l’impression que la parole est donnée à des femmes noires, alors qu’en fait non… Ce que lui reproche des gens, c’est de ne pas avoir mobilisé ses ressources, sa renommée pour laisser la parole à des femmes noires. Et surtout, le résultat contient des clichés racistes : même si ce n’était pas son intention, même si des fois ça se passe comme ça, le simple fait qu’elle soit blanche donne cette dimension à son film. A cause du contexte politique dans lequel se film sort. Si c’était une femme noire qui avait réalisé ce film et montré des scènes de violences entre hommes et femmes noir-e-s, cela n’aurait pas eu la même signification (parce qu’il n’y aurait pas eu cette dimension de domination raciste qui rentre en jeu) et surtout cela n’aurait probablement pas été fait de la même manière. Notamment, l’expérience commune du racisme et son influence auraient peut-être été montrées de manière plus subtile et plus complexe.

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