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Le Nouveau Stagiaire (2015): le patriarcat ne se fait jamais trop vieux.

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« Je déteste jouer le rôle du féministe, mais… » Il y a quelque chose de perturbant dans cette formule employée par De Niro pour s’adresser à son interlocutrice Jules, jouée par Anne Hathaway, dans l’une des scènes clé du film. Parfait exemple de mansplaining, De Niro amorce à ce moment de l’intrigue une « leçon de féminisme » qu’il prodigue à une jeune femme brillante qui a monté une entreprise florissante. L’héroïne en larmes, à la fois en raison de déboires amoureux et de déceptions au travail, écoute cet homme providentiel et paternel qui lui conseille de prendre ses propres décisions et de gérer son entreprise comme elle l’entend. Comme si elle l’avait attendu jusqu’ici pour le découvrir…

Cette scène résume à mon sens un grand nombre des défauts du film Le Nouveau Stagiaire : il s’agit d’une comédie « moderne » qui intègre ce que la société états-unienne a bien voulu entendre des revendications du féminisme libéral, mais qui ne remet pas vraiment en cause les fondements du patriarcat et les inégalités découlant directement du système capitaliste. La figure paternaliste incarnée par un De Niro sexagénaire et débonnaire guide une femme d’affaire blanche et trentenaire qui, malgré la réussite de son entreprise, n’arrive pas à trouver le « bon » équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Autrement dit, au sein du film, obtenir une place traditionnellement monopolisée par les hommes sur le marché capitaliste ne suffit pas à faire bouger des stéréotypes genrés toujours tenaces. Que les hommes se rassurent : les femmes auront toujours besoin d’eux pour pleurer sur leurs épaules et suivre leurs conseils dans tous les aspects de la vie.

Nancy Meyers, la réalisatrice du film, s’est donné pour objectif de réhabiliter les femmes dans le travail entreprenarial à travers l’image de « la bonne patronne ». Les femmes d’affaires volontaire, à la carrière florissante et qui aiment leur travail, est un thème qu’elle a d’ailleurs exploré dans ses autres films « Ce que veulent les femmes » et « The Holiday » :

« Il n’y a pas assez de films qui montrent des femmes qui travaillent et qui en sont satisfaites, qui sont bonnes à ce qu’elles font et qui sont de bonnes patronnes. Si je vois un film de plus avec une femme qui est une patronne horrible détestée par ses employées… », dit Meyers en levant les yeux au ciel.

« There aren’t enough movies that show working women who are content at their job, good at their job and good bosses. If I see one more movie where a woman is a horrible boss who is hated by her employees … » Meyers says with an eye-roll.

Interview pour The Guardian, octobre 2015

Dans cette déclaration, Meyers fait référence aux représentations souvent négatives des femmes ayant du pouvoir en entreprise. Ces représentations font écho à la manière dont les femmes sont perçues par leurs collègues et leur hiérarchie dans le monde du travail, et contribuent ainsi à la perpétuation de ce sexisme structurel. En effet, les femmes voient régulièrement leurs compétences remises en question lorsqu’elles occupent une position hiérarchique élevée. Lorsqu’elles gèrent des équipes, elles subissent des injonctions contradictoires : soit elles sont renvoyées à une pseudo « féminité douce » qui manqueraient de poigne et de « leadership » pour être suffisamment efficace dans le monde des affaires, soit, au contraire, elles sont considérées comme « frigides », dures, intransigeantes. Dans tous les cas, elles transgressent la place subalterne qui leur est normalement assignée en occupant une position de pouvoir.

Mais la portée féministe du film de Meyers trouve (très) vite ses limites.

Un féminisme pro-capitaliste

Le héros principal du film n’est pas Jules la femme cheffe d’entreprise, mais Ben, un vieil homme blanc joué par Robert De Niro. Le Nouveau Stagiaire raconte l’histoire de cet homme à la retraite qui s’ennuie sans son travail. Car le travail, c’est la vie ! nous fait comprendre le début du film. Et en dehors du travail, point de salut ! Notre héros s’ennuie tellement dans sa vie de retraité qu’il décide en effet de faire un stage à 70 ans. Avant cela, il a tout essayé : voyager et revenir avec un collier de fleurs, lire des livres, faire du tai chi dans un parc le matin, lire le journal dans un café, etc.

Hélas, l’univers n’est pas aussi vaste d’opportunités que ce bon vieux monde de l’entreprise, avec ses contraintes horaires, son stress, sa hiérarchie… Pour Ben, être au bureau, c’est comme être de nouveau « à la maison ». Et pour cause, notre héros fait son stage dans les mêmes locaux où il a travaillé pendant 40 ans : home sweet home… Sans distance critique aucune, le film reprend un discours capitaliste qui encourage les salarié-e-s à passer le plus de temps possible à travailler pour l’entreprise (autrement dit, à fournir encore plus de travail non-rémunéré au bénéfice des propriétaires), en créant l’illusion d’un espace de vie plus accueillant et plus épanouissant que sa propre maison. Et le monde de l’entreprise est tellement fantastique, que Ben va même y trouver le bonheur tout en bas de la hiérarchie : à la position de stagiaire.

Ben est recruté dans une start-up de commerce de vêtements en ligne qui a été créée par Jules (car dans les comédies états-uniennes, lorsque des femmes créent leur affaire ou sont à la tête d’une entreprise, c’est plus souvent dans le secteur de la mode, de l’édition et de la restauration que dans le domaine de l’opto-électronique). Jeune femme dynamique qui n’a pas une seconde à elle, Jules est à la tête d’une entreprise de deux cents de personnes. Dédiée à 110 % au succès de sa boîte, Jules est surtout à fond dans le micromanagement… On la voit au téléphone au service après-vente, à l’entrepôt d’emballage des paquets pour expliquer aux employées comment plier des vêtements, en train de reprendre le travail des graphistes, courir entre deux réunions… Bref, elle donne de la tête partout : il s’agit de « son » entreprise, on l’a bien compris. En parallèle, elle est mère d’une petite fille et en couple avec un partenaire qui a laissé tomber son travail pour s’occuper à plein temps de l’enfant.

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La réussite selon Nancy Meyers : une jeune femme blanche, mince, habillée de manière branchée, qui fait tranquillement du vélo dans les locaux de son entreprise pendant que son employée court derrière elle.

Ces scènes illustrent un point de vue féministe libéral qui suggère que « la solution » au patriarcat, c’est de permettre aux femmes l’accession aux postes de pouvoir économiques et politiques de la même façon qu’aux hommes. Le problème est que cette « solution » continue d’alimenter les mêmes inégalités économiques et sociales au sein du système capitaliste. L’entreprise est fortement hiérarchisée : en dehors des actionnaires de l’entreprise, Jules semble être celle qui prend toutes les décisions, et on la voit malmener ses subalternes à plusieurs reprises. Son entreprise baigne dans un culte du travail et d’un esprit « start-up » très à la mode qui se veut « jeune », innovant, convivial mais qui n’est qu’un vernis qui cache l’exigence d’une « flexibilité »  et d’un travail supplémentaire énorme demandés aux employé-e-s. Et même si l’entreprise a atteint son objectif de croissance beaucoup plus rapidement que prévu, la quête capitaliste d’un chiffre d’affaires toujours plus gros est le moteur de l’intrigue.

Enfin, il y a une absence totale de personnes racisées parmi les personnes ayant des responsabilités dans l’entreprise (ce qui se traduit à l’échelle du film par un casting particulièrement blanc), sans que cette inégalité ne soit dénoncée à aucun moment. Au contraire, l’une des rares fois où des personnes racisées apparaissent à l’écran correspond à une scène dans l’entrepôt particulièrement empreinte de paternalisme : Jules, en bonne patronne blanche, « apprend » aux femmes racisées employées – visiblement ravies- comment plier correctement des vêtements pour l’expédition … alors que c’est le boulot qu’elles font tous les jours. Le contenu du scénario et le manque d’acteurices racisé-e-s au casting reproduisent ainsi, sans distance critique, un racisme structurel à la fois dans le monde de l’entreprise et dans les représentations cinématographiques.

Le film semble esquisser une critique du capitalisme dans les effets sur la vie personnelle des employé-e-s. Enfin, surtout sur la vie de la patronne, ce qui invisibilise totalement les rapports de pouvoir et l’exploitation des salarié-e-s. On voit ainsi Jules être victime de stress et de surmenage (elle ne mange pas et ne dort presque jamais). Sa vie de famille disparaît et son lieu de travail accueille toutes ses activités « extra-professionnelles » telles que faire du sport, socialiser, dîner, et même dormir. Sa voiture avec chauffeur fonctionne même comme une extension de son lieu de travail. Mais finalement, tout cela n’est qu’un dérèglement temporaire dans la vie de Jules, et non pas un dysfonctionnement systémique. A la fin du film, l’héroïne trouve un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (c’est-à-dire dans son rôle de compagne et de mère), sans que son statut au sein de l’entreprise ne soit le moins du monde remis en cause.

Un paternalisme exacerbé

Deux autres éléments ternissent particulièrement le potentiel féministe et politique du film : d’une part, le fait que la réussite de Jules passe par son infantilisation en femme fragile qui « craque » en pleurant et qu’il faut soutenir, et d’autre part la mise en avant de personnages masculins comme agents indispensables à son succès.

Au cours du film, malgré sa réussite apparente, les vies professionnelle et familiale de Jules prennent un très mauvais virage : ses investisseurs lui demandent d’engager un PDG pour prendre sa place et son couple se met à battre de l’aile (son compagnon la trompe). Que faire face à ces problèmes professionnels et personnels que Jules ne peut (visiblement) pas résoudre toute seule ? C’est là que Papa De Niro entre en scène en devenant le stagiaire de Jules.

Tout devient alors très simple. Papa dit à Jules de manger et lui apporte une soupe – et voilà que Jules mange comme une grande alors qu’elle disait avant n’avoir jamais le temps. Papa conseille à Jules de dormir – voilà que Jules s’endort toute seule dans la voiture. Papa conduit sa fille Jules à l’école au travail, et voilà qu’il fait un peu partie de la famille et devient le confident de la jeune femme. Papa dit à Jules de ne pas trop boire alors qu’elle affirme pouvoir tenir l’alcool, et voilà qu’il se retrouve à lui tenir les cheveux pendant qu’elle vomit dans une poubelle. C’est à se demander comment Jules avait fait jusqu’à maintenant pour créer de toute pièce son entreprise de 200 personnes en 18 mois, trouver un mari et s’occuper de sa petite fille… De même, lorsque Jules doit prendre sa décision finale quant à savoir si elle doit confier les rênes de son entreprise à un PDG tiers ou diriger elle-même, notre héroïne vient chercher les sages conseils de Papa. Et, cerise sur le gâteau, ceux-ci reçoivent la bénédiction de son mari : Jules a ainsi les approbations des deux hommes de sa vie, elle peut continuer sereinement à diriger son entreprise en toute légitimité.

On notera que les seules relations positives de Jules en dehors du travail sont avec des hommes. La relation avec sa mère est exécrable, les échanges avec les mères des camarades de classe de sa fille sont teintés d’hypocrisie et de jalousie (vous avez dit stéréotypées ?). Jules n’a visiblement pas d’amies et elle arrive même à faire pleurer la seule femme dont elle serait la plus proche, son assistante personnelle au travail. En un mot : Papa De Niro est la seule ancre au port de sa vie, qui l’aide à se « calmer » et à se « recentrer » comme elle le dit elle-même (et c’est sûrement pour ça que De Niro l’emmène faire du tai chi à la fin).

Le film infantilise l’héroïne à de nombreuses reprises. Celle-ci prétend s’affirmer comme une femme indépendante qui sait ce qu’elle fait… or elle a systématiquement tort face à De Niro (y compris pour savoir quel est le plus court chemin pour aller à son rendez-vous, mais ça c’est normal, c’est parce que les femmes n’ont pas un bon sens de l’orientation). Le film ne cesse de montrer des femmes qui craquent et qui pleurent. La première fois que Jules demande à Ben d’effectuer une tâche, il la surprend dans une salle de réunion en train de pleurer. Et, réminiscence d’une « galanterie » sexiste que l’on croyait révolue, voilà que l’on nous explique que les hommes devraient toujours garder des mouchoirs sur eux pour pouvoir les tendre aux femmes, car celles-ci, non seulement pleurent tout le temps, mais en plus ne pensent jamais à en avoir sur elles (quelles écervelées). Le mouchoir en papier, c’est donc cet objet qui permet aux hommes de voler au secours des femmes (avant c’était l’épée et le cheval blanc, mais il faut bien faire avec son époque), et donc de les séduire par leur attention. C’est d’ailleurs comme cela que Ben a rencontré son épouse avec laquelle il est resté marié pendant plusieurs décennie.

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Alors que les pleurs des femmes servent ici à les dépeindre comme des êtres fragiles et à les placer dans une position de dépendance, les larmes que Ben laisse poindre font de lui un « homme total », c’est-à-dire qu’il sait être viril mais aussi sensible et à l’aise avec ses émotions (ce qui est traditionnellement associé au « féminin ») sans que cela ne le décrédibilise.

Sous prétexte de revaloriser l’expérience des « sénior-e-s » sur le marché du travail face aux « jeunes », le film renforce ainsi à grands coups de marteaux des poncifs sexistes et paternalistes.

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Le repos sur l’épaule paternelle après la cuite du soir.

De Niro : un mâle viril en voie de disparition

Papa De Niro n’est pas seulement le papa que toutes les petites filles rêvent d’avoir, c’est aussi un formidable « pote » : à peine arrivé à son premier jour de stage, voilà qu’il fraternise avec un autre stagiaire dans la vingtaine. Des trois stagiaires qui commencent le même jour que lui, c’est immédiatement du jeune homme blanc dont Ben se rapproche, plutôt qu’avec les deux autres personnes retraitées dont il partage pourtant la même expérience et le même dépaysement dans cette nouvelle entreprise. Le problème, c’est que l’une de ces personnes est une femme (dont on ne saura pas grand-chose à part qu’elle ne sait pas conduire, évidemment) et que l’autre est un homme noir (qui n’ouvrira pas la bouche pendant les courtes secondes où on le voit à l’écran faire tapisserie derrière De Niro et son jeune pote blanc).

En fait, De Niro est tellement charismatique qu’il ne gagne pas un mais trois jeunes potes blancs dans sa nouvelle entreprise. Mais comment fait-il ? C’est très simple : en prodiguant ses conseils de séduction pour aller draguer les filles. Fort de son expérience, il enseigne à la jeune génération pétrie de nouvelles technologies que les techniques à l’ancienne marchent le mieux : il vaut mieux aller parler en personne aux femmes « plutôt que d’envoyer des mails ou des textos », et un costume fait gagner plus de points qu’un t-shirt gris à la Zuckerberg.

Ben est un grand cœur sensible comme il le dit lui-même, et un tombeur de ces dames, forcément. Une scène particulièrement représentative du modèle de virilité présenté par le film est l’épisode avec la masseuse : travaillant pour les employé-e-s de l’entreprise, elle offre une petite séance de « détente » à Ben, ce qui lui provoque une érection dont ces deux voisins s’aperçoivent et qu’ils l’aident à cacher dans un moment de camaraderie virile.

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Yeah, papi a eu une érection au boulot. Topez-là !

Ben est en fait bien plus qu’un grand frère ou un mentor pour les jeunes hommes du film : il s’agit d’un des derniers spécimen d’une masculinité virile qui est en voie de disparition dans notre monde. « Regardez et apprenez, les garçons », dit Jules à ses jeunes employés mâles en pointant Ben, « parce que ça (elle désigne Ben), c’est ce qui est cool ». Dans une scène au bar, Jules délivre un discours typiquement masculiniste qui plaint les garçons d’aujourd’hui pour qui cela doit être dur de trouver leur place dans une société où les femmes sont plus encouragées et gagnent sur tous les tableaux. Visiblement, Jules et l’auteur/rice de ce script vivent dans un monde où les différences de salaires entre femmes et hommes n’existent pas, où les postes de pouvoir ne sont pas toujours très majoritairement occupés par les hommes, où le travail domestique n’est pas encore majoritairement effectué par les femmes, etc.

« Comment en une seule génération  », poursuit Jules « les homme sont-ils passés de mecs comme Jack Nicholson et Harrison Ford à … »

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…ça.

<(traduction : des jeunes hommes qui ne savent pas parler aux femmes, ne savent pas s’habiller, ne savent pas trouver de logement.)

Un autre preuve que De Niro est cet homme moderne et « total », c’est sa capacité à soutenir et encourager Jules à poursuivre sa carrière sans se sentir menacé lui-même. Le compagnon de Jules, plus jeune, échoue précisément à cette épreuve. Celui-ci se sent délaissé, jaloux peut-être du succès de Jules et du peu de temps qu’elle passe à la maison alors qu’il a lui-même laissé de côté une brillante carrière pour s’occuper de leur fille. Il se met alors à la tromper. En fait, le film semble tisser un lien entre travail et masculinité : lorsque De Niro désespère de ne pas travailler au début du film, il est montré comme totalement impuissant et dominé par une femme qui le harcèle et l’embrasse de force. Dès qu’il recommence à travailler, il redevient actif dans le rapport de séduction et noue une relation avec la masseuse au travail.

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De son côté, le compagnon de Jules n’a plus de travail salarié et ne peut même pas « exercer » sa virilité dans la chambre à coucher avec Jules : il va donc coucher ailleurs pour avoir « du temps à lui » (« me time » dit-il en anglais), autrement dit réaffirmer sa virilité. Le film opère ici une inversion des rôles puisqu’il s’agit d’une expression qui est d’habituellement entendue dans la bouche des femmes au foyer qui n’ont pas le temps de s’occuper d’autre chose que des enfants, des tâches ménagères et de leur mari lorsque celui-ci rentre du travail.

Les rôles de Jules et de son compagnon sont inversés par rapport aux normes traditionnelles dans lesquelles l’homme travaille et la femme reste à la maison. Mais les difficultés rencontrées par le couple sous-entendent que cette configuration n’est « pas naturelle »: Jules est une femme qui travaille, mais elle a des problèmes pour tout gérer en même temps et a besoin d’aide, tandis que son compagnon s’occupe de leur enfant à la maison mais doit combler le « manque de virilité » dû à l’absence de travail et de relations sexuelles avec sa femme en allant coucher ailleurs.

***

La seule « consolation » un tant soit peu féministe du film est que Jules gagne sur tous les tableaux : elle reste cheffe de son entreprise, tandis que son compagnon fait amende honorable pour l’avoir trompée et lui réitère tout son soutien. Mais cette victoire n’est acquise que grâce à l’aide précieuse de Papa De Niro. Et reste aussi que décidément, ce « féminisme »-là, pour ce qu’il vaut, ne s’adresse qu’à une minorité de privilégiées.

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Illustrations : Madeleine Sassi

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6 réponses à Le Nouveau Stagiaire (2015): le patriarcat ne se fait jamais trop vieux.

  1. il est montré comme totalement impuissant et dominé par une femme qui le harcèle et l’embrasse de force.

    …sans avoir vu le film (j’dois dire que vous donnez très très envie de le voir et revoir entre ami-es!!), ne serait-ce pas là encore une manifestation du violent et injuste matriarcat auquel le féminisme dévoyé de ces dernières années à réduit la gent masculine?? car il semble en effet ici que Nancy Meyers dénonce. courageusement.

    bravo pour la critique (quelle abnégation)! et pour les illustrations, elles sont trop bien 🙂

  2. Il me semble que la critique féministe du film est suffisamment pertinente, fine et intelligemment menée pour ne pas la brouiller par une critique beaucoup moins étayée de la vision pro-capitalistique ou du racisme supposés du film.

    A propos du racisme. Je ne vois pas en quoi les personnes sont « racisées » (assignées à leur couleur de peau) dans le film. Le film assigne des personnes à leur âge (au grand âge de de Niro est associé automatiquement la ponctualité, la méticulosité, la classe, la galanterie etc) ou à leur genre (à la féminité est associée les pleurs, le besoin d’aide etc ) mais pas à leur couleur de peau. On peut effectivement dire qu’il y a une sous-représentation de personnes non-blanches parmi les personnes à responsabilité et que la scène d’apprentissage de l’emballement des vêtements reproduit sans distanciation une inégalité structurelle de la société entre noirs et blancs (qui ne résulte par ailleurs pas forcément uniquement d’un « racisme »). Mais on ne peut pas parler de « racisation ». Le racisme assigne des caractéristiques essentialisées à la couleur de peau. Le film ne fait que montrer sans distanciation et de manière malheureusement fidèle les inégalités entre noirs et blancs au travail. Il est tout à fait possible de le critiquer mais il ne faut pas tout mélanger au risque que ce soit la critique plus que le film qui assigne les personnes à leur couleur de peau.

    A propos du capitalisme. Il me semble que la critique de la vision pro-capitalistique du film dessert la critique féministe : un féminisme pro-capitaliste peut tout à fait être jugé insuffisant mais le discréditer au nom de partis pris idéologiques (le capitalisme est une exploitation des travailleurs) donc contestables (on peut considérer que le travail n’est pas qu’une exploitation mais peut faire partie de l’identité d’un homme qui peut se retrouver déboussolé à la retraite) affaiblit la portée beaucoup plus générale de la critique féministe.

    • *emballage des vêtements bien entendu 😉

    • Bonjour,
      merci pour votre commentaire, qui m’a permis de réfléchir et de mettre en forme certaines idées pour vous répondre. J’ai l’impression qu’à la source de vos remarques, il y a peut-être deux choses : d’une part, une méprise sur la signification et l’emploi que je fais du terme « racisé », d’autre part une vision d’un féminisme qui serait cloisonné par rapport aux autres luttes, ce contre quoi je me positionne dans mon article, mais de manière très implicite en effet.

      A propos du racisme. Je ne vois pas en quoi les personnes sont « racisées » (assignées à leur couleur de peau) dans le film. Le film assigne des personnes à leur âge (au grand âge de de Niro est associé automatiquement la ponctualité, la méticulosité, la classe, la galanterie etc) ou à leur genre (à la féminité est associée les pleurs, le besoin d’aide etc ) mais pas à leur couleur de peau.

      Votre formulation est peut-être un raccourci, donc je préfère reformuler les choses pour être sûre de comprendre votre propos ici : vous écrivez « le film assigne des personnes à leur âge ou à leur genre », et entre parenthèse vous citez la liste des stéréotypes associés à un genre ou à un âge donné. Par « assigner », personnellement, j’entends donner une caractéristique ou un statut de manière fixe à une personne (et non pas assigner une personne à une caractéristique). Par exemple, on assigne le genre d’une personne à la naissance, et elle est censée le garder tout au long de sa vie.

      Du coup, je ne suis pas sûre que l’on puisse dire que l’on assigne des personnes à leur genre (je vois plutôt la formulation inverse utilisée). Et même en renversant la formule, j’ai du mal à concevoir comment on peut assigner un âge à une personne (à moins de lui imposer un âge de manière forcée, mais qui serait erroné?). Du coup, j’ai l’impression que peut-être, ce que vous voulez dire, c’est que le film assigne des caractéristiques genrées et stéréotypées aux personnages (et liées à l’âge, avec un certain nombre qui recoupent souvent la question du genre j’ai l’impression), ou encore que les personnes sont réduites à leur âge et à leur genre ? (proposition dans ce cas discutable ama).

      On peut effectivement dire qu’il y a une sous-représentation de personnes non-blanches parmi les personnes à responsabilité et que la scène d’apprentissage de l’emballement des vêtements reproduit sans distanciation une inégalité structurelle de la société entre noirs et blancs (qui ne résulte par ailleurs pas forcément uniquement d’un « racisme »).

      C’est-à-dire, « qui ne résulte par ailleurs pas forcément uniquement d’un « racisme » » ? Le racisme est par définition une hiérarchisation au sein de la société, et créateur d’inégalités structurelles. Dans la « réalité », les inégalités en terme d’emploi, de revenus et d’accès à certains postes plutôt que d’autres entre blanc-he-s et racisé-e-s sont les manifestations concrètes du racisme de notre société.

      Mais on ne peut pas parler de « racisation ». Le racisme assigne des caractéristiques essentialisées à la couleur de peau. Le film ne fait que montrer sans distanciation et de manière malheureusement fidèle les inégalités entre noirs et blancs au travail. Il est tout à fait possible de le critiquer mais il ne faut pas tout mélanger au risque que ce soit la critique plus que le film qui assigne les personnes à leur couleur de peau.

      Sauf que le film n’est pas créé hors de la société (d’autant plus qu’il traite d’une histoire dans le monde contemporain sur un mode réaliste), les acteurices blancs et racisés ne sont pas hors de la société et les personnes qui regardent ce film ne pas non plus hors de la société.
      Pour préciser mon propos :
      1) s’il y a du racisme dans notre société, qui « assigne des caractéristiques essentialisées à la couleur de peau » (et pas qu’à travers la couleur de peau au passage : noms, autres caractéristiques physiques tels que les cheveux, ports de certains vêtements, etc),
      2) que l’on nomme « personnes racisées » les personnes subissant ce racisme (aussi appelées personnes non-blanches)
      3) que l’on retrouve ces personnes dans le film en tant qu’acteurices et que personnages,
      4) et qu’enfin le film
      4.a) les invisibilise (pas de personnages principaux ou secondaires)
      4.b) les assigne à des postes subalternes et les invisibilise dans les postes à responsabilité au sein de l’entreprise,

      Alors on peut tirer la conclusion que le film reproduit, au moins passivement, des représentations réductrices qui s’expliquent par le racisme institutionnel au sein de l’industrie du cinéma, des media et de la société en général.

      Il me semble que la critique de la vision pro-capitalistique du film dessert la critique féministe : un féminisme pro-capitaliste peut tout à fait être jugé insuffisant mais le discréditer au nom de partis pris idéologiques (le capitalisme est une exploitation des travailleurs) donc contestables (on peut considérer que le travail n’est pas qu’une exploitation mais peut faire partie de l’identité d’un homme qui peut se retrouver déboussolé à la retraite) affaiblit la portée beaucoup plus générale de la critique féministe.

      Certains attaquent le féminisme avec le même type d’argument que vous utilisez pour attaquer l’anticapitalisme : sous-prétexte qu’il s’agit de « partis pris idéologiques », « donc contestables ». Du coup, sans rentrer un petit peu dans le coeur du débat sur le capitalisme, j’ai l’impression qu’il est difficile de répondre complètement à ce reproche (une autre personne pourrait attaquer cet article pour sa critique féministe, sous prétexte qu’elle base sur le « parti pris idéologique » qu’il existe un système de hiérarchisation entre les femmes et les hommes que l’on appelle le genre). Or, il y a des arguments précis et des exemples concrets pour considérer que le capitalisme est un système qui exploite les travailleurs (salariés), comme il y en a pour considérer le sexisme comme un système qui discrimine et exploite les femmes.

      Pour développer un peu dessus, si par « exploiter », on entend « tirer abusivement du profit de », alors le capitalisme est une exploitation des travailleurs si on admet, selon l’analyse de Marx, que le capital est créé par l’appropriation du travail gratuit des travailleurs salariés par les capitalistes (c’est-à-dire que les travailleurs travaillent plus de temps qu’il n’est nécessaire pour produire leur salaire, ils produisent ainsi un surplus de valeur, une « plus-value » récupérée pour rien par le capitaliste).

      on peut considérer que le travail n’est pas qu’une exploitation mais peut faire partie de l’identité d’un homme qui peut se retrouver déboussolé à la retraite

      Oui, parce que dans ce cas, j’ai l’impression que vous ne faites pas référence au travail comme « travail salarié au sein d’un système capitaliste », mais au travail comme activité (et créateur de valeur), qui existe indépendamment du système capitaliste, et que l’on peut considérer comme source d’intérêt, de satisfaction et de sentiment d’accomplissement par les êtres humains. Cela étant dit, le capitalisme n’a pas été pour rien dans le développement de l’idée que le travail « fait partie de l’identité d’un homme » pour justifier la nécessité que tout le monde ait un travail (salarié). Au XVIIIe/XIXe siècle en Angleterre par exemple, pendant la phase de développement du capitalisme et de ses effets dans les campagnes, il était illégal de « vagabonder », c’est-à-dire d’être sans travail salarié (alors que les personnes sans travail se retrouvaient dans cette situation parce qu’ayant été expropriées de leur terre, licenciées par leur ancien employeur, etc, bref : elles se retrouvaient sans travail du fait même du développement et du fonctionnement du capitalisme, qui crée d’ailleurs structurellement une masse de personnes au chômage, et cela lui est utile).

      Bref, du coup, pour finir le raisonnement : si on considère que le féminisme a pour but la fin de l’exploitation et de la domination de toutes les femmes au sein de la société, alors un féminisme qui ne s’occuperait que des femmes blanches et cheffes d’entreprise ne concernerait qu’une minorité de femmes. Etant donné que racisme, capitalisme et hétérosexisme fonctionnent de manière interconnectée (il faudrait parler de comment le capitalisme s’est appuyé sur le racisme et le sexisme au cours de son développement), je ne pense pas qu’une critique antiraciste ou anticapitaliste affaiblisse la portée d’une critique féministe quelconque, mais plutôt qu’elle l’enrichit.

      • Merci pour votre réponse.

        1) Vous avez parfaitement raison, ma formulation était floue. Je voulais effectivement dire que « le film assigne des caractéristiques genrées et stéréotypées aux personnages ».

        2) Je voulais simplement dire que si bien évidemment l’inégalité présentée (des femmes noires en bas de la hiérarchie de l’entreprise) est une manifestation concrète du racisme, elle ne s’y réduit pas : elle peut avoir d’autres causes et d’autres dimensions. Mais c’est assez secondaire.

        3) Votre enchainement me parait effectivement plus clair et me convainc davantage. Ma conclusion serait plutôt « le film reproduit, au moins au plus passivement, des représentations une réalité réductrice. Cette reproduction s’explique par le racisme institutionnel au sein de l’industrie du cinéma, des media et de la société en général ». Le film montre (malheureusement) davantage la réalité des conditions de travail des femmes noires que les représentations qui leurs sont associées.
        Mais la question centrale tourne autour de ce « passivement ». Il me semble que montrer de manière générale et passive des inégalités ethno-raciales n’est pas une « racisation » qui est quelque chose de plus spécifique que cela. J’entends bien que, ni le film, ni les spectateurs, ne sont hors de la société et que l’accumulation de stéréotypes et de préjugés envers les non-blancs peut justifier qu’on les qualifie de « racisés ». Mais il me semble qu’il faut garder à l’esprit que ce concept de racisation n’est pas vraiment opérant dans l’absolu. Il n’est utile que lorsqu’il qualifie l’attribution active et spécifique d’une caractéristique essentialisée à une personne en raison de sa couleur de peau (ou son nom, son physique etc, vous avez raison). Donc à mon sens, montrer passivement et de façon générale (en arrière-plan du film) une inégalité ethno-raciale ne relève pas tout à fait de la même logique qu’assigner de manière active et spécifique une caractéristique essentialisée, même si vous avez tout à fait raison de le condamner. Ce qui me fait dire que le film (comme beaucoup d’autres) montre passivement des structures racistes sans être activement raciste.
        Décrypter cette reproduction passive de structures racistes de nos sociétés sous l’apparente neutralité des films est très utile et c’est tout l’intérêt de ce site et de votre démarche. Mais il me semble qu’il faut prendre garde à ne pas passer trop vite d’une dénonciation de cette reproduction passive à la dénonciation d’une « racisation ». Le risque est de ne voir le film qu’au prisme d’une lecture ethno-raciale, faire de ce qui est secondaire dans le film un enjeu central, et donc finalement faire quasiment soi-même le processus d’assignation (réduire les travailleuses de cette scène à leur appartenance ethno-raciale). Bien entendu une critique doit mettre au jour les représentations sous-jacentes d’un film et donc doit montrer explicitement et activement ce qui est implicite et passif dans le film. Mais cette critique comporte un risque d’être excessive lorsqu’elle interprète beaucoup à partir de peu d’éléments. Autrement dit, critiquer les représentations de la femme qui sont au coeur du film me parait bienvenu, critiquer, au delà de la reproduction passive de structures ethno-raciales de la société (présentes malheureusement dans la majorité des films), un « racisme » du film me parait un peu excessif. Il y a donc un équilibre à trouver. Vous parvenez d’ailleurs globalement à cet équilibre : l’analyse du racisme est assez courte dans votre propos. Je voulais simplement souligner ce qui est à mon sens un risque inhérent à votre démarche.

        4) Je vous rejoins sur l’idée qu’on peut se mettre d’accord, au delà de toute idéologie, sur un constat marxien d’exploitation ainsi que sur le rôle du capitalisme dans cette idée que le travail fait partie de l’identité d’un homme. Effectivement il ne faut pas que le féminisme ne s’occupe que des femmes blanches et chefs d’entreprises. Mais votre titre « un féministe pro-capitaliste » sous-entend que c’est un féminisme limité et par là tend à le discréditer totalement. On peut bien entendu dire que ce féminisme là ne va pas au bout de toutes les logiques de contestation des dominations dans la société. Mais il est aussi un progrès par rapport à la situation antérieure, et ce film, au-delà de toutes les critiques justifiées que vous lui faites, représente aussi ce progrès. Donc bien entendu une critique anti-capitaliste peut enrichir une critique féministe, mais critiquer trop violemment un féminisme au motif qu’il est pro-capitaliste ne doit pas masquer les progrès qu’il représente.

        • « Il me semble que montrer de manière générale et passive des inégalités ethno-raciales n’est pas une « racisation »  »

          Oui c’en est une, car être passive ou neutre lors d’une oppression c’est être du côté de l’oppresseur.

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