Répondre à: Pourquoi la chanson "Je ne dirai rien" de Black M est répugnante.

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#23215
rosa
Invité

Fanny,
Bonjour,
Je suis d’accord avec vous sur ce point que, comme vous dites, « les premiers ennemis des femmes sont les femmes elles-mêmes », quoique je dois nuancer d’une part sur le terme « premiers ». En effet, il n’y a pas pire ennemi pour une minorité que sa propre intégration des processus de domination qui s’exercent sur elle.
Mais voilà : Rihanna, Minaj et autres pop stars ne sont pas les ennemies des femmes à proprement parler ; ce qui est dangereux, c’est justement celleux qui les pointent du doigt comme « la honte du genre féminin ». Je m’explique.

D’une part, il me semble que la production de clips/chanson/etc est largement soumise à des standards qui sont ceux des « dominants », du moins des standards sociaux dominants, et donc ici, des standards élaborés par et pour les hommes (je ne préciserai pas leur âge, origine sociale et ethnique, ni leur orientation sexuelle pour tenter de rester un minimum claire et concise).

D’autre part, dire que par exemple Miley Cyrus (je la cite parce qu’elle a fait couler beaucoup d’encre et par là-même, beaucoup de bêtises, atrocités sexistes et autres joyeusetés) serait la honte des femmes revient à la punir parce qu’elle n’a pas tenu à rester dans un rôle qu’on veut lui imposer. On lui reproche de se sexualiser elle-même, quand de toute manière elle est sexualisée à outrance quoiqu’elle fasse (première hypocrisie).
On lui demande donc un peu de tenue, de rester à sa place de femme qui n’a le droit d’être sexualisée que par autrui (un autrui masculin donc), pour mieux se respecter elle-même (seconde hypocrisie puisque dès lors, ce « respect de soi-même » est lié au fait qu’elle doit vivre passivement sa sexualisation).

Pour ma part, effectivement « sexy bitch » m’a fait gerber. Mais c’est le cas de beaucoup de chansons et clips, du tube de Robin Thicke à la « Socialiste » de Renaud (eh oui).
Le problème de cette chanson, Je ne dirai rien, est notamment qu’elle est un condensé de tout ce qu’on peut trouver de gerbant dans ce qu’on écoute au quotidien. Une petite liste non exhaustive :
– Culpabilisation des victimes de viol (si t’es trop jolie c’est de ta faute, si tu as dit oui à d’autres c’est que c’est bon pour moi aussi, si tu t’habilles court tu l’as cherché, si tu me repousses tu vas le payer, etc.)
– Incitation, du coup, au viol (ces connasses qui me regardent pas ne méritent que ça – le viol est la punition suprême de la femme qui n’est pas restée à sa place de proie docile)
– Injonctions contradictoires à la beauté : t’as de grosses cuisses c’est trop moche (vive le fat-shaming, vraiment…) mais franchement pourquoi tu veux pas coucher avec moi ? Honnêtement, ça vous rappelle pas un sempiternel « Mademoiselle t’es trop charmante (…) eh réponds moi salope, vas-y de toute façon t’es trop laide » ?
– De ces injonctions découlent une banalisation du harcèlement (qui est déjà bien trop banal), puisque c’est justement la somme des injonctions contradictoires qui s’appliquent en permanence à une personne qui constitue du harcèlement

– Et pour sortir du simple sexisme, une adhésion totale et sans limite à une méritocratie illusoire : « t’as délaissé le bac » (ici entendu comme « t’es qu’une ratée »), suivi d’une moralisation sur le fait que la femme ne semble s’intéresser qu’aux grosses voitures/fortunes/etc, ce qui laisse clairement entendre que c’est une parvenue qui ne mérite pas tout ce bling bling.

La critique de ces Nabilla, comme vous les appelez, est là encore un ensemble d’injonctions contradictoires. Nabilla est là pour un public dont le regard est masculin (et hétéro). Nabilla est jugée selon ce regard d’homme cis hétéro/ Nabilla fait sa fortune là-dessus. On reproche à Nabilla de se faire sa fortune sur son physique, alors même qu’on a exigé d’elle qu’elle ait ce physique de « bimbo ».
Le côté « on se moque des bimbos bad girls collectionneuses » est le côté le plus politiquement acceptable, parce qu’il s’attaquerait à une psychologie donnée, qui semble effectivement assez agaçante. Mais ce qui sous-tend à cette critique d’un soit-disant type de femmes, c’est d’une part :
– Que seules les femmes ont ce type de comportement
– Qu’un comportement jugé non acceptable par ces messieurs constitue une raison valable au viol et au harcèlement
– Et qu’en fait, beaucoup de femmes (voire toutes) répondent réellement à ce cliché sexiste de la femme vénale, stupide et superficielle

Et d’autre part :
– Que le fric détermine la valeur d’une personne (tu ne mérites que la twingo), ou tout du moins d’une femme (cf. plus bas)
– Qu’il faut mériter son fric et le confort qui va avec, argument ultra libéral assez nauséabond
– Qu’on ne mérite son fric que lorsqu’on est intelligent et qu’on a travaillé dur à l’école (cf. l’histoire du bac)
– Et que par opposition à cette bimbo perfide, ces messieurs, eux, ne mériteraient attention et rapports sexuels que parce qu’ils sont là

Finalement, votre critique des critiques faites à cette chanson ne fait que reproduire un ensemble d’impératifs qui s’imposent en permanence aux femmes. Par exemple, on fait ce qu’on veut de notre corps, mais pour revendiquer ça, on doit d’abord et avant tout ne pas dépasser les limites de la pudeur qu’on nous a socialement imposée.

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