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Landes (2013) : Emancipation d’une femme et prise de conscience d’une patronne

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Jeune veuve, Liéna Duprat décide de prendre le contrôle des forêts industrielles et des métairies dont elle a hérité afin de poursuivre le rêve de son défunt mari, électrifier l’intégralité du domaine. Elle se heurtera à une grève et aux refus des autres patrons.

Inspiré d’une histoire vraie, le film montre la double évolution de Liéna, son émancipation et sa prise de pouvoir en tant que femme et sa prise de conscience des conditions de vie des ouvriers en tant que patronne. Les deux évolutions sont intimement liées : c’est en prenant conscience des réels besoins des ouvriers que Liéna abandonnera les mesures de son mari pour choisir d’effectuer ses propres mesures améliorant les conditions de vie des ouvriers, qui seront les réformes Duprat.

Au début du film, Liéna décide d’électrifier la Landes, ignorant la grève et les revendications des ouvriers (à savoir obtenir le salariat, de meilleurs conditions de vie et arrêter de donner des avantages en nature à leur patronne), persuadée d’agir pour leur bien et de savoir mieux qu’eux ce dont ils ont besoin. Elle est ainsi dans une démarche très paternaliste vis-à-vis des ouvriers, ne voulant que leur bien mais se plaçant aussi quasi automatiquement comme supérieure à eux.

On retrouve cette vision « condescendante » dans de nombreuses actions sociales et humanitaires. Si cette vision est motivée par le sentiment positif d’aider les gens, elle est non seulement dégradante pour les gens aidés que l’on considère comme incapables de s’occuper d’eux-mêmes ou de savoir de quoi ils ont besoin, mais en plus amène le risque d’être purement et simplement à côté de la plaque en apportant au gens des choses inutiles alors qu’ils manquent cruellement du nécessaire.

Un autre effet pervers de ce genre de mesures, particulièrement dans un cadre patron/ouvriers, est que l’on maintient les ouvriers dans une forme de domination. Au début du film, Liéna explique d’une façon paternaliste au délégué syndical que l’exploitation donne du travail aux gens de la région (oui, au fond ce qu’on recherche nous les patrons ce n’est pas tellement le profit, c’est plutôt vous donner du travail… Regardez comme on est généreux avec vous…)

Au fur et à mesure du film Liéna reconnaîtra son erreur et finira par accepter les revendications des ouvriers.

Au début du film Liéna est principalement motivée par le désir de son mari défunt, elle se construit donc principalement par rapport à lui avant de découvrir qu’il n’avait peut-être pas compris certaines choses. L’émancipation vis-à-vis de son mari se fait donc grâce aux revendications des ouvriers ou plus exactement quand Liéna commence à écouter les ouvriers et cesse de penser de considérer son mari comme un visionnaire ayant forcément raison. Elle cesse de se définir comme la garante de l’œuvre de son mari et commence « son œuvre » à elle.

Liéna s’émancipe donc non seulement vis-à-vis des autres patrons (qui sont principalement des hommes) mais également vis-à-vis de son mari.

Il est rare d’avoir un film qui montre une femme forte dans une position de pouvoir, rappelant ainsi que OUI, les femmes peuvent occuper des postes à responsabilités.

Le film n’est pas exempt de défauts, j’aurais aimé avoir un peu plus souvent le point de vue des ouvriers et de leur organisation en syndicats. Bien que les ouvriers soient à quelques reprises montrés en train de s’organiser, le film se place plutôt du point de vue de Liéna.

Et surtout, pourquoi avoir choisi une femme comme ennemi principal de Liéna ? Alors qu’il est clairement montré que la majorité des patrons sont des hommes, c’est une femme, Mme Hector, qui est l’adversaire le plus terrible de Liéna. Pire encore, Mme Hector correspond au cliché des femmes de pouvoir au cinéma : mesquine, hypocrite, manipulatrice… Il est dommage de développer un personnage intéressant et positif de femme de pouvoir pour lui opposer la caricature d’une autre femme de pouvoir, d’autant que le réalisateur a avoué avoir romancé l’histoire.[1]

On regrettera également que l’accent ne soit pas mis les difficultés qu’a Liéna à diriger sa propriété en tant que femme, en effet les seules critique qu’elle semble subir de la part des autres patrons portent sur ses mesures d’électrification. Il semble peu probable que dans les années 20 les hommes aient laissé aussi facilement une femme accéder au pouvoir.

Le film esquisse une intersectionnalité intéressante entre l’émancipation de Liéna vis à vis de son mari et la libération des ouvriers mais je regrette que l’oppression envers les femmes (qui était encore pire dans les années 20 qu’aujourd’hui) et l’oppression envers les ouvriers ne soit pas d’avantage mises en parallèle.

Malgré ses défauts, Landes est un film doublement intéressant d’un point de vue politique puisqu’il met en scène un personnage féminin fort et intéressant et traite des réformes sociales.

J’ai été très frustrée de ne trouver absolument aucune information sur la vraie Liéna Duprat ou sur les réformes Duprat. Serait-ce encore une femme oubliée par l’histoire ?

 Julie G.


[1] Pour écrire le scénario de Landes, François-Xavier Vives s’est inspiré de l’histoire de sa propre famille et en particulier celle de la sœur de son arrière arrière-grand-mère : « Mon grand-père m’a souvent parlé d’elle. Une femme très autoritaire qui avait perdu son mari très tôt et choisi de le remplacer à la tête de ses domaines, ce qui était assez original au début du siècle. Dans ce milieu encore très masculin, très patriarcal, cette forte tête avait vraiment réussi à s’imposer comme patronne : elle était crainte et très respectée. J’aimais beaucoup cette figure féminine – c’était une héroïne idéale. Je l’ai romancée bien sûr. Dans la réalité, la Liéna de ma famille était infiniment moins moderne et progressiste que la Liéna du film. Et elle ne partageait certainement pas les mêmes rêves », explique le réalisateur.

Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-208551/secrets-tournage/

 

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2 réponses à Landes (2013) : Emancipation d’une femme et prise de conscience d’une patronne

  1. Merci de cet éclairage en particulier sur l’origine biographique du personnage de Liena…

  2. L’histoire sociale est caricaturale et la romance peut crédible. Marie Gillain ne sauve pas le film. Il reste de belles images des Landes… pour les agences de voyage.

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