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Battlestar Galactica : une odyssée féministe semée d’embûches (I)

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« One thing is certain. In the new un-imagined, re-imagined world of Battlestar Galactica everything is female driven. The male characters, from Adama on down, are confused, weak, and wracked with indecision while the female characters are decisive, bold, angry as hell, puffing cigars (gasp) and not about to take it any more. »

« Une chose est certaine. Dans ce nouveau monde dés-imaginé, ré-imaginé  de Battlestar Galactica, tout est conduit par les femmes. Les personnages masculins, à commencer par Adama, sont désorientés, faibles, et minés par l’indécision alors que les femmes sont résolues, audacieuses, en colère comme pas possible, tirant le cigare (arg) et plus du tout disposées à subir l’action.»

C’est ainsi que Dirk Benedict soulignait, ou plutôt s’offusquait du changement de ton entre le Battlestar Galactica original de 1978 et la « réinvention » de la série en 2003 dans un texte intitulé « Lost In Castration » [1]. Dirk Benedict était l’acteur qui jouait le Lieutenant Starbuck dans la série originale, remplacée par la Lieutenant Kara « Starbuck » Thrace dans la nouvelle version. Starbuck était un homme à femmes qui fumait le cigare – un homme viril sous toutes les coutures. Désormais elle est une femme musclée et compétente qui fume le cigare et ne rechigne pas à rentrer dans la bagarre  que ce soit verbalement ou physiquement.

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Starbuck, jouée par l’actrice Katee Sackhoff dans le premier épisode de la série de 2003.

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En face d’elle, le viril Helo n’a droit qu’à une sucette !

Ce paragraphe de la déclaration de Benedict intitulée « Lost In Castration » – tout un programme en perspective – attire en tout cas l’attention sur l’un des traits de caractère de la nouvelle série : la mise en scène d’un certain nombre de personnages féminins que l’on peut sans équivoque qualifier de forts. Le gouvernement civil de la flotte est présidé par une femme, Laura Roslin. Kara Thrace alias Starbuck, et Louanne « Kat » Katraine sont les deux meilleures pilotes de chasse du Battlestar et se distinguent particulièrement au combat. Parmi les douze modèles Cylons, cinq modèles sont des femmes et comptent des personnages clés de l’intrigue : Boomer/Athena, Caprica Six, D’Anna, Tory, Ellen. Que ce soit en nombre ou en importance, les femmes sont bien représentées.

Le revival s’étire sur quatre saisons là où la série originale, suivant le succès de Star Wars dans les années 70, avait du s’arrêter après 24 épisodes. L’intrigue est remodelée et modifie profondément certains piliers originaux de la série. L’un des créateurs de la série Ron D. Moore a décrit certaines caractéristiques de ce qu’il appelle la « science fiction naturaliste » [2] :

« We will eschew the usual stories about parallel universes, time-travel, mind-control, evil twins, God-like powers and all the other clichés of the genre. Our show is first and foremost a drama. It is about people. Real people that the audience can identify with and become engaged in. It is not a show about hardware or bizarre alien cultures. It is a show about us. It is an allegory for our own society, our own people and it should be immediately recognizable to any member of the audience. »

« Nous allons éviter les histoires habituelles à propos d’univers parallèles, de voyages dans le temps, de contrôle de l’esprit, de jumeaux diabolique, de pouvoirs surhumains et tous les autres clichés du genre. Notre série est d’abord et avant tout un drame. C’est à propos de personnes. De vraies personnes auxquelles le public peut s’identifier et s’attacher. Ce n’est pas une série à propos de matériel ou de cultures extraterrestres étranges. C’est une série à propos de nous. C’est une allégorie de notre propre société, de notre propre peuple et cela devrait être immédiatement perçu par n’importe quel spectateur. »

En tant que série de science fiction, BSG comprend des scènes de combats spatiaux, des connaissances scientifiques plus avancées que les nôtres, des robots. Mais les problématiques abordées sont plus larges : relation entre pouvoir militaire et gouvernement civil, recherches scientifiques, crimes de guerre (génocide, trahison), terrorisme, percée d’un monothéisme dans un monde religieux polythéiste, survie et reproduction de l’espèce humaine. Les personnages mis en scène dans BSG sont humains en ce qu’ils sont imparfaits : leurs décisions peuvent être moralement ou éthiquement critiquables. C’est ce qui fait leur épaisseur psychologique.

Si cette science fiction dite naturaliste questionne notre société, qu’en est-il de la représentation des genres ? On l’a dit, les femmes ont bonne place: il y a assurément matière à étudier la portée féministe de la série à travers divers thématiques et personnages abordés. Comment sont représentées les femmes au pouvoir dans le gouvernement civil et dans la hiérarchie militaire ? Quels traits de caractères partagent les héroïnes dans cet univers violent ? Quels sont les rôles qu’elles remplissent au sein de la société ? A qui s’adressent les scènes érotiques, quelle est l’image de la femme-mère, de la guerrière ?

Synopsis

La série commence juste avant l’attaque des Douze Colonies, douze planètes habitées par une espèce humaine. Plusieurs décennies auparavant, les êtres humains ont créé les Cylons, des robots dotés d’une intelligence artificielle très évoluée. Tellement évoluée qu’ils se rebellent contre la condition de servitude et d’esclavage à laquelle ils sont réduits : éclate ainsi la première guerre entre les Cylons et les humains. Après un armistice, les Cylons gagnent leur liberté et disparaissent de la vie des douze colonies. La série commence lorsque les Cylons refont surface sous une forme humanoïde, qui les rend indiscernables des êtres humains à une exception près : il n’existe que 12 modèles Cylons humanoïdes. Les robots originels – les Centurions – servent et combattent pour ces humanoïdes qui les contrôlent. Les Cylons sont revenus se venger : ils attaquent simultanément les Douze Colonies en lançant des bombes nucléaires, rendant toute vie impossible sur les planètes. La totalité des survivants – un peu plus de 47 000 têtes – s’est réfugiée dans des vaisseaux protégés par le vaisseau militaire Battlestar Galactica, commandé par le Commandant William Adama. La flotte privée de ses contrées natales part alors à la recherche d’une nouvelle maison : la légendaire planète Terre dont parle le livre prophétique de la Pythie.

Le nom de la série prend donc son nom du vaisseau de guerre emblématique qu’est le Battlestar Galactica. Son commandant, William Adama, en vertu du serment qu’il a fait de protéger la population des Douze Colonies en tant que militaire, assure la protection de la flotte civile. Censée servir les intérêts de la flotte, la stratégie est l’apanage des militaires mais les décisions importantes qui mettent en jeu la protection et les déplacements de la flotte, ainsi que toute action dont les retombées pourraient être politiques doivent être faites en consultation avec l’exécutif. En réalité, les interactions entre les militaires et le gouvernement civil ne seront pas toujours aussi claires, Adama n’hésitant pas à outrepasser les lois ou les décisions du gouvernement qui ne lui conviennent pas. Dès le début de l’intrigue, il y a un tiraillement, un conflit d’intérêts entre préoccupations militaires et civiles : protéger ce qu’il reste de l’humanité ou bien mener la contre-offensive qui se conclurait par une mission suicide. Les deux scènes – militaire et civile – se juxtaposent et se confrontent. Un grand nombre de questions d’ordre politique, éthique et moral sont posées par la série, mais celles-ci ne sont pas l’objet principal de cette analyse.

Celle-ci se découpe en deux parties :

1) La première partie se concentre autour des grandes figures au pouvoir civil et militaire : la Présidente Laura Roslin; le Commandant puis Amiral de la flotte William Adama; et l’Amirale Helena Cain. Cette analyse étudie la relation au pouvoir de ces trois personnages et mène à analyser la place des femmes dans une société post-apocalyptique.

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Laura Roslin   –   William Adama   –   Helena Cain

2) La deuxième partie étudie de manière plus générale la représentation des hommes et de femmes : d’une part à travers plusieurs thématiques en particulier la sexualité, la maternité/paternité, les violences sexuelles ; d’autre part en analysant la répartition des rôles entre les femmes et les hommes dans la série, qui amène à identifier des valeurs considérées comme « féminines » ou bien « masculines ».

L’accession d’une femme à la présidence : ou la juste reconnaissance d’une force de caractère

A l’issue de l’attaque sur les Douze Colonies, le gouvernement civil a été presque totalement détruit. Trente-quatrième élue dans la ligne de succession à la présidence, la secrétaire à l’Education Laura Roslin – une simple « maîtresse d’école » comme s’exclame avec surprise Adama en l’apprenant – est instituée présidente. Les forces militaires aussi ont été décimées et seul reste le Battlestar Galactica. La figure d’autorité militaire, elle, est déjà en place en la personne du Commandant Adama : son charisme et son sang-froid sont hérités de ses années d’expérience de commandement et de combat, notamment en tant que pilote de chasse pendant la première guerre contre les Cylons. Mais ceci n’est palpable qu’à travers l’obéissance de son équipage et ses prises de décisions. Au contraire, le spectateur va assister en direct à l’accession de Roslin à la présidence.  Son institution ne se résume pas qu’à une formalité cérémoniale et bureaucratique : Roslin gagne informellement, aux yeux de ses collègues du Colonial One, de Lee Adama (fils de William Adama et pilote de chasse) et du spectateur, sa position.

De professeure des écoles à secrétaire de l’éducation, le parcours de Laura Roslin dans la politique est resté cantonné à des domaines somme toute assez traditionnels pour une femme. L’attaque des Douze Colonies est un véritable catalyseur qui va lui permettre de révéler un sang-froid et des qualités de cheffe d’état. Dans le vaisseau Colonial One à bord duquel elle se trouve au moment de l’attaque, Laura Roslin fait figure de leader née, face à des passagers/ères affolé-e-s et à un pilote d’avion désemparé. Elle prend les décisions qui s’imposent et reste rationnelle mais pose sa priorité très tôt : assurer la survie d’un maximum de personnes. Face à Adama qui souhaite organiser une contre-attaque suicidaire, elle fait preuve de lucidité : elle prend acte de ce que l’armée n’accepte pas – la guerre est déjà perdue – et de ce qu’il faut penser à l’avenir : la survie de l’humanité.

C’est un personnage qui, bien qu’ayant appris avant l’attaque qu’elle est en phase terminale d’un cancer du sein et ayant perdu son père et sa sœur (morts dans un accident de voiture), semble galvanisée par les évènements tragiques : elle se bat pour défendre la vie. Son autorité naturelle et sa rigueur impose Roslin au pouvoir : sa légitimité ne semble pas pouvoir être remise en question. Ce qui guidera son parcours politique est le sentiment qu’elle, et elle seule face à ses opposant-e-s, sait ce qui est juste pour la survie de la flotte.

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Laura Roslin préside le Quorum : une femme au centre du pouvoir.

Laura Roslin ne gouverne pas avec ses sentiments : la force de la raison est de son côté. Ce qui peut paraître ambigu étant donné que, d’autre part, elle suivra des visions pour guider la flotte sur les traces de la Terre. Elle est le « dying leader » dont parle le livre prophétique de la Pythie. Il ne s’agit pas d’affaiblir ce personnage de pouvoir en le renvoyant à un irrationnel mystique traditionnellement féminin – on y reviendra dans la deuxième partie de cette analyse – parce qu’elle est une femme. Le rôle de ces visions est prépondérant dans l’intrigue et ajoute une dimension supplémentaire à la Présidente sans éclipser sa position de pouvoir. Il s’agit aussi de donner de l’épaisseur au personnage en provoquant une « complexité émotionnelle » et des « contradictions » – parce qu’elle est un être humain [3]. William Adama lui aussi est déchiré entre deux rôles.

William Adama, une figure d’autorité paternelle tourmentée

 

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William Adama, un meneur de femmes et d’hommes charismatique

Adama est le commandant de la flotte, l’autorité faite homme. Mais il est aussi une figure  paternelle : c’est la facette plus humaine du personnage, celle qui entraîne surtout des relations conflictuelles. Bill Adama est le père du CAG du Battlestar Galactica, le capitaine Lee « Apollo » Adama. La relation entre les deux hommes est plutôt chaotique, surtout lorsque cela concerne l’émancipation de Lee qui n’aspire pas forcément à une carrière militaire. Tout le long de l’histoire, la relation entre les deux hommes est ambigüe, à commencer par les retrouvailles au début de la saison 1 : où s’arrête la relation d’autorité hiérarchique militaire, comment la dénouer de celle d’une autorité père-fils, où peut commencer une intimité plus familiale lorsque repose sur ses épaules le poids du commandement jour et nuit ? Adama père paraît dans tous les cas particulièrement inapte à communiquer avec son fils et lui montrer son amour. Il faut dire que la situation est délicate : Lee reproche entre autre à son père la mort de son frère Zak lui aussi pilote. La situation s’améliorera au fil des épisodes vers une relation beaucoup plus saine : William Adama confiera par exemple les rênes du Pegasus à son fils en toute confiance. Cela n’évitera pas d’autres frictions d’arriver : Adama fils continuera son émancipation en décidant de défendre Baltar à son procès et de quitter finalement la carrière militaire pour la politique. Même en désaccord, les deux hommes finiront toujours par se réconcilier.

Adama montre à de multiples reprises une tendresse toute paternelle envers son vaisseau et les membres de son équipage, avec une attention toute particulière pour Kara Thrace, sûrement parce qu’il s’agissait de la petite amie de son second fils Zak décédé avant le début de l’histoire. Les tensions entre ces aspirations contraires – commandement, bienveillance paternelle – sont cristallisées pendant et après l’épisode de New Caprica : l’Amiral permet à des membres haut placés dans la hiérarchie de son équipage, notamment Galen Tyrol ou Saul Tigh, de quitter le vaisseau pour s’installer sur la planète fraichement découverte. Au début de la saison 3, dans l’épisode 9 qui met en scène des combats de boxe pour que les membres de l’équipage règlent les tensions qui règnent entre eux, l’Amiral revient avec amertume sur une erreur capitale qu’il a faite : devenir trop proche de son équipage. Même face à une mutinerie, il ne peut se résoudre à abattre les hommes et les femmes qui se sont retourné-e-s contre la hiérarchie et contre lui. C’est Kara qui doit lui rappeler : « Ils ne sont plus vos hommes, ils sont l’ennemi. ». Contrairement à Roslin qui ne se laisse quasiment jamais influencer par ses sentiments – et qui n’est d’ailleurs à aucun moment figurée en « mère » -, Adama prend un certain nombre de décisions après qu’il se soit laissé persuader de faire confiance : aux visions de Roslin, aux intuitions ésotériques de Starbuck, à la loyauté de la Cylon Athena pour ne citer que quelques exemples.

Le tandem Adama-Roslin va rapidement évoluer vers une relation de confiance et de respect mutuel. Les deux personnages s’équilibrent à la tête du pouvoir. Cela mènera même à un gouvernement  en osmose de la flotte que Zarek qualifiera, à la saison 4, d’  « administration Roslin-Adama ». Roslin et Adama vont également former un couple dans le sens amoureux du terme : un couple équilibré, dans lequel chacun des conjoints respectent les responsabilités de l’autre sans complexe d’infériorité par rapport à la position de pouvoir de l’un-e ou de l’autre.

Si la tête du pouvoir est, on l’a vue, paritaire et équilibrée, qu’en est-il du reste du pouvoir civil et militaire ?

Un monde militaire dirigé par les hommes

Le gouvernement civil constitué parmi les rescapé-e-s est paritaire : les divers rassemblements du Quorum, où siègent les élu-e-s représentant les Douze Colonies montrent autant de femmes que d’hommes. Journalistes ou avocates, les femmes prennent activement part à la vie politique. Une seule ombre se dessine sur ce tableau : tous les successeurs ou prétendants à la Présidence sont des hommes : Zarek, Baltar, Lee Adama, Romo Lampkin, et jusqu’à Billy, le chef d’équipe de Roslin que celle-ci projette en Président.

Il y a une dissymétrie nette entre le monde civil et militaire en termes de parité puisqu’à l’exception de l’épisode du Pegasus avec l’Amirale Helena Cain, le monde militaire reste majoritairement aux mains des hommes. Les membres de la hiérarchie élevée sont des hommes : commandant Adama , XO Saul Tigh, le responsable de la navigation Felix Gaeta, le CAG (responsable hiérarchique des pilotes) Lee Adama, le chef d’équipe Galen Tyrol, le médecin du vaisseau en charge Dr Cottle.

Pourtant les femmes sont bel et bien présentes dans ce monde, elles n’occupent simplement pas les postes de commandement : pilotes d’élites, officiers supérieures au CIC, techniciennes, infirmières.

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En arrière-plan pendant la scène d’arrivée de l’Amirale Cain sur le Battlestar Galactica, quasiment que des femmes pilotes sont à l’écran.

Elles restent des subalternes ou alors elles ne sont pas suivies par le scénario (on peut se souvenir de la présidente du jury du procès de Baltar  pour trahison, qui est l’une des capitaines de la flotte comme elle apparaît au meeting des capitaines de la flotte à l’épisode 4.18). L’indiscipline de Kara Thrace, pilote émérite avec un goût prononcé pour l’insubordination, explique son grade subalterne par rapport à Apollo. Hommes et femmes voient leur carrière évoluer sur le Battlestar, mais partant immanquablement de plus bas, les femmes sont moins gradées. Elles prennent cependant logiquement les commandes lorsque leurs supérieurs partent en mission ou quittent la vie militaire : ainsi Starbuck devient-elle le CAG après le départ de Lee Adama.

Des femmes combattantes et violentes

Il y a donc une dissymétrie entre politique et armée en ce qui concerne la prise de pouvoir des femmes. Les femmes ont pourtant le même statut de combattantes que les hommes et peuvent donc se distinguer à la guerre. Les dortoirs et les salles de bain sont mixes. Aucune distinction entre hommes et femmes ne semblent être faite dans le monde militaire du Battlestar. Les portraits d’un certain nombre de femmes, au centre de l’intrigue, brossent les traits de combattantes aguerries qui ne s’en laissent pas compter. Starbuck et Kat, en particulier, sont les deux meilleures pilotes de la flotte. Elles ont un caractère bien trempé : un sens de la compétition, de l’insubordination et un sentiment fort d’indépendance. Racetrack non plus n’est jamais à court de remarques cyniques ou ironiques. Athena prend les armes et laisse son mari blessé et sa fille pour aller combattre la rébellion à bord du Battlestar (épisode 4.14).

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S’il y en a une qu’il ne faut pas chatouiller, c’est bien Kara Thrace.

De manière générale, les femmes sont loin de répugner à recourir à la violence : Six maltraite allègrement Baltar dans ses visions, Tory frappe Cally avec une force remarquable, Boomer tire sur Adama et bat Athena. Sur Caprica, les survivantes sont activement engagées dans la résistance qui combat l’occupation Cylon. Les femmes se battent à main nu, en combat ou simplement pour répondre à une insulte ; elles torturent (Starbuck et Leoben), manient les armes ou s’accommodent des outils qu’elles trouvent (Cally attaque Galen avec une clé à molette).

Les femmes sont des pilotes des vaisseaux de chasse aussi compétentes que les hommes, alors même que la profession est reconnue physiquement extrêmement difficile. Starbuck et Kat sont particulièrement représentatives d’un physique de femme musclée, à égale des hommes : lors de combat de boxes, elles mettent KO leurs adversaires masculins, Starbuck et Apollo se neutralisent mutuellement. Les Six semblent particulièrement aguerries au combat : Caprica Six se défend par exemple sans problème contre quatre hommes costauds qui l’accostent.

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Les grosses armes, c’est cool.

Une femme au commandement : entre intransigeance et cruauté

Dans cet univers commandé par les hommes, l’Amirale Helena Cain fait figure d’exception. C’est sans doute l’un des personnages les plus forts de la série – même si elle n’apparaît que pendant quelques épisodes de la saison 2 – car il est sans concession et peut prendre des décisions très controversées. L’Amirale Cain est la supérieure hiérarchique d’Adama, ayant gravi les échelons de l’armée très rapidement. Adama précise qu’elle a un très bon réseau, ce qui explique, en plus de ses qualités, ce qui l’a fait monter si vite. Son vaisseau est le Battlestar Pegasus et a échappé lui aussi à l’attaque sur les colonies. On découvre bien assez vite que l’Amirale Cain est une femme de pouvoir et de décision, une véritable meneuse d’hommes et de femmes qui peut faire preuve d’intransigeance.

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L’Amirale Cain s’adressant à son équipage

L’arrivée de Cain est néanmoins présentée comme une menace : menace pour l’autorité d’Adama puisqu’elle est sa supérieure hiérarchique, et incidemment menace pour l’équilibre qui s’était établi au sommet du pouvoir entre le chef militaire de la flotte et la Présidente. Ceux-ci ont traversé ensemble les mêmes épreuves et partagent globalement les mêmes valeurs, sans compter les liens plus personnels qui se sont tissés entre eux. Cain fait donc véritablement intrusion dans les tête-à-tête décisionnels de Roslin et Adama. Elle est un élément perturbateur dans le petit écosystème du Battlestar Galactica et bouscule son organisation, que cela soit justifié (en transférant Apollo et Starbuck sur le Pegasus car ils bénéficient de faveurs auprès d’Adama) ou arbitraire (en remplaçant Galen Tyrol au poste de premier maître).

Les qualités qui ont construit la réussite de la carrière de Cain et ont assuré la survie de son vaisseau sont montrées sous un jour très sombre. Sa poigne, son intransigeance à se faire obéir, les décisions qu’elle prend pour survivre sont vues comme de la cruauté : elle tire sur son second qui refuse d’exécuter un ordre, elle abandonne les vaisseaux civils d’une flotte, sélectionnant les membres « utiles » et tuant les familles de ceux qui refusent de monter à bord du Pegasus, elle torture sans pitié une prisonnière Cylon Six, autorisant les coups et le viol – ce qui paraît d’autant plus horrible qu’elle a auparavant entretenu une relation amoureuse avec elle. Tout ceci la met en forte opposition avec la figure quasi paternelle d’Adama vis-à-vis de son équipage, pour lequel on a suivi ses prises de décisions. Cain, elle, ne semble jamais mettre en doute ou regretter ses actes.

C’est une femme qui fait ce qu’elle estime juste, ce qu’elle estime « devoir » faire. C’est d’ailleurs un dénominateur commun qu’elle partage avec Laura Roslin et Kara Thrace lorsqu’elles se battent chacune pour leur cause. Alors qu’elle décide de transférer Lee Adama et Kara Thrace sur le Pegasus pour faits d’indiscipline répétés, elle sait reconnaître la valeur du Lieutenant Thrace et la promeut Capitaine à son retour de mission durant laquelle elle a, une fois de plus, désobéi aux ordres pour faire cavalière seule. Le fait qu’elle et William Adama décident de renoncer à leur plan respectif d’assassinat est aussi une reconnaissance de la valeur et des décisions des deux militaires. Mais in fine, les actes discutables de Cain reviennent la frapper comme un retour de bâton : libérée, la prisonnière Cylon vient se venger et l’assassine.

Cette fin est ambivalente, car de même qu’on est soulagé-e qu’Adama décide de ne pas tuer sa supérieure (car assurément, cela ternirait l’image du commandant de le voir réduire à un simple assassin), le/a spectateur/trice est soulagé-e que Cain meure. Après tout, l’Amirale Cain a sacrifié des vaisseaux civils pour assurer la survie de son vaisseau militaire, là où Adama profitant des conseils de Laura Roslin a fait le « bon » choix, celui de protéger coûte que coûte la population survivante. Le couple Adama/Roslin fonctionne bien : c’est une « bonne » chose que l’ordre au sommet hiérarchique du pouvoir dans la flotte soit rétabli tel qu’il était avant la venue de Cain, même si cela doit se réaliser grâce sa mort. Cain laisse derrière elle l’image d’une autorité froide et cruelle, indomptable – une femme dangereuse sous tous les aspects.

Les dérives du pouvoir

La seule autre femme à connaître une telle place à la tête absolue du pouvoir est Laura Roslin. Si les deux femmes semblent bien différentes pendant leur confrontation à la saison 2, l’évolution du personnage de la Présidente au cours des deux saisons suivantes la rapproche progressivement de l’Amirale Cain.

Persuadée de ses bonnes raisons et de son juste jugement, Roslin prend pour habitude de décider seule sans prendre le temps de convaincre les élus du Quorum. Elle n’hésite pas à tricher pendant les votes de l’élection présidentielle, même si cela semble être « pour la bonne cause » : la campagne de Baltar s’appuie sur le projet de s’installer sur New Caprica, ce qui est stratégiquement dangereux car la colonie serait exposée à l’attaque des Cylons. Les évènements donneront d’ailleurs raison à Roslin. Roslin peut aussi  se laisser influencer par ses sentiments comme le désir de vengeance ou la méfiance : elle voudrait refuser un procès à Baltar (accusé de trahison), éloigner l’ex-terroriste Tom Zarek du pouvoir.

Son personnage s’assombrit tout le long de l’histoire, comme si les questions de pouvoir pourrissaient progressivement sa candeur politique initiale, animée par le désir de faire ce qui est juste pour le peuple. Elle développe un goût du secret, le désir de gouverner seule en consultation avec William Adama. Il semble bien qu’elle ait perdu la foi en la démocratie : seule un gouvernant peut prendre les décisions avec l’efficacité qui s’impose. Le Quorum apparaît souvent comme une tablée de personnages qui parlent, crient à tout va. Seuls Zarek et Lee Adama semblent se comporter de manière plus civilisée pendant ces réunions. Les révélations de Baltar, aussi controversé soit-il, sur certains secrets du pouvoir se posent judicieusement comme un contre-pouvoir. Lors de la première réunion du Quorum auquel participe Lee Adama qui débute sa nouvelle carrière de politicien, il découvre le verrouillage politique exercé par Roslin. Elle retient l’information sous prétexte que le bien-être de la flotte n’est pas quelque chose dont les membres du gouvernement n’ont à se soucier ; elle ne « doit » rien au peuple. Cette attitude renfermée est expliquée en partie par le fait qu’elle est dans une situation gênante, qui la déséquilibre à la fois personnellement et politiquement : elle partage des visions avec l’ennemi Cylon.

C’est peut-être aussi que l’épuisement dû à l’avancement de son cancer, allié aux responsabilités qu’elle a choisi de continuer d’honorer, l’entraîne à garder ses forces en évitant d’argumenter sans fin avec ses représentatifs. En voyant Roslin s’affaiblir et refuser ses responsabilités de cheffe politique (communication, diplomatie, négociations), une grande question reste en suspens : pourquoi ne quitte-t-elle pas ses fonctions de Présidente ?

La série critique-t-elle spécifiquement la position dominante des femmes au pouvoir ? On pourrait en douter en considérant l’échec cuisant de la prise de commandement du colonel Tigh après la tentative d’assassinat d’Adama, ou le fait que jamais le Commandant n’aurait assuré la survie de la flotte civile si Roslin n’avait été là. Ceci tendrait plutôt à montrer la volonté de critiquer un pouvoir tyrannique, sourd aux conseils et aux consultations. Zarek et Baltar questionnent sans arrêt le pouvoir parfois tyrannique de Roslin et d’Adama au sein de la flotte. Lorsque Roslin se refuse à communiquer et à négocier avec le Quorum, c’est Zarek en tant que Vice-Président qui semble essayer de maintenir les morceaux ensemble. Et pourtant, même s’il se retrouve dans une impasse entre une Laura Roslin qui refuse de parler au Quorum et un William Adama qui le méprise et refuse de reconnaître son autorité, son recours final à la violence et à la révolution vient confirmer la méfiance qu’avaient à son encontre Adama et Roslin.

Néanmoins, deux points viennent affaiblir cette critique du pouvoir dominant :

1) la position dominante des militaires finalement peu remise en cause

2) le traitement des personnages d’Helena Cain et Kendra Shaw dans le film Razor.


La toute puissante « raison militaire »

La série se place d’emblée dans un monde post-apocalyptique : la protection militaire apparait donc comme absolument nécessaire à la survie de la flotte civile. En temps de guerre, c’est donc la stratégie et les ressources militaires qui priment : la flotte est littéralement à la merci du bon vouloir d’Adama. Celui-ci porte régulièrement atteinte au pouvoir démocratique si les lois/motions/décrets votés par le gouvernement ne lui conviennent pas : par exemple, lors de l’alliance avec les Cylons rebelles, le droit de tout vaisseau de la flotte d’accepter ou de refuser d’accueillir des Cylons dans son vaisseau, de manière indépendante. Mais au refus du vaisseau ravitailleur en carburant d’accepter de laisser monter des Cylons à son bord, Adama lance un escadron d’assaut pour le rappeler – violemment – à l’ordre. Il refuse de s’adresser à Zarek, officiellement Vice-Président qui prend logiquement les fonctions de Président en l’absence de Laura Roslin, tout cela parce qu’il ne l’apprécie pas. La torture paraît en tout temps justifiée pour récupérer des informations stratégiques : exit les droits de l’hommes.

A la sacro-sainte « stratégie militaire » qui excuse tous les agissements d’Adama répondent les convictions personnelles de Roslin : finalement, la Présidente ne fait que rejoindre un mode de commandement militaire où le/a supérieur-e hiérarchique n’a pas à se justifier. Et le scénario donne d’ailleurs souvent raison aux deux gouvernant-e-s dans les décisions qu’illes prennent. Même dans le cas de l’Amirale Cain, le portrait qu’il en est fait n’est pas totalement noir. Starbuck à la cérémonie d’enterrement de Cain vient rendre hommage au bon sens et au courage de l’Amirale : malgré ses actions controversées, c’est une femme qui a fait ce qu’elle a estimé devoir être accompli pour assurer la survie du Pegasus. Et Starbuck d’ajouter que la flotte était plus en sécurité avec que sans elle. Pour Roslin, ses décisions ont pour but d’assurer la « sécurité » de la flotte. Pour Cain, c’est la « survie » de son équipage qui prime.

Razor ou le « jugement de l’Histoire »

Dans ce contexte, le film Razor vient clarifier avec profit certaines interprétations quant au rôle de l’Amirale Cain. Razor vient chronologiquement se placer au moment où le Battlestar Pegasus se retrouve sans commandement : William Adama donne alors les clefs du vaisseau à son fils Lee. L’héroïne principale est l’officier Kendra Shaw, embarquée à bord du Pegasus quelques heures avant l’attaque des Cylons sur les colonies. Razor entremêle deux histoires : celle du commandement du Pegasus par l’Amirale Cain entre l’attaque des Colonies et le moment où le vaisseau rejoint la flotte ; et celle du commandement de Lee Adama juste après sa nomination. Ce choix met ainsi clairement en parallèle et surtout en opposition les deux styles de commandement : Cain et Shaw d’un côté, Adama père et fils de l’autre.

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Le Second du Pegasus Kendra Shaw ordonne à un soldat de tirer sur elle avec l’arme qu’il vient de remonter les yeux bandés et qu’il suppose fonctionnelle.

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Adama père et fils observent la scène : « Je ne pensais pas pouvoir trouver un Second plus sévère que Saul Tigh. »  « Oui elle est dure, mais c’était nécessaire. »

Pour Cain, le seul horizon qui reste à son équipage après la destruction des colonies est la guerre et la vengeance. Et même si elle répète à plusieurs reprises qu’elle a pour priorité la sécurité de son vaisseau, ses actions montrent le contraire : elle prend de grands risques humains pour accomplir ses missions. La philosophie de Cain est principalement axée autour de trois points, chacun remis en cause par Lee Adama et l’action pendant le film :

1) On ne peut se battre sans risquer des vies : Cain, puis Kendra Shaw en tant que second de Lee Adama, mettent au point des stratégies dangereuses. Mais surtout dans le feu de l’action, elles n’hésitent pas à prendre des décisions qui impliquent le sacrifice de soldats sur le terrain. Lee Adama, au contraire, évalue la situation et juge qu’elle est trop risquée : il a beau être inexpérimenté à son poste de Commandant, sa « morale » – on y reviendra – n’est pas la même.

2) En temps de guerre, les besoins militaires en ressources sont la priorité. Dès que l’Amirale Cain apprend que le Pegasus a retrouvé plusieurs vaisseaux civils, sa réaction est d’organiser le transfert du matériel et des ingénieurs dont le vaisseau à besoin pour survivre, pour ensuite abandonner le reste de la flotte sans défense. Devant les résistances des civils, elle ordonne froidement que l’on tue les familles de ceux qui refusent d’obéir aux ordres.

3) « Parfois on doit laisser des gens en arrière pour pouvoir continuer la lutte » : voilà le cœur de la philosophie de Cain qui explique le personnage. Etant plus jeune, elle seule a survécu à une attaque des Cylons après qu’elle ait abandonné sa sœur blessée pour aller se cacher (sa sœur est alors enlevée par les Cylons pour des expérimentations). L’erreur de Cain, du point de vue du film, est d’avoir laissé ce traumatisme personnel guider sa stratégie militaire. Sa faiblesse est de s’être laissée aveugler par son expérience personnelle et d’être devenue insensible. Kendra Shaw s’endurcit de la même manière sous le commandement de Cain, et perpétue sa vision du commandement face à Lee Adama et Kara Thrace. Finalement, Shaw mourra en se sacrifiant pour faire exploser un vaisseau Cylon: le poids de sa culpabilité était trop lourd pour elle.

Le personnage de Cain bascule dans une dimension diabolique lorsqu’elle abat de sang froid son second qui refuse d’obéir à ses ordres sous prétexte qu’ils sont trop risqués. Le geste est d’autant plus violent que l’on avait vu au début du film qu’elle entretenait avec lui une relation plutôt amicale. Désormais, son insensibilité et sa cruauté sont sans limites. Les instructions qu’elle donne à son officier pour obtenir des informations de la Cylon Gina sont claires : il peut employer tous les moyens : la douleur, l’humiliation, la peur, la honte.

A la fin du film, Lee Adama pose finalement la question fatidique : est-ce que Cain et Shaw ont eu tort ? Le dialogue entre Lee et son père est révélateur du parti-pris de la série sur la question (c’est moi qui souligne).

William Adama :  Au niveau tactique, il est difficile de critiquer ce qu’elle [Cain] a fait, ou ce que Kendra a fait.

Lee Adama : Ils ont massacrés des civils, papa. Voyons, comment peux-tu ignorer cela ?

W : Je n’ai pas eu à vivre la même situation. J’avais la présidente devant moi, défendant la flotte civile. J’avais Tigh, qui m’aidait à rester honnête en pondérant ma moralité et mes tactiques. Et je t’avais toi. Tu n’as pas d’enfant, tu ne vas peut-être pas comprendre : mais on voit son propre reflet dans leurs yeux. Il y a des choses que je pensais faire avec cette flotte mais j’ai renoncé car je savais que je devais te faire face le lendemain.

L : Si tu n’avais pas été en salle de contrôle, j’aurais donné l’ordre de frapper. Kara serait morte comme le reste de l’équipe.

W : Tu n’as rien fait de mal, moi non plus. Nous avons pris les décisions indispensables pour nos missions.

L : Cain… Kendra… Ont-elles eu tort ?

W : Si j’étais croyant, je dirais qu’elles seront jugées par une puissance suprême.

L : Mais comme tu ne crois pas…

W : Alors l’Histoire devra juger.  Et comme le brouillon de l’Histoire sera écrit dans nos rapports

L : Je suppose que j’ai des choses à écrire.

Il faut noter la réticence de William Adama à verbaliser explicitement son jugement. Il élude d’abord la question (« au niveau tactique », il est difficile de les critiquer). Puis il argumente qu’il ne peut pas les juger car il n’a pas été dans la même situation avant d’invoquer un jugement divin. Traduction : Adama réprouve mais comprend l’attitude des deux femmes. C’est qu’Adama se retrouve ici face à ses contradictions : d’une part, il partage les mêmes convictions que ces femmes quand à la suprématie militaire ; mais de l’autre, il a su garder cette « moralité » qui leur a fait défaut. Et grâce à quoi ? Grâce à Laura Roslin, son contre-pouvoir civil ; grâce à son amitié avec Tigh ; et grâce enfin à son fils. Cain et Shaw, elles, étaient toutes puissantes dans un monde militaire, sans ami-e-s, maris ou enfants pour remettre en question leur domination.

BSG-I-16

William Adama écrit pour l’Histoire.

Finalement, Adama s’en sort avec pirouette : c’est l’Histoire qui devra juger ces femmes. Mais l’Histoire se construit sur les documents et les témoignages d’une époque. En l’occurrence, dans le monde militaire il s’agit des journaux tenus par les commandants de chaque vaisseau, Adama père et fils donc. Ou comment l’Histoire s’écrit en fonction du point de vue des deux hommes dominants de la flotte.  « Tu n’as rien fait de mal, moi non plus. Nous avons pris les décisions indispensables pour nos missions. » : devant les doutes de son fils, Adama est rassurant. Si la moralité des femmes au commandement est critiquable, eux, les Adama, ont pris les décisions qu’il fallait.

***

Les jeux de pouvoir sont centraux : les femmes comme les hommes à la tête du pouvoir sont confronté-e-s aux intrigues et aux questions morales que chaque situation soulève. Tou-te-s prennent des décisions difficiles, contestables, irréversibles. Mais illes ne gèrent pas les situations de la même manière : Cain et Shaw ont perdu leur moralité, Roslin s’isole progressivement pour ne plus communiquer avec personne. Au contraire, si Adama prend des décisions en étant influencé par des attachements personnels, c’est qu’il a su préserver son côté humain, paternel.

Mais quelle est cette « moralité » dont parle Adama ? Sur le Pegasus, c’était la loi du plus fort qui primait : exécuter ceux qui ne reconnaissent pas l’autorité et refusent d’obéir aux ordres, laisser les plus faibles en arrière, abattre tous les obstacles à la survie des plus forts. Pour Adama à la tête de la flotte, c’est la protection de la flotte civile qui rentre en compte : pas le respect de la démocratie ni celui des droits de l’homme. Roslin impose ses décisions en assénant l’argument imparable de la « sécurité » de la flotte. Seul-e-s celles et ceux à la tête du pouvoir sont à même de comprendre les raisons des décisions qui sont prises, tout comme illes sont les seul-e-s à pouvoir justement remettre en cause le fonctionnement des institutions et enfreindre les lois.

Arroway

Lien vers la deuxième partie

Notes

[1] « Lost In Castration », Dirk Benedict : http://www.dirkbenedictcentral.com/home/articles-archive.php

[2] Science fiction naturaliste : http://en.battlestarwiki.org/wiki/Naturalistic_science_fiction

[3] Cité de [2] : « Nos personnages sont des personnes qui vivent, qui respirent avec toute la complexité émotionnelle et les contradictions que l’on retrouve dans des drames de qualité tels que « The West Wing » ou « Les Sopranos ». […] Ce ne sont pas des super-héros. Ils ne sont pas une élite. Ils sont des gens normaux pris dans un immense cataclysme  et qui essaient de survivre du mieux qu’ils le peuvent. »

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5 réponses à Battlestar Galactica : une odyssée féministe semée d’embûches (I)

  1. Bonjour.

    Merci pour cette analyse de BSG, qui est une série qui donne a réfléchir a plus d’un titre.

    Je suis beaucoup plus sceptique que vous sur l’image qui est donnée du tandem dirigeant Adama-Roslin. Leur dérive autocratique est patente et, si elle essuie quelques critiques a travers les propos de Lee Adama et Tom Zarek, je la trouve au final plutôt complaisamment représentée.

    Plus la série avance, et plus on voit Adama et Roslin prendre leurs aises avec les processus démocratiques: Roslin tente de falsifier les élections, ignore les délibérations du qorum. Adama annonce clairement la couleur en prévenant que si Zareck est élu président par les passagers de la flotte, il ne l’admettra pas et le destituera. Ces coups de force ont une justification que l’on voit trop souvent: la compétence. Roslin et Adama « savent », et donc sont tout a fait légitimes pour dire merde au peuple, qui, par définition, ne sait pas.

    Le cas des élections truquées (fin de saison 2 il me semble) est particulièrement clair: Roslin fait bourrer les urnes non pas par ambition ou par corruption, mais pour éviter que le peuple, sournoisement manipulé par hédoniste ambitieux Gaius Baltar, ne choisisse de s’installer sur New Caprica. Les doutes et les hésitations, les contraintes morales des personnages qui participent ou ont connaissance de la manœuvre évitent la complaisance totale, mais néanmoins il me semble que le public est clairement plus invite a s’identifier a Roslin, courageuse leader qui triche pour faire vaincre le bien, qu’a Baltar le pleutre, manipulateur, a moitie fou et a la loyauté douteuse. Lui cherche a manipuler le peuple pour son avantage personnel, et le peuple marche comme un seul homme. Elle triche pour faire vaincre le bien. La cerise sur le gateau venant au début de la saison suivante, l’invasion de New Caprica par les Cylons donnant raison a 100% a Roslin, tout en nous montrant Baltar, élu du peuple capricieux, incapable de le protéger en retour.

    La perpétuelle défiance de Bill Adama envers Zareck est du même acabit, bien que cela soit rendu moins évident par l’ambivalence de Zareck. En effet celui ci est un homme trouble, qui garde des liens avec la pègre durant toute la série et manigance pour le pouvoir. On notera qu’il est aussi un de ces dangereux agitateurs qui veulent « donner le pouvoir au peuple » (le pouvoir? au peuple? quelle horreur!).

    Néanmoins l’épisode de New Caprica donne une image très positive de Zareck: il refuse toute compromission avec les cylons, malgré leur politique répressive. Et quand cette attitude le mène face au peloton d’exécution avec Laura Roslin, il fait preuve de panache. Il parvient a s’attacher des personnages très connotes positivement, comme Lee Adama. Des lors, on comprend de moins en moins l’aversion de papa Adama pour cet homme. Mais Bill Adama ne saurait se tromper, car il sait.

    Heureusement, la fin de la série vient lui donner raison a 100%: Zareck est en fait un sanguinaire fou furieux, qui n’hésite pas a faire exécuter sommairement tous les parlementaires. Quand je pense qu’on a failli le trouver sympa… Merci de nous avoir éclairé de ta prescience, papa Adama.

    Il faut reconnaître que l’autocratie du tandem est explicitement dénoncée dans la série. Zareck lui même fait judicieusement remarquer que lui est élu, contrairement a Roslin qui n’a jamais gagne une élection. En effet, elle est présidente pendant presque toute la série sans jamais gagner une élection, et même en trichant a la seule élection ou elle se présente… On objectera que Zareck sent le souffre de toute façon, et qu’une dénonciation dans sa bouche a peu de valeur. Cela dit la tribune de Lee Adama durant le procès de Baltar est aussi un moment très fort de la série, qui alerte sur la dérive arbitraire du pouvoir au sein de la flotte.

    Néanmoins ces dénonciations sont considérablement affaiblies par le « syndrome Taken », décrit sur ce site dans l’article sur le film éponyme: les faits donnent raison aux compétents contre la plèbe. Pour arbitraire et autocratiques que puissent paraître Adama et Roslin, la série leur donne raison sur toute la ligne. Débarquer sur New Caprica est une erreur, donc Roslin avait raison de tricher aux elections. Zareck est une ordure, donc Adama aurait eu raison de s’asseoir sur un résultat de scrutin qui lui déplairait. Ceux qui pretendent « donner le pouvoir au peuple », comme Zareck ou Baltar, sont en fait de dangereux fous sanguinaires ou des collabos. Dormez braves gens, vos dirigeants ont l’air arbitraires et autocratiques, mais comme ils sont compétents et bien intentionnés, tout va bien.

    L’équilibre général de la série fait que je me refuse a parler de charge contre la démocratie, néanmoins la série reprend très complaisamment le vieux poncif que le peuple est par nature capricieux et ignorant des vrais problèmes de ce monde, que la démocratie peut amener le pire, et qu’au final le mieux c’est quand même d’avoir de bon despotes éclairés, comme le tandem Roslin-Adama.

    C’est bien simple, par moment on se croirait a la Commission Européenne.

    • PS: un des éléments qui équilibrent la série est par exemple le nombre relativement élevé et la diversité des personnages « importants ». Il n’y a pas de personnage qui monopolise 90% de l’écran comme souvent dans les séries avec de l’action.

      Ceci contrebalance le cote « laissez le travail aux gens compétents » du tandem Adama-Roslin. Ici on est pas dans « 24 »: les problèmes se règlent a plusieurs, dans la coopération et le conflit.

  2. Cet article m’a donné très envie de découvrir la série!

  3. Ce que vous soulevez dans votre dernier paragraphe Casper, est pertinent et assez juste. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus géné dans cette série : l’imbécilité du peuple. Toutefois ce comportement de brebis égarées peut se concevoir, dans le cadre de la série, par le traumatisme monstrueux que les survivants ont vécus. Ce ne sont pas des survivants à la Lost mais les derniers rescapés de la race humaine dans son ensemble. Ce qui explique aussi l’espèce de nihilisme version lemmings dont ils font preuve.
    En fait le seul élément « irréaliste » de la série est, de mon point de vue, qu’ils continuent à se comporter en démocrates. Je pense pour ma part que dans un cas pareil (50000 survivants d’un génocide de milliards d’êtres humains) , nous donnerions tout pouvoir au chef des armées (Adama donc), et avec force de hourras et de colliers de fleurs. Ce n’est que dans un second temps qu’on essayerait d’abattre le despote.
    Je ne crois pas à un eclatement de la société version walking dead, mais je ne crois pas non plus à cette volonté farouche de preserver les institutions démocratiques après un tel traumatisme.
    Il n’y a qu’à voir les réactions de moutons que nous pouvons tous avoir après des attentats d’une ampleur bien moins fictionnelle.

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