Get Out

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  • Ce sujet contient 37 réponses, 1 ps. et a été mis à jour pour la dernière fois par Milu, le Il y a 6 années, 8 mois.
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  • #37452 Répondre
    Arroway
    Invité

    Je recommande le film Get Out, très fin et intelligent qui traite du racisme aux US et qui est sorti cette semaine. Pour prévenir, il s’agit d’un thriller avec quelques scènes de violence graphique. Et aussi une bonne pointe d’humour qui vient détendre régulièrement une atmosphère plutôt flippante, thriller oblige. Le jeu des acteur-ices est irréprochable.

    Le synopsis : « Chris Washington est un jeune homme noir, en couple avec Rose Armitage. Le jour où elle décide de le présenter à ses parents, Chris anticipe leurs réactions à cause de sa couleur de peau. Les parents se révèlent être très gentils et accueillants, mais une série d’événements très inquiétants ne vont pas tarder à arriver. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Get_Out_(film))
    Je ne mets pas en lien le trailer, comme d’habitude il en dévoile trop sur l’intrigue…

    Le réalisateur, co-producteur et scénariste est Jordan Peele, et fait aussi partie du duo comique Key and Peele qui fait des sketchs drôles et politiquement engagés (comme https://www.youtube.com/watch?v=2EtalOOS-eM ou https://www.youtube.com/watch?v=Dd7FixvoKBw, en anglais).

    Franchement, ce film se hisse sans effort au sommet de mon top 2017 pour l’instant, tout est intelligent dedans. Les codes du genre sont détournés, les détails de mise en scène sont très justes, le dénouement de l’intrigue sert un propos politique positif. Bref, je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler dès le premier message.

    #37464 Répondre
    seb petit
    Invité

    Bonjour,

    Je viens de voir ce film, qui est en effet parmi les sorties « phénomènes » en terme de box-office, et même de réception critique. Pour ma part, il m’a pas mal dérangé, voire même choqué sur cette question sociale prise de manière très globale, notamment à travers deux personnages.

    Je vais « spoiler » totalement, cela me semble nécessaire – s’il faut prévenir, voilà qui est fait.

    D’un point de vue global, tout d’abord, il inverse le racisme sans pour autant l’annihiler, puisqu’il en reprend strictement les mécanismes les plus basiques : pour ne citer que les exemples qui m’ont le plus marqué, les noir.e.s apparaissent comme des citadin.e.s posé.e.s (Chris ne s’énerve pas face aux blanc.he.s racistes, sa copine s’en extasie) et soucieux/ses de raison et de justice (les policiers/ères noir.e.s restent sceptiques face à l’histoire maladroitement racontée par Rod Williams), tandis que les blanc.he.s sont manipulateurs/trices, incarnant l’Occident profond venu d’une campagne reculée dans tous les sens du terme. C’est méprisant pour la campagne, ce qui ajoute à l’idée que ce film n’est qu’un fruit de la digestion du capitalisme par des générations d’occidentaux de tous horizons : dans ce film, l’idée de « tolérance » n’est en fait qu’une revanche bête, où les victimes se réapproprient les armes de leurs oppresseurs (l’image finale du fusil retourné). C’est l’illustration absolue de ce qu’une certaine droite française appelait le racisme anti-blanc.

    L’utilisation que fait ce film de l’hypnose, même s’il s’apparente malheureusement à une moquerie des médecines douces et alternatives (dans la même lignée, vient de sortir Problemos, de Eric Judor, dont seule la bande annonce m’est apparue nauséabonde), sert une charge contre l’esclavagisme, la colonisation et le racisme anti-noir, mais si on imagine un instant exactement le même film mais avec les personnages inversés, c’est-à-dire avec des noir.e.s manipulant des blanc.he.s, je n’ai aucun doute que l’on appellerait à l’interdire. Et je serais d’accord, aussi cela me semble injuste et plutôt imbécile de féliciter le même phénomène juste parce que les icônes sont inversées. Pour moi, ce film n’appelle en rien à une tolérance apaisée et mutuelle, mais, au contraire, est un appel aux armes revanchard, que je trouve stupide.

    C’est à partir d’ici que ça « spoile ».

    Parce que, plus en détail, je parlais de deux personnages : Logan et Georgina, deux « confrères » noirs qui ont été « avatarisés » hors-film. Ces deux personnages achèvent de me convaincre de ce que j’évoquais juste au-dessus, c’est-à-dire du fait que ce film n’est qu’un fruit digéré (pour le dire moins poétiquement : une déjection) du système occidental, un capitalisme pour lequel le concept de « tolérance » est un argument marketing comme un autre, peu importe la forme qu’il adopte – même violente, donc.
    C’est pas galant, mais je commence par le personnage masculin : Logan est un des premiers personnages à apparaître suspects à Chris. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas habillé à la mode (bonjour capitalisme !), et surtout parce qu’il apparaît au bras d’une femme blanche plus âgée que lui. Ce qui abonde abominablement dans le sens d’un cloisonnement et d’une ghettoïsation de la société : les couples ne doivent se former qu’entre gens du même âge, et de la même couleur – au cours du film, plusieurs personnages confirment à Chris qu’il n’aurait pas dû se mettre en couple avec Rose, une blanche.
    Le personnage de Georgina repose, je pense, sur un mécanisme narratif et monstratif beaucoup plus pernicieux : elle apparaît suspecte aux yeux de Chris de manière beaucoup plus confuse, diffuse, par son attitude sans qu’on comprenne vraiment de quoi il s’agit précisément – la confusion est entretenue parce qu’elle est assimilée aux autres personnages noirs (ce qui est pour moi un des problèmes majeurs du film, je l’ai évoqué rapidement ci-dessus : la vision du monde racisé en deux blocs, comme une Guerre Froide). Le gros problème vient pour moi dans la scène de la grande révélation, lorsque Chris tombe sur la boîte à photos, comprenant que sa petite amie blanche l’a en réalité manipulé pour le piéger dans cette maison de campagne, exactement tout comme elle avait manipulé, dans le pré-texte du récit, en les séduisant les autres personnages noirs qui servent de domestiques dans la propriété familiale. Même Georgina. Le problème est que cette séquence articule le récit du film, sert à faire comprendre à Chris et au spectateur que le personnage de Rose, comme les autres blancs, est aussi manipulatrice, fausse et monstrueuse. Et la photo des deux femmes arrive en conclusion de cette séquence, ce qui, en termes narratifs, est loin d’être anodin : c’est amené comme un espèce de point d’orgue, comme si le fait que Rose ait « joué la lesbienne » soit le summum de la monstruosité humaine.

    J’espère avoir été à la fois succinct et clair dans mon idée.

    #37466 Répondre
    joffrey pluscourt
    Invité

    Oui c’est un film très malin, avec beaucoup de qualités.
    Le twist est aussi logique que réussit.
    Le rythme et la mise en scène portent le script.
    L’humour et les références vous font sentir intelligents et amusés alors que le sujet peut sembler clivant.
    Le film pèche dans le coté effrayant (perso ça me convient), et dans la critique du racisme (mais est ce le but).
    Il est particulièrement réussi sur l’inquiétude d’être caractérisé par son physique dans un milieu inconnu, sur le ridicule de l’antiracisme commun « des blancs », et sur la critique d’une bourgeoisie qui si elle a perdu son racialisme primaire se base sur la technique, une hypnose très télévisuelle, l’immoralité, l’appropriation et la prédation pour garder sa domination.
    Très bonne recommandation.

    #37467 Répondre
    Arroway
    Invité

    Pour répondre au commentaire de seb petit :

    D’un point de vue global, tout d’abord, il inverse le racisme sans pour autant l’annihiler,

    le racisme n’est absolument pas inversé dans ce film. Inverser le racisme, cela aurait signifié mettre en scène des noir-e-s qui discriminent des blanc-he-s dans un système de domination où les noi-r-es sont systématiquement avantagés-e-. Ce que le film montre, c’est le racisme des blanc-he-s. Que les persos noir-e-s soient écrits sans stéréotypes, et que le racisme soit dénoncé, visiblement ça suffit à crier au soit-disant « racisme anti-blanc » (autre petit nom du racisme inversé), ce qui est un complet non-sens…

    C’est méprisant pour la campagne,

    On parle pas de n’importe quelle campagne ici : ce n’est pas une représentation de la campagne pauvre avec les paysans qui travaillent la terre que l’on voit ici. C’est une maison située dans la nature (ce qui est un luxe) d’un couple bourgeois blanc, qui organise des garden parties avec les voisin-e-s et ami-e-s bourgeois blancs.

    ce qui ajoute à l’idée que ce film n’est qu’un fruit de la digestion du capitalisme par des générations d’occidentaux de tous horizons : dans ce film, l’idée de « tolérance » n’est en fait qu’une revanche bête, où les victimes se réapproprient les armes de leurs oppresseurs (l’image finale du fusil retourné). C’est l’illustration absolue de ce qu’une certaine droite française appelait le racisme anti-blanc.

    Alors on a un personnage noir qui est manipulé, enfermé, attaché, que des blanc-hes menacent d’opérer pour lui enlever le cerveau, autrement dit le tuer lui. Et dans le fait qu’il se défende face à ces personnes qui ne le laisseront pas partir vivant, vous y voyez un soit-disant racisme anti-blanc qui n’a socialement aucune existence ? C’est vraiment n’importe quoi. Ce film explore l’un des mécanismes centraux du racisme : l’appropriation et l’exploitation du corps des personnes noires par les blanc-hes. Est-ce que vous allez aussi nous expliquer comment les films dénonçant l’esclavage des noir-e-s par des blanc-hes sont « racistes envers les blanc-hes » ?

    L’utilisation que fait ce film de l’hypnose, même s’il s’apparente malheureusement à une moquerie des médecines douces et alternatives (dans la même lignée, vient de sortir Problemos, de Eric Judor, dont seule la bande annonce m’est apparue nauséabonde), sert une charge contre l’esclavagisme, la colonisation et le racisme anti-noir, mais si on imagine un instant exactement le même film mais avec les personnages inversés, c’est-à-dire avec des noir.e.s manipulant des blanc.he.s, je n’ai aucun doute que l’on appellerait à l’interdire.

    Donc vous jugez un film à partir de l’exact opposé de ce qu’il met en scène. On est pas rendu.

    Et je serais d’accord, aussi cela me semble injuste et plutôt imbécile de féliciter le même phénomène juste parce que les icônes sont inversées. Pour moi, ce film n’appelle en rien à une tolérance apaisée et mutuelle, mais, au contraire, est un appel aux armes revanchard, que je trouve stupide.

    Ce que vous appelez un « appel aux armes revanchard », c’est un jeune homme qui défend sa vie face à des personnes qui veulent le tuer. J’appelle ça de la légitime défense. Mais comme c’est un noir qui tue des blanc-hes, forcément pour vous il sort de sa petite place bien soumise et de martyr en silence dans laquelle il devrait rester pour ne pas déranger l’ordre raciste établi.

    C’est pas galant, mais je commence par le personnage masculin

    Commentaire déplacé, la galanterie est sexiste.

    Logan est un des premiers personnages à apparaître suspects à Chris. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas habillé à la mode (bonjour capitalisme !)

    C’est quoi le rapport entre le fait de trouver étrange que quelqu’un s’habille avec des vêtements à la mode il y a plusieurs décennies, et le capitalisme ?

    et surtout parce qu’il apparaît au bras d’une femme blanche plus âgée que lui. Ce qui abonde abominablement dans le sens d’un cloisonnement et d’une ghettoïsation de la société : les couples ne doivent se former qu’entre gens du même âge, et de la même couleur –

    Vous oubliez deux éléments décisifs : le premier, et le plus évident, c’est qu’au premier abord, Chris est rassuré de voir un deuxième homme noir parmi les invités. C’est sa réaction et son comportement qui lui mette la puce à l’oreille. Ensuite, le deuxième élément, c’est qu’il faut prendre en compte le rapport de pouvoir entre les deux personnages. La femme âgée, blanche, bourgeoise, qui est en couple avec un homme noir, jeune, qui agit de manière un peu bizarre, gênée. Oui, c’est normal que ça paraisse suspect.

    au cours du film, plusieurs personnages confirment à Chris qu’il n’aurait pas dû se mettre en couple avec Rose, une blanche.

    Oui, sauf que vous ne précisez ni pourquoi ni le contexte : le héros va pour passer un we dans la maison des parents de sa copine blanche, pour la première fois. De base c’est flippant d’aller dans sa belle famille la première fois, mais là c’est surtout qu’il va être le seul noir dans un environnement de blancs. Et face aux évènements étranges qui se déroulent, c’est son ami (qui joue un rôle plutôt comique, d’où ses commentaires directs faits pour faire rire, aussi) qui lui dit après coup qu’il n’aurait pas dû se mettre avec Rose. Mais au début du film, lorsque les trois parlent au téléphone, il n’y a pas d’animosité.

    Le personnage de Georgina repose, je pense, sur un mécanisme narratif et monstratif beaucoup plus pernicieux : elle apparaît suspecte aux yeux de Chris de manière beaucoup plus confuse, diffuse, par son attitude sans qu’on comprenne vraiment de quoi il s’agit précisément

    C’est pourtant clair : ces attitudes, son grand sourire jusqu’aux oreilles en tout circonstance qui a l’air figé, la scène où des émotions contradictoires s’affichent sur son visage comme dans une lutte (montrant la lutte entre les deux personnes qui vivent en elles).

    – la confusion est entretenue parce qu’elle est assimilée aux autres personnages noirs

    euh… elle est pas assimilée aux autres personnages noirs, elle est un personnage noir.

    (ce qui est pour moi un des problèmes majeurs du film, je l’ai évoqué rapidement ci-dessus : la vision du monde racisé en deux blocs, comme une Guerre Froide).

    cette comparaison est complètement hors de propos : dans la Guerre Froide, deux blocs, deux puissances impérialistes étaient en confrontation à armes à peu près égales. Ici on parle de racisme, où il y a un groupe dominant (blancs) et un groupe dominé, discriminé (noirs) selon une hiérarchisation raciste.

    Le problème est que cette séquence articule le récit du film, sert à faire comprendre à Chris et au spectateur que le personnage de Rose, comme les autres blancs, est aussi manipulatrice, fausse et monstrueuse.

    En quoi c’est un problème ? Les jeunes femmes blanches peuvent être tout aussi racistes que les autres. Au passage, on a ici une évolution d’un personnage qui rappelle des renversements de situation classique dans les films d’horreur ou thrillers.

    Et la photo des deux femmes arrive en conclusion de cette séquence, ce qui, en termes narratifs, est loin d’être anodin : c’est amené comme un espèce de point d’orgue, comme si le fait que Rose ait « joué la lesbienne » soit le summum de la monstruosité humaine.

    Alors déjà, qu’est-ce qui vous fait dire que Rose a fait semblant d’être lesbienne et qu’elle n’a pas profité du fait de sortir avec une femme ? Ensuite, elle sort avec des hommes et des femmes, donc elle serait bisexuelle. Et le film ne condamne en rien la bisexualité du personnage pour elle-même. Ce qu’il condamne, c’est le fait qu’elle soit manipulatrice, menteuse et raciste.

    #37472 Répondre
    Anna-Maëlis
    Invité

    Que les persos noir-e-s soient écrits sans stéréotypes, et que le racisme soit dénoncé, visiblement ça suffit à crier au soit-disant « racisme anti-blanc » (autre petit nom du racisme inversé), ce qui est un complet non-sens…

    Ce que seb petit appelle « racisme anti-blanc » c’est pas plutôt la fait de présenter les blanc(he)s comme des monstres?
    Des personnages noir(e)s qui ne sont pas résumés à la couleur de leur peau je ne vois pas ce que ça à de « raciste anti-blanc », au contraire je dirai que c’est un des seuls truc que même ceux\celles qui ne sont pas « initié(e)s » peuvent supporter puisqu’il ne s’agit même pas d’attaquer les blanc(he)s mais juste de considérer les noir(e)s comme des êtres humains comme les autres.
    La dénonciation du racisme provoque juste de la culpabilité je pense (même quand on a pas fait l’action dénoncée). Du style :
    « Je ne me vois pas tellement en train de faire de faire de meurtres de noir(e)s (ni de personne d’ailleurs). Je n’ai pas l’habitude de répandre des stéréotypes ridicules tellement ils ne semblent pas liés à la réalité. (Par contre il est possible que j’ai fait des erreurs mais inconsciemment parce que j’aime pas particulièrement faire souffrir les autres (les noir(e)s dans le cas précis.) »

    #37506 Répondre
    Milu
    Invité

    waaaaaaah j’l’ai vu hier soir j’ai vraiment vraiment kiffé!!! 😀

    un chouette demi-podcast (la première moitié) de BitchMedia sur le film: https://soundcloud.com/bitch-media/backtalk-get-out-uber-sexism (en anglais)

    Le film a plein de niveaux de lecture, de détails, de références… j’ai déjà envie de le revoir!!

    J’ai envie de parler de plusieurs trucs qui m’ont marquée, attention ça va être la fête du SPOILER

    • il y a un p’tit clin d’oeil au trope du noir qui meurt en premier dans les films d’horreur; sauf qu’ici c’est littéralement le racisme des (personnages) blanc-hes qui le tue, et pas le racisme des scénaristes (blanc-hes) qui exploitent les personnages noir-es pour produire du gore et de la terreur à moindre frais scénaristique (puisque les personnages blanc-hes ont plus de valeur pour eux).
    • j’ai bien aimé le twist de la toute fin: alors que Chris se relève péniblement, couvert de sang, d’une scène de carnage, une voiture de flics arrive, sirènes hurlantes. là tu te dis « noooon c’est foutu il va prendre tellement cher, personne va le croire (vu qu’il est noir et que la justice est raciste)… et en fait c’est son pote Rod dans sa voiture de fonction de sécurité de l’aéroport 🙂 du coup c’est un « happy end » (ils dégagent et on peut supposer que personne n’aura su qu’il était là), il se fait sauver par son ami qui, malgré sa fierté naïve de porter un uniforme et d’avoir fait un boulot d’enquêteur, a clairement agi par amitié et non par amour de la justice. C’est encore un trope qui est subverti, celui de la police qui arrive à la fin et conclut l’histoire en menottant les méchant-es et en libérant les gentil-les.
    • mais en même temps c’est pas un film d’exploitation à base de vengeance, les meurtres sont commis en autodéfense, et on capte bien que ça risque de laisser des séquelles psychologiques énormes à Chris. Il ne s’agit pas d’une valorisation naïve de la violence des dominé-es; on montre qu’elle est nécessaire et libératrice (ho comme ça m’a fait du BIEN quand il explose le crâne de Jeremy!! tout comme une certaine scène de Moonlight impliquant une chaise, pour celleux qui l’ont vu 😉 mais à la fin, à part d’avoir sauvé sa peau, Chris n’a rien gagné. Il a donné sa confiance et a été trahi, manipulé, torturé.
    • cette question de la confiance rappelle une intervention de James Baldwin dans I Am Not Your Negro: sur un plateau de télé, il reproche à un philosophe blanc de lui demander de le croire sur parole quand il dit qu’il exagère, que l’Amérique n’est pas raciste, etc, sans prendre en considération les risques énormes qu’il prendrait en accordant sa confiance sur la base d’une simple profession de foi pour ménager les blanc-hes, alors que son vécu lui a donné tellement de raisons de se méfier. Dans Get Out, il y a plein de signaux d’alarme (des micro-agressions notamment) que Chris, par amour et confiance envers Rose, choisit d’ignorer. Il ménage sa fragilité blanche en prenant sur lui. On le voit plusieurs fois lui évoquer des détails qui clochent et lorsqu’il voit que, bien sûr, elle ne comprend pas, il décide de lâcher l’affaire et de lui dire de ne pas s’en faire, que tout va bien. Je pense que ce film demande aux blanc-hes (dont je suis) de faire en sorte de prendre au sérieux et de créer un climat d’écoute lorsqu’une proche non-blanc-he parle de racisme. d’abord parce qu’iels savent de quoi iels parlent. Et puis parce que les enjeux sont bien plus importants pour elleux.
      (bien sûr il s’avérera plus tard que Rose joue un double jeu. mais ça n’enlève rien à ce niveau d’analyse des premiers deux-tiers du film où on croit vraiment qu’elle aime et respecte Chris.)
    • le film parle assez clairement d’esclavage, d’exploitation du corps des noir-es. Il y a une référence au nazisme (le grand-père qui a été battu par Jesse Owens sous les yeux d’Hitler aux JO de Berlin 1936). Il me semble que pour Dean et sa secte, sans doute le nazisme est une idéologie européenne grossière et gaspilleuse. Certes le fantasme de l’extermination perdure dans l’Amérique blanche, tout en servant d’épouvantail (KKK, alt-right etc) (les commentaires tranquillement « anti-chevreuils » du père témoignent que cette tentation génocidaire coexiste peut-être dans son esprit avec un racisme plus « utilitariste ») mais historiquement, après un génocide des peuples indigènes, l’Amérique blanche a accumulé une richesse démesurée qui s’est construite sur une sorte de dualisme corps/esprit: aux blanc-hes les décisions et les profits matériels et symboliques; les corps noirs, eux, sont exploités pour les travaux physiques, via un certain discours raciste les représentant comme plus performant, résistants (les chroniqueuses de Bitch Media font le rapprochement avec la critique du sport de haut niveau comme une forme d’exploitation nationaliste des corps noirs), mais aussi: interchangeables, objectifiés.
    • un autre point intéressant soulevé dans le podcast que j’ai cité est la réaction du seul acheteur potentiel non-blanc – un homme asiatique – présent à ce qui s’avère être une vente aux enchères du corps de Chris: contrairement aux blanc-hes qui ne voient en Chris qu’un corps avec des parties (musclé, sexy, etc) lui pose la question de « son vécu d’africain-américain ». Peut-être pour montrer qu’étant non-blanc, il capte que ça peut être galère, et se demande à quel point.

    Arroway: Vous oubliez deux éléments décisifs : le premier, et le plus évident, c’est qu’au premier abord, Chris est rassuré de voir un deuxième homme noir parmi les invités. C’est sa réaction et son comportement qui lui mette la puce à l’oreille. Ensuite, le deuxième élément, c’est qu’il faut prendre en compte le rapport de pouvoir entre les deux personnages. La femme âgée, blanche, bourgeoise, qui est en couple avec un homme noir, jeune, qui agit de manière un peu bizarre, gênée. Oui, c’est normal que ça paraisse suspect.

    Comme j’ai compris cette scène, ce qui met surtout la puce à l’oreille de Chris, c’est l’absence totale de solidarité noire de Logan. Chris l’aborde avec soulagement, lui disant d’emblée que ça lui fait trop du bien de tomber sur « un frère » au milieu de toustes ces blanc-hes. Et non seulement Logan ne semble pas comprendre, mais dès que sa compagne blanche le rejoint il rompt brutalement cette complicité intuitive entre noirs sur laquelle Chris pense pouvoir compter en disant sur un ton plaisant, sans avoir l’air de saisir à quel point ça se fait pas: « Chris était justement en train de me dire que ma présence le rassurait » ou qqch du genre. Le fait qu’il sorte avec une blanche plus âgée me semble être une bizarrerie presque anecdotique à côté de ce comportement complètement inattendu.

    #37510 Répondre
    Arroway
    Invité

    Ouais, je suis d’accord avec tous ces éléments d’analyse !
    C’est rare que ça m’arrive d’avoir envie d’aller revoir un film au cinéma une semaine après, mais on sent avec Get Out qu’il y a de la matière à creuser.
    Par exemple, je n’ai pas trop compris le pourquoi de la scène avec les flics noir-e-s, j’ai l’impression qu’il y a une référence qui m’échappe.

    #37513 Répondre
    bender
    Invité

    A mon avis les policiers incarnent une sorte de naïvité. Comme ils sont plutôt bien placés socialement (inspecteurs de police c’est tout de même pas mal), ils pensent que tout est acquis à présent et ne considèrent plus le racisme comme une menace.

    #37527 Répondre
    ZeE
    Invité

    Hey! Owkay, je viens de me mater Get Out et grosse claque! J’ai adoré.
    D’abord je suis un très amateurice de films d’angoisse/épouvante/horreur etc… et du coup super chiant’e parce que pas facilement impressionné’e. Et là j’étais en tension pendant quasiment tout le film qui je trouve réussi parfaitement à faire monter l’angoisse. On sait dès le début que c’est pas une bonne idée d’aller dans cette baraque : le film s’appelle Get Out, un noir se fait agresser et kidnapper dès la première scène, la musique du générique (avec cette écriture bleue! Ça m’a marqué même si j’ai encore du mal à analyser pourquoi) est flippante, une blanche affirme que ses parents blancs ne sont pas racistes comment le saurait-elle en fait? Elle ne vit pas le racisme, même avec la meilleure volonté du monde il se peut très fortement qu’elle se plante. Bref dès le début ça pause une atmosphère. Et le film prend son temps pour distiller une ambiance malsaine au possible dans une apparente banalité du quotidien. Bien sûr on ne parle pas de n’importe quel thriller, Get Out installe une ambiance raciste dans un univers de bourges blancs qui s’autoproclament ne pas l’être (son père aurait voté une troisième fois Obama donc il ne peut pas être raciste, raccourci ultraaaa classique qui sert souvent d’argument aux dominants pour ne pas se considérer comme tel).

    Il m’a fallu un coussin à serrer (et l’avant bras de Milù, merci <3). Je crois que tout le passage de la garden party est le passage du film qui m’a mis le plus mal. On ressent cet étouffement, l’horreur de se retrouver isolé-e dans une mer de personnes qui au mieux ne vous comprendront pas, au pire sont de véritables ennemi-e-s. Et là on n’est de toutes façons pas sur un film gnagnant qui explique que les blanc-he-s des fois elleux font de la merde mais c’est parce qu’elleux savaient pas (aaaaarg). Au vu des comportements de toutes et tous (renforcés par leur bourgeoisie dégeulante qui surajoute une oppression de classe étouffante) on sent très bien que Chris est paumé au-milieu des ennemis et qu’il n’a pas franchement d’échappatoires.

    /!\ Spoilers
    A ce moment on peut encore compter sur Rose, mais plus dur en sera la chute. Et l’absence de soutient des autres personnes noires vient renforcer le malaise.
    /!\ Spoilers End

    La rythmique entre l’humour et la montée de la tension fonctionne super bien. Les moments comiques ou plus légers qui font que l’on desserre un peu les fesses renforcent l’impact des scènes qui suivront. Le personnage de Rod est parfait en ce sens sans pour autant se limiter à un usage purement comique. Je pense à la scène avec les flics noir-e-s mais j’y reviendrais plus tard.

    Enfin en écrivant tout ça le film me fait penser à un négatif du film La Porte des Secrets (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Porte_des_secrets) que j’avais bien apprécié en tant que gestion de son épouvante/angoisse. Dont j’avais bien apprécié la fin. Mais qui pour le coup reprend les clichés des méchants noir-e-s et est politiquement beaucoup plus critiquable (Spoils :le film se déroule dans le bayou et aucune réflexion sur la présence des blanc-he-s en tant qu’impulseurs de ce qui leur arrive au final n’est posé. J’ai dit bien avoir aimé la fin car ce n’est pas un happy ending mais d’un autre côté cela reste très problématique dans le sens où les personnes noires gagnent au final)

    Vous avez déjà dit plein de choses, j’ai envie de réagir sur certains truc.

    Sur le post de Seb Petit

    Merci Arroway, j’étais entrain d’écrire un truc en réponse, ton com brosse en détails plus ou moins ce que je voulais dire. Par contre j’ai envie de revenir sur deux trucs :

    « Chris ne s’énerve pas face aux blanc.he.s racistes, sa copine s’en extasie »

    Justement je trouve que le jeu de l’acteur qui joue Chris révèle la dimension de l’écrasement social qu’il subit. Se vénère ok mais c’est pas si simple. D’une faut en avoir envie (l’injonction de s’énerver face à une oppression peut être elle-même une forme de d’oppression), faut le pouvoir (matériellement Chris est paumé à pétaouchnoc, entouré que de blancs – je parlerai des deux autres personnes noires après – et affectivement parlant on sait très tôt qu’il n’a pas grand monde, qu’il est amoureux de sa copine et donc que la perte de se lien affectif est un potentiel danger supplémentaire pour lui), enfin le film ambiance très bien le racisme quotidien des sociétés blanches. En gros si Chris doit s’énerver c’est juste tout le temps. Et ça demande une énergie de fou qui bien souvent peu aussi te bouffer du dedans (précision je suis blanc, je ne connaîtrai jamais le racisme. Je fais le parallèle dans ma tête avec des oppressions que je peux subir mais cela à ses limites car les dites oppressions fonctionnent structurellement de façons différentes du racisme).
    De plus Chris ne réagit pas comme les autres personnes noires de la maison. Je pense au speech de Georgina qui affirme être heureuse que les Armitage la traite « comme un membre de la famille ». Ça fait très discours de l’esclave heureu-se-s au final de ne pas être (en apparence) mal traité-e par ses maîtres. Ça pourrait être pire en somme. Si on prend la scène avec le flic du début on a quoi, si Chris résiste à donner ses papiers c’est go go un p’tit tour au poste. Là manifestement Chris comprend cash pourquoi on les lui demande – sûrement parce qu’il en a l’habitude – et proportionnellement il n’a peut être pas envie de se faire prendre la tête et de se confronter à des moments d’un racisme encore plus trash. En gros il agit moins dans un assujettissement aux blancs que par des stratégies de survie en milieu hostile.
    Quand à Rose elle a les réactions banales de quelqu’une qui ne vivant pas cette violence au quotidien depuis toujours ne comprend pas qu’il y-a un panel de réactions autres que de s’énerver quand on est opprimé-e. Et elle le trouve courageux alors que ce n’est pas la question, il deal comme il peut.

    Je crois ne pas avoir compris où tu voulais en venir avec le concept de tolérance? En quoi les personnes non-blanches devraient être tolérantes avec les personnes blanches? Sans devenir prescriptif des comportements à adopter, si une personne racisée décide d’en coller une bonne à un-e oppresseureuse raciste ben soit (et perso j’ai envie de dire youhou). C’est le fond de l’affirmation « le racisme anti-blanc n’existe pas ». Les blancs étant le groupe oppresseur, violent, dominant – devons-nous encore rappeler que la colonisation est toujours en place sous des formes plus pernicieuses peut-être, que les personne non-blanches sont encore régulièrement tuées pour cette « raison », que l’islamophobie est le nouveau joujoue des montés fachistes… – dans un contexte comme celui-ci penser que les gentes qui subissent ça devraient être tolérantes au nom d’une je ne sais quelle égalité entre les races est à mon sens risible. Ceux sont aux blanc-he-s de comprendre les privilèges énormes qu’elleux ont du fait du système dans lequel elleux sont inscrit-e-s, ceux sont à elleux d’arrêter les bullshits. Et c’est pas franchement parti pour aller dans ce sens. Celleux qui subissent ce système fondé sur la violence raciale ne seront pas celleux violentes même si elleux décident d’user de violence via leurs oppresseureuses. En gros quand tu marches sur la gueule de quelqu’un-e t’étonnes pas de te faire bouffer le pied.

    A partir de là on va dire que c’est la fête du spoil

    Pour moi c’est justement ce que la fin du film montre. Pas de pitié pour ces connards assassin-e-s de secestrateurices, un coup fusil dans le bide ça leur pendait au nez. Chris se bat pour sa survie, il va pas négocier l’ouverture de la porte avec des cookies! Et bordel ce que ça fait du bien à voir!

    Milù

    tout comme une certaine scène de Moonlight impliquant une chaise, pour celleux qui l’ont vu 😉

    <3 <3 <3

    mais à la fin, à part d’avoir sauvé sa peau, Chris n’a rien gagné. Il a donné sa confiance et a été trahi, manipulé, torturé.

    Je rebondirai même en amenant un élément qui est crucial dans le parcours de Chris c’est la mort de sa mère. C’est ce qui est utilisé par Missy pour l’hypnotiser. Ça revient juste avant qu’il ne se fasse définitivement piégé, il en parle à Rose et lui dit qu’il n’a qu’elle (retour sur la détresse affective du personnage que je mentionnais au début). Le fait que cette scène précède celle où Rose se révèle être une manipulatrice depuis le début a un sens, elle renforce la trahison et montre à quel point Chris perd tout, pas seulement sa liberté. Et enfin il récupère Georgina à la toute fin en sachant parfaitement qu’il fait une connerie mais ne peut s’en empêcher. J’y vois franchement un sous-texte sur les poids des traumas (même carrément ptsd) et qui peut très clairement se mettre en parallèle avec quelque chose comme « comment tu fais pour exister quand dans ce monde t’es traumas dès l’enfance, notamment du fait d’être noir ».
    Du coup le film ne le montre pas frontalement mais tout est assez indiqué pour laisser entendre que Chris ne s’en est pas tant sorti que ça de cette maison (souligné par le trait d’humour de son pote, « Je t’avais dit de ne pas aller là-dedans » on peut l’entendre en « ha ben tu vas en chier pour en sortir »)

    * Les scènes d’hypnose : je pense même que la forme que prend ce que voit Chris quand il est sous hypnose – ce carré très démarqué – c’est parce que la voit d’entrée c’est sa mère et qu’il regardait la télé quand elle est morte. Il fixe là-dessus et le montage du film lorsqu’il sombre pour la première fois le suggère assez bien. Peut être que toutes les personnes sous hypnose ne voyaient pas cet sorte d’écran au loin. Mais parce que la télévision est son objet de culpabilité c’est aussi ce par quoi il se retrouver enfermé en lui-même.

    Milù

    Comme j’ai compris cette scène, ce qui met surtout la puce à l’oreille de Chris, c’est l’absence totale de solidarité noire de Logan

    Et y-a l’échange de « poignée de mains » qui fait flop juste après qui finit de faire comprendre à Chris que c’est vraiment chelou. Et qui subtilement révèle des codes blanc-he-s bourgeois-es / noir-e-s populaires. Jouant sur les deux tableaux de races et de classe (quand on sait après coup qu’en fait Chris parle à un mec cis-hétéro blancs richousse d’environ 50 balais)

    Bender

    A mon avis les policiers incarnent une sorte de naïvité. Comme ils sont plutôt bien placés socialement (inspecteurs de police c’est tout de même pas mal), ils pensent que tout est acquis à présent et ne considèrent plus le racisme comme une menace.

    Hum oui piste intéressante. Pour le coup la scène pourrait se lire comme une dénonciation de la récupération capitaliste et classiciste du racisme. A partir du moment où des personnes noires sont bien intégrées il n’y-aurait plus de problème. Alors que l’intégration au système est un problème en soit et que cela efface d’un revers de la main les critiques et les défenses plus radicales face au dit système. Ca se sent pas mal avec la façon dont la flic parle à Rod en le ramenant sans cesse à son emploi, qui est aussi de la régulation sécuritaire et justicière quelque part, mais moins bien vue sur l’échelles sociale que le poste d’inspectrice.

    #37528 Répondre
    Milu
    Invité

    hihi c’est trop bien d’avoir un copinou pour discuter du film 😀 ça fait plein de nouvelles idées. cimer ZeE <3

    bon faut-il encore le préciser, je vais spoileeeer

    Un truc hyper bien foutu c’est que grâce au twist, le même film peut se lire deux fois, à deux niveaux: une première lecture (qui commence au cours du premier visionnage) qui traite du racisme « ordinaire ». Ensuite, en rétroprojetant ce qu’on apprend à la fin, on comprend le début du film de façon beaucoup plus sinistre, et là ça parle d’esclavage, d’exploitation des corps noirs. Et le super banco c’est que ces deux niveaux d’analyse ne s’excluent pas, car si le twist de Get Out est fantastique et symbolique, c’est une métaphore d’une exploitation bien réelle et actuelle, fondée sur une histoire longue et sanglante. On peut peut-être même dire que les deux niveaux de lecture se renforcent mutuellement, peut-être pour montrer que le racisme « quotidien » masque, entretient, normalise un système raciste qui va jusqu’à des actes violents contre la vie même des personnes noires.

    Ainsi, quand les parents de Rose engueulent Chris sur sa tabagie, iels semblent d’abord « simplement » paternalistes, et c’est un peu irritant. Quand on comprend qu’iels veulent vendre son corps on comprends que ce qu’iels avaient réellement en tête, c’est la qualité de la marchandise.

    De même sur les multiples commentaires objectifiants faits lors des présentations de Chris à la « famille élargie »: au premier abord des micro-agressions racistes, puis on comprend que ce sont en fait des acheteureuses en train d’évaluer leur futur esclave.

    Idem les sorties du frère Jeremy sur les aptitudes de close-combat de Chris. On le voit d’abord comme un gros relou qui force sur le stéréotype du mec noir = a forcément grandi dans un ghetto ultraviolent; puis on comprend qu’il cherchait à se mesurer à lui pour jauger si il peut le maîtriser en cas de besoin.

    Aussi, lorsque le keuf demande ses papiers à Chris et que Rose s’interpose, on peut se dire qu’elle prend à coeur son rôle d’alliée blanche… ou bien qu’elle se met en posture de white savior tout en le mettant lui en danger, alors qu’elle-même ne risque rien. quoi qu’il en soit plus tard on comprend en fait qu’elle s’assure que l’identité de Chris ne soit pas signalée dans un contrôle de police à proximité de chez elle quelques jours avant son avis de disparition…

    Sur la scène des flics noir-es moi non plus j’crois j’ai pas compris.
    Mais je suis sceptique sur les analyses de ZeE et bender qui pensent que la scène dénoncent les flics non-blanc-hes comme pactisant avec le racisme d’état, vu que l’histoire que déballe Rod est franchement tordue et vraiment difficile à croire. le fait que l’inspectrice fait semblant de croire Rod donne l’impression que contre toute attente elle va l’écouter, le prendre au sérieux, qu’il s’installe entre elleux une solidarité — en tant que personnes noires, peut-être. Mais on comprend ensuite qu’il n’en est rien, que Rod a eu tort de croire que la police allait l’aider. Mais se refuse-t-elle à l’aider parce qu’il est noir et dénonce un kidnapping raciste? ou parce que son histoire est totalement tirée par les veuch? j’ai l’impression que la scène va plutôt dans ce second sens, donc c’est pas franchement politique. Sauf dans la mesure où certes non seulement on l’écoute pas mais on se fout violemment de sa gueule, histoire d’en mettre une couche sur le mépris de classe des policiers, quelle que soit leur race? (Rod est clairement pas très éduqué)
    enfin bref pareil, j’aimerais bien entendre d’autres avis là dessus.

    Sinon, concernant les méthodes employées par la famille Armitage…
    En en discutant on en est venu-es à l’idée que là aussi il y avait un renversement de trope.

    Habituellement, on associe la « possession » des corps et des esprits à de la magie « sauvage », exotisée, du vaudou ou du chamanisme, bref: des trucs de non-blanc-hes qui sont pour le coup renvoyé-es à une image tribale, primitive, a-scientifique etc. Là où le pouvoir occidental, par contraste, viendrait de la connaissance et de la manipulation objective et rationnelle du monde, celui des peuples « Autres » vient d’une soumission à un ordre naturel, d’une fusion avec une Nature animiste, d’une violence ritualisée qui canalise la violence du milieu naturel dans lequel iels sont censé-es évoluer.

    Or ici, outre le fait que tout ça se passe dans une secte au discours sacrément allumé, l’hypnose de la mère et la chirurgie du père ressemblent plus à de la magie et des rituels qu’à des pratiques scientifiques. La scène de chirurgie notamment mélange les codes de la salle d’opération à ceux du rituel occulte: y’a les bougies, la déco de la pièce (pas franchement aux normes d’asepsie!!) les outils de chirurgie dans une mallette posés sur du velours rouge, et qui font penser à un kit de tortionnaire… Bref qui sont les sauvages je vous le demande!!

    En plus, le fait que la personne possédée reste présente mais impuissante à l’intérieur de l’esprit après la greffe de cerveau fait penser à une forme de possession magique, bien plus qu’à une tentative d’approcher un quelconque réalisme neurochirurgical. Et je prétends que c’est fait exprès, même si certaines critiques ont trouvé cet élément de scénar un peu teubé ou exage. Pour moi c’est au contraire très malin parce que c’est un clin d’oeil aux films racistes où pour rendre crédible un élément de scénario un peu fantastique il faut forcément que cellui qui opère la magie viennent d’une culture bien non-blanche, bien exotisée, bien « préscientifique »… il y a plein plein d’exemples, des sortilèges des pyramides égyptiennes aux cimetières indiens. ben pour une fois surprise! c’est les blanc-hes qui font de la magie flippante, sinistre et irrationnelle.

    Une pensée sur le fait que les personnes blanches qui « possèdent » ainsi un corps noir n’ont pas l’air d’avoir le moindre complexe du fait de leur apparence de non-blanc-hes, et au contraire semblent n’avoir aucun doute quant à leur appartenance pleine et entière à la race blanche (ou disons à la classe des blanc-hes): j’y vois un commentaire rappelant que la racisme n’a rien de biologique mais est une réalité sociale, construite par le vécu de l’oppression raciste.

    autres points qui m’ont interpellée, où j’ai eu l’impression qu’il y avait un sens caché/métaphorique, mais que j’ai pas capté; si d’autres pensent avoir saisi des trucs?

    • l’accident au début, lorsque Rose percute un chevreuil, puis que Chris sort de la voiture pour voir la bête mourante?
    • l’histoire, racontée par Jeremy, de Rose qui mord la langue d’un type qui tente de l’embrasser de force?
    • le rictus chelou (satisfait?) de Rose lorsque Chris commence à l’étrangler à la toute fin?

    voilà voilà j’espère que tout le monde ira voir ce film et donnera ses avis et réactions et franchement j’espère surtout pas dire de la merde en tant que personne blanche! si c’est le cas j’suis vraiment désolée, et merci à celleux qui auront la patience de me contredire :/
    Je suis pas non plus hyper familière des tropes racistes au cinéma mais j’ai quand même l’impression d’en avoir spotté quelques uns, mais je suis sûr qu’il y a plein d’autres trucs!

    bisous et tant qu’àf’ merciii pour cet espace de réflexion ciné-politique je kiiiiiffe 😀 <3

    #37530 Répondre
    ZeE
    Invité

    Sur la scène avec les flics je pensais moins à une « pactisation » qu’à des conséquences de comment les normes agissent, ici la normalisation raciste. Je m’explique, perso je pense que les normes ont des effets de corps très matériels, dans le sens où elles s’insèrent dans les corps des gentes. Pas que strictement biologiquement parlant, on peut tout à fait bien faire partie d’un groupe opprimé tout en s’incorporant parfaitement les enjeux de dominations de ces mêmes oppressions. Ici c’est moins le fait d’être des agents du racisme d’état que la façon dont ayant eu et jouissant d’une forme de reconnaissance sociale par leur statut de flics que des personnes non-blanches en viennent à n’avoir aucune empathie, aucun soutient et de se moquer clairement d’une personne qui vient leur parler à elleux en particulier d’un truc super grave qui arrive à des noir-e-s et fait par des blanc-he-s.

    Bon je marche sur des œufs là, j’avance des trucs sur lesquels je médite sans être certain’e de moi. Sur le truc de la possession de corps noirs par des blancs je me demande si on peut ne pas y voir aussi une façon personnifiée/corporalisée des mécanismes de dominations normatives. Pour que tout ce bordel marche il faut qu’une partie des personnes dominées y trouvent leur compte, ou soit persuadées qu’elles sont dominées à raison. Je vais faire un parallèle avec ce que je connais, un des mécanisme de la dysphorie appliquée à l’identité de genre est de sentir un corps anormal, de se sentir monstrueux, pas désirable, éjectable, d’avoir envie de disparaître dans un monde ou tout nous dit que l’on n’existe pas. Hors d’une on existe bel et bien, et une grande partie de ce malaise vient du fait que rien ne nous permet de vivre tel que l’on est. Tout nous dit on n’est pas normal-e-s donc si on souffre c’est normal. Et à un certain niveau c’est nous-mêmes qui nous affligeons ça par intégration des dites normes. Au pire on est juste un peu taré-e-s quoi.

    Dans Get Out j’ai l’impression que ce truc d’incorporation devient littéral. Les blancs entrent sans ambiguïté dans les corps des noirs avec toute la légitimité qu’elleux pensent avoir (cela ne remet pas en question leur place de personnes blanches, ils ne font qu’acheter ce dont elleux rêvent – avoir des yeux, être plus fort-e-s, plus jeun-e-s, avoir une grosse bite (!!!!) etc…). Bien sûr Georgina, Walter et Logan ont été possédé-e-s de force et pour elleux la piste du renversement de tropes sur la possession et la magie fait sens. Mais pour ce qui est des trois flics j’ai bien l’impression que cela donne à voir un autre régime de fonctionnement des dominations. Dans les deux « cas » ni Rob ni Chris ne trouvent de soutient auprès des personnes noires. Chris parce qu’il est face à des !!!! blanc-he-s, Rob parce qu’il est face à des personnes qui ont intériorisé des dominations plus classistes que racistes mais qui parce qu’elles sont noires révèlent l’intersectionnalité et la complexité des mécanismes de dominations. On peut même rajouter à ça une couche de validisme, Rob n’est pas pris au sérieux parce que son discours n’apparaît pas comme cohérent. Comment pourrait-il y-avoir encore des esclaves sexuels noir-e-s dans un monde ou les noir-e-s ont été intégré-e-s par les blanc-he-s? Je ne trouve pas que Rob soit peu instruit, au contraire il semble en savoir long sur l’histoire des noir-e-s aux Etats Unis. Mais comme son savoir n’est pas celui dominant ou officiel son discours parait fou, communautaire et paranoïaque. Alors qu’il est tout à fait sensé.

    #37544 Répondre
    Anne, ma soeur Anne
    Invité

    Je pense que l’épisode du chevreuil est lié à l’accident de voiture de la mère de Chris. Percutée, elle meurt sur le bas côté de la route pendant qu’il regarde la TV. Il percute cet animal et le regarde s’éteindre aussi impuissant que s’il était à nouveau à des km à regarder la tv. Sans compter qu’il pourrait le regarder aussi avec un oeil d’artiste je crois, de photographe , mais je ne sais plus ce qu’il photographie.
    En plus ça permet de poursuivre la longue liste des phénomènes étranges et violents, de mettre l’ambiance, et de souligner le peu de considération pour la vie du beau-père qui va affirmer qu’il aimerait tous les voir morts.

    #37546 Répondre
    Paul Rigouste
    Invité

    Parenthèse : Apparemment Dee Rees et les producteur de Get Out auraient pour projet de faire un film d’horreur avec des lesbiennes noires 🙂

    « Dee Rees — of Pariah, Bessie, and Mudbound fame — is teaming up with Get Out producer Jason Blum to make a horror film about black lesbians in the rural south. According to a recent profile with Blum in the New York Times, here’s how their pitch meeting went. » (https://www.autostraddle.com/pop-culture-fix-dee-rees-is-making-a-black-lesbian-horror-film-with-the-producer-of-get-out-379876/)

    Et parenthèse dans la parenthèse : il est aussi question sur la page que je viens de citer d’un épisode de la série Master of None écrit par Lena Waithe (le 8ème de la saison 2, intitulé « Thanksgiving ») et qui vaut le détour (il y a qques trucs qui m’ont gênés mais globalement c’est plutôt très cool je trouve, mais bon je ferme la parenthèse dans la parenthèse dans la parenthèse car c’est vraiment hors-sujet ici 🙂 )

    #37554 Répondre
    Douffie Shprinzel
    Invité

    Je l’ai vu, j’ai beaucoup aimé ! J’en suis sortie assez frissonnante !

    Le racisme comme film d’horreur avec la tension qui monte, monte… c’est super intelligent.

    Par exemple, je n’ai pas trop compris le pourquoi de la scène avec les flics noir-e-s, j’ai l’impression qu’il y a une référence qui m’échappe.

    Je pense que c’est pour répondre à ceux qui diraient qu’il suffit de se tourner vers la police, peut-être ?

    autres points qui m’ont interpellée, où j’ai eu l’impression qu’il y avait un sens caché/métaphorique, mais que j’ai pas capté; si d’autres pensent avoir saisi des trucs?

    l’histoire, racontée par Jeremy, de Rose qui mord la langue d’un type qui tente de l’embrasser de force?

    Hm, peut-être que je suis passée à côté de quelque chose, mais je pense que le film la représente comme une cannibale. Le plan de présentation du personnage consiste en Rose qui regarde des pâtisseries derrière la vitrine de la boulangerie. A la fin du film, elle regarde des photos d’athlètes noirs sur google, choisissant sa prochaine proie. Il y a encore une fois la double-lecture dont tu parlais, Milu : elle choisit un athlète pour son corps qui vaudra cher dans la vente aux enchères, mais aussi par fétichisation personnelle. Même si le personnage est montré comme pas raciste pendant toute la première partie du film, elle enchaîne les copin.e.s noir.e.s… comme des « pâtisseries ».

    l’accident au début, lorsque Rose percute un chevreuil, puis que Chris sort de la voiture pour voir la bête mourante?

    J’y vois plusieurs rôles :
    – un parallèle avec l’accident de la mère de Chris
    – Une annonce de mort, avec une métaphore filée tout au long du film.
    Dans la bouche du père de Rose, la façon dont il parle des chevreuils comme des nuisibles à abattre rappelle la relation prédateur/proie qui sera explicite à la fin du film avec Chris. D’ailleurs, on en a un rappel avec la mouche qui se pose sur le corps du chevreuil et celle du plan suivant qui se pose sur Chris. Et à la fin, le père sera empalé avec les bois du cerf / tué par un noir. Et aussi, Rose lui tire dessus avec un fusil de chasse.

    le rictus chelou (satisfait?) de Rose lorsque Chris commence à l’étrangler à la toute fin?

    Ca je sais pas du tout… je me suis aussi posé la question… peut-être parce qu’il n’arrive pas à serrer sa prise ?

    Sinon, comme autre référence / retournement de stigmate : le film évoque les théories sur l’intelligence hiérarchisée des races. A un moment le grand-père parle de rassembler le meilleur des deux races en combinant corps noir et cerveau blanc. Mais à la fin, Chris s’en sort grâce à son intelligence, et celui de son pote.

    Je pense aussi à la cécité du type (j’ai oublié son nom) qui remporte la vente aux enchères… il est littéralement color-blind et le répète dans son entrevue avec Chris : il se fiche que Chris soit noir ou pas, ou en tout cas c’est ce qu’il dit. Peut-être « qu’il s’en fiche », mais les conséquences n’en sont pas moins horribles pour Chris : ça lui fait une belle jambe que celui qui va exploiter son corps soit color-blind.

    #37556 Répondre
    Arroway
    Maître des clés

    le rictus chelou (satisfait?) de Rose lorsque Chris commence à l’étrangler à la toute fin?

    Moi j’avais compris son rictus comme : « regarde comme finalement on arrive malgré tout à te transformer en « nous » (blancs), c’est-à-dire en monstre meurtrier ». Ou alors, j’anticipais aussi le fait qu’il allait devoir justifier tous ces meurtres devant la police, et qu’elle savait qu’un noir qui vient d’assassiner une famille de blancs ne serait jamais cru s’il racontait la vérité… Donc qu’il était screwed de toute manière s’il continuait à l’étrangler, et que c’était sa dernière pensée sadique à elle.

    Je pense aussi à la cécité du type (j’ai oublié son nom) qui remporte la vente aux enchères… il est littéralement color-blind et le répète dans son entrevue avec Chris : il se fiche que Chris soit noir ou pas, ou en tout cas c’est ce qu’il dit. Peut-être « qu’il s’en fiche », mais les conséquences n’en sont pas moins horribles pour Chris : ça lui fait une belle jambe que celui qui va exploiter son corps soit color-blind.

    Avec ce personnage, j’ai vu une sorte de critique du racisme « raffiné » : c’est-à-dire que ce n’est pas parce que le perso est amateur d’art et de photographie, et que Chris est un excellent photographe que cela met les deux hommes sur le même niveau. On pourrait penser naïvement qu’il se créerait une sorte de respect d’ordre artistique ou que sais-je qui limiterait le racisme. Mais pas du tout. Ca me fait penser aux éloges qu’on va faire sur la musique noire, ou plus largement toutes les productions artistiques par des artistes noir-e-s, qui sont censés prouver « qu’on est pas raciste », alors que ça n’empêche rien du tout…

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