Répondre à: Réalisateurs et agresseurs – art et violence sexuelles masculines

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#34933
milù
Invité

Je retente de poster cette réponse qui a été bloquée apparemment… ah ah sacré filtre antispam 🙂 (cela dit c’est vrai qu’il marche bien, on ne voit aucune pub alors que c’est un forum ouvert sans modération a priori, ce qui est quand même très appréciable!)

Selon moi, mais je peux me planter lourdement, en un sens il y a un registre spécifique d’excuses pour les hommes célèbres, et en particulier pour les réalisateurs de fiction. Mais par ailleurs, la culture du viol fait que c’est extrêmement difficile pour une victime de viol (une femme dans la majorité des cas) d’être entendue et soutenue et non culpabilisée, et aisé pour un perpétrateur (homme dans la très vaste majorité des cas) de démentir, ou d’être dédouané et excusé même quand il reconnaît les faits.

sur ce topic que j’ai créé à la base pour parler du film Mademoiselle (attention: spoilers), je parle un peu d’un discours qui me semble être spécifique aux réalisateurs pour justifier leur violence sexiste (c’est plus une hypothèse que je propose que quelque chose de bien argumenté de ma part, n’hésitez pas à contredire ou nuancer cette idée).

Il s’agit de la figure du réalisateur comme génie créateur voyeur/pervers/sadique, (métaphore caméra = trou de la serrure) tirant son génie, son esthétique, etc. de la violence qu’il exerce, en particuliers sur ses actrices.
L’exemple « classique » (mais malgré tout si peu connu!!) est celui de Alfred Hitchcock (je reproduis ici une phrase que j’ai citée dans le post, c’est tiré d’une critique de Mademoiselle mais ça n’a pas de rapport direct): « [la] ravissante perversité [de Hitchcock] était si flagrante que la révélation de son traitement sadique de l’actrice Tippi Hedren ainsi que d’autres fut l’une des plus grandes non-surprises dans l’histoire des scandales d’Hollywood »

Ça me paraît être une légitimation classique et employée souvent sous de nombreuses variations.

Les réalisateurs, étant non seulement produits mais producteurs de notre culture, reproduisent dans leurs oeuvres la culture du viol (en ce sens ils sont particulièrement influents et donc potentiellement dangereux) et ce parfois en se mettant en scène de façon détournée ou explicite pour justifier leurs propres abus, sur un registre spécifique (celui de la « nécessaire » perversité du cinéaste) distinct des inversions/minimisations typiques de la culture du viol.

Je faisais l’hypothèse que le film Mademoiselle de Park Chan-wook en serait un exemple; Fenêtre sur Cour de Hitchcock, détrompez-moi si je suis à côté de la plaque, présente également une justification scénaristique du voyeurisme, dans lequel, de surcroît le voyeur met en danger sa copine plutôt que lui-même (bien sûr le scénar fait en sorte qu’il n’ait pas le choix mais les scénaristes créent par choix les situations qui les arrangent idéologiquement!). Ca me semble être une métaphore du réal « planqué » derrière sa caméra qui fait le travail cérébral et donne des ordres, et une actrice dont le corps et les limites physiques sont mises à rude épreuve tout ça pour un objectif « idéal », abstrait: « la justice » dans le film (puisque le gros de l’intrigue se déroule après le meurtre, l’enjeu est de punir le tueur et non de protéger ou sauver une personne), « l’art » dans le processus de réalisation.

Ceci étant dit (et serait à développer, à nuancer, à approfondir), les hommes cisgenres (je précise pour ne pas mettre dans le même sac les hommes trans qui n’ont pas ce privilège) possèdent DE BASE dans la culture du viol qui est la nôtre, un blanc-seing pour faire subir des violences sexuelles, en particulier envers les femmes.

Les violences sexuelles (agressions, harcèlements, viols) sont omniprésentes, toutes les femmes vous le diront, la majorité en subissent quotidiennement ou presque, une grande partie de leur vie. C’est partout et tout le temps au point que ça devient difficile de les dénoncer, et les cas où les victimes parviennent à 1/ mettre des mots sur la violence qu’elles ont subies et non s’auto-culpabiliser, 2/ en parler, 3/ être écoutées, entendues, comprises, soutenues par leur entourage; 4/ mettre en branle un processus de réparation en portant plainte ou non (ce n’est pas toujours leur souhait pour diverses raisons), sans même parler d’obtenir gain de cause devant un.e juge, de façon à enfin « rentrer dans les statistiques », bref ces cas sont très rares. La très grande majorité des violences sexuelles n’est jamais dénoncée.

Mais cette omniprésence des victimes de violences sexuelles est souvent assortie d’un point aveugle étonnant: on oublie souvent d’en tirer la conclusion pourtant très simple que la majorité des hommes cis commettent, tout aussi régulièrement, des violences sexuelles! La seule autre possibilité serait qu’une minorité d’hommes serait responsables de la majorité des violences sexuelles, mythe typique de la culture du viol (le fameux inconnu dans un parking pour schématiser, ou encore (autre mythe) une minorité pointée du doigt, genre: les hommes racisés) mais c’est contredit par les récits de femmes (exemple avec cet inventaire écrit par l’autrice Marie Christine Bernard, que je trouve impressionnant mais par bien des aspects très banal, et comme elle le dit elle-même elle a certains privilèges que n’ont pas toutes les femmes) et les analyses féministes: cf. l’excellent blog Crêpe Georgette qui cite notamment le texte de M.C. Bernard et est blindé de ressources en tous genres pour comprendre la culture du viol), qui montrent bien que ces violences sont banales et commises par des hommes « normaux » et non des « psychopathes » ou je ne sais quoi, ou en d’autres termes un peu provoc: « tous les hommes sont des violeurs », ou pour le dire autrement: pour une femme, tout homme qu’elle croise/rencontrer/fréquente est un potentiel agresseur, et il est beaucoup plus urgent d’entendre et faire cesser cette violence et cette peur (légitime) que (pour nous hommes cis) de chercher à nous dédouaner en argumentant sans fin sur le fait qu’il y aurait des mecs bien, pas sexistes, qui n’auraient jamais violé personne etc. Nos blessures à l’égo sont dérisoires voire, peut-être, salutaires (l’occase de prendre conscience de trucs peut-être??) à côté de la violence et de la peur quotidiennes que vivent la vaste majorité des femmes (et personnes non conformes dans le genre, l’orientation sexuelle, ou la présentation de genre doit-on ajouter: hommes trans, hommes homosexuels, personnes non-binaires, hommes « efféminés » quoi que cela veuille dire, etc)

Bref, selon moi l’impunité des hommes célèbres est un problème qui n’est que la partie émergée (et encore, pas si « émergée » que ça, on en parle encore bien trop peu) de l’impunité des hommes (cis) tout court. Je pense qu’on doit les dénoncer comme étant un cas particulier de la dénonciation des viols et violences sexuelles, et pas une façon de dire qu’ils auraient une protection sans commune mesure avec celle dont jouissent les hommes cis en général.

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