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Sleeping with the Enemy (1991) : le cauchemar de Pretty Woman

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Dans un article intitulé “Sleeping with the Enemy as Pretty Woman, Part II? Or what happened after the princess woke up”[1], la chercheuse féministe Jane Caputi proposait de lire le film Sleeping with the Enemy (1991) comme une suite cauchemardesque de Pretty Woman, sorti un an plus tôt. La présence en tête d’affiche de l’actrice Julia Roberts, la révélation de Pretty Woman, était presque déjà une invitation à faire ce rapprochement.

Cette perspective semble d’autant plus légitime que Sleeping with the Enemy commence là où Pretty Woman finit, et où finissent d’ailleurs la plupart des comédies romantiques : par le mariage de l’héroïne avec l’homme de ses rêves. Ce n’est évidemment pas juste par convention scénaristique que l’immense majorité des films romantiques finissent ainsi. L’idée qui sous-tend ce genre de conclusion est que le mariage est un aboutissement après lequel il ne se passe plus rien, à part une vie faite de bonheur et d’amour pur, comme le résume le traditionnel « happily ever after » qui conclut tant de contes de fée (et dont l’équivalent français est le fameux « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants »).

Or, derrière ce discours qui idéalise l’Amour et le mariage, la réalité est beaucoup moins rose, surtout pour les femmes. De nombreuses féministes ont déjà bien montré le rôle que joue ce genre de discours dans la consolidation de l’hétéro-patriarcat, c’est-à-dire concrètement sur le pouvoir que les hommes exercent sur les femmes. Le mariage (et plus largement toute relation de couple qui en reprend les principes) institutionnalise différents rapports de pouvoir où l’homme est toujours gagnant (par exemple : l’inégale répartition des tâches domestiques, qui n’est rien moins qu’une exploitation des femmes par leurs maris, puisque celle-ci accomplissent gratuitement un travail qui n’est ni valorisé, ni rémunéré ; ou encore l’appropriation du corps des femmes, dont les viols et meurtres conjugaux ne sont que l’expression la plus extrême)[2].

C’est de cette réalité dont parle Sleeping with the Enemy, comme l’indique son titre on ne peut plus éloquent (traduit en français par « Les Nuits avec mon ennemi »). Alors que Pretty Woman se terminait sur la réalisation du fantasme de Vivian la prostituée (qui rêvait depuis toujours de « vivre le conte de fée » en  étant sauvée de sa condition par un chevalier héroïque), Sleeping with the Enemy commence lorsque la princesse se réveille de son rêve pour se rendre compte que derrière ces belles histoires se cache quelque chose de beaucoup moins idyllique, et même de franchement cauchemardesque.

Film assez  peu connu, Sleeping with the Enemy mérite à mon avis de l’être, car il constitue un parfait antidote à ce poison qu’est Pretty Woman

Et elle vécue malheureuse et eut beaucoup d’emmerdes : une démystification de Pretty Woman 

Dans son article sur Sleeping with the Enemy, Jane Caputi dit s’inspirer des travaux d’une certaine Sonja Peterson-Lewis ayant étudié les comportements de maris violents :

« Celle-ci montre que, dans beaucoup de cas, les mêmes comportements qui ont attiré la femme dans la première phase de la relation sont intimement liés aux comportements ouvertement abusifs qui caractérisent la deuxième phase de la relation, lorsque les amants sont engagés l’un envers l’autre. De tels comportements incluent, par exemple, la jalousie (qui, au début, fait que la femme se sent spéciale et objet d’attention, mais qui catalyse ensuite la violence physique du mari) ; l’attention particulière que l’homme porte aux vêtements et aux particularités de comportement de celle qu’il aime (qui se manifeste plus tard sous une forme obsessionnelle dans le besoin de contrôler tous les aspects de son apparence) ; le fait que l’homme ait un rôle de « protecteur », prêt à user de la violence contre les autres (signe qu’il pourra être porté à tourner cette violence contre elle), et la femme un rôle de « protégée » (le conduisant plus tard à réclamer d’elle une éternelle gratitude). »[3]

Cette remarque est particulièrement intéressante dans sa manière d’attirer l’attention sur ce que renferment « en puissance » les comportements masculins communément érotisés (notamment dans les films). Lorsqu’on réfléchit à ces « qualités » masculines qui sont souvent présentées aux femmes comme désirables, on s’aperçoit en effet qu’elles sont très souvent des qualités de dominants. En invitant les femmes à être attirées par de tels comportements, les films ou autres discours qui véhiculent ce genre de représentations érotisent donc clairement un rapport de domination. Et cela marche évidemment dans les deux sens : de la même manière que les femmes sont invitées à désirer des hommes dominateurs, les hommes sont aussi invités à désirer des femmes soumises et faibles (ou en situation de faiblesse).

Pour Jane Caputi, Sleeping with the Enemy est un film particulièrement intéressant dans sa manière de démystifier ce genre de représentations, dont Pretty Woman est un condensé particulièrement réussi. Elle montre ainsi en quoi les comportements d’Edward (Richard Gere) érotisés dans Pretty Woman correspondent chez le Martin de Sleeping with the Enemy à des comportements de mari violent. Les liens sont d’autant plus faciles à faire que le second film semble souvent faire directement allusion à des détails ou des motifs célèbres du premier.

Un de ces clins d’œil les plus symboliques est le fait que, comme Edward, Martin appelle le personnage incarné par Julia Roberts « princesse ». Alors que dans le premier film, ce surnom participait du fantasme romantique de l’héroïne qui rêvait depuis toute petite qu’elle était une princesse qu’un courageux chevalier viendrait sauver de sa prison, il devient dans le second un moyen de mettre en évidence l’oppression qui se cache derrière ces rêves dont la société patriarcale abreuve les femmes depuis leur plus jeune âge. Quand la princesse se réveille de son rêve, le château est devenu prison, et le prince charmant un homme qui la terrorise, la frappe et la viole.

Contrôle de l’apparence 

Un des parallèles les plus évidents entre les deux films concerne l’attitude des deux hommes vis-à-vis de l’apparence de leur femme. La scène la plus célèbre de Pretty Woman est sous aucun doute celle où Edward amène Vivian faire du shopping sur Rodeo Drive. On le voit alors donner son approbation ou son veto devant les tenues qu’essaye sa protégée, ce qui apparaît tout à fait louable dans le cadre du film puisque la prostituée est posée comme totalement ignorante du bon goût (cf. l’article consacré à Pretty Woman sur ce site). Le même scénario se reproduit lorsqu’Edward loue pour elle un collier au prix indécent. A chaque fois, la mise en scène est organisée autour du regard masculin (« male gaze »[4]) : on voit Edward regarder Vivian et Vivian se donner à Edward comme un objet de contemplation (soit dans le même plan, soit grâce à un champ/contrechamp). Toutes scènes sont présentées comme absolument jouissives pour le personnage féminin, ravie qu’un homme s’occupe ainsi de son apparence en l’aidant à devenir encore plus désirable.

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Sleeping with the Enemy reprend le même dispositif en rendant visible le rapport de domination qui le traverse. Comme Edward, Martin dit à sa femme comment elle doit s’habiller et lui offre les robes qu’il désire la voir porter. Mais loin d’être montré comme quelque chose de charmant et d’attentionné, ce comportement est au contraire présenté ici comme opprimant. La première fois où Martin impose ainsi ses désirs à Laura est mise en scène d’une manière très suggestive. On voit d’abord Laura se préparer, seule, devant le miroir de sa chambre, puis Martin surgir subitement dans le miroir pour l’observer et finalement guider son choix de robe. L’homme est ainsi explicitement posé par la mise en scène comme celui qui contrôle les apparences de sa femme. Celle-ci ne peut pas être à la fois sujet du regard qu’elle porte sur elle-même, sujet de sa propre apparence, mais est au contraire mise de force dans la position d’objet du regard masculin.

pretty02Le maître de l’apparence

La manière dont le film montre l’emprise que Martin a sur sa femme est assez subtile. On ne le voit pas lui donner explicitement un ordre de manière autoritaire. Au contraire, il se contente de lui faire une suggestion, enrobée d’un compliment (« C’est une jolie robe, mais je n’aurais pas pensé à celle-là… »). Laura semble émettre des réserves par rapport à la robe noire que lui suggère Martin (« C’est un dos nu, et il risque de faire froid ce soir »), mais celui-ci lui répond avec un petit sourire qui semble dire : « cela ne t’empêchera pas de la porter puisque tel est mon désir ». Et effectivement, le plan suivant nous montre le dos dénudé de Laura qui a manifestement cédé à la requête de son mari.

pretty03Propriété privée

Par cette manière qu’il a de poser sa main sur le dos de Laura, Martin la désigne comme sa propriété. Elle n’est qu’une poupée qu’il habille à sa guise pour l’emmener dans des soirées mondaines où son seul rôle est de faire joli. Edward faisait la même chose avec Vivian dans Pretty Woman, et cela donnait lieu à une scène à la fois comique et émouvante (celle du rendez-vous d’affaire au restaurant avec les Morse). Rien de tout cela ici : Laura n’a pas envie d’y aller à cette réception et s’y ennuie profondément, comme en témoigne le moment où elle demande à Martin s’ils peuvent rentrer (« J’ai été sociable assez longtemps ? »).

La deuxième scène qui tourne autour du contrôle qu’exerce Martin sur l’apparence de sa femme va encore plus loin. La violence qui sous-tend le comportement du mari y est beaucoup plus palpable, notamment parce qu’on vient de le voir frapper violemment Laura par jalousie dans la scène précédente. Martin offre alors une nuisette à sa femme pour se faire pardonner, et s’empresse de la déshabiller pour lui faire essayer. Comme le pressent manifestement  Laura, cet essayage se conclura par un viol conjugal.

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En montrant ainsi le viol comme la continuité du contrôle qu’exerce Martin sur l’apparence de Laura, le film met en évidence le fait que c’est le même rapport de domination qui s’exerce dans les deux cas. A chaque fois, l’homme s’approprie le corps de sa femme en lui imposant ses désirs. Celle-ci n’est pas considérée comme un sujet, mais comme un objet que dont on peut disposer à guise.

Sexualité patriarcale

 Les scènes de sexes sont elles aussi une démystification de celles que l’on peut voir dans Pretty Woman. La première scène de sexe entre Vivian et Edward a lieu dans la chambre d’hôtel. Vivian est en train de manger des fraises sur la moquette en regardant la télé, pendant qu’Edward passe des coups de téléphone pour son travail (comme il le fait pendant la quasi-totalité du film, homme si important qu’il est).

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L’ambiance créée par la mise en scène n’est pas du tout glauque, mais au contraire assez sympathique, notamment parce que Vivian s’amuse comme une folle devant son émission.  Lorsqu’il en a fini avec son travail, Edward s’assoit sur le fauteuil à côté d’elle pour la regarder s’amuser. Vivian s’approche alors de lui, se déshabille, et lui fait une fellation.

Certes, cette scène n’est pas présentée comme un moment romantique mais au contraire comme une relation purement sexuelle (les seules paroles qu’ils échangent consistent à se dire qu’ils ne s’embrasseront pas sur la bouche). Néanmoins, ce moment de sexe n’est absolument pas montré sous un jour défavorable, au contraire. Or ce qui se joue ici est pourtant loin d’être innocent. Des rapports de domination traversent cette première relation sexuelle entre Edward et Vivian, mais le film prend bien soin de ne pas les montrer comme problématiques.

Déjà, alors qu’il s’agit d’un rapport sexuel tarifé entre un client et une prostituée, donc d’un rapport où une femme se soumet aux désirs d’un homme contre de l’argent, le film nous montre Edward dans une position passive, presque surpris par ce qui lui arrive. Vivian prend en effet toutes les initiatives, à un point où on a presque parfois l’impression que c’est plus elle que lui qui a envie de cette fellation.

De surcroît, la mise en scène qui précède l’acte érotise le rapport de pouvoir qui existe entre Edward et Vivian. La prostituée est en effet clairement infantilisée (elle est assise par terre, mange des fruits et rigole devant une émission comique) tandis qu’Edward la regarde d’un air attendri après avoir fini son travail, comme un père regarderait sa fille. La différence d’âge entre les deux acteurs (de presque 20 ans d’écart) ainsi que les inégalités de capital culturel et économique qui caractérisent les deux personnages vont dans le même sens.

A l’exact opposé, Sleeping with the Enemy met en évidence ce rapport de domination que Pretty Woman invisibilise. La première scène de sexe a lieu au retour de la réception pour laquelle Martin a obligé Laura à porter la robe qu’il désirait. Alors que Laura est en train de sortir des fraises du frigo (clin d’œil à Pretty Woman qui montrait Julia Robert grignoter des fraises devant la télé), Martin surgit alors par derrière et se saisit de Laura sans lui demander son avis.

pretty09pretty10pretty11Prendre femme

Comme à chaque fois qu’il veut ainsi « prendre sa femme », Martin a auparavant mis le disque de la Symphonie Fantastique de Berlioz.  En plus de donner une tonalité oppressante à la scène, ce geste symbolise également la position de pouvoir de Martin, qui est le véritable chef d’orchestre de l’acte sexuel[5]. On le voit ainsi poser Laura sur la table, lui enlever sa culotte et la tirer vers lui par les pieds. Après l’avoir transportée dans la pièce, il la prend contre le mur. Et on voit bien à son visage que Laura ne prend aucun plaisir à se faire pénétrer si violemment.

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Le film présente ainsi clairement cet acte sexuel pour ce qu’il est : un viol conjugal. Et ce dernier n’est absolument jamais érotisé. L’ambiance est on ne peut plus glauque, et le film nous place du point de vue de Laura, qui manifeste sa souffrance dès que Martin ne la regarde pas. Le schéma sera exactement le même dans la deuxième scène de viol, dans laquelle Martin apparaîtra clairement comme étant conscient de la violence qu’il exerce sur sa femme en lui imposant un rapport sexuel qu’elle ne désire pas. En effet, le matin, elle avait manifesté une réticence devant ce qu’elle croyait être une invitation au coït (« Il n’est pas un peu trop tôt pour cela »). Martin reprendra ses mots le soir avant de la violer en lui disant : « Il n’est pas trop tôt pour cela ? ». Par cette réplique, le film montre que Martin a conscience d’imposer à sa femme un rapport sexuel non-consenti. Et il semble même que Martin prenne un plaisir à forcer ainsi sa partenaire, comme en témoigne son petit sourire lorsqu’il prononce cette phrase.

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Il est à mon avis particulièrement intéressant de comparer cette scène à la deuxième scène de sexe de Pretty Woman, puisque le même rapport de pouvoir (qui permet à l’homme de forcer la femme à un rapport sexuel qu’elle ne désire pas) y est clairement érotisé. Il s’agit de la scène qui a lieu dans la salle de concert l’hôtel. Lorsque Vivian arrive, Edward est en train de jouer un morceau de piano avec virtuosité. Là encore, l’homme est le chef d’orchestre, le Maître, mais dans Pretty Woman, cela est censé le rendre désirable. Lorsque Vivian vient vers lui, Edward demande aux gens présents de quitter la pièce, et ceux-ci exécutent immédiatement, ce qui semble exciter Vivian qui lui demande « les gens font toujours ce que tu leur dis ? ». Edward ne lui répond pas, mais la prend dans ses mains puis la baise sur le piano, en silence. Toute cette scène, qui est conçue comme le sommet romantique du film, repose donc sur l’érotisation du pouvoir d’Edward, sur sa capacité à imposer sa volonté à autrui, et donc entre autre à sa partenaire sexuelle.

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Outre cette érotisation du rapport de domination (qui participe à ce que des féministes appellent la « culture du viol »), les scènes de sexe de Pretty Woman ont un autre point commun : elles sont très clairement phallocentrées. La première consiste en une fellation et la deuxième semble s’orienter vers une pénétration des plus classiques en position du missionnaire, avec bien sûr l’homme dessus et la femme en dessous. Ce genre de sexualité qui tourne avant tout autour de l’homme et de son plaisir n’est pas du tout présenté comme problématique par le film. Pretty Woman reconduit ainsi la représentation dominante de la sexualité sous le patriarcat, à savoir une sexualité hétérosexuelle et phallocentrée qui ignore totalement le plaisir féminin[6].

Or Sleeping with the Enemy pointe précisément cette sexualité comme problématique. Les deux scènes de sexe entre Martin et Laura consistent en une pénétration vaginale à laquelle la femme ne prend très visiblement aucun plaisir. Contrairement aux films (avec le porno en tête) qui montrent les femmes jouir dès qu’un homme les pénètre (voire les effleurent), Sleeping with the Enemy  s’attarde par des gros plans sur l’absence de plaisir que Laura retire de cette sexualité patriarcale.

Un autre mérite de Sleeping with the Enemy à ce niveau est de montrer la violence conjugale là où elle est habituellement niée : dans les classes supérieures et blanches. Cette immense entreprise d’invisibilisation est particulièrement flagrante en France. En effet, aujourd’hui comme hier, « les violences sont attribuées par les milieux dominants aux classes populaires et exclusivement à elles, à ceci près que les classes populaires sont aujourd’hui perçues à travers les personnes issues de l’immigration et que le classisme s’est teinté de racisme ». « Les médias, si prompts à l’indignation lorsque les violences sont situées dans les quartiers populaires ou les milieux pauvres (voir les débats sur les « tournantes »), se font silencieux ou fait preuve d’un remarquable esprit de corps lorsque riches ou puissants sont en cause » (cf. les affaires Cantat, Polanski ou DSK[7]). « Dans le même temps, l’appareil judiciaire qui ne condamne que rarement les auteurs de violence, condamne d’abord, voire uniquement, les hommes pauvres et racisés »[8]. On retrouve ce genre de tendance au cinéma, et encore aujourd’hui (voir par exemple le récent et tristement fameux Killer Joe), mais Sleeping with the Enemy évite cet écueil classiste, en nous montrant pour une fois la violence conjugale là où elle est si souvent niée.

 Tableau d’une oppression domestique

En plus d’érotiser le contrôle qu’exerce l’homme sur l’apparence de sa femme et sa domination pendant l’acte sexuel, Pretty Woman valorisait également le tempérament jaloux d’Edward. Alors qu’elle veut le quitter parce qu’il a dit à son avocat qu’elle était une prostituée, Vivian se ravise quand elle apprend qu’il était alors sous l’emprise de la jalousie (il venait de la voir discuter avec un autre homme). Au lieu de voir là une raison supplémentaire de partir, Vivian semble voir dans la jalousie d’Edward quelque chose d’attirant (ou du moins de pardonnable), sûrement parce que cette attitude est censée être une preuve d’amour. Pour Pretty Woman, l’homme attirant pour une femme est donc celui qui veut faire d’elle sa propriété exclusive et qui ne supporte pas qu’elle fréquente d’autres hommes (voire même leur adresse la parole). Sleeping with the Enemy démystifie ce discours en montrant Martin frapper violemment Laura parce qu’il la soupçonne d’avoir échangé des regards avec un autre homme par la fenêtre. Le vrai visage de cette jalousie apparaît donc : elle n’est qu’une volonté de possession exclusive qui ne considère la femme que comme un objet, sans désir propre.

De la même manière, Martin tente clairement de maintenir son emprise sur Laura en limitant au maximum ses contacts avec l’extérieur (il refuse qu’elle travaille à temps plein à la bibliothèque et l’empêche de voir sa mère comme elle le voudrait). Il tente ainsi de l’assigner au maximum à l’intérieur du foyer en la faisant culpabiliser lorsqu’elle veut en sortir (« Ton amour pour notre foyer n’est-il pas aussi grand que celui que tu portes aux livres ? »). On le voit médiatiser les rapports avec l’extérieur pendant qu’elle reste à l’intérieur pour réaliser les tâches domestiques (faire à manger, ranger, laver, etc.). Lorsque le médecin vient les saluer en bateau, c’est lui seul qui sort pendant qu’elle le regarde par la fenêtre en préparant le repas.

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Dans Pretty Woman, Vivian s’imaginait princesse de conte de fée qu’un chevalier viendrait délivrer, et la dernière nous montre Edward réaliser ses rêves en venant la chercher dans sa limousine pour l’emmener vivre avec lui. Sleeping with the Enemy renverse ce schéma en montrant le mariage comme la véritable prison dont l’héroïne doit alors s’échapper, toute seule. On voit ainsi à plusieurs reprises Laura regarder à travers les fenêtres de la prison de verre dans laquelle elle est emprisonnée, lieu à l’écart du monde, à l’architecture froide, qui l’isole du monde et des autres.

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Loin de se contenter de l’enfermer au sein du foyer, Martin ne cesse de la tyranniser dans toutes les tâches qu’elle y accomplit. L’exemple le plus mémorable est sa manière d’exiger que tout soit toujours en ordre (les serviettes doivent être alignées dans la salle de bain, les boîtes de conserves bien rangées dans les placards de la cuisine, etc.). Or cette façon qu’à l’homme de tout contrôler n’était pas du tout montrée comme problématique dans Pretty Woman, car cela faisait partie de la caractérisation d’Edward comme un homme de pouvoir (il est un chef d’entreprise performant qui règne de main de maître sur son empire), pouvoir qui est montré comme désirable du point de vue de Vivian la prostituée fauchée qui n’a connu jusqu’ici que des « minables » selon ses propres mots.

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Dans Pretty Woman, le contrôle perpétuel qu’exerce Edward sur Vivian est tout à fait « normal », puisque lui seul sait comment elle doit se comporter de par son appartenance à la classe supérieure.  Cette manière qu’il a de toujours donner des ordres à Vivian apparaît même souvent comme bienveillante (il veut l’aider à bien paraître), voire paternelle (lorsqu’il ouvre sans prévenir la porte de la salle de bain pour vérifier que Vivian ne se drogue pas, pour son bien évidemment…).

pretty23pretty24pretty25Ne t’agites pas, souris, et tout se passera bien. Fais confiance à l’homme.

Un des techniques auxquelles recourt Pretty Woman pour blanchir Edward consiste à renvoyer tous les comportements explicitement dominateurs sur le personnage de l’avocat (celui-ci méprise Vivian parce qu’elle est une prostituée et tente de la violer). A côté, Edward apparaît certes comme un puissant, mais un puissant bienveillant, celui qui sauve la pauvre femme de la misère et la respecte toujours (sauf quand il est jaloux mais là on peut pas lui en vouloir, c’est un homme après tout…).

Sleeping with the Enemy nous montre la vérité d’Edward : il est un Martin en puissance. Mais de ça, Pretty Woman ne parle pas, et Vivian le découvrira toute seule, douloureusement, lorsqu’elle se réveillera après sa lune de miel. Les répliques que Jane Caputi met en exergue de son article synthétisent bien tout le travail de démystification opéré par Sleeping with the Enemy :

 « Et qu’arrive-t-il après qu’il a escaladé la tour et qu’il l’a sauvée ? »

Edward, dans Pretty Woman

« Elle a fini par quitter son mari. C’était un homme horrible ; il la battait. Oh, il n’avait pas toujours été comme ça. Au début il était charmant et tendre, mais tout avait changé après la lune de miel. »

Laura, dans Sleeping with the Enemy[9]

Histoire d’une émancipation féminine, ou comment la princesse se délivre toute seule

Sleeping with the Enemy ne se contente pas de démystifier le propos de Pretty Woman grâce à un portrait sans concession de l’oppression d’une femme par son mari, mais il montre aussi et surtout l’émancipation de cette femme, qui trouve le courage de quitter son mari et de recommencer une nouvelle vie loin de lui. Pour réussir à s’enfuir, Laura doit apprendre à vaincre ses peurs. Intelligemment, le film symbolise et cristallise toutes les craintes de Laura par la peur qu’elle a de l’eau. On la voit ainsi plusieurs fois regarder l’océan qui s’étend devant sa prison, elle qui ne sait pas nager.

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Son plan d’évasion est simple : se faire passer pour morte en tombant à la mer lors d’une virée en bateau avec son mari. On apprend en effet que celui-ci la force régulièrement à l’accompagner au large alors qu’elle n’en a pas envie. La scène où elle met son plan à l’œuvre est ainsi d’autant plus jouissive qu’elle intervient à un moment où Martin use de manière particulièrement arbitraire de son pouvoir (sur un mode « je te mets en danger parce que je le veux »).

Pour pouvoir s’échapper, Laura doit donc apprendre à nager en secret, sans le dire à son mari, pour que celui soit persuadé qu’elle n’a pas survécu et ne cherche pas à la retrouver. On la voit ainsi prendre des cours de natation pour vaincre sa peur, encouragée par d’autres femmes. Si le passage est très bref, il est à mon avis important car c’est le seul moment où l’on voit qu’une solidarité féminine a été absolument essentielle dans l’émancipation de Laura[10].

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Je trouve cette métaphore de la peur de l’eau plutôt bien trouvée, car elle fait écho à des techniques de domination classiquement utilisées par les hommes pour garder les femmes sous leur domination : (1) monopoliser les compétences et les savoir-faire et (2) empêcher les femmes d’avoir confiance en elles. Laura doit lutter contre tout cela pour conquérir son indépendance, elle doit apprendre à maîtriser une technique (nager) et à avoir assez confiance en elle pour affronter seule ce qui l’attend (ne plus avoir peur de l’eau). Symboliquement, elle se rebaptisera Sara Waters lorsqu’elle recommencera une nouvelle vie en Iowa.

Pour pouvoir quitter son mari, Laura doit non seulement en être capable, mais elle doit en plus se sentir légitime de le faire. Le film indique au détour d’une réplique à quel point cela est loin d’aller de soi. Il s’agit du passage où l’héroïne discute avec une passagère du bus qui l’emmène loin de Martin. Significativement, elle commence par parler d’elle à la troisième personne (« j’allais rendre visite à une amie qui a quitté son mari parce qu’il la battait »). Peut-être cherche-t-elle par là à rester incognito, pour ne laisser aucun indice pouvant permettre à Martin de savoir qu’elle est encore en vie. Mais le film nous indique quelques secondes plus tard que ce n’est sûrement pas la seule raison. En effet, Laura semble avoir honte de quitter ainsi son mari. Lorsque la passagère lui dit de cette amie imaginaire qu’elle est « une fille courageuse », elle lui répond au contraire qu’elle « pense être lâche ».

Cette auto-stigmatisation de l’héroïne qui se trouve lâche parce qu’elle n’a pas eu le courage de rester avec son mari est un effet de l’idéologie patriarcale qui pèse sur les femmes, et selon laquelle celles-ci doivent se dévouer à leur mari corps et âme. Une femme battue que l’on voit témoigner dans le documentaire La domination masculine de Patric Jean explique par exemple être restée avec son mari en se disant qu’elle allait « s’y habituer », réussir à « le changer », à « faire évoluer les choses », avant de se rendre compte que cet homme était en train de la détruire. Cette tendance à l’abnégation par laquelle les femmes en viennent à supporter l’insupportable n’a rien d’inné ou de naturel, elle est le produit de l’éducation des filles dans notre société, éducation à laquelle participent entre autres les films, dessins-animés, clips[11], etc. Un des exemples les plus célèbres est sûrement La Belle et la Bête de Walt Disney, qui nous raconte l’histoire d’une femme séquestrée par un homme violent, mais qui finit par transformer ce monstre en prince charmant à force de patience, d’amour et de compréhension. Pretty Woman reprend ce genre de schéma en nous montrant Edward comme un homme ayant des « problèmes émotionnels » (notamment à cause de son père), que Vivian va sauver en lui apportant de l’amour. Lorsqu’il est venu la sauver de sa condition de prostituée tel un chevalier héroïque et demande à Vivian qu’elle est la suite de l’histoire (« Que se passe-t-il après ? Il escalade la tour pour la sauver… »), elle lui répond : « Elle le sauve en retour ». Sleeping with the Enemy montre une conséquence possible de cette apologie de la dévotion féminine : la honte pour une femme battue de ne pas avoir le « courage » de rester, et de faillir ainsi à ce qu’on lui répète être son devoir de femme.

Mais ces obstacles à son empowerment ne sont pas les seuls que Laura à affronter pour retrouver la liberté et le bonheur, car Martin lui-même la poursuivra jusque dans sa nouvelle vie pour la punir de l’avoir quitté. Loin d’être délirant, ce scénario correspond à une triste réalité, puisque de nombreuses femmes meurent chaque année assassinées par leur mari parce qu’elles essayaient de le quitter[12]. Les violences subies par les femmes ont ceci spécifique par rapport à celles auxquelles sont exposés les hommes qu’elles sont le plus souvent perpétrées par des proches (parents, amis, compagnons, etc.). Au contraire, « lorsqu’un homme est agressé, c’est la plupart du temps par d’autres hommes qui lui sont inconnus. La distinction est d’importance, car elle signifie que les femmes sont exposées de façon récurrente aux violences de leur agresseur et qu’il leur est difficile de s’y soustraire »[13]Sleeping with the Enemy rend bien compte de cette spécificité des violences faites aux femmes en montrant toutes les dimensions de l’emprise qu’a Martin sur sa femme.

Les scènes qui précèdent l’affrontement final entre Laura et Martin sont parmi les plus terrifiantes du film. Alors qu’elle est heureuse dans sa nouvelle vie et sa nouvelle maison, Laura est hantée par son ancien oppresseur. On la voit par exemple terrifiée à l’idée de découvrir les boîtes de conserves rigoureusement alignées lorsqu’elle ouvre son placard, comme si son « chez soi » menaçait toujours de lui devenir étranger (« J’ai peur de ne jamais retrouver le contrôle de ma vie », confiera-t-elle à Ben). De même, on la voit incapable de faire l’amour avec Ben, comme si sa sexualité était condamnée à être hantée par les viols répétés qu’elle a subis.  Par ce genre de scènes, Sleeping with the Enemy cherche sûrement à mettre en évidence les traumatismes psychologiques profonds qui résultent le plus souvent des violences conjugales subies par les femmes. Laura ne peut pas si facilement tirer une croix sur ce qu’elle a enduré et passer à autre chose. Ses anciens démons la poursuivent, et la poursuivront peut-être toujours.

Tout oppose cette nouvelle vie que Laura se construit à celle qu’elle endurait sous la domination de son mari. Après avoir été isolée du monde dans sa cage de verre bordant l’océan, Laura retrouve le contact avec les autres en déménageant dans une petite ville où semble régner un sympathique esprit de communauté. Sa maison chaleureuse est elle aussi aux antipodes du bunker de Martin à l’architecture anguleuse et aux couleurs froides. On la voit d’ailleurs la repeindre et la réaménager selon ses goûts, se réappropriant l’espace domestique qui était pour elle totalement aliénant lorsqu’elle vivait avec Martin, puisque celui-ci y régnait comme le maître des lieux.

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pretty30pretty31… à chez elle.

Laura rencontrera aussi un nouvel homme : son voisin Ben. La manière par laquelle elle entre pour la première fois en contact lui fait explicitement écho à la scène de jalousie de Martin au début du film, qui lui avait valu de se faire battre violemment. Elle l’observe en effet par la fenêtre de sa chambre alors qu’il est en train de danser et chanter dans son jardin en arrosant ses plantes. Ce moment est particulièrement jouissif car c’est la première fois que l’on voit Laura redevenir le sujet de ses désirs (plus de Martin pour la battre quand elle regarde un autre homme par la fenêtre). La mise en scène appuie d’ailleurs cette émancipation en inversant le dispositif sexiste classique où l’homme est sujet du regard et la femme objet (dont Pretty Woman est sursaturé).  Ici, c’est au contraire la femme qui est sujet du regard, et l’homme objet.

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Laura apprendra également à redevenir pleinement le sujet de son apparence (contre l’emprise de Martin qui en faisait son objet), notamment dans la scène où Ben l’emmène essayer des costumes (il est prof de théâtre à l’université). Cette scène est un clin d’œil explicite à la célèbre scène de Pretty Woman pendant laquelle Julia Roberts essaye des vêtements dans une boutique de Rodeo Drive sur la chanson « Pretty Woman » de Roy Orbison. Dans Sleeping with the Enemy, la chanson est aussi un hommage à l’actrice (« Brown Eyed Girl » de Van Morrison), mais la scène a un sens totalement différent. En effet, le plaisir retiré ici par l’héroïne dans cet essayage n’est pas du tout le plaisir de se conformer aux goûts du personnage masculin ou d’avoir accès à des vêtements au prix indécent, mais il est plutôt un plaisir de se travestir, de jouer avec son apparence. Cette scène ne se comprend pleinement que si on la met en rapport avec l’oppression que subissait Laura lorsqu’elle était avec Martin. En s’amusant à essayer des habits, l’héroïne se réapproprie une dimension de son identité qui était aliénante lorsqu’elle vivait sous l’emprise de son mari[14].

pretty34pretty35pretty36pretty37Et qui c’est le chevalier maintenant ?

Cette scène est d’autant plus importante dans le film que c’est la première où Julia Roberts redevient Julia Roberts (c’est-à-dire celle que le public attend), avec son célèbre sourire, qui connote naturel et spontanéité, alors que ses sourires n’étaient que simulés lorsqu’elle était avec Martin. L’évolution de sa coupe de cheveux va elle aussi dans le même sens, d’une manière qui prend le contrepied total de Pretty Woman. En effet, Vivian domestiquait progressivement sa longue chevelure rousse et frisée au fur et à mesure qu’elle se soumettait aux désirs d’Edward. Ses cheveux désordonnés étaient ainsi lissés ou attachés pour correspondre aux désirs de son pygmalion.

pretty38Vivian avant…

pretty39… et après

A l’inverse, Laura commence par avoir les cheveux lisses ou attachés lors qu’elle est sous la domination de Martin, pour devenir enfin la Julia Roberts « naturelle » aux cheveux roux et frisés lorsqu’elle s’émancipe et recommence une nouvelle vie.

pretty40Laura avant…

pretty41… et après

On retrouve l’usage du travestissement (jubilatoire dans la scène du théâtre) lorsque Laura va rendre visite à sa mère incognito à la maison de retraite. Avec l’aide de Ben, elle se travestit en homme, et peut ainsi échapper à Martin qui rôde dans les couloirs de l’institut.

pretty42

Ce n’est que travestie en homme que Laura est vraiment libre de ses mouvements. Peut-être que le film cherche ici à rendre sensible les privilèges dont jouissent les hommes sous le patriarcat, en montrant comment un simple changement d’identité de genre ouvre à l’héroïne des possibilités qui lui était fermées en tant que femme. Mais sans aller jusque-là, cette scène est peut-être tout simplement un pied de nez jouissif adressé à Martin, puisque Laura utilise une fausse moustache qui évoque celle de son oppresseur, incapable de la reconnaître.

Comme on l’a vu, Ben joue un rôle essentiel dans la nouvelle vie de Laura. Son métier de professeur de théâtre l’y prédispose d’ailleurs fortement : il est celui qui aide l’héroïne à s’écrire une nouvelle histoire et à se choisir une nouvelle identité (comme le symbolise son rôle de superviseur dans les deux scènes de travestissement). En plus d’être son unique confident et objet de désir, c’est aussi lui qui permet à Laura d’acquérir une indépendance financière, en lui trouvant un job à la bibliothèque de l’université. Le fait que le film donne autant de place à ce personnage masculin est assez problématique politiquement, car cela donne l’impression qu’une femme ne peut se (re)construire qu’avec un homme. D’autant plus qu’à l’omniprésence de Ben répond l’absence totale d’amies femmes aux côtés de Laura. Le seul moment de solidarité féminine est la scène dans le bus où une passagère offre une pomme à Laura, écoute son histoire et l’encourage. Si émouvante que soit cette rencontre, elle n’aura néanmoins pas de suite, et on ne verra plus jamais l’héroïne en compagnie de femmes. En ce sens, le film ne s’écarte pas des représentations patriarcales dominantes qui invisibilisent les relations d’amour et d’amitié féminines, et présentent la relation d’amour hétérosexuelle comme la condition nécessaire et suffisante de l’épanouissement d’une femme.

Finalement, ce n’est qu’en tuant Martin que Laura réussira à s’en débarrasser totalement. Le film pointe clairement ici l’incompétence (pour ne pas dire la complicité) des institutions policière et judiciaire vis-à-vis des maris violents. On apprend en effet que Laura avait déjà tenté de faire appel à la police et à un avocat avant de penser à s’échapper, mais que cela n’avait rien donné. Martin est d’ailleurs parfaitement conscient du fait que ces institutions sont de son côté lorsqu’il enjoint Laura d’appeler la police pour régler le problème. Mais celle-ci n’est plus dupe. Elle appelle alors le commissariat, mais pour signaler qu’elle vient de tuer un cambrioleur… avant de tirer sur Martin[15].

La question soulevée ici est importante, puisqu’elle est celle de la double oppression que subissent les femmes victimes de violences conjugales. Non seulement celle-ci sont victimes de violences physiques et psychologiques répétées, mais ces violences ne sont en plus que très rarement reconnues comme telles. C’est tout l’objet de l’excellent livre de Patrizia Romito, Un Silence de mortes : la violence masculine occultée, dont je recommande vivement la lecture à toute personne intéressée par le sujet.

De Martin à Ben

Comme je l’ai dit, Laura tente de refaire sa vie avec Ben, son voisin professeur de théâtre à l’université. Celui-ci se distingue clairement de Martin par sa gentillesse et par sa manière de considérer Laura comme une égale (et pas comme une chose à façonner selon ses désirs). On le voit également s’occuper d’un enfant lors de la scène de la fête foraine, ce qui fait de lui un parfait « nouveau papa » en puissance…

pretty43Ben, la promesse d’une famille

Néanmoins, le film lance quelques pistes qui rapprochent Ben de Martin. La première fois où il adresse la parole à l’héroïne, Ben vient de la surprendre en train de cueillir des pommes sur un de ses arbres pour faire une tarte. Au lieu d’être gentil avec elle, il préfère profiter de la position de pouvoir que lui confère la situation pour tenter de lui faire peur et de l’humilier. S’il viendra s’excuser juste après pour sa mauvaise blague en toquant à la porte de Laura, reste que ce premier contact l’a plus rapproché que distingué de Martin[16] (celui-ci venait d’ailleurs lui aussi s’excuser a posteriori après avoir frappé Laura). De la même manière, il insistera lourdement pour que l’héroïne lui en dise plus sur son identité, malgré les réticences de cette dernière, manifestement exaspérée par son comportement.

Dans la scène romantique au théâtre du lycée, Ben occupe la place du chef d’orchestre (comme Martin avec sa Symphonie Fantastique). C’est lui qui allume les projecteurs et fait tomber la neige sur Laura.

pretty44pretty45Laisse-toi faire, l’homme est aux commandes

Si la scène d’essayage s’oppose, par son ambiance ludique, à la tyrannie qu’exerçait Martin sur l’apparence de Laura, Ben est tout de même bien présent. Et il tente même souvent de lui mettre sur la tête des chapeaux qu’elle ne veut visiblement pas essayer. Certes, tout cela a lieu dans une ambiance décontractée où les taquineries font partie du flirt, mais reste que cette manière qu’à Ben de superviser les opérations fait tout de même signe vers le comportement de Martin.

C’est aussi dans cette scène  que Laura redevient l’objet du regard de l’homme, dans une succession de champs/contrechamps qui n’ont rien à envier à Pretty Woman :

pretty46pretty47Lâche-toi ! Et moi je me rince l’œil…

De la même manière que l’on voyait Martin mettre son disque de Berlioz avant de violer Laura, on voit Ben mettre sa cassette de Dion and the Belmonts avant de donner à cette dernière un cours de rock and roll surprise. Cette scène résonne d’autant plus avec Martin que l’on sait que celui-ci a appris à danser à sa femme lors de leur lune de miel.

pretty48pretty49Listen my sound baby !

Lors des scènes horrifiques pendant lesquelles Martin menace de surgir à tout moment dans la nouvelle maison de Laura, c’est souvent Ben qui apparaît, provoquant la peur de l’héroïne et des spectateurs/trices. Ce rouage éculé du film d’horreur qui donne à la fin du film une ambiance « slasher de série B » tend donc également rapprocher Ben de Martin en en faisant une menace (qui s’avère certes illusoire, mais tout de même).

Le film tisse ainsi par tout un ensemble de détails de ce genre un lien sous-terrain entre Martin et Ben, qui tend à faire du second un mari violent en puissance. Comme tout cela est très peu approfondi, le propos reste donc relativement ambigu (beaucoup plus que dans le livre de Nancy Price dont le film est tiré, qui suggérait de manière beaucoup plus explicite la misogynie et le potentiel violent de Ben[17]). De manière regrettable, le film ne va donc pas jusqu’à montrer  explicitement  la violence des hommes envers les femmes comme partie prenante d’un système d’oppression (le patriarcat) dont tous les hommes tirent les bénéfices et pas seulement une poignée de « malades » ou d’individus particulièrement violents[18].

Au contraire, plus le film avance, plus il tend à faire de Martin un fou, qui serait ainsi un peu à part des autres hommes (alors qu’il était un personnage beaucoup plus « commun » dans la première partie). Cela passe essentiellement par le jeu d’acteur de Patrick Bergin, qui fait de Martin un fou aux yeux constamment exorbités.

pretty50pretty51Le malade

En ce sens, Sleeping with the Enemy tend à individualiser un problème social. Ce genre de procédé, très fréquemment utilisé au cinéma, a au moins deux inconvénients. En présentant des comportements relevant d’un rapport social de domination comme les produits d’une démence individuelle, il empêche de s’interroger sur leurs causes véritables et donc de les combattre efficacement. De plus, en renvoyant à une poignée de psychopathes un système de domination auxquels participent toute une classe d’individus (par exemple ici, la classe des hommes), il permet à un grand nombre de dominants de ne pas se poser la question de la domination qu’ils exercent (d’une façon plus banale et moins spectaculaire, mais tout aussi réelle).

Malgré cette légère tendance à déconnecter la question des violences conjugales du système d’oppression patriarcal, Sleeping with the Enemy reste tout de même à mon avis un film assez exceptionnel sur le sujet, en plus d’être une suite de Pretty Woman particulièrement jouissive d’un point de vue féministe.

Paul Rigouste

Idées de lecture sur la question de violences masculines envers les femmes :

– Patrizia Romito, Un silence de mortes : la violence masculine occultée (éd. Syllepse, 2006)

Nouvelles Questions Féministes, « Violence contre les femmes », Vol. 32, n°1, 2013

– Christine Delphy (coord.), Un troussage de domestique (Syllepse, 2011)

– Jalna Hamner, « Violence et contrôle social des femmes » (1977), republié dans le recueil Questions féministes, 1977-1980 (Syllepse, 2012)

Sur Pretty Woman, voir aussi sur ce site l’article de Julie Gasnier : Pretty Woman et le complexe de Cendrillon

[1] Jane Caputi, “Sleeping with the Enemy as Pretty Woman, Part II? Or what happened after the princess woke up”, Journal of Popular Film and Television 19:1, 1991, p. 2-8

[3] “She argues that in many those same behaviors that attract the woman in the first phase of relationships are firmly related to subsequent, overtly abusive behaviors that characterize the committed phase of the relationship. Such behaviors include, for example, jealousy (which at first makes the woman feel special and cared about, but later catalyzes his physical his physical violence); a man’s remarkable attention to his lover’s dress or mannerisms (later manifesting as obsessiveness and a need to control all aspects of her presentation); his role as “protector”, willing to use violence against others (indicating that he might be wont to turn that violence against her); her role as “protégé” (leading him later to claim her undying gratitude)” (Caputi, p. 4)

[5] On peut aussi y voir un clin d’œil à Pretty Woman, dans lequel Edward initie Vivian à la « grande musique » en l’emmenant à l’opéra. Dans le contexte de cette scène de sexe, le fait que Martin mette cette musique fait signe vers le rapport de domination au cœur de leur relation (qui s’exprime entre autres par une inégalité de capital culturel).

[6] Pour des critiques féministes de cette sexualité patriarcale, voir par exemple Refuser d’être un homme de John Stoltenberg ou les écrits d’Andrea Dworkin (ceux-ci ne sont malheureusement pas traduits en français pour l’immense majorité d’entre eux. Pour une introduction à son œuvre, voir par exemple ce qu’en dit Christine Delphy dans les deux derniers chapitres de Un universalisme si particulier intitulés « In Memoriam » et « Andrea Dworkin »).

[7] Sur le traitement médiatique de l’affaire DSK, voir l’excellent livre coordonné par Christine Delphy, Un troussage de domestique, paru en 2011 aux éditions Syllepse.

[8] Nouvelles Questions Féministes, « Violence contre les femmes », Vol. 32, n°1, 2013, p. 7

[9] “So, what happened after he climbed up the tower and rescued her?” (Edward, in Pretty Woman); “She left her husband. He was a terrible man; he used to beat her. Oh, it wasn’t always like that. At first he was charming and tender, but it all changed after the honeymoon” (Laura, in Sleeping With the Enemy)

[10] Cette solidarité féminine reste cependant très embryonnaire, puisque l’on comprendra par la suite que Laura n’a pas confié à ses amies du cours de piscine ce qu’elle vivait avec son mari (du moins à l’une d’entre elle, qui fait la gaffe de révéler à Martin ce secret).

[11] Voir par exemple l’analyse sur ce site du clip réalisé par Joseph Kahn pour la chanson « Love the way you lie » d’Eminem et Rihanna : http://www.lecinemaestpolitique.fr/eminem-rihanna-love-the-way-you-lie-2010-la-souffrance-deminem/

[12] Cf. Patrizia Romito qui rappelle par exemple que, « aux Etats-Unis, 74% des femmes assassinées par leur partenaire le sont après la séparation ou le divorce » (Un silence de mortes, p. 41-42)

[13] Nouvelles Questions Féministes, « Violence contre les femmes », Vol. 32, n°1, 2013, p. 5

[14] Pour une analyse de cette dimension, voir aussi le livre d’Helen Hanson intitulé Women in Film Noir and the Female Gothic Film (de la page 183 à la page 187 en particulier)

[15] Ben tente de l’aider mais se fait rapidement assommer par Martin. L’émancipation finale de Laura est ainsi indépendante de tout homme.

[16] Sur le lien que peuvent avoir des plaisanteries avec la violence envers les femmes, Jalna Hanmer écrit par exemple : « Sous sa forme la plus voilée, la menace de la violence ou la violence elle-même peuvent provenir de comportements qui se présentent comme amicaux ou plaisantins. Ann Whitehead, dans son étude d’un village du Heredfordshire, donne plusieurs exemples d’utilisation abusive de la plaisanterie ; l’une de ces plaisanteries avait pour but de rappeler à une femme qu’elle était indésirable dans le pub du village, lieu de rencontre de la clique mâle à laquelle appartenait son mari, tandis qu’une autre plaisanterie marquait la désapprobation de l’intérêt extra-conjugal que manifestait une femme envers un homme. » (« Violence et contrôle social des femmes », article republié dans le recueil Questions Féministes 1977-1980 paru aux éditions syllepses, p. 97)

[17] Cf. Jane Caputi, p. 4

[18] Comme le dit Jalna Hanmer dans son article fondateur « Violence et contrôle social des femmes » : « Le fait d’interpréter la violence conjugale, y compris le viol, et les diverses agressions dont les femmes sont victimes sur la voie publique, comme des actes perpétrés par des hommes individuels au nom de tous les hommes peut-il paraître osé, ou même absurde, tellement nous avons individualisé ce phénomène social important » (Questions féministes, 1977-1980, p. 96). Cf. aussi Patrizia Romito, p. 50 et suivantes. Par exemple : « Loin de ne représenter que la conséquence  de problèmes psychologiques et sociaux de tel homme violent, singulier, ou l’expression d’une déviance particulière, la violence des hommes représente un instrument rationnel destiné à maintenir la domination masculine ; un instrument qui, pour fonctionner efficacement, nécessite un système organisé de soutiens réciproques et de vastes complicités au niveau social » (p. 50), ou encore : « En dépit des faits évoqués jusqu’ici, on ne peut affirmer que tous les hommes soient violents. Ils ne le sont pas tous en effet, même si l’observation nous porte à conclure que tous pourraient l’être, s’ils le voulaient, avec une relative impunité. En revanche, il s’avère que tous les hommes, y compris ceux qui ne sont pas violents, récupèrent certains avantages de la violence exercée contre les femmes. Avantages tels que la facilité d’accès aux relations sexuelles, gratuité des services domestiques, accession privilégiée à des postes de travail plus élevés ou mieux rétribués, avec tous les bénéfices psychologiques qui en découlent » (p. 54)

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14 réponses à Sleeping with the Enemy (1991) : le cauchemar de Pretty Woman

  1. Merci pour l’analyse, ce film était le film culte de ma famille pendant les années 90…
    il est repassé à la télé il y a quelques temps, j’ai voulu le faire découvrir à ma moitié (ma moitié, ça va ? j’ai le droit d’utiliser cette expression…) et j’ai trouvé qu’il avait plutôt mal vieilli.
    Surtout la séquence final, très très années 90.
    C’est comme ça, ça arrive…
    N’empêche que ça reste un bon film je trouve.
    Et ta comparaison avec Pretty Woman est top !
    Bisou A+

    • Merci. Oui, c’est vrai qu’esthétiquement ça a un peu vieilli (mais moi je trouve que ça a son charme :-)). Par contre, politiquement, ça n’a pas du tout vieilli, malheureusement…

  2. J’extrapole peut-être, mais les similitudes entre Martin et Ben sont peut-être là pour montrer à quel point il est difficile de faire à nouveau confiance à un homme pour une femme qui a été battue et abusée, sans voir en chacun d’eux les mêmes travers qui font d’eux « tous les mêmes ».

    Pour le reste je ne me souviens que vaguement de ce film que j’ai vu quand j’étais ado et de manière seulement parcellaire, mais dans mon souvenir il était effectivement pas mal et faire la relation avec Pretty Woman est plutôt bien vu.

    • Oui, c’est une interprétation possible. Mais personnellement je ne pense pas. Car il aurait fallu que le film nous montre l’héroïne s’imaginer des choses sur Ben qui se seraient avérées être fausses, ou qu’on nous montre une Laura un peu parano face à un Ben totalement rassurant. Or ce n’est pas vraiment le cas à mon avis, car Ben est à de nombreuses reprises un peu inquiétant et dominateur. Je pense que ce sont des caractéristiques qui ont survécu au livre original, qui faisait apparemment un portrait beaucoup plus négatif de Ben, qui le rapprochait beaucoup plus de Martin (je ne l’ai pas lu, mais c’est ce que dit Jane Caputi).

      Après il y a aussi un peu ce thème de la difficulté à se remettre avec un homme, notamment dans la scène où Laura et Ben s’apprêtent à coucher pour la première fois ensemble, et où Laura ne peut pas et part. Mais bon, elle se reconstruit quand même très vite et retrouve aussi très vite confiance à nouveau en les hommes. Sur ce point là, ce n’est probablement pas très réaliste…

      • Je vous fait confiance pour ces différents points, mes souvenirs sont lointains et flous, et concernant le livre je ne savais même pas qu’il existait.

      • oui, moi je suis tout à fait d’accord avec l’idée des liens entre les différents hommes associés au personnage féminin central.
        ben m’est apparu dès le départ comme inquiétant (le jeu avec les pommes).
        je me suis dit qu’elle retombait dans un autre piège, comme une fatalité.

        ensuite à la fin
        elle prévient la police
        ben n’est pas mort : il sera l’homme qui permettra de crédibiliser son geste de libération qui autrement serait interprété par la justice comme meurtre et trahison.

        je n’ai pas lu le livre. mais j’ai vu tout ça comme la description d’un système infernal qui va au delà des individualités. tout y est dialectique du contrôle et de la domination masculine.

      • Je me demande si le but ne pourrait pas être aussi de montrer la continuité entre les attitudes d’un Martin et d’un Ben. Je crois que tous les hommes ont intégré des attitudes et des comportements de domination vis à vis des femmes qu’ils fréquentent et qui participent à ce qu’on appelle la culture du viol. Ben n’est pas un Martin, mais certains de ses comportements font écho à celui de Martin. Edward n’est pas non plus un Martin dans le temps présent du film, mais à travers le prisme de Sleeping with the Ennemy on se rend compte qu’Edward est peut être un futur Martin.
        Beaucoup d’hommes ne voient aucun problème à être excessivement jaloux, sont inconscients des questions de viol conjugal, font des blagues sexistes sur les femmes et le viol, sans pour autant être des Martins, mais possèdent un bon potentiel (dans la plupart des cas jamais réalisés).
        Honnêtement je pense moi même que ma théorie est fausse sinon Martin ne serait pas présenté comme un monstre mais quand même…

  3. Article vraiment PAR-FAIT!
    Les 2 films étaient cultes dans ma famille (nombreuse donc très disparate) et « Les Nuits avec mon Ennemi », ça m’a vraiment profondément marquée, plus jeune.
    De manière vraiment plus absurde, le fait que Laura refasse confiance à un autre homme et le fait que ce ne soit absolument pas réaliste, ça me fait penser à un film avec Ashley Judd (elle même, victime de viol, petite), qui s’appelle « Kiss the Girls » (« Le Collectionneur » en français). Après s’être fait kidnapper par un pervers sexuel, et après avoir réussi à en réchapper, elle se balade à moitié à poil chez elle (alors même qu’elle sait qu’il y a des flics tout autour de sa maison) et bien entendu elle se fait agresser par le méchant qui revient.
    Même à 16 ans, quand je l’ai vu, je me souviens avoir pensé que c’était n’importe quoi et que naturellement, une femme qui avait subi ce qu’elle avait vécu, porterait des fringues larges et « couvrantes » plutôt qu’un boxer ras les fesses.
    La liste est longue malheureusement d’incohérences de ce genre. Et je suis bien d’accord avec vous, le message des Nuits n’est vraiment pas daté aujourd’hui…

  4. Merci pour ce merveilleux (encore et toujours) article ! J’aime ce site ! 😀

  5. Je réagis beaucoup plus tard sur cet article (que j’ai déjà dû lire une bonne dizaine de fois)…

    Merci en tous cas pour cette analyse que j’ai beaucoup aimée !

    Et je trouve que c’est encore plus pertinent de regarder les deux films (Pretty Woman puis Les nuits avec mon ennemi) à la suite.
    On voit alors parfaitement l’analyse faite se mettre en place, de façon totalement logique et concrète ! ^_^

    • Merci pour votre commentaire 🙂

      Je repensais à ce film et je me disais qu’il était d’autant plus exceptionnel qu’il a été produit dans un contexte assez réac au niveau des discours sur la violence masculine (c’est la même année que la Belle et la Bête http://www.lecinemaestpolitique.fr/quand-les-films-danimation-occultent-les-violences-masculines-intrafamiliales-i-la-petite-sirene-aladdin-la-belle-et-la-bete/, à la même période où sortent des films qui montrent des hommes injustement accusés type Le Fugitif, Harcèlement ou Présumé Innocent http://www.lecinemaestpolitique.fr/ces-pauvres-hommes-injustement-accuses-ou-la-resurgence-dune-vieille-rengaine-masculiniste/, pas longtemps après les horreurs d’Adrian Lyne type 9 semaines et demi, etc.)

      Récemment j’ai regardé un autre film avec Julia Roberts sorti pas longtemps après dans l’espoir de voir un truc politiquement dans la même lignée que Sleeping with the Enemy, à savoir Mary Reilly https://en.wikipedia.org/wiki/Mary_Reilly_(film), et c’est affreux. C’est l’histoire de Dr Jekyll et Mr Hyde racontée du point de vue d’une servante. Au début c’est pas trop mal, mais plus le film avance et plus ça se gâte, avec finalement des trucs mégaglauques politiquement du genre le pauvre homme victime de la violence qui s’empare de lui, elle qui lui pardonne (et pardonne un peu à son père aussi en même temps parce que Hyde lui rappelle son père qui la torturait quand elle était petite), elle qui a finalement plus de désir pour Hyde le violent décomplexé que pour Jekyll le coincé, etc. C’est tellement glauque cette histoire du docteur Jekyll niveau discours sur la violence masculine qu’il faudrait vraiment la transformer en profondeur pour en faire un truc féministe je pense…

      Et sinon, dans le même genre que Sleeping with the Enemy, il y a aussi Enough avec Jennifer Lopez que je trouve excellent https://en.wikipedia.org/wiki/Enough_(film) (João Gabriell a écrit un article super dessus http://noir-et-trans.over-blog.com/article-plus-jamais-2002-desacralisation-de-l-hyperpuissance-masculine-et-violence-au-feminin-80343117.html )

      • Je ne connaissais pas du tout ce film « Mary Reilly » mais rien que votre description file des sueurs froides…
        J’ai d’ailleurs vu sur la page wikipedia que c’était John Malkovich qui tenait le rôle de Jekyll/Hyde, ce qui ne m’étonne pas du tout… Il est assez familier des rôles d’hommes plus ou moins horribles pris en pitié il me semble (j’ai typiquement l’exemple des « liaisons dangereuses » qui me vient, où il ne fait ni plus ni moins que violer la jeune Cécile de Volanges, jouée par Uma Thurman, et manipuler Danceny et Madame de Tourvel)…

        En fait, j’ai toujours préféré Glenn Close dans ce film, de même que son personnage de marquise de Merteuil, très représentatif des femmes de l’époque et de ce qu’elles subissaient si elles essayait un tant soit peu d’être indépendantes et d’agir comme les hommes (opprobre social, mise à l’écart, critique, isolement, mépris et j’en passe)…
        La page wikipedia sur livre analyse bien les choses d’ailleurs (https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Liaisons_dangereuses).

        « Enough » avec Jennifer Lopez, j’adore ce film ! C’est mon film culte sur les violences conjugales traitées de la bonne façon, je le recommande partout autour de moi depuis des années !
        Et Jennifer Lopez y est excellente en plus (comme dans beaucoup de ses films d’ailleurs, je la trouve bonne actrice personnellement).

        • Intéressant que vous citiez « Les liaisons dangereuses » : Choderlos de Laclos était un féministe avant l’heure ; jugez en par ce texte https://fr.wikisource.org/wiki/De_l%E2%80%99%C3%A9ducation_des_femmes et la lettre 81 du livre « Les Liaisons dangereuses ».

          Je ne dis rien de plus, car je me sais indésirable.

          • PS : tout le bouquin « Les liaisons dangereuses » est en réalité très féministe, car le malheur des personnages, en particulier féminins, est étroitement lié à la condition de la femme au XVIIIème siècle : si Cécile de Volanges avait été plus libre, elle n’aurait pas été autant souffert. D’ailleurs, il est intéressant que la majorité des personnages principaux du livre soient féminins.

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