Répondre à: Apprentie Réalisatrice/Scénariste recherche témoignages.
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Visez un peu l’absurdité de la chose : dans votre cas, par exemple, si vous montrez une bisexuelle, vous tomberiez donc dans un « trope »** (dixit Arroway) ; mais si votre meurtrière était hétéro, vous tomberiez dans un « trope » mille fois plus répandu***. Résultat des courses : vous n’auriez plus qu’à enterrer votre chouette idée de scénario.
Il ne s’agit pas d’enterrer une idée, il s’agit d’avoir conscience de ces effets sur son audience. Ça me fait franchement marrer qu’on oppose le fait de réfléchir à l’utilisation de clichés narratifs qui véhiculent de manière répétée la même idée à longueur de films/livres/séries, à l’idée de création.
[un cliché peut être utile, je ne l’utilise pas de manière négative ici : mais il faut avoir conscience qu’on l’utilise, et de son effet. Un cliché se détourne, un cliché s’utilise pour dénoncer autre chose, les procédés d’ironie, parodie, pastiche peuvent être investis, etc. Bref, ça peut être un terrain de jeu créatif.]
Ça me fait aussi franchement marrer qu’on demande à quelqu’un-e qui crée de ne pas « penser » aux différentes facettes psychologiques, sociologiques, historiques ou même – grands dieux ! – politiques de son histoire et à ses personnages. A un moment donné, si on veut que tout cela ait un peu d’épaisseur et que le public « y croit » d’une manière ou d’une autre, il faudra se pencher sur la question. Selon quelle perspective et pour quelle visée, c’est le noeud de la réflexion.
Certain-e-s le font avec plus ou moins de conscience. Les « idées » qui vont sortir surgissent « inconsciemment » de toutes nos expériences, visionnages, lectures passées, et donc presque fatalement, elles risquent d’être inspirées par les clichés fréquents, les idées dominantes, les biais que l’on assimile inconsciemment. Après que les idées soient sorties, on peut prendre un peu de recul et se demander : ok, cette idée que je viens d’avoir, qu’est-ce qu’elle implique par rapport à mon histoire, à mon personnage ? Est-ce que je l’introduis au premier degré ? Est-ce que je décide de la garder mais j’utilise un procédé pour induire une prise de recul dessus ? Etc.
Quant à conseiller de « s’exprimer sans se préoccuper de plaire à qui que ce soit » : c’est un conseil bien vague. Cela veut dire quoi, « plaire » ?
Exemple de situation : je peux me mettre à écrire tout de suite un morceau qui insulte gratuitement à peu près tout le monde. Je me serai exprimée donc je me sentirai bien mieux, cela ne « plaira » à personne (en général, on n’aime pas se faire insulter) sauf à celles et ceux qui crieront au génie de l’anticonformisme et du politiquement anticorrect parce qu’ils décideront d’y voir du « second degré » là où le reste du « peuple » s’insurgera parce qu’il ne sera pas assez cultivé ou trop con pour le comprendre. En terme de sens, j’aurais communiqué de la haine pure, certain-es se pencheront sur le pourquoi du nihilisme de ma démarche et ce sera certainement une question intéressante (à la fois psychologique, sociale et politique – ah mince, on y revient).
Quel rôle je veux jouer en tant que créateur/rice ? Dans quel but est-ce que je rends public ce que j’écris et pour qui ? Le cas échéant, qui ou qu’est-ce que je veux déranger et _pourquoi_ ? Parce qu’à la fin de la journée, on sort un film en salle pour qu’il soit vu, on publie un livre pour qu’il soit lu, on joue de la musique sur un album pour qu’elle soit entendue. Donc oui, pour « plaire » suffisamment d’une manière ou d’une autre pour que les gens y consacrent quelques heures, et pour susciter des réactions, des émotions, des réflexions.
On peut refuser de se poser toutes ces questions parce qu’elles nous gonflent. C’est le droit de chacun-e. C’est pareil que dans la vie: on peut refuser de réfléchir à comment notre comportement et nos paroles impactent les gens qui nous entourent.