Jacky au royaume des filles : Jacky et l’apologie de la phallocratie
12 février 2014 | Posté par Metric sous Cinéma, Tous les articles |
Riad Sattouf, auteur de bandes dessinées, chroniqueur régulier de Charlie Hebdo et réalisateur des Beaux gosses (2009), revient au cinéma avec une comédie potache qui renverse le système de domination patriarcal dans un contexte dictatorial imaginaire (le royaume de Bubune) dirigé par les femmes, où les hommes – voilés – n’ont qu’une fonction reproductrice. Jacky (Vincent Lacoste, ex-beau gosse), « gueusard » épris de la Colonelle (Charlotte Gainsbourg), l’héritière du royaume, cherche une invitation pour participer à la grande Bubunerie, le bal où se pressent tous les célibataires, « grands couillons » potentiels en attente d’une union royale, tandis que le meilleur ami de son père Julin (Michel Hazanavicius) est pourchassé pour ses activités dissidentes.
Si le film de Sattouf peut être perçu comme un apologue burlesque tournant en dérision les systèmes totalitaires, l’oppression masculine et les polémiques autour du genre, force est de reconnaître que son récit et ses procédés renforcent plutôt les dysfonctionnements propres aux représentations des femmes, d’autant plus amplifiés qu’ils sont prétexte à un déferlement comique établi au détriment de celles-ci.
À travers cet article, nous verrons en quoi ce comique rend la charge corrosive du film inopérante en étudiant successivement le renversement des rôles sexuels qui en constitue sa fable, ses limites, et la manière dont le film assume d’autant plus sa misogynie qu’il la convertit en homophilie, c’est-à-dire la célébration d’une complicité masculine – qui débouche ici sur l’amour – et à l’exclusion de toute autre forme d’entente.
Le renversement des rôles sexuels
Le royaume de Bubune se présente comme un condensé de tous les régimes totalitaires. La cité est composée de hautes tours bétonnées et sa périphérie de petits pavillons grisâtres, agencés d’une manière qui rappelle, entre autres, le bloc soviétique.
Exclusivement nourri d’une bouillie littéralement déversée par le robinet, chaque foyer de « gueusards » se compose d’une matriarche portant l’uniforme, d’un époux revêtu d’une tunique couvrant tout le corps (qui rappelle la burqa et que je désignerai par ce terme), assurant les tâches domestiques, et de leur progéniture, genrée de façon identique. Le choix des costumes est très éloquent sur la place de la séduction selon qu’on parle des femmes ou des hommes : alors que l’uniforme militaire endossé par les femmes leur confère une réelle (f)rigidité de corps et d’esprit (ce qui suggère une masculinité défectueuse et malsaine, tout en convoquant un fétichisme « cuir » lié au nazisme), la longue tunique des hommes – qui les apparente à des musulmans – les prive de liberté, mais rend leur gaucherie infantile et sympathique. La charge satirique plaquée sur ce vêtement mine le potentiel viril des hommes dans un élan à la fois sexiste et islamophobe. Par opposition à ce modèle, les petites filles, élevées dans le mépris des hommes, se retrouvent en grappe à la sortie de l’école, dont les garçons sont privés, et prennent un malin plaisir à railler leur sensiblerie. Une fois adultes, elles se partagent entre une activité professionnelle à temps plein et des virées en moto dans la ville, tout en assurant le rôle de chef de famille. Cette première inversion, qui pose les fondations d’un monde fantaisiste, semble mettre en place une satire efficace des rapports sociaux de sexe qui procurerait aux spectateurs l’impression d’être « gentiment maltraités », et aux spectatrices un sentiment de revanche. Le choix de la burqa va clairement dans le sens de cette « compensation » en ce qu’elle devient ici le symbole ultime de la servitude. Or très rapidement, le film se montre inapte à suivre jusqu’au bout sa logique « subversive », fondée sur des préjugés racistes.
La tante de Jacky, une matriarche stalinienne
Le récit emprunte donc aux contes philosophique et féérique sa dimension initiatique, centré sur un jeune héros mal dégrossi qui aspire au mariage princier non par ambition mais bien par amour pour la Colonelle, se conformant à nouveau aux désirs qu’on prête ordinairement aux petites filles, éprises d’un prince charmant imaginaire. Très vite, Jacky apparaît comme un garçon délicat, en marge de ses cousins du fait de la pureté de ses sentiments, mais aussi parce qu’il vit seul avec une mère ouvrière (Laure Marsac) – son père ayant succombé lors du « coït reproducteur ». Face à ce couple improbable, se dressent d’un côté la famille prolétaire et arriviste : un oncle hystérique et une tante ombrageuse (Didier Bourdon et Noémie Lvovsky) qui tentent de placer leurs deux rejetons dans les bras de la Colonelle, et Julin le don Juan « masculiniste » (au sens de « féministe »), œuvrant dans l’ombre pour l’émancipation des hommes ; de l’autre, la famille royale réduite, là encore, à un couple filial, la Générale (Anémone) et sa fille la Colonelle.
Il n’échappera à personne que l’intrigue du film transpose en grande partie l’histoire de Cendrillon, jeune souillon humiliée qui brave sa misérable condition et trouve l’amour grâce à des souliers de vair, symboles d’une féminité altière mais consensuelle. Sattouf reprend ce motif de la parure féminine « miraculeuse » en l’appliquant ici à la chevelure. Suite à un rebondissement, Jacky se retrouve affublé d’une perruque brune coiffée en queue de cheval, identique à celle de la Colonelle et de ses soldates, et qui devient son sésame pour assister sans invitation à la grande Bubunerie.
La grande Bubunerie : souk conjugal et marché aux spermatozoïdes
C’est donc vêtu d’un uniforme guerrier et d’une coiffure de femme que Jacky pénètre clandestinement dans le palais, séduit malgré lui la future souveraine et se retrouve en tête à tête avec elle dans ses appartements, à écouter avec dévotion ses états d’âme d’héritière, déjà lasse d’un pouvoir qu’elle n’exerce pas encore. Cependant, si c’est bien la Colonelle qui entreprend de séduire Jacky et si le film lui confère une certaine détermination, dès lors que le jeune homme répond favorablement à ses avances (et finit démasqué), elle perd ses traits de femme insoumise pour arborer les signes d’une féminité plus représentable, à savoir esseulée, sentimentale et frustrée.
Les limites de cette inversion des genres
On l’a vu, le film joue à fond la carte de la réversibilité des normes tant sur les plans physique et vestimentaire que sur le plan psychologique : il dessine son héros comme le stéréotype de la demoiselle en détresse, fait de la Colonelle un leader politique hiératique et fin stratège, et tous les autres personnages semblent amplifier ce renversement des genres : les femmes sont toutes des butches en puissance et les hommes comme émasculés.
La Colonelle, entourée de ses « chiennes de garde » soviétiques : « Elle est vraiment… elle est vraiment… elle est vraiment phénoménale ! »
Cependant, plusieurs indices prouvent que le projet de Sattouf repose sur une vision sclérosée des femmes, qui les fige d’autant plus. Ainsi, on voit rapidement que Jacky, soucieux de préserver sa pureté pour la Colonelle (ce qui ne l’empêche toutefois pas de se masturber devant son portrait), doit repousser les avances d’autres femmes et en particulier celles de Corune (India Hair), la fille de l’épicière. Construite en opposition avec la Colonelle, Corune possède un physique plus massif, sa gestuelle manque de grâce : Jacky (et le film) n’hésitent pas à railler ses aspirations romantiques qui culminent dans la scène où, enfermés dans l’épicerie et cachés sous le comptoir, elle abuse sexuellement du héros. C’est à un véritable viol qu’on assiste, mais l’expression à la fois burlesque et dégoûtée de Jacky, les spasmes et les cris de Corune tirent l’agression vers le ridicule et la rendent hautement comique. De même, lorsque Jacky se fait coincer dans les bois par la chef de la police (Valérie Bonneton) – qui a elle aussi un faible pour lui – et ses sbires, puis attacher à un arbre, la scène provoque le rire. Ce rire provient du statut cocasse de Valérie Bonneton dans l’imaginaire collectif, que ses rôles précédents, son visage poupin et sa voix atypique désexualisent : de fait, la voir se déshabiller et se caresser neutralise son désir et le convertit en un acte grotesque. Plus généralement, ces deux scènes « fonctionnent » auprès du public parce que les deux agresseuses n’entrent pas dans le stéréotype de la beauté féminine – ce qui corrobore l’idée selon laquelle une femme à l’écran ne peut pas être belle et drôle – et qu’elles placent le héros dans une posture passive de victime dévirilisée – ce qui justifie son travestissement, qu’on peut interpréter comme un rite initiatique pour accéder à une masculinité compétente auprès de la Colonelle.
La chef de la police : « Le cuir me va si bien ! »
Cette conquête d’une virilité spoliée, étouffée, est particulièrement frappante lors de la première scène d’amour entre Jacky et la Colonelle. Une fois que cette dernière se révèle follement éprise de lui, et après un malheureux concours de circonstances qui le confond, Jacky se cache dans la chambre à coucher de la Colonelle où elle le trouve. Stupéfaite, elle le menace de son arme, ils se battent, s’étreignent, Jacky finissant par s’emparer du revolver. Cette scène les montre donc enlacés : lui enfin actif et brutal, elle suffocant de peur et de désir, une arme braquée sur la tempe. À nouveau, le discours du film est problématique : en exposant le rapport de force des deux protagonistes de cette façon, il rétablit l’ascendant masculin par la violence, et en conséquence réduit strictement l’autonomie de la femme, juste bonne à aimer et désirer l’homme qui la menace.
On pourrait aussi bien parler du personnage de Julin, le révolutionnaire, vu comme un père de substitution pour Jacky et qui, dans les bois, le sauve de la police en tuant les officiers. Le sexisme de Julin est ici valorisé en ce qu’il est un instrument de résistance politique à l’oppression féminine. Grand coureur de jupons, il n’hésite ni à « vendre ses charmes » auprès des autorités – ce qui illustre sa débrouillardise –, ni à tuer sauvagement les gardes du palais pour libérer son jeune ami. Bien plus, il est aussi le gardien d’un savoir immémorial auquel les femmes n’ont pas accès : celui de la culture de la terre, qui lui permet de subvenir à ses besoins grâce à de menus trafics de navets. En opposant ainsi l’intelligence et le savoir-faire masculin à l’indigence et la tyrannie féminine, le film – sous ses atours satiriques – approuve sans complexe l’idéologie dominante qui veut que les femmes entre elles demeurent ignorantes.
Julin : « Toutes ces bonnes femmes, mon petit Jacky, c’est que de la chiennerie ! »
Une homophilie persistante
De manière plus problématique, le film glisse de la lesbophobie à une glorification de l’homophilie la plus classique. C’est travesti en femme que Jacky parvient à s’approcher de l’élue de son cœur et à la ravir. Or, si la reddition de la Colonelle sonne comme un accomplissement pour le jeune homme, le rôle féminin qu’il s’est attribué pour tromper les gardes déplace provisoirement leur idylle sur le terrain de l’homosexualité féminine – ce qui semble d’abord contrarier la victoire de Jacky. Au lendemain de leur première nuit, et alors que les deux amants savourent leur bonheur, la Colonelle confie ainsi qu’elle « ne sait plus où elle en est », qu’elle « ne reconnaît plus ses inclinations amoureuses », à quoi Jacky répond en gros, « Tant mieux ! La ‘’gouderie’’, c’est ‘’blasphèmerie’’ ! » (Les personnages usant du suffixe « –rie » de manière arbitraire, ce qui crée un effet comique, par exemple « argenterie » pour « argent », « voilerie » pour « voile », etc…) Même si l’on se doute que cette réplique lui est dictée par son statut inédit de héros romantique, il n’empêche qu’en creux se dessine un triomphe plus global de l’homme sur la femme, sur le terrain de la sexualité – et cela même si Jacky est bien plus jeune que son amante. Dans une société matriarcale où l’amitié féminine est mise – logiquement – au premier plan mais tournée en dérision, désexualisée et assimilée à une complicité de classe, la révélation de la Colonelle apparaît comme une marque de déviance, en même temps qu’elle est à la base de la subversion plus radicale qui voit Jacky triompher. En effet, c’est par le biais de l’homosexualité féminine que le héros assume enfin sa virilité et que la Colonelle, séduite, faillit à l’étiquette royale. C’est donc par ce biais qu’une révolution (politique et sociale) advient, mais en reléguant le lesbianisme aux oubliettes de la « blasphèmerie » et en le remplaçant – coup de théâtre ! – par une homophilie plus engageante.
L’identité masculine de la Colonelle – dissimulée toute sa vie par sa mère, trop honteuse de n’avoir eu que des fils, et que le film nous dévoile à la toute dernière scène – replace la romance des deux protagonistes dans une nouvelle perspective. En effet, leur coup de foudre devient dès lors le symbole d’une reconnaissance non seulement genrée, mais aussi racialisée, comme en témoigne le plan final sur le couple, entité bicéphale à la symétrie parfaite, puisqu’ils ont en commun une chevelure brune, une peau glabre, une silhouette frêle, un torse famélique, et un pénis. Et pour cause, si leur amour vainc tous les obstacles, c’est parce que Jacky et la Colonelle appartiennent en réalité à la même « espèce ». En témoignent aussi l’intelligence tactique et la force tranquille de l’héritière, désormais perçues comme des atouts masculins. Il est ainsi facile d’identifier le potentiel castrateur des femmes, dont la Générale est la plus terrible déclinaison, ce que laisse aussi entendre l’emblème du royaume : deux têtes de jument scellées à la base du cou et qui dessinent les contours de l’appareil génital féminin.
La Colonelle, arborant l’emblème martial et féminin du royaume
En imposant une féminité conquérante et (f)rigide à son fils, en promouvant le bal de la grande Bubunerie (véritable speed-dating aux règles pipées), elle se présente comme une matriarche sans pitié, qui pratique l’exécution publique et préfère mettre en scène une fausse hétérosexualité plutôt que de « laisser faire la nature », dont l’homophilie parachève le travail. Encore une fois, l’opposition entre l’authenticité masculine et la transformation forcenée du monde opérée par les femmes intervient au détriment de ces dernières, coupables de mener l’univers à sa perte en altérant les êtres et les lois. À cet égard, rappelons que ce dernier point est un des reproches fréquemment adressés au féminisme, accusé de contester et de vouloir ébranler l’ordre du monde.
Vu sous cet angle, l’aveu de la Colonelle – qui provoque quelques sarcasmes et signes de dégoût parmi la foule – constitue au final l’avènement d’un monde neuf, plus juste et plus libre. Les dernières scènes montrant Jacky – toujours vêtu d’une burqa, mais gérant les relations internationales, prenant en main la politique agricole, visitant en héros son village natal, etc… – établissent également les savoirs et techniques masculins comme l’unique remède contre l’ancienne « barbarie femelle ». Cet apparent équilibre redistribue donc les qualités de chacun d’un point de vue genré : si les femmes conservent leur statut de matriarche dans leur propre foyer – ce qui revient à les confiner dans la sphère domestique –, ce sont bel et bien les hommes qui, désormais, gouvernent (grâce au couple gay formé par Jacky et la Colonelle) et produisent les richesses nécessaires (grâce au savoir vulgarisé de Julin). La domination patriarcale peut alors édifier ses propres bases, tranquillement.
En conclusion, on voit donc que le film de Sattouf – même s’il se veut progressiste, par l’inversion des rôles sexuels et un clin d’œil final au mariage pour tous –, ne fait que reconduire les stéréotypes associés aux femmes et les valeurs patriarcales, en les dotant d’une force comique irrésistible, qui l’assimile à une fable subversive. Pire, en convoquant des traits culturels islamiques, il réactive un fantasme raciste et islamophobe très actuel qui attribue aux Musulmans les mesures les plus régressives envers les femmes et les homosexuels, et pose une distance rassurante entre un « nous » occidental et un « eux » étranger diabolisé.
Metric
Autres articles en lien :
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- Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012)
- Sous les jupes des filles (2014) : des clichés pour les femmes et par des femmes
Merci Metric pour ton texte bien vu et bien expliqué. J’ai ouvert une discussion sur ce procédé des « inversions des rôles » mais pas seulement des rôles de sexes et de genre. Comme ca déborde largement du sujet du film « Jacky » j’ai préféré le mettre ailleurs.
c’est ici : http://www.lecinemaestpolitique.fr/forums/topic/linversion-de-roles-est-elle-pertinantes/
Je ne comprends pas comment Meg peut dire que le texte de Metric est « bien vu et bien expliqué », alors qu’il pèche précisément par la non-prise en compte de ce que Meg explique sur le forum.
Metric, vous en restez à une interprétation « femme=femme », alors que comme précisément il y a inversion des rôles, les femmes représentent la classe dominante (donc les hommes) et les hommes représentent les femmes. Du coup, vous ne pouvez pas dire, sans aucune précaution, que la victoire finale de Jacky représente un triomphe du pattriarcat, que Julin est « sexiste » (alors que s’il est « sexiste », c’est d’un « sexisme » de dominé-e-s qu’il s’agit, un peu comme le sexisme anti-hommes, ou le racisme anti-blanc…), que les personnages féminins négatifs sont le vecteur d’une charge contre les femmes, etc. Vous ne pouvez pas non plus qualifier Julin de « Don Juan », même « masculiniste ». « Don Juan », ça n’a de sens que dans un contexte de domination masculine. Là, Julin n’est pas un Don Juan, c’est un prostitué (le principal personnage positif, le plus courageux et le plus intelligent, est prostitué : je trouve ça très bien d’un point de vue anti-putophobe, d’ailleurs).
Je suis d’accord que le principe de l’inversion des rôles a des limites, et je suis OK avec Meg sur ce qu’elle dit dans le forum – en tout cas elle me semble qu’elle pointe des choses justes. Mais malgré tout on ne peut pas faire comme si le film obéissait de manière univoque et massive au principe « femme=femme », « homme=homme ». Il y a un hiatus entre la représentation immédiate et la représentation symbolique, qui rend instable tout ce que vous pouvez dire, tout ce que vous pouvez prédiquer, sur le film. Il y a une ambiguïté fondamentale du message qui tient à cette façon de procéder ; mais vous ne pouvez pas lisser l’ambiguïté comme vous le faites, et tirer le film dans un sens univoque (inutile de dire que votre titre est carrément caricatural).
Sur le racisme et l’islamophobie : pas trop d’accord non plus. Il y a des références à une dictature religieuse musulmane, effectivement, genre Arabie saoudite (mais il n’y a pas bcp de références spécifiques à l’islam, à part la « burqa » qui n’en est pas vraiment une puisqu’elle laisse voir le visage – la polygynie, en revanche, n’est pas propre à l’islam), mais ce n’est pas du tout la seule référence : il y a aussi, me semble-t-il, pas mal d’allusions à la Corée du Nord. Quant à la reconnaissance « racialisée » que consacrerait l’unité finale des deux amant-e-s, franchement… On est dans un mode racialement très homogène (comme l’est la Corée du Nord, du reste, et peut-être l’Arabie saoudite ?), et ça n’a pas vraiment de sens de surinterpréter la ressemblance raciale des héros. Et puis de toute façon, j’aimerais bien qu’on ne considère pas comme islamophobe le fait de faire référence, parmi d’autres situations et pays, à la situation réelle des femmes en Arabie saoudite !
Je ne comprends pas trop non plus ce que vous dites sur l’homophilie (que vous semblez prendre dans le sens de « homosexualité masculine », par opposition au lesbianisme, alors que l’homophilie signifie simplement « homosexualité »). Encore une fois, vu le problème de représentativité (une femme représente-t-elle une femme ou un homme ?), on peut voir l’homosexualité masculine finale comme un symbole du lesbianisme. Mais même si vous refusez cette interprétation, on peut voir dans cette fin une façon, pour le réalisateur, de ne pas en rester à l’idée gênante que la Colonelle n’était en fait lesbienne que parce qu’elle n’avait pas trouvé le bon homme (Jacky). Jusqu’à la scène finale, on a l’impression que la Colonelle a été convertie à l’hétérosexualité par Jacky, ce qui est quand même assez lesbophobe comme imaginaire. Or la scène finale invite à relire tout le film autrement : la Colonelle est un mec hétéro qui se convertit à l’homosexualité masculine, ou qui découvre en elle (en lui ?) un potentiel homosexuel érotique, grâce à Jacky ; politiquement, ça n’a pas du tout le même sens.
Enfin bref, je trouve que cet article manque complètement son but en refusant, sans aucune précaution méthodologique, de prendre en compte l’ambiguïté qui est au fondement même du principe esthétique de l’inversion des rôles, et en tirant l’ensemble dans un sens qui, à mon humble avis, confine parfois au délire interprétatif.
Bonjour Ggauvain,
Je reconnait être pleine de paradoxes 🙂
Juste à propos de la burqa et de l’islamophobie. Dans le film, le vêtement que porte les hommes (qui sont des femmes inversés) n’est pas exactement une burqa. Le choix du mot burqa ne me semble pas très judicieux pour désigné le costule du film. Le réal parle de « voilerie » ce qui est tout de même une allusion lourd/lourdingue au voile. Le voile est d’ailleurs plus typique de l’islam que la burqa qui n’est porté qu’en Afghanistan, en Arabie Sahoudit je croi que c’est le niqab. Il faut quant même se souvenir que ce film est français et aborde l’inversion des rôles dans un contexte politique français qui viens de se bouffer 15-20 ans de « débat sur le voile » avec des lois dites « laïques » pour déscolarisé certaines adolescentes ou interdire l’accès à l’emploi aux musulmanes voilées. Et qui se traduit actuelement par des agression physiques de femmes dans la rue au pretexte de leur voilerie. Alors je sais bien qu’il y a des voileries dans d’autres cultures que l’Islam, et de la polygamie aussi, mais dans le contexte d’un film français diffusé en France je ne peu pas gober que la voilerie et la polyandrie inversé n’aurais pas de rapport avec le voile islamique et la polygynie musulmane.
J’ai pas vu le film, et je veux bien qu’il y ai d’autres piques par exemple avec la Corée du nord, mais ca me semble moins brulant de dénoncé le péril nord coréen que de faire monter l’islamophobie en mayonnaise franchouillarde. Et ils me font un pue l’impression de cache misère islamophobique. Et j’avoue que d’apprendre que le réal est un dessinateur publié dans Charlie hebdo ne m’aide pas à ôter ce soupçon.
En plus ce coté dictatorial islamo-fascho-coco qui sert de contexte à cette matriarchie fictive me semble bizarre. Si on rejoue l’inversion, c’est comme si le film voulait dire que le patriarcat c’est uniquement lorsque les hommes sont polygynes, portent des uniformes militaires, voilent les femmes et vivent dans des maison toutes pareil. Si on ne vie pas comme cela alors ca va, on est pas macho et ca ne me semble pas trop ressemblé au vécu des français·es.
Enfin comme je l’ai dit sur le forum, j’ai écouté une interview de Sattouf qui m’a tout particulièrement déplu
http://www.franceinter.fr/emission-les-femmes-toute-une-histoire-riad-sattouf-pour-jacky-au-royaume-des-filles
en particulier la fin ou il explique que la moralité de son film c’est qu’il faut choisir entre a)La famille ou b)La liberté sexuelle. J’ai beau retourné sa « moral » dans tout les sens, je n’y voie que de la bouillie réactionnaire.
Bonne soirée
« En plus ce coté dictatorial islamo-fascho-coco qui sert de contexte à cette matriarchie fictive me semble bizarre. Si on rejoue l’inversion, c’est comme si le film voulait dire que le patriarcat c’est uniquement lorsque les hommes sont polygynes, portent des uniformes militaires, voilent les femmes et vivent dans des maison toutes pareil. Si on ne vie pas comme cela alors ca va, on est pas macho et ca ne me semble pas trop ressemblé au vécu des français·es. »
Je ne sais pas, c’est une satire dystopique, dans ce genre de fiction, on exagère des caractéristiques pour les rendre plus visibles pour parler du temps présent ou de comment pourrait évoluer le temps présent.
« en particulier la fin ou il explique que la moralité de son film c’est qu’il faut choisir entre a)La famille ou b)La liberté sexuelle. J’ai beau retourné sa « moral » dans tout les sens, je n’y voie que de la bouillie réactionnaire. »
Cette position pourrait pourtant être tenue par un-e progressiste, qui considèrerait le concept de famille comme réactionnaire et contradictoire avec une liberté sexuelle. Est-ce qu’il est plus spécifique ? Et choisi explicitement entre A) et B) ?
Ce que je lis sur ce film (que je n’ai pas vu et que je ne veux pas voir) me fait me demander s’il n’y a pas une confusion entre l’interprétation d’un film et l’interprétation des intentions de l’auteur. Et donc, par extension, si l’on est intéressé par l’idée de savoir ce que serait « réellement » un film « en soi » et ce que l’on peut en faire (comme food for thought) – une troisième manière serait d’analyser les interprétations du film, et de faire un métadiscours qui traiterait des manière dont il est compris.
@ burgu
« Je ne sais pas, c’est une satire dystopique, dans ce genre de fiction, on exagère des caractéristiques pour les rendre plus visibles pour parler du temps présent ou de comment pourrait évoluer le temps présent. »
Un des gros problèmes de cet argument pour défendre Jacky, c’est que le film ne fait pas une satire de notre société (française actuelle), mais qu’il déplace sa critique vers un « ailleurs » (comme le dit Meg, une sorte de monde « islamo-fascho-coco »), donc un monde bien loin de nous, et qui ne nous concerne donc pas directement. Je pourrais entendre cet argument si on parlait du court-métrage « Majorité Opprimée », qui repose sur un principe équivalent en essayant d’inverser notre société, mais avec Jacky j’ai vraiment du mal. Je vois vraiment pas comment ce film pourrait provoquer chez les gens qui vont le voir une réflexion du genre « ah ouais c’est ça en fait la domination masculine qui touche notre société ». Ce que ça suscite plutôt à mon avis, c’est du racisme ou de l’islamophobie à base de « oulala c’est craignos quand même dans ces pays où ils voilent les femmes et où y a des dictatures, y a pas à dire chez nous c’est pas comme ça, on est mieux chez nous, etc. ».
Vous voyez ce que je veux dire ?
Dans un interview le réal parlait d’un conte philosophique à la Candide ca me semble plus juste que de parlé d’une dystopie. La dystopie sert à dénoncé un travers de notre époque en le poussant à son paroxisme dans un future imaginaire. Et à part dans l’esprit tordu de quelques masculinistes à la Zemmour ou Berivik je ne voie pas les femmes vouloir instauré une dictature à base de culte des poneys….
Et pour l’aspect conte philosophique il est tellement loin de nous qu’il en deviens inoffencisf et je ne comprend pas trop ce qu’il dénonce mis à part le voile, sujet hyper rabattu et facile à dénoncé qui n’a pas d’intérêt à part faire mousser les ventes de Charlie Hebdo et les scores du FN.
Juste sur l’islamophobie et le racisme du film, que vous récusez. A mon avis, nier l’islamophobie du film (comme vous le faites) ne peut se faire qu’à condition d’ignorer totalement le contexte politique et idéologique dans lequel il est produit et reçu.
Or le contexte ici, c’est celui d’une islamophobie omniprésente, et en particulier un ensemble de discours qui instrumentalisent le féminisme à des fins racistes, CE QUE FAIT PRECISEMENT CE FILM. Donc Riad Sattouf ne fait pas une référence innocente et parmi d’autres à l’islam, mais il s’inscrit au contraire pleinement dans un ensemble de discours islamophobes dominants dans l’espace médiatique (au moins depuis 10 ans et le vote de la loi sur les « signes religieux ostensibles ». cf. : http://lmsi.net/Elements-d-un-futur-Livre-noir) et qui relèvent de ce que certain-e-s appellent de manière éclairante « fémonationalisme » (cf. par exemple http://www.contretemps.eu/interventions/fondements-politico-%C3%A9conomiques-f%C3%A9monationalisme ou http://www.peripheries.net/article335.html)
C’est pour ça que je trouve Sattouf bien hypocrite quand il répond aux journalistes qui l’interviewent à propos de la référence à l’islam : « il ne s’agit pas d’une burqa mais d’un vêtement qui évoque plein de religions, parce que je voulais pas critiquer l’islam mais les superstitions en général, patati patata ». Alors que pour tous les gens qui voient le film aujourd’hui en France, cette tenue évoque avant tout une burqa (j’en veux pour preuve le fait que tou-te-s les journalistes qui l’interviewent à ce sujet (à ma connaissance) parlent de burqa. Donc soit illes sont tou-te-s à côté de la plaque, soit y a bien quelque chose de problématique dans les représentations véhiculées par le film aujourd’hui en France). Autre indice qui peut paraître anecdotique mais qui ne l’est sûrement pas : le fait que Sattouf contribue à Charlie Hebdo, journal à la pointe de l’islamophobie. J’ai du mal à n’y voir qu’une coïncidence…
Pour résumer, refuser de voir le dispositif du film comme islamophobe comme vous le faites revient à mon avis à abstraire le film de son contexte de réception, ce qui est loin d’être innocent politiquement. Pour moi, cela revient au final à la posture libérale typique qui nie les rapports d’oppression et les systèmes d’oppression (ici raciste) dont les individus et les représentations sont parties prenantes. C’est exactement ce que vous faites quand vous dites « j’aimerais bien qu’on ne considère pas comme islamophobe le fait de faire référence, parmi d’autres situations et pays, à la situation réelle des femmes en Arabie saoudite ! ». Evidemment que cette référence n’est pas « en soi » islamophobe (ce qui, au passage, ne veut rien dire pour moi), mais en tout cas, sous cette forme (fémonationaliste) et dans notre contexte français (islamophobe), elle l’est.
Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ?
Mince, je viens de me rendre compte que mon commentaire fait doublon avec ta réponse Meg, j’avais pas vu que tu avais déjà répondu, on a dû l’écrire en même temps, désolé.
En plus je dis à peu près exactement la même chose que toi…
Mauvaise synchronisation…
Ton perroquet, pour te servir 🙂
Pas de soucis Paul ^^ on est bien d’accord et merci pour tes liens.
A propos de l’islamophobie supposée du film.
Lisez l’excellente bande dessinée du même Riad Sattouf sur son enfance en Syrie et Libye, L’Arabe du Futur. Une explication parmi d’autres pour la présence de ces voileries pourrait résider dans le fait que cet homme sait de quoi il parle, et qu’il parle plus volontiers de choses qu’il a vécu lui-même.
Quand à dire qu’il suffit de mettre des voileries sur des hommes pour devenir islamophobe, ou de publier dans CharlieHebdo (Ouh, la vie secrète des jeunes, un insupportable brûlot politique opressant !)je trouve que c’est au mieux aller très très vote en besogne, au pire mensonger.
A propos de l’Arabe du Futur, j’avais lu cet article : http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/l-arabe-du-futur-ou-la-force-des-prejuges,0784
Oui, Riad Sattouf sait sûrement de quoi il parle (moi aussi j’ai adoré l’Arabe du futur), mais il réalise ce film dans une société qui stigmatise les musulmans et les femmes porteuses du voile (de plus en plus violement d’ailleurs), pas en Syrie ni en Libye. C’est la même chose pour Charlie Hebdo. Donc ça revient à entériner le fait que le sexisme est ailleurs, dans ces sociétés là et pas chez nous « les gens civilisés ».
D’ailleurs le film n’est pas placé en Syrie ni en Libye mais dans un lieu imaginaire que le réalisateur invente. Il avait tous les choix possibles.
Je vous conseille vivement de lire l’interview de Riad Sattouf dans So Film, c’est éclairant sur ses intentions et son imaginaire. Et il m’a tout l’air très très loin d’être sexiste, raciste et islamophobe.
Oui j’avais lu cette interview en diagonale et c’était effectivement moins pire que ce à quoi je m’attendais étant donné ce que j’avais entendu de Jacky. Après c’est loin d’être la panacée je trouve !
Par exemple, je me souviens qu’il passe dans cette interview comme quelqu’un qui critique la virilité, notamment dans sa série de BDs Pascal Brutal. Personnellement, ces BDs me font hurler de rire, elles font partie de mes préférées, mais politiquement elles me laissent quand même plus que sceptique, au moins pour deux raisons.
D’abord parce que la virilité est présentée, dans la figure de Pascal, comme quelque chose de plus pathétique qu’opprimant (opprimant pour les femmes je veux dire bien sûr). Sattouf déclare dans So film des trucs du genre « dans Pascal Brutal, je me fous de la gueule de Pascal, parce que c’est un abruti, il est pathétique, etc. ». Jamais cette virilité est reliée à la domination masculine, alors que dans la réalité, elle en est à mon avis indissociable. Si je me souviens bien (mais il faudrait que je relise les BDs pour être sûr), on ne voit pas dans les BDs Pascal qui exercerait une domination sur les femmes. Au final, la virilité de Pascal est juste ridicule. Pour moi, ça c’est une conception de la virilité dépolitisante qui nie le rapport d’oppression que les hommes exercent sur les femmes.
Et, autre point qui est lié au précédent, cette critique de la virilité a tendance à réserver le sexisme à une certaine catégorie d’hommes (ceux qui sont outrancièrement virils comme Pascal). Et du coup, les autres hommes (comme Sattouf lui-même) sont comme dédouanés par magie de tout sexisme. Or le patriarcat profite à TOUS les hommes, et le sexisme et la virilité prennent plein de formes, qui ne se réduisent pas au fait de faire de la muscu, de mettre des débardeurs blancs et de faire de la moto. Vous voyez ce que je veux dire ?
Un autre truc qui me laisse sceptique quant au « féminisme » de Riad Sattouf (puisque lui-même accepte de se définir comme « (pro)-féministe » dans des interviews), c’est le fait qu’il lui arrive d’utiliser des expressions comme « je suis pour que la femme soit égale à l’homme» (peut-être qu’il le fait dans l’interview de So foot, je m’en souviens plus si c’était là). Ça peut paraître un peu anecdotique, mais c’est à mon avis le signe que ce type n’a jamais lu ou écouté de féministe et ne s’intéresse pas au féminisme (ou alors de trèèèèès loin), car sinon il dirait pas « la femme », mais « les femmes ». Personnellement je trouve plutôt très craignos de la part d’un mec de faire un film soi-disant sur la domination masculine en étant aussi peu au fait des bases du féminisme (à savoir ici en l’occurrence le refus du vocabulaire essentialisant).
Paul Rigouste et Meg, je vois tout à fait ce que vous voulez dire, mais je ne suis pas d’accord. Votre propos revient en fait à dire qu’il ne faut pas montrer dans un film des choses qui, quelles que soient même la bonne foi et la sincérité du réalisateur, pourrait être utilisé ou compris dans un sens islamophobe… On ne peut pas parler de polygynie, parce que « dans le contexte français », ça renforce l’islamophobie. On ne peut pas parler de la situation des femmes en Arabie saoudite, parce que « dans le contexte français », ça renforce l’islamophobie. On ne peut pas montrer de femmes soumises à l’injonction vestimentaire de se couvrir, parce que « dans le contexte français », ça renforce l’islamophobie.
Votre argumentaire fonctionnerait exactement de la même manière avec une oeuvre qui ne serait pas une fiction : un documentaire, ou un repartage journalistique, sur les femmes en Arabie saoudite, même très bien fait et très éclairé, pourrait tomber sous le coup de votre critique, en mode « ça va entretenir l’islamophobie ».
Mais c’est le réel qui est islamophobe, à ce compte-là. Que des femmes soient opprimées au nom de l’islam, c’est la vérité. Et que certains pays musulmans comptent parmi ceux où les droits des femmes sont les moins enviables, c’est AUSSI une réalité. Dans la mesure où le film représente deux choses, le patriarcat et la dictature, d’une manière volontairement caricaturale et extrême, c’est LOGIQUE qu’il aille chercher les exemples où ils sont (et du coup, je trouve que la critique de Meg selon laquelle le film dédouane les hommes français de sexisme n’est pas pertinente du tout). Je crois que le réel est en soi ambigu, on peut le tirer dans le sens qu’on veut, islamophobe ou non, antisexiste ou non… Et je ne pense pas que Raid Sattouf ait une quelconque obligation morale d’assortir son film d’un surdiscours envahissant destiné à bloquer toute liberté dans l’interprétation.
Coucou Ggauvain,
Je répond juste sur l’argumentaire, pas du tout sur le fond car je n’ai pas vu le film en question, alors je ne sais pas si il est islamophobe ou pas, ou sexiste ou pas.
Du coup je répond juste sur le principe, à savoir « Et je ne pense pas que Riad Sattouf ait une quelconque obligation morale d’assortir son film d’un surdiscours envahissant destiné à bloquer toute liberté dans l’interprétation. »
Alors perso je préfère parler d’éthique, plutôt que morale, parce-que je trouve que le mot « morale » a une connotation trop religieuse à mon goût.
Tout ça pour dire que lorsque je parle d’éthique, je me réfère à ce que vous appelez la morale.
Et donc en fait, je ne parlerais pas d’obligation, mais plutôt de choix.
J’ai l’impression qu’un des principes fondamental de l’éthique c’est qu’on est responsable pour les effets raisonnablement prévisibles de nos actions. Ça me parait une base assez bonne (même si il y a un flou dans le « raisonnablement prévisible », bien entendu) pour commencer.
Du coup, en partant de là, et reprenant l’exemple du documentaire sur les femmes en Arabie Saoudite, la question que je me poserais c’est « En quoi ce documentaire va changer la condition de ces femmes? », et si ma réponse est « en rien », la question qui vient juste après, pour moi, c’est « Qu’est-ce qu’il risque de faire alors ce documentaire, lors de sa diffusion en France? »*.
Je reprends un truc que disait Chomsky lorsque il prenait des critiques du genre « Pourquoi vous ne faites que critiquer les crimes des Etats-Unis et non pas ceux de l’URSS? ». Outre le fait que c’était factuellement faux car il se trouve qu’il a aussi beaucoup critiquer l’URSS, sa réponse était à mon avis absolument pertinente, à savoir « Parce que les crimes des Etats-Unis, je peux faire quelque chose pour les changer, car c’est mon gouvernement qui les perpétue », et également il répondait, encore une fois de manière très juste à mon avis (je paraphrase, bien entendu) « En sachant que mon gouvernement est actuellement en guerre contre l’URSS et que cette guerre est une guerre de propagande, quel serait l’effet raisonnablement prévisible si je passais mon temps à critiquer les crimes (bien réels) de l’URSS? Et bien non seulement cela n’aurait aucun effet sur les crimes de l’URSS, mais cela aurait l’effet très concret de permettre à mon gouvernement de continuer à commettre les crimes qu’il commet. Or, en critiquant et en dénonçant les crimes de mon gouvernement, je participe à la possibilité de les voir s’arrêter. »
Je pense que c’est dans ce sens qu’il faut peut-être envisager la part d’éthique qui existe dans l’élaboration, la production et la diffusion d’une œuvre culturelle.
D’où l’idée que c’est un choix politique. Soit on choisit d’être ambigüe et laisser une part d’interprétation, en sachant que cela pourrait très bien alimenter des oppressions que par ailleurs l’on condamne (l’islamophobie, dans le cas présent), soit l’on cherche à réfléchir aux effets raisonnablement prévisibles de nos actions, et on agit en conséquence.
Je sais qu’en disant ça je nage à contre-courant de la plupart des idées reçues sur l’art et les oeuvres culturelles, surtout le cinéma en France. Car le paradigme archi-dominant en France, c’est qu’il faut se contenter d’une critique formelle des oeuvres, et donc au sein de ce paradigme-là, ce qui est ambigüe, libre d’interprétation, et flou, est souvent valorisé.
Mais d’où l’idée que c’est un choix politique, un choix éthique, et non pas une obligation.
Perso, je ne dis pas « Tu dois réfléchir à tout ça lorsque tu fais un film », je dis plutôt « Faire l’économie de cette réflexion est un choix politique, et du coup je pense que ce que tu fais est critiquable. »
Alors pour l’exemple que prend Chomsky, perso cela me semble clair. Il se peut que pour le film en question ça le soit beaucoup moins, j’en sais rien. Je pense juste que la prémisse (sur comment agir éthiquement) est assez intéressante à réfléchir.
Pour l’exemple du documentaire, il me parait assez clair que l’effet d’un tel documentaire sur la vie des femmes en question serait exactement zéro, mais par contre l’effet sur les communautés musulmanes françaises (qui, je suis sur que vous l’avez remarqué, vivent une stigmatisation assez poussée en ce moment, ce qui a bien sur des effets concrets sur le vivre-ensemble) seraient assez grande, à mon avis.
Du coup j’ai bien peur que si l’on ne prenne pas en compte le contexte dans lequel on agit, l’on sombre dans l’idéalisme le plus abstrait et le plus libéral qui soit.
Alors la question du contexte est difficile, car on ne s’entendra peut-être pas sur la réalité du contexte dans lequel on évolue. Je ne suis donc pas en train de dire qu’il existerait une formule magique qui expliquerait comment on agit de manière éthique, ça serait absurde, vu que la notion d’éthique est une notion humaine, qui varie selon les époques, les cultures etc.
Et je pense même que ce qui ressort de ce principe d’éthique, c’est que la même action peut-être éthique dans un contexte et pas du tout éthique dans un autre.
Mais il me semble que si l’on arrive à s’entendre sur le fait qu’on est responsable des effets raisonnablement prévisibles de nos actions, il se peut que Riad Sattouf ait fait l’économie d’une telle réflexion lorsqu’il à fait son film (mais j’en sais rien, je le répète), et je pense que des personnes françaises qui feraient le documentaire dont vous parlez pour qu’il soit diffusé en France, seraient très certainement en train de faire l’économie d’une telle réflexion. Ou alors, bien plus grave, le ferait en connaissance de cause, précisément pour stigmatiser les musulman-e-s en France.
Tout ça pour dire que la question du contexte est à mon avis absolument centrale, car sans ça, il me semble impossible de réfléchir politiquement (et donc éthiquement) aux questions que posent les œuvres culturelles.
Autrement dit, pour avoir un regard éthique sur ce que quelqu’un-e est en train de dénoncer ou critiquer, il est impossible de se passer de la prise en compte des effets probables sur le contexte dans lequel s’effectue cette dénonciation ou cette critique.
Car on est responsable de ce que nous on peut changer, affecter, influencer. On est pas responsable de ce qu’on ne peut pas changer, affecter, influencer.
Et donc certaines critiques me semble éthiquement défendable, d’autre pas, et ce MÊME si elles dénoncent une réalité, pour les raisons que j’ai expliqué et que j’espère sont claires, même si je ne sais pas si mon post brille par sa clarté 🙂
*Une question annexe serait même « Est-ce que dans l’élaboration de ce documentaire, son financement, sa création, sa production et sa diffusion, y a-t-il une volonté (qui tient la route) de changer la condition de ces femmes? », mais je pense que cette question reste annexe car elle a avoir avec les intentions derrière le truc. Et en même temps la question des financements n’est JAMAIS à mon avis à ignorer, car le financement se fait toujours dans un contexte politique particulier, avec des intérêts politiques derrières. Car pour critiquer les autres pays, les autres cultures, les politiques étrangères des autres pays, il y a souvent des sous. Pour critiquer les politiques étrangères de la France, ou alors la culture Française (ou une facette de la culture Française), il y en a souvent moins, et ce n’est pas un hasard, bien entendu.
Merci pour votre réponse. Cela dit, quand vous écrivez :
« J’ai l’impression qu’un des principes fondamental de l’éthique c’est qu’on est responsable pour les effets raisonnablement prévisibles de nos actions. Ça me parait une base assez bonne (même si il y a un flou dans le « raisonnablement prévisible », bien entendu) pour commencer. »
Je ne suis pas d’accord. C’est un vieux débat et on ne le tranchera pas là ; en philosophie morale vous seriez dans le camp de ceux/celles qu’on appelle « conséquentialistes », mais ce n’est pas tellement mon cas. En particulier, dans tout un tas de domaines (pas forcément tou-te-s…), il me semble que lorsqu’on prend la parole pour dire quelque chose, on est comptable de la *vérité* de ce qu’on dit bien plus que des *effets* de ce qu’on dit. Je pense qu’il faut distinguer différents régimes de parole à ce propos, et qu’un discours militant, à la Chomsky, n’est pas équivalent à un discours artistique, à un discours d’information style reportage, ou à un discours scientifique. Cela étant dit, je pense que dans bien des cas, sinon tous, prendre la parole pour la soumettre à autre chose qu’à la vérité, c’est une contradiction performative.
Et puis je suis radicalement en désaccord avec votre critique de l’ambiguïté. Je me souviens d’un article de ce site, signé Paul Rigouste, je crois, sur le film Black Swann, où il était reproché à ce film d’être ambigu, d’offrir plusieurs lectures possibles… Or je ne vois pas comment on peut reprocher à une oeuvre d’art d’être « ambiguë » si cette oeuvre reproduit fidèlement une réalité qui est elle-même ambiguë, ou contradictoire si vous préférez (ces deux termes sont à peu près synonymes à mes yeux) – et je pense que la plupart des éléments du réel sont, de fait, contradictoires. En l’occurrence, sur la question de la place des femmes dans l’islam, ou de la place des femmes dans certains pays musulmans, vous avez d’emblée deux grilles de lecture possibles : une grille « genrée » et une grille raciale/religieuse. Les deux se superposent, et le réel lui-même est surdéterminé. Représenter ce réel, c’est forcément offrir aux spectateur/trice-s un spectacle confus et « ambigu », contradictoire, où chacun-e pourra privilégier une grille ou l’autre, neutraliser telle ou telle dimension, etc.
Sinon, sur le contexte islamophobe, je suis d’accord avec vous. Mais je ne considère pas « libéral » et « abstrait » comme des reproches 🙂
Coucou Ggauvain,
Il y a des trucs que je ne comprends pas dans ce que vous dites, et d’autres avec lesquels je ne suis pas d’accord (parce que je les trouve dangereux politiquement) :
1/ Votre posture « anti-conséquentialiste » (ou « a-conséquentialiste », je ne sais pas comment vous vous définiriez positivement, « déontologue » peut-être ?). Ce n’est pas parce que c’est un « vieux débat » qu’il n’est pas encore d’actualité ;-), et peut-être aussi que c’est pas très grave si on ne le « tranche pas » ici, expliciter nos positions respectives pourrait déjà être intéressant à mon avis, car on en verrait peut-être un peu mieux leur présupposés politiques ainsi que leurs conséquences politiques (ce qui est, personnellement, ce qui m’intéresse le plus).
Donc pour vous, prendre en compte les conséquences que les actes et discours ont sur les gens, ce n’est pas une priorité ? C’est quoi alors la priorité ? Se conformer à la loi morale en vous ? Au dix commandements ? Je blague mais c’est une vraie question, car personnellement, je ne vois pas comment on peut mettre au second plan les effets sur les personnes concrètes quand on se demande comment agir… Pour moi, ça ne peut conduire qu’à cautionner ou justifier des choses horribles au nom de « principes supérieurs » totalement abstraits, ce qur je trouve très dangereux politiquement.
2/ Vous parlez de « vérité » et de « représentation du réel ». Vous semblez partir du principe que le cinéma « représente la réalité » (ou devrait avoir pour tâche de représenter « la réalité ») (dites-moi quelle est votre position là-dessus car je ne vous trouve pas totalement clair). Pour moi, le cinéma ne « représente pas la réalité » au sens où il serait un miroir, ou un reflet. Les représentations qu’il propose sont des constructions (et pas des reflets du réel). Faire un film, c’est inventer des personnages, inventer des dialogues, filmer des acteurs/trices d’une certaine manière, monter ces images et ces sons d’une certaine manière, etc. Du coup, cela consiste en une suite de choix, qui sont à chaque fois politiques. Je ne développe pas car ça me semble évident, mais dites moi si ça ne l’est pas pour vous.
Du coup, votre manière de défendre le film en disant qu’il ne fait que représenter fidèlement « le réel » me semble assez fumeuse. Parce que cela revient à évacuer totalement la question de comment cette « réalité » est représentée, pour reprendre vos termes ? Ou encore, cela revient à évacuer la question des positions politiques tenues par le film, les normes qu’il véhicule, ce qu’il permet ou encourage, etc. Donc, encore une fois, je vois ça comme une manière de refuser de voir les effets politiques des représentations. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ?
3/ Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire quand vous affirmez que « le réel est surdéterminé » ou « contradictoire ». Pouvez-vous préciser concrètement ce que ça peut vouloir dire à propos des thèmes brassés par Jacky (domination masculine, femmes voilées, islam, etc.) ?
Coucou Ggauvain,
Vous avez raison on ne va pas trancher une question comme ça ici. Je pense toutefois que c’est une question assez importante, et je rejoins les questions que vous a posé Paul.
Je pense que votre conception de « la vérité » est abstraite, philosophique, et donc naïve.
Pour moi, il n’y a pas de « vérité » avec un grand V, dans ce sens là je suis plutôt Nietzschéen (sans le côté misogyne, évidemment). Je pense qu’il est beaucoup plus pertinent de parler en terme de points de vue sur le réel, et donc d’interprétations.
Et les points de vue que l’on a sur quelque chose dépend grandement, pour moi, de notre vécu, de notre socialisation, de nos valeurs etc.
Pour en revenir à votre distinction des différents discours, je ne fais pas (vous vous en doutiez surement) de distinction entre les différents types de discours, mais seulement du point de vue que l’on peut avoir dessus. Et ici, ce qui m’intéresse c’est le point de vue politique, car tous les discours dont vous parlez ont a leur fondement un point de vue sur le monde, qui est un point de vue en partie (en partie assez grande à mon avis) déterminé politiquement (au sens large du terme. par exemple l’éducation différencié que l’on donne aux enfants mâles et aux enfants femelle dans le but qu’illes deviennent un jour des hommes et des femmes, et que les hommes dominent les femmes, c’est politique).
Donc un documentaire (même comportant plein de « vérités » sur la condition des femmes en Arabie Saoudite), mais qui est produit et diffusé dans un contexte où il ne peut avoir d’effets concrets sur ce qu’il prétend décrire, pose largement question éthiquement (et donc politiquement) parlant.
Il est incroyablement naïf (voire de l’aveuglement volontaire) à mon avis de penser qu’un documentaire, un film, un discours quelconque se construit et se diffuse dans le vide. Ce n’est pas le cas, il se produit et se diffuse dans un contexte, social notamment, dans lequel opère des systèmes d’oppressions.
Pour prendre le cas de Chomsky, il dit une chose qui est un truisme à mon avis, c’est à dire qu’un système de pouvoir va de manière tout à fait logique encourager les discours qui le montre sous une bonne lumière, et empêcher les discours qui le critique, car le pouvoir vise avant tout sa propre reproduction.
Donc à mon avis, parler de « vérité » de manière aussi naïve, c’est explicitement fermer les yeux sur les enjeux politiques qui encouragent la production et la diffusion massive de certaines « vérités » au profits d’autres. (J’omets bien sûr le mensonge et la désinformation, qui sont largement des outils du pouvoir, mais c’est parce que juste ici ce n’est pas le propos).
C’est absolument fondamental politiquement, de se poser la question de qui parle et dans quel contexte, surtout lorsque l’on consomme de l’information (qu’on ne produit pas, bien entendu, vu que nous vivons dans un système où les moyens de production et de diffusion d’informations est tout sauf démocratique).
Alors oui, a priori l’Arabie Saoudite est un pays qui craint complètement niveau droits des femmes. Et si j’étais en Arabie Saoudite, je penserais (peut-être, parce que j’ai pas non plus envie de prétendre ici que je connais le contexte Saoudien même vaguement) qu’un documentaire telle que vous décriviez*, serait une chose très intéressante et à diffuser massivement.
Pour être clair, en France, le contexte n’est pas le même, et donc ça change LE PROPOS MÊME du discours, à mon avis.
Je reprends l’exemple d’un tel documentaire parce que je pense qu’il correspond assez bien à comment le féminisme est souvent détourné ou instrumentalisé à des fins racistes et islamophobes.
Je dirais même qu’un tel documentaire aurait non seulement zéro effet sur les femmes en question, ainsi qu’un effet de renforcement de l’islamophobie en France, MAIS EN PLUS aurait un effet négatif sur le féminisme en France, car un tel documentaire permettrait très largement aux discours hostiles au féminisme de dire « vous voyez, là-bas elles ont des vraies problèmes, alors de quoi vous plaignez-vous? » (C’est d’ailleurs des discours que j’ai déjà entendu explicitement prononcé, y compris par des personnes qui se disent progressistes).
(Petite Parenthèse juste pour dire que, bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faut juste se dire « bon bin les femmes Saoudienne, on s’en fout », et d’ailleurs il existe des mouvements de solidarités féministes internationales. Du peu que j’ai discuté avec des nanas qui sont investies dans ce genre de truc, il me semble qu’un des trucs qui ressortaient énormément c’est qu’elles ont dû re-penser leur approche au féminisme, car elles se sont rendu-compte que leur discours de femmes (souvent blanches) Françaises étaient totalement hors-contexte pour plein d’autres femmes, qui vivent dans d’autres réalités. Ce n’est pas pour autant qu’elles pensaient que leurs discours initial était « faux », mais elles se sont rendu-compte assez rapidement qu’il était contre-productif de penser en terme de discours (et donc de valeurs, de modes d’actions, de militantisme etc.) « vrai » ou pas. Après je ne prétend pas du tout mais alors du tout avoir une expertise sur ce sujet là, bien évidemment. Je ferme la parenthèse)
Un autre exemple. Une personne**, aux Etats-Unis, qui passait son temps à parler des crimes (bien réels) de Saddam Hussein (et rien d’autre) au moment de l’invasion de l’Irak (la deuxième, disons) NE PEUT PAS à mon avis prétendre que son discours signifie la même chose qu’une personne Irakienne qui critique les mêmes crimes de Saddam Hussein au sein de l’Irak, entre les deux guerres. Dans le premier cas, son propos (vrai) alimente de façon très claire un projet impérialiste des Etats-Unis (envahir l’Irak). Son propos, bien que vrai, ne peut pas à mon avis être dit éthique (à moins bien entendu que l’on soit d’accord avec l’interventionnisme impérialiste et néo-colonialiste des pays du Nord comme les USA et le Royaume-Uni, et dans d’autres cas la France et d’autres pays).
Encore une fois, il me semble que dire que le caractère éthique d’un propos est déterminé uniquement par la véracité de celui-ci est totalement naïf, à tel point que cela devient contre-productif politiquement.
Je pense, sur l’ambiguïté, que cela rejoins la question politique, et je rejoins les questions de Paul là-dessus. Parce que lorsque vous dites ça, moi ça me fait échos aux gens qui disent « ah oui mais le patriarcat ce n’est pas si simple, la domination des hommes sur les femmes, c’est ambigüe, c’est complexe, c’est confus », ou d’autres trucs de ce genre.
Et du coup je pense qu’il y a des chance qu’on ne soit pas d’accord sur la question du patriarcat, des classes de sexe, des intérêts matériels qu’ont les hommes à voir reproduire leur suprématie etc. 🙂
*Ici il y a quand même un énorme problème, c’est qu’il faut toujours se poser la question de QUI fait un tel documentaire. Les documentaires ne sont jamais neutres, objectifs etc. D’ailleurs les documentaires ont des scénarios écrits la vaste majorité du temps. Et le propos qui va s’en dégager ne sera pas les mêmes suivants les a prioris politiques des personnes qui le font, leurs vécus (donc si c’est des hommes, des femmes, des noir-e-s, des blanc-he-s, des arabes, des personnes valides ou pas etc.), qui les finance etc.
Donc l’idée d’un documentaire « vrai » me fait quand même bien rigoler dans l’absolu.
Ce que je dis sur les documentaires est d’autant plus vrai pour les films, qui sont d’autant plus des suites de choix politiques comme le dit Paul.
**Comme il y en a eu des multitudes, invité-e-s sur les plateaux télé, à la radio, vraiment partout. Et je pense que cela pose encore une fois la question « Qui diffuse les informations (même vrais), à quel(s) moment(s), et pourquoi? »
Juste un commentaire rapide sur l’éthique quand Liam dit :
« J’ai l’impression qu’un des principes fondamental de l’éthique c’est qu’on est responsable pour les effets raisonnablement prévisibles de nos actions. »
Je crois que c’est une des meilleurs définitions que je n’ai jamais lu. Simple et concise.
Je crois aussi que c’est extrêmement important parce que c’est une des bases fondamentales (j’insiste sur le terme) que se base l’essentiel de la critique sociale et politique des films qu’on peut lire sur ce site.
Et à mon avis, c’est une excellente base, souvent mécomprise.
La plupart des critiques qui sont adressées à ce site sont faites sur la base de cette incompréhension, de cette méprise.
Il ne s’agit pas (du moins si je le comprend bien) de faire la critique des « intentions » des auteurs ou de leur talent artistique, ou même du fait que certains soient effectivement techniquement brillant (je ne sais plus quelle auteure du site reconnaissait apprécier de Drive au son aspect technique et cinématographique en dépit de sa critique féministe).
Il s’agit, comme le dit Paul, de critiquer le contenu réel dans le contexte où ils sont « produits et reçus ». C’est à dire en analysant des films en les contextualisant. Malgré le caractère prétendument « intemporel » (je dirai plutôt actuel, ou « contemporain ») les chefs d’oeuvres et les pires nanares, qu’ils soient basse propagande ou véritable subversion, n’existent pas en dehors de leur époque, et du contexte politique et social de celle-ci.
Ce n’est qu’en reconnaissant qu’ils sont politiques dans la mesure où ils existent comme un produit de leur époque que la critique émise de manière générale sur ce site est audible, intelligible, compréhensible. Si on refuse ce préalable, qui implique un positionnement éthique (reconnaitre la responsabilité des auteurs dans leur oeuvre, même lorsqu’elle leur « échappe ») : aucune critique n’a d’ailleurs de sens.
Bien entendu, même en acceptant ce prédicat, on n’est pas obligé d’adhérer à toutes les critiques qu’on peut lire sur ce site (au contraire, d’où l’intérêt des commentaires et du forum)
Mais je crois qu le seul débouché réel de ce type de rejet c’est d’ailleurs soit l’individualisme le plus typiquement libéral (très répandu dans la culture française, notamment « de gauche »), soit le nihilisme (qui a au moins la prétention d’être subversif). Entre les deux il n’y a rien.
Je suis par ailleurs complètement d’accord avec l’article de Métric, et les critiques et contributions de Meg, Liam et Paul qui pour moi le complètent.
J’ai lu la critique de Metric ainsi que tous les commentaires et le fil de meg, suite à quoi j’ai regardé le film.
Concernant le caractère situé d’une oeuvre cinématographique (ou autre), le présent site se positionne clairement : « Le cinéma est politique ».
Il convient donc d’analyser la pertinence du film par rapport à son ambition de mettre en lumière le fait social de la domination masculine en immaginant une domination féminine.
Tout d’abord le registre se situe d’emblée dans le grotesque, de la scène de masturbation conduisant à l’évanouissement jusqu’à la servitude domestique
de la préparation des repas qui se limite à touiller une bouillie arrivant par un robinet.
Le grotesque tue tout pouvoir subversif à l’inverse de l’effet comique. Le grotesque n’est pas le comique.
Je n’ai pas rigolé une seule fois en visualisant ce film, je me suis copieusement emmerdée.
Pour un film prétendant inverser les rôles de domination, le poids des tâches domestiques est largement minimisé.
Les garçons jouissent tout de même d’une liberté de mouvement et de paroles en présence des femmes (filles, mère ou épouse) qui n’existe pas pour les femmes en système patriarcal phallocrate.
On observe des gestuelles très typées banlieue dans les poignées de mains échangées par les garçons voilés lors de leurs rencontres dans l’espace public.
La construction sociale du langage corporel du dominé est apparemment quelque chose qui échappe totalement au réalisateur.
La domination masculine est avant tout une violence symbolique qui s’imprime dans le corps des petites filles qui deviendront des femmes fantôme avec un langage corporel très particulier notamment les yeux
sont toujours baissés lors d’une interaction avec un représentant du sexe masculin pour ne citer qu’un exemple.
La domination masculine passe par un travail d’aliénation des femmes de leur propre corps afin de les rendre disponibles pour les hommes à la fois pour leur plaisir et pour la reproduction. Cet élément-là est absent du film.
Ensuite l’invraisemblance du scénario cendrillon et de sa chute (un couple homosexuel au pouvoir pour perpétuer un système totalitaire népotique) entérine l’inaptitude des femmes
à construire des stratégies légitimant, confortant et perpétuant leur position dominante dans la durée.
Comment un couple homosexuel va-t’il produire l’héritière ou l’héritier s’il s’agit d’initier une phase progresiste ?
C’est une question que ne s’est posée La Générale qui n’ayant pas réussi à avoir de descendance féminine, n’a élaboré aucune stratégie pour maintenir sa famille au pouvoir.
De nombreuses solutions existent pourtant et ont été mise en oeuvre dans la réalité et de tout temps par le patriarcat pour maintenir leurs familles au pouvoir notamment en répudiant les épouses
ne donnant pas naissance à un héritier mâle ou en brouillant carrément la filiation en s’appropriant l’enfant d’une femme etc etc.
Mais non, la matriarche est vraiment trop stupide pour élaborer de telles stratégies et elle va même jusqu’à organiser le mariage homosexuel de son héritière qu’elle sait être un héritier avec un autre homme tout en sachant que l’union supposée perpétuer le système sera stérile.
Elles ont inventé la grande bouilleuse mais elles sont toujours pas au courant que c’est le gamète masculin qui décide du sexe de l’enfant ce qui donnerait plus de légitimité aux femmes dominantes à répudier
leur grand couillon que l’inverse.
Le titre de Metric indique qu’il s’agit de la description d’un matriarcat phallocrate ou peut-être a t-elle(il) voulu dire que le couple homosexuel au pouvoir est une représentation phallocratique.
Je ne suis pas certaine de comprendre ce qu’a voulu dire Métric mais pour ma part je pense qu’il s’agit plutôt d’un matriarcat phallocentré. Pourquoi pas après tout puisque les sociétés de chasseurs-cueilleurs qu’on suppose déjà patriarcale avaient pour culte celui de la fécondité et des attributs féminins de celle-ci (hanches large, ventre rebondi et mamelles hypertrophiées).
Les éléments de la phallocratie ne sont pas présents : notamment la misogynie, le sexisme à l’égard des femmes, la culture du viol (des femmes par les hommes) n’existe pas, pas plus que la religion chevaline ne porte sur les attributs sexuels masculins.
Mais il y a bien un phallocentrisme puisque l’enjeu des relations intimes femmes-hommes qu’il s’agisse de plaisir sexuel ou de reproduction reste le phallus.
C’est le personnage du prostitué Julin qui illustre le mieux ce phallocentrisme en même temps qu’il permet de repérer que la prétendue inversion des rapports de domination
n’est pas aboutie ni en matière de sexualité ni en matière de genre.
Julin apparait pour la 1ère fois, sortant d’une passe avec une fierté toute phallocrate : affalé sur un divan jambes écartées dans un slip moulant ses parties génitales, pressant la cliente qui s’attarde préoccupée qu’elle est de savoir quand est-ce qu’elle pourra le revoir.
La même cliente plus tard dans le film aura à coeur de savoir si elle est aimée du prostitué avant de s’autoriser à exiger une faveur sexuelle depuis son statut de dominante.
Cela est-il crédible en terme de rapport de domination ? Evidemment non.
Idem concernant la grotesque scène de viol de Corune sur Jacky qui comme tout le monde l’a bien remarqué, n’est pas plus traumatisé que ça par cet évènement.
La perte de sa virginité va t’il l’empêcher d’accomplir sa destinée ? Non
Pensez-vous que Cendrillon aurait suivi la bonne fée au bal dans son carrosse si elle avait été violée la veille par un garçon de ferme pour obtenir ses escarpins de vairs ?
La scène qui pourrait se rapprocher le plus d’une réel appropriation du corps d’autrui à ses dépends et contre son gré pour son propre plaisir est la tentative de viol de la Cheffe de la Police écourtée par le héros Julin avec son gros calibre.
On a ici les piliers phallocentriques de la représentation du désir et de la sexualité féminine qui établissent que les femmes ont :
1- absolument besoin du phallus pour éprouver le plaisir sexuel
2- absolument besoin d’une intimité affective pour se laisser pénétrer
Il y a donc un maintient d’une forme de domination phallocentrée au travers de cette dépendance au phallus comme objet physique et symbolique incontournable pour la satisfaction sexuelle des femmes.
Autre élément qui montre que la représentation de genre n’est ni inversée ni déconstruite : la réflexion de Jacky qui ne veut pas finir avec une gueuse au dents tordues.
Au final à Bubune, les hommes même dominés doivent être bien burnés et bien membrés et les femmes un minimum sexy, fragiles et sentimentales quand il s’agit de l’intimité sexuelle.
Il n’y a que Paul Rigouste dans le fil de meg qui a fini par relever cette lacune centrale qui fait que rien ne fonctionne dans ce scénario et plus généralement dans aucun scénario visant à inverser les rôles pour
parler de la domination masculine aux hommes.
Que faudrait-il alors ?
Pour répondre à cette question, on ne peut pas échapper ni l’évidence de la différence des corps biologiques, ni au rapport différencié à son propre corps qui en découle dans l’apprentissage de la sexualité.
Le viol d’un homme par une femme ne pourra jamais trouver son pendant en terme traumatique et post-traumatique en inversant les rôles.
En effet, le viol d’un homme (par pénétration) par une femme à défaut de requérir son consentement affectif, mental et/ou moral, requiert le consentement de son pénis.
Le trauma qui va en découler pour l’homme sera la prise de conscience qu’il ne maitrise pas son phallus et sa capacité érectile. C’est effectivement problématique et potentiellement traumatisant dans une société patriarcale phallocrate dont le fondamental repose sur la légitimité des hommes à donner libre cours à leur pulsion sexuelle aux dépends d’autrui si nécessaire (nécessité fait loi quoi). Une tel expérience va venir déstabiliser la perception de sa propre virilité.
Les lésions physiques qui peuvent en découler sont sans commune mesure avec le viol d’une femme par un homme sans son consentement.
Le pendant du viol de la femme par l’homme, pour l’homme est le viol d’un homme par un homme et encore ce n’est pas un pendant symétrique car il faut arrêter de vouloir
à tout prix tout symétriser, tout égaliser par une uniformité que dément la réalité différenciée des sexes biologiques.
Les conséquences psychiques d’un viol pour un homme par un autre homme ne sont pas exactement les même que pour une femme et je m’arrêterai là.
Si ça vous intéresse aller chercher auprès des professionnels psychologues.
Il faut tout d’abord rappeler que la sexualité recouvre deux aspects distincts pour l’humanité : le plaisir et la procréation.
Les progrès technologiques en matière de PMA décorrelle encore plus fortement sexualité ludique et reproductive.
Je ne me positionne pas ici par rapport à ces techniques, je dis ce qui est : il n’y a pas d’identité exacte entre la fonction reproductive et l’exercice de la sexualité pour le plaisir pour ce qui concerne l’être humain.
Concernant le plaisir sexuel, les hommes ont un organe externe qu’ils apprennent à manier dans le ventre de leur mère (selon les sexologues).
Vous ne verrez pas une fille s’introduire un doigt dans le vagin dans le ventre de sa mère, pas tellement plus à la puberté.
La découverte du plaisir sexuel chez les filles comme chez les garçons se fait par un organe externe (pénis pour les garçons, clitoris pour les filles) et les femmes apprennent plus tard à
avoir ou non du plaisir avec leur vagin. Autrement dit le désir de pénétration n’est pas inné pour la femme.
Si désir et le plaisir féminin dépendent peu voire pas du tout du phallus, l’inverse n’est peut-être pas vrai.
Il faudrait vérifier cela par des études sérieuses qu’il est impossible ou très difficile de faire mais on pourrait découvrir que le désir de pénétration n’est pas présent chez les filles pubères alors qu’il l’est peut-être de manière plus prépondérante chez les garçons.
Pour garantir le sérieux d’une telle étude, il faudrait déjà que la pornographie n’existe plus donc c’est pas demain la veille.
Les femmes ont 2 organes qui peuvent coopérer ou être antagonistes quant au plaisir : le clitoris dont on sait qu’il s’agit d’un pénis miniature
et le vagin dont on ne comprend pas bien qu’il procure du plaisir puisque dépourvu d’innervation suffisante.
On ne peut cependant pas ignorer l’expérience des femmes qui éprouvent du plaisir voir un plaisir distinct de celui du clitoris par la pénétration.
Le plaisir féminin n’est pas encore compris et on trouve autant de pseudo-études visant à nous convaincre qu’il n’est pas si différent de celui des hommes
que de pseudo-études pour nous expliquer l’inverse.
Ce qui indique aujourd’hui dans nos sociétés que la pénétration n’est pas le sésame évident de la sexualité féminine pourrait être le fait que les hommes se passent plus difficilement des femmes que l’inverse
en matière de sexualité. La masturbation les laissent insatisfaits alors qu’elle est pour beaucoup de femmes bien plus satisfaisante que les rapports sexuels
avec un homme.
Le premier point est donc que dans une société où les femmes domineraient de la même manière que les hommes dans un système patriarcal phallocrate,
c’est-à-dire en étant légitime à exprimer librement leur pulsions sexuelles sur le chemin de la moindre contrainte et de la facilité, il n’est pas certain qu’elles
choisiraient la pénétration pour les satisfaire.
On pourrait peut-être trouver des endroits où les hommes seraient détenus pour le seul plaisir des femmes au cas où elles souhaiteraient expérimenter la pénétration.
Mais comme il y a fort à parier pour que celle-ci ne soit pas satisfaisante pour elles, ces endroits ne seraient surement pas aussi bondés que le furent les bordels en leur
temps ou les lieux de prostitutions actuels.
Le second point qui découle du premier est qu’il n’est pas certain que le modèle du couple serait celui qui serait privilégié pour la reproduction ou que la famille traditionnelle
soit la structure sociale de base de cette société.
En matière de reproduction, il est nécessaire de rappeler qu’en tant qu’espèce sexuée, nous avons une asymétrie reproductive qui donne aux seules
femmes la capacité de procréer les deux sexes. N’en déplaise au patriarcat qui travaille activement à l’ectogénèse et humant brain projet, c’est pas demain
la veille qu’on pourra simuler une grossesse en dehors du corps des femmes et espérer avoir des êtres en bonne santé physique et psychique.
S’il fallait écrire un scénario inversant réellement les rôles de domination, il faudrait déjà choisir de prendre ou non en compte les technologies de reproduction assistée.
Je précise qu’il s’agit dans cet exercice de rester dans un modèle de société productiviste déshumanisée et déshumanisante à la manière dont le patriarcat l’a mise en place
principalement aux dépends des femmes.
Si ces techniques étaient entre les mains des femmes qui domineraient à la façon des hommes actuellement, on peut imaginer :
– qu’on aboutit à la suppression du sexe masculin (les femmes se reproduisent entre elles, voire même se clonent dans une illusion d’éternité) ou que quelques spécimens
sont produit pour remplir certaines tâches. A vous d’imaginer lesquelles, moi j’ai du mal puisque les femmes peuvent faire tout ce qu’un homme peut faire et même plus.
– qu’on aboutit à une société de classe hyper-sexuée avec toutes les femmes en haut et que des hommes dans les classes laborieuses
A chacun de se lancer dans les scénario SF les plus fous mais le véritable défi consisterait déjà à se débarrasser du modèle du couple qui est une invention patriarcale
pour s’approprier et maintenir sous contrôle masculin les capacités reproductives des femmes.
Voilà qui donne quelques clés pour comprendre l’avènement des lobbys masculinistes ces 40 dernières années.
Merci pour votre commentaire, c’est vraiment très intéressant.
Je n’ai effectivement jamais vu de film qui propose une reflexion aussi poussée sur l’inversion des rapports de domination, c’est dommage. On tombe tout de suite dans un patriarcat inversé (comme dans le film). Et le réalisateur est en plus obligé de transposer ça dans un univers ultra manichéen pour évacuer toute subtilité.
Je pense que Riad Satouf n’a aucune idée de ce qu’est la domination masculine (et pour cause, il ne la subit pas au quotidien). Comme vous le soulignez, c’ est une domination beaucoup plus insidieuse et perverse que ce qu’on voit grossièrement montré dans ce film, et c’est un problème car en voyant le film on est amené à penser que les femmes qui vivent ces situations dans la vraie vie (donc les situations des hommes dans le film) sont stupides de ne pas se révolter. Puisque ça a l’air si simple dans le film (via le personnage du parrain de Jacky).
Je me souviens avoir entendu Riad Satouf dans une interview sur france inter sur le conte de Cendrillon, dont est inspiré le film. Il disait n’avoir jamais compris les motivations de l’héroïne: pour lui, Cendrillon était stupide d’aller au bal au départ de sa belle-mère, elle aurait du s’enfuir dès qu’elle le pouvait. Je pense qu’il n’avait pas dans l’idée que le seul horizon possible et envisageable pour une fille, c’est de trouver le bon maître (=l’homme de sa vie) donc cette décision est tout à fait logique dans la tête d’une petite fille (elle l’était dans la mienne en tout cas). Mais un petit garçon a pleins de possibilités d’envisager l’avenir, donc pour lui il ne s’agit pas du meilleur choix. Tout ça pour dire que si Riad Satouf pouvais laisser les femmes tranquilles, ça serait pas mal (ou les laisser parler au lieu de parler à leur place).
Après la rédaction de mon précédent commentaire que j’ai axé sur la déconstruction de tout ce qui a trait au phallus comme élément structurant les sociétés patriarcales à tous les niveaux, il m’apparait intéressant d’explorer d’autres voies en s’émancipant le plus possible des finalités productivistes et reproductivistes des sociétés patriarcales phallocrates.
Si l’on s’émancipe de ces deux finalités pour ce recentrer sur l’individu dans toutes ses dimensions, de tout autres scénario apparaissent mais qui ne se heurtent pas moins à l’antagonisme apparent essentialisme/constructivisme, inné/acquis qui anime de nombreux débat houleux dans nos sociétés. Je dis apparent car l’épigénétique rend à mon avis ces débats tout à fait obsolètes.
Je vais résumer l’état actuel des connaissances épigénétiques par cette phrase : « l’ADN n’est qu’une partition que chacun interprète à sa manière ».
On découvre donc que inné et acquis loin de s’opposer, se superposent et interagissent et ce probablement dans les deux sens.
Bref on ne pourra jamais établir de frontière figée entre inné et acquis pas plus dans la matière (la biologie) que dans la sphère sociale.
En prenant en considération l’épigénétique, il m’apparait nécessaire de déplacer le débat ailleurs.
Dans mon précédent post j’ai émis l’idée qu’il n’existe peut-être pas de pulsion reproductive ni chez les filles ni chez les garçons mais plutôt une construction sociale visant à orienter les pulsions sexuelles
(dont le but premier concerne le plaisir individuel pour soi) dans le sens de la reproduction.
Etablir une société qui respecterait cette absence de pulsion reproductive implique potentiellement la disparition de l’espèce humaine.
Je peux concevoir que ceci soit anxiogène pour la plupart des gens et inquiétant pour le système productiviste actuel qui a besoin de renouveler les générations pour se perpétuer. Laissons pour le moment ces aspects de côté pour explorer ce que pourrait être une société respectant avant tout l’individu dans sa totalité (donc quel que soit son sexe) et qui aurait pour objectif principal
la liberté de l’individu de choisir son mode de vie et les activités auxquelles elle(il) participe.
Le mode d’éducation de cette société ressemblerait fort probablement à l’éducation populaire autonome du Québec.
Si l’on peut retirer totalement la pression sociale reproductive, on ne peut s’affranchir totalement de l’aspect productif (et non pas productiviste) dans la mesure où un certain nombre d’activités coopératives seront toujours nécessaires pour couvrir les besoins primaires tels que l’alimentation, le logement, le chauffage, les loisirs etc.
Chacun(e) est libre de choisir de participer ou non sans que cela menace d’une quelconque façon sa vie au sein du groupe : l’individu optant pour l’oisiveté bénéficie de nourriture, d’un logement et d’une vie sociale où tout le monde respecte son choix.
Bien évidemment il n’y a pas de technologies pour assister la reproduction puisque cette société ne se donne pas pour finalité de se reproduire.
Il n’y a pas de technologies de « communication » pléthoriques permettant d’aller plus vite, d’être plus efficace, plus performant puisqu’on en n’a pas besoin (il n’y a pas d’existence virtualité pour échapper aux contraintes aliénantes des sociétés productivistes).
Les individus étant pleinement conscients de leur potentialités, les femmes comme les hommes auraient parfaitement conscience, sans se défier outre mesure les uns des autres que ce sont les seules femmes qui ont la capacité à engendrer les deux sexes, que l’interactivité entre la mère et l’enfant commence dans le ventre de sa mère, que cette interactivité précoce se poursuit lors de l’allaitement et que tout cela est bénéfique pour le développement psycho-moteur, psychique de l’enfant ainsi que lors des apprentissages.
Dans une telle société, quels seraient les rapports sociaux en général et les rapports intimes entre les individus plus particulièrement ?
S’il est facile de répondre à la première question : on n’aurait probablement pas de phénomène de sexuation des activités productives (on aurait à peu près autant de femmes que d’hommes dans toutes les activités),
il est beaucoup plus ardu de répondre à la seconde.
Aurait-on une société où l’activité sexuelle serait majoritairement la masturbation solitaire ?
Aurait-on une société où l’activité sexuelle serait majoritairement une sexualité partagée à deux ou à plusieurs (sans présager de la composition du groupe) ?
Y’aurait-t’il une possibilité pour que le couple (deux individus quel que soit leur sexe décidant de s’engager à vivre ensemble dans la durée) existe ?
J’invite chacun(e) à tenter d’élaborer là-dessus car l’exercice me parait intéressant mais je rappelle quand-même qu’un enfant dans un environnement sécurisant affectivement est plutôt turbulent, explorateur et curieux du monde qui l’entoure.
Bonjour bonjour !
De façon générale, je trouve que tu vas un peu loin dans l’interprétation des propos du film et que tu le diabolises beaucoup, mais mon but n’est pas vraiment de venir en débattre ici comme ca a été fait dans les commentaires précédents.
En fait j’ai déjà lu une chronique à propos de ce film réalisée par une blogueuse revendiquée féministe (ou tout du monde, anti-sexiste et anti discrimination genrée), qui en fait une toute autre interprétation que toi, beaucoup plus positive et je pense que c’est intéressant d’y jeter un oeil !
Voici donc le lien vers la bd qu’elle a rédigée à propos de Jacky au royaume des filles : http://www.mirionmalle.com/2014/02/jacky-au-royaume-des-filles-chevalin.html
Bonne soirée 🙂
Je m’excuse par avance de poster un message si tardivement après la rédaction de cet article, mais je vient de le découvrir.
Un point développé dans le texte et avec lequel je me porte en faux (et qui n’a semble t’il pas été évoqué dans les commentaires… quoi que je ne les ai pas tous lu) concerne les 2 scènes de viol.
Aucune des 2 n’a de ressort comique et ne « minimise » rien.
Au contraire même. Je n’ai absolument pas rit pendant ces scènes. J’ai même été très mal à l’aise. Il en est de même d’ailleurs pour toutes les personnes (femmes ou hommes) que je connait et qui ont vu ce film.
La première (le viol dans le magasin) n’est pas drôle. Jacky est vraiment mal. Non pas parce qu’il va perdre sa pureté qu’il réserve à la Colonelle mais parce qu’on le force à quelque chose qu’il ne souhaite pas. Ses divers « non » sont éloquents en ce sens. Quand à son violeur (impossible pour moi de mettre ce mot autrement qu’au « masculin) ses mimiques n’ont rien d’un ressort comique. C’est l’expression claire de l’individu qui se moque bien que l’autre soit d’accord et qui ne pense qu’à son égoïsme.
La seconde scène de viol (celle dans la forêt) est encore pire. Jacky sort la nuit et tombe sur un groupe qui déduit que si une personne sort le sort c’est forcément parce que la personne cherche le sexe… le genre de raccourcis que toute femme a déjà (hélas) vécu. Jusque là rien de marrant.
Jacky oppose à nouveau des « non » et son comportement est encore plus dans la panique et l’angoisse… impossible de rire à cet instant.
Et les gestes de Valérie Bonneton sont encore moins drôles. Elle est véritablement flippante, se comportant comme un prédateur de la pire éspèce, joignant gestes ignobles aux propos abjects.
Ces 2 scènes sont tout le contraire de la « ridiculisation » du viol. Elles le dénonce même avec une force qui met terriblement mal à l’aise.
(d’ailleurs dans la scène suivant le viol dans le magasin, c’est Jacky qui est accusé d’avoir « allumé » son violeur… là encore cas typique de nos sociétés patriarcales ou la victime devient responsable. Quand au viol dans la forêt il ne fini que sur un drame violent: la mort par arme des agresseurs. Pas vraiment de quoi rire déjà mais surtout on peut y voir au final le fait que seules les victimes peuvent se défendre entre elles et sans l’intervention d’une personne appartenant au sexe des bourreaux).
Je viens de remarquer que le personnage de Julin peut aussi représenter le trope de la « faiblesse masculine que seraient les femmes » (inversé donc dans le film). Julin se débrouille mieux avec les femmes que les autres hommes dans le film parce qu’elles sont à sa botte au niveau sexuel. La sexualité hétérosexuelle est un moyen pour le film de montrer une voie de sortie de l’oppression, ce qui est bien masculinistement glauque…