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#31616
Skratsch
Invité

J’ai beaucoup de mal à faire une analyse claire et tranchée de ce film, surtout sur le plan du sexisme, et je ne pense pas que ce soit anodin. Le parti pris artistique y joue un rôle très important, beaucoup plus je pense que ce que dit Jofrey, et c’en est même assez déroutant pour une production hollywoodienne (même avec Marjane Satrapi à la réalisation, il y a des contraintes de production dans le cinéma américain qui étouffent souvent la créativité). Globalement, je pense que le film nous propose le même choix que celui qui est offert au personnage principal : Arrêter les pilules et vivre d’un monde plein de joie et de couleurs, où rien n’est vraiment grave et où tout peut être pris à la comédie même si on sait au fond que c’est une illusion, ou les prendre et se rendre compte que la réalité peut être sombre, dérangeante et malsaine. C’est peut-être une vision assez simpliste de la schizophrénie, mais c’est assez intéressant d’un point de vue narratif.

En ce qui concerne les personnages, je suis aussi assez partagé.
Pour commencer, la première victime : Je peux comprendre qu’elle fasse mauvaise impression, mais personnellement je ne peux condamner aucun de ses actes, et je serais bien en peine de dire quelles étaient les intentions de Satrapi à son sujet. Qu’elle soit indifférente envers le héros, c’est son droit le plus fondamental, et je peux comprendre qu’elle n’ose pas le lui dire franchement, ce n’est jamais un moment très agréable et il n’a pas forcément l’air du genre de type qui prend forcément bien un refus. Et concernant le fait de monter dans sa voiture, les circonstances font qu’on ne peut même pas parler de calcul, elle n’allait pas rester sous la pluie, sans véhicule et sans téléphone. Encore une fois, je peux comprendre que ce personnage soit vu comme négatif, étant donné que tout le monde n’interprétera pas ses actes de la même manière, mais personnellement je l’ai simplement vue comme une femme avec des qualités et des défauts, et dont la mort reste une tragédie. Et je trouverais absurde de l’analyser en fonction de son comportement dans les fantasmes et hallucinations du héros, étant donné que ça relève de sa personnalité à lui.

La deuxième victime, en revanche, je n’ai aucune idée de ce qu’on pourrait lui reprocher en temps que personne, je la trouve très attachante et sympathique, et lorsqu’elle apprend l’histoire du héros, elle m’a semblé de sincèrement compatir. Je dois avouer avoir été particulièrement gêné durant la période où ils sortent ensemble, parce que j’étais incapable de dire si je préférais qu’elle l’aide à se sortir de son enfer personnel ou qu’elle se tienne éloignée de lui pour son bien-être à elle (tout en sachant évidement que ça allait mal finir). Ceci étant dit, en temps que personnage au sein d’un scénario, je trouve extrêmement problématique que la fille présentée comme la plus parfaite pour lui soit finalement la plus proche d’une représentation idéalisée de la féminité. Elle est mignonne, gentille, compatissante, aimante, entreprenante, elle offre des gâteaux, elle fait preuve de débrouillardise en d’une manière très connotée féminine (crocheter une serrure avec une épingle, ça fait quand même partie des classiques) et je pense même que le fait que l’actrice soit la plus petite du trio n’est pas un hasard.

La troisième victime me laisse particulièrement perplexe. Elle n’est pas montrée comme désirable, mais elle est assez intelligente pour soupçonner le héros, et assez courageuse (ou insensée) pour aller le confronter toute seule. C’est la seule que le héros tue volontairement (même s’il avait prévu initialement de tuer la deuxième, les cas précédents étaient des accidents), et c’est la seule dont on nous épargne la vision du meurtre et de la séance de découpage. On pourrait penser que c’est dû au peu de cas que fait le scénario de la mort de cette personne grosse et non désirable, mais si je me souviens bien, c’est le moment où le chien (qui est clairement la « bonne conscience » du héros) finit par le renier et le voit définitivement comme une mauvaise personne. C’est le fait d’avoir commis un meurtre volontairement qui finit par le faire craquer et l’amène à se confesser à sa psy.

J’en profite au passage pour faire remarquer que les trois victimes sont des « women in the fridge » par excellence, puisque leurs têtes sont conservées dans un frigo et que chacune marque une évolution dans le développement d’un personnage masculin. Je ne sais pas si Satrapi a perpétué le trope par inadvertance, ou si elle a joué dessus de manière volontaire, auquel cas on pourrait y voir une certaine subversion.

Concernant le personnage principal … Ce que je vais dire va peut-être paraître extrêmement misogyne, mais j’ai trouvé que ce film était plus problématique dans sa psychophobie que dans son sexisme, et je trouve que c’est une excellente occasion de parler sur ce site du thème de la psychophobie qui est souvent un peu laissé de côté (alors qu’on aurait pu largement évoquer le sujet dans les critiques de « Gone Girl », notamment). Dans la culture populaire, on représente souvent les personnes ayant des problèmes psychiatriques comme des individus dangereux et nuisibles (alors que lors d’agressions, ce sont statistiquement plus souvent les victimes que les coupables), des personnages comiques et burlesques ou des victimes irresponsables de leurs actes. The Voices arrive à combiner les trois, un exploit assez douteux s’il en est. Le personnage principal est vraisemblablement schizophrène, peut-être également autiste (il est incapable d’interpréter les comportements sociaux de son entourage) et surtout infantilisé à l’extrême (son univers fantasmé a un aspect très « enfantin », et une bonne partie de ses actes et de sa gestuelle peuvent sembler puérils, même s’il gagne progressivement en maturité). C’est un assassin qui représente un danger pour toutes les personnes qui l’approchent, mais ses deux premières victimes meurent accidentellement suite à des quiproquos dus au décalage entre ses motivations et l’image qu’il renvoie à une personne qui pense différemment de lui et ne peut le comprendre. Il est intéressant de noter que contrairement à la plupart des fous dangereux de fiction, ce n’est pas un sociopathe dépourvu de conscience, il éprouve clairement de la culpabilité suite à ses actes. Cependant, d’une part sa conscience est fragmentée et personnifiée sous la forme du chien et du chat, ce qui permet au second d’incarner tous ses mauvais penchants et de montrer qu’il peut se montrer clairement malveillant, d’autre part le fait de redonner vie à ses victimes via ses hallucinations (couplé sans doute à son manque de maturité) l’empêche de comprendre pleinement la gravité de ses actes, ce qui le déresponsabilise en grande partie. Globalement, j’ai l’impression que le film essaie de nous dire qu’il faut discriminer les fous, mais gentiment, les ostraciser sans les juger, parce qu’ils sont dangereux mais qu’ils ne font pas exprès. Et des fois, on peut se moquer d’eux parce qu’ils sont quand même rigolos. ça me laisse extrêmement perplexe.

Bon, je vais revenir vite fait sur les personnages secondaires. J’ai trouvé que la psy était, justement, trop secondaire, et qu’elle a été extrêmement mal employée. Le dialogue lorsqu’elle est attachée sur le capot de la voiture était intéressant, mais a été complètement invalidé lorsque le héros la ramène chez lui et lui présente la tête de sa victime. Pour la mère, je ne sais pas trop quoi en dire, je n’ai pas du tout le souvenir qu’il soit dit qu’elle était devenue folle à cause du dépaysement, pour moi sa schizophrénie n’était pas expliquée, pas plus que celle de son fils qui croyait déjà son lapin en peluche réel avant que son père ne parte ou que sa mère ne se suicide. Je pense que son enfance n’explique pas tant l’origine de sa folie que le fait qu’il préfère le fantasme à la réalité.

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