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Argh, l’Apocalypse ! Les représentations apocalyptiques et post-apocalyptiques au cinéma (1/6)

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La fin du monde : qu’elle soit une révélation divine et finale, un fantasme imaginatif de science-fiction ou le cauchemar certain des survivalistes, la mise en scène de l’apocalypse se fait l’écho des peurs et incertitudes vivaces dans nos sociétés. Le manque de connaissances sur l’univers et l’absence de contrôle sur certains phénomènes naturels (météorites, phénomènes solaires, vie extraterrestre) ou d’origine humaine (pandémie, guerres, robots) activent des fantasmes sur la mise en danger inévitable des êtres humains. L’armement nucléaire de plusieurs pays dans le monde a rendu possible et de manière foudroyante l’extermination des humains et de l’environnement à l’échelle de la Terre : la menace atomique place directement entre les mains de certains puissants le sort du monde.

Le nombre et la diversité des œuvres littéraires, cinématographiques et vidéo-ludiques qui mobilisent un tel imaginaire, pour ne parler que d’elles, témoignent d’une préoccupation évidente pour cette possibilité de plus en plus probable d’une « fin du monde ». La page Wikipédia anglophone qui liste les films apocalyptiques recense une soixantaine de films sortis entre 2000 et 2009, et un nombre similaire sur la seule période allant de 2010 à 2015. La page listant des œuvres apocalyptiques ou post-apocalyptiques regroupent 211 films et séries entre 2000 et 2009, et 36 entre 2010 et 2015.

(A titre de précision, je me base ici sur les définitions suivantes : une fiction apocalyptique est un “sous-genre de science-fiction qui met en scène la fin de la civilisation due à une catastrophe menaçant l’existence humaine” (définition: https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_apocalyptic_and_post-apocalyptic_fiction). Une fiction post-apocalyptique “se déroule dans un monde où une civilisation a subi un tel désastre”.)

Aujourd’hui, les conditions politiques, économiques, climatiques et technologiques favorisent la multiplication des scénarios catastrophes non seulement plausibles, mais surtout possibles dans un futur pas si éloigné. L’exploitation capitaliste des ressources naturelles et des êtres humains – et en tout premier lieu des terres et des individus colonisés ou ex-colonisés – au profit direct ou indirect d’une minorité blanche et occidentale, est à la racine d’une ramification d’effets désastreux sur la qualité de vie des populations terrestres et de leur environnement. Au niveau global, l’un des principaux effets est un réchauffement climatique étudié depuis plusieurs décennies, dont l’origine est humaine et dont les conséquences sont déjà observables : submersion des terres habitées et cultivées par les océans qui montent ; intensification des cataclysmes naturels tels que les inondations, et les sécheresses. Les enjeux géopolitiques et économiques qui vont croissant autour des accès aux ressources naturelles et énergétiques telles que l’eau et la nourriture, génèrent des conflits et des migrations massives de populations. Autrement dit, quelques degrés nous séparent littéralement de la fin du monde.

La COP21, c’est génial – DataGueule « 2°C avant la fin du monde » (Pour visionner le documentaire entier : https://www.youtube.com/watch?v=Hs-M1vgI_4A)

Les gouvernements et les puissances industrielles interviennent pour leurs propres intérêts politiques et économiques au mépris des droits et de la stabilité politique de certaines populations, exploitent intensivement les terres et les fonds marins de manière non-durable, rendent notre environnement toxique pour produire massivement des objets que le marketing des grandes multinationales rend obsolète en quelques mois, mettent en danger la santé et la survie des générations futures d’êtres vivants pour un plaisir et un profit immédiat bénéficiant à une classe minoritaire d’individus. Le fonctionnement de nos sociétés de surveillance et de nos états d’urgence ressemble de plus en plus aux dystopies décrites dans les romans et les films.

 

Trailer du film This Changes Everything, adapté de l’enquête de Naomi Klein.

Face à cela, l’appel à nous positionner face à ces pratiques, à reprendre le pouvoir politique et à repenser notre manière de vivre se fait de plus en plus urgent. Et pour cela, il faut commencer par imaginer ce qui est possible, ce qui peut être différent. Dans ce processus, les œuvres de fiction tiennent un rôle essentiel, comme l’explique notamment l’écrivaine de fantasy à succès Ursula Le Guin dans son livre « The Wave in the Mind: Talks and Essays on the Writer, the Reader, and the Imagination » [1]:

« L’exercice d’imagination est dangereux pour ceux qui tirent profit de l’état des choses en place, car il a le pouvoir de montrer que les choses ne sont ni éternelles, ni universelles, ni nécessaires. Ayant le pouvoir, bien réel bien que limité, de remettre en question les institutions établies, la littérature de fiction a aussi la responsabilité de ce pouvoir. La personne qui raconte des histoires est celle qui raconte la vérité.

[…]

Nous ne pourrons pas connaître notre propre injustice si nous ne pouvons pas imaginer ce qu’est la justice. Nous ne serons pas libres si nous ne pouvons pas imaginer ce qu’est la liberté. Nous ne pouvons exiger de quiconque d’essayer d’obtenir la justice et la liberté sans qu’iel ait eu la chance de les imaginer comme atteignables. »

Trop souvent, alors qu’ils mettent en scène des problématiques bien actuelles, le potentiel politique des films apocalyptiques et post-apocalyptiques pour impulser de nouvelles idées est au mieux limité, au pire franchement réactionnaire. C’est ce que je vais tâcher d’étudier et de montrer dans cette série d’articles sur les représentations des sociétés apocalyptiques et post-apocalyptiques. Soulignons qu’au niveau mondial, les États-Unis sont un moteur essentiel des dynamiques politiques et économiques néolibérales dénoncées plus haut, et les intérêts stratégiques de cette nation sont répartis dans le monde entier. Avec Hollywood, le pays règne également de manière hégémonique sur nos écrans occidentaux. La grande majorité des représentations du monde dans les films et les séries que nous visionnons, y compris les films apocalyptiques, sont donc produites par l’une des industries les plus puissantes des États-Unis, en lien direct ou indirect avec les autres secteurs industriels, politiques et financiers au sein de grands groupes aux multiples activités. Il est donc intéressant de mettre en perspectives les représentations du monde et de son futur qui nous sont données à voir, et les intérêts des entreprises qui les produisent.

Étant donné le grand nombre de films et séries qui sont sortis sur ce thème, je limiterai mon analyse aux films et séries que je connais sortis ces quinze dernières années – états-uniens pour la grande majorité, sinon occidentaux – qui me semblent particulièrement représentatifs ou pertinents par rapport à certaines thématiques que je souhaite aborder. Il ne s’agit en aucun cas d’une étude exhaustive ou d’un état des lieux complet, mais d’une réflexion pour articuler des représentations cinématographiques autour de certains concepts et processus politiques, sociaux et culturels qui m’intéressent particulièrement.

Suite : Fatalement, la fin du monde : apathie politique dans un monde sans futur (2/6)

Le syndrome du grand méchant monde : un état sécuritaire pour nous sauver tou-te-s ? (3/6)

Arroway

Notes

[1] https://www.brainpickings.org/2016/05/06/ursula-k-le-guin-freedomh-oppression-storytelling/

            « The exercise of imagination is dangerous to those who profit from the way things are because it has the power to show that the way things are is not permanent, not universal, not necessary. Having that real though limited power to put established institutions into question, imaginative literature has also the responsibility of power. The storyteller is the truthteller.

            […]

            We will not know our own injustice if we cannot imagine justice. We will not be free if we do not imagine freedom. We cannot demand that anyone try to attain justice and freedom who has not had a chance to imagine them as attainable. »

Autres articles en lien :

5 réponses à Argh, l’Apocalypse ! Les représentations apocalyptiques et post-apocalyptiques au cinéma (1/6)

  1. Attention avec ce que vous écrivez. Il n’y a aucune submersion de terrain due à la hausse du niveau de la mer (ça ce sera pour 2100) et les tsunamis et éruptions volcanique n’ont absolument rien à voir avec l’activité humaine.
    Mais effectivement le réchauffement climatique est d’origine humaine, c’est déjà un très gros problème et ça va empirer salement si on ne fait rien.

    • Il n’y a aucune submersion de terrain due à la hausse du niveau de la mer (ça ce sera pour 2100)

      Dites-le à eux, je pense qu’ils ne vont pas être d’accord 🙂 http://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/rechauffement-climatique-la-montee-des-eaux-ensevelit-cinq-iles-du-pacifique_1789845.html

      et les tsunamis et éruptions volcanique n’ont absolument rien à voir avec l’activité humaine
      Pas directement, mais un peu quand même visiblement (après c’est comme tout, faut croiser les sources):
      http://www.ddmagazine.com/2822-Tremblements-de-terre-et-rechauffement-climatique-un-lien.html

      • Pour la hausse du niveau de la mer je n’étais effectivement pas à jour, la nouvelle datant de cette année. Merci de l’info en tout cas 🙂 Heureusement que le phénomène ne touche encore que quelques îles quasi désertes … 🙁

        Par contre pour les tsunamis et éruptions, le lien que vous citez est très évasif et se base sur des suppositions liées à la fin de la dernière glaciation (où la taille des calottes glaciaires était incomparable avec celle d’aujourd’hui). Ça mérite d’être étudié, mais je pense que c’est une erreur de les mentionner sur le même plan (et même en premier dans le cas de cet article) que les inondations et les sécheresses dont le lien avec le réchauffement climatique est bien mieux étayé.

        Bon ceci étant dit, il ne faut pas pour autant oublier que le réchauffement climatique est un réel problème, qu’il est vraiment grave, et que l’activité humaine en est responsable. 🙂

        • Ça mérite d’être étudié, mais je pense que c’est une erreur de les mentionner sur le même plan (et même en premier dans le cas de cet article) que les inondations et les sécheresses dont le lien avec le réchauffement climatique est bien mieux étayé.

          Oui, ça peut prêter à confusion, je viens d’enlever les mentions dans le passage en question.
          Merci d’avoir relevé en tout cas !

  2. Bonjour,
    Si je peux me permettre, j’aimerai vous conseiller un livre qui pourrait vous intéresser. Il s’agit de « L’évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne », un joli livre rose chez Economica. Il est écrit par une sociologue américaine très critique, Nina Eliasoph. Elle rapporte comment, dans des associations, la politique est évitée, comment (et pourquoi!) les individus, ne montent pas en généralité, ne cherchent pas les causes du problème, etc.
    Si le libre ne parle pas de cinéma il peut aider, peut-être, à comprendre certains effets scénaristiques: quand des sujets très polémiques évitent toute politisation, remise en question, montée en généralité, conflit.
    Bref, je vous laisse ça ici 🙂

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