Auteur: Fanny Gonzagues


Une histoire banale (2013), d’Audrey Estrougo

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Trigger Warning : cet article parle de violences faites aux femmes et de viol.

Audrey Estrougo a écrit le scénario d’Une Histoire banale en une semaine et le réalise en moins d’un mois avec un budget de 8000 euros. Les acteurs/actrices et les technicien-ne-s y ont participé bénévolement. Le film est tourné dans le 40 mètres carré de la réalisatrice. Une partie du budget a été récolté par une campagne de financement sur le net car personne ne voulait produire et distribuer le film. Pourtant, la cinéaste a déjà réalisé deux films : un premier en 2007, Regarde-moi, sur le vécu de filles en banlieue et Toi, moi et les autres en 2011 une comédie autour des différences de classe sociale. Son troisième projet portait sur des femmes en milieu carcéral. Mais là encore, producteurs et distributeurs ont refusé de le financer. C’est ainsi que remontée contre le fonctionnement du cinéma français elle réalise Une histoire banale, un film qui parle de violences sexuelles.

Le projet d’A. Estrougo :

Dans des interviews ou sur le site internet du film, j’ai cherché ce qu’Audrey Estrougo disait de son film. Rendre explicite ses intentions me paraissait intéressant d’abord pour ne pas se méprendre sur le sens général du film et ensuite car elle semble avoir pleinement conscience des enjeux politiques du film, comme elle le signale elle-même, ce film se veut « révolutionnaire » : il renverse volontairement des idées reçues sur les violences sexuelles et sexistes.
Dans le Journal Du Dimanche, A. Estrougo, explique qu’elle veut faire un film sur la façon dont le viol est perçu.

« Qu’est ce que c’est que cette société qui considère souvent que la victime d’un viol l’a un peu cherché ne serait ce que par sa façon de s’habiller ? C’est intolérable. »1

Sur la page web du film, elle explique longuement son projet et ses positions :

« Effectivement, être femme aujourd’hui c’est mener un drôle de combat contre la dictature du paraître avant tout dictée par le regard des hommes. La société est telle que notre reflet est conditionné par la pensée de l’homme, ses désirs, ses pulsions… A ceci, il faut ajouter ma rage de cinéaste, celle qui me pousse toujours plus loin, celle qui constamment me donne envie de dire tout haut ce qui dérange et que l’on préfère passer sous silence. Quoi de plus tabou aujourd’hui que le viol ? Avec cette démarche, j’ai avant tout voulu mettre en avant la scandaleuse position de ce crime malheureusement si banal et auquel on accorde trop peu de crédit. Seulement, s’est-on une fois demandé ce que signifiait être violée ? De nombreuses victimes se considèrent comme mortes, endeuillées d’une partie d’elles-mêmes. J’ai donc décidé de prendre ma caméra et de faire entendre leurs voix pour que ce crime inhumain puisse être considéré comme tel. Le silence doit être brisé, les cartes redistribuées pour que le viol soit enfin puni à sa juste mesure.
Pour ce faire, l’industrie du cinéma, à l’heure actuelle ne me laisse pas beaucoup de choix. Avec les polémiques actuelles, ce n’est un secret pour personne lorsque j’affirme que le cinéaste qui refuse de se plier à la dictature de la comédie et de ses célèbres comédiens, se lance dans une galère première classe. Je l’ai toujours su et voilà pourquoi, « une histoire banale » a été pensé et sera conçu comme un film révolutionnaire. Écrit en une semaine, ce cri du cœur ne tient qu’à l’énergie de ceux qui m’entourent un peu plus chaque jour. L’idée est simple : faire un film de cinéma, pour prouver à l’industrie que les spectateurs veulent autre chose que leurs films formatés. Je reste persuadée que le public français peut être curieux et désireux, voilà pourquoi je fais appel à lui en l’invitant à participer au financement du film. Grâce à cet argent, nous pouvons assurer un repas quotidien à l’équipe qui devra réaliser l’exploit de tourner un film de long métrage. Plus les dons seront, plus nous pourrons louer du matériel et donner de la consistance au film. »2

Pour reformuler rapidement le projet d’Audrey Estrougo, je dirais qu’ Une histoire banale est un film sur le viol et plus précisément sur les conséquences concrètes d’un viol en prenant l’exemple d’une femme parmi d’autres.

L’histoire d’un viol :

Au début du film, Nat, qui a environ trente ans, va chercher Wilson, son copain, à la gare. Illes se côtoient depuis 5 ans environ et illes habitent deux villes différentes. Ainsi, illes ne peuvent se voir que les week-end. Ces premiers moments du film sont axés sur la relation entre Nat et son ami. Quand illes arrivent dans l’appartement de Nat, illes se jettent l’un sur l’autre et font l’amour. Puis illes déambulent nus et joueurs dans l’appartement. Les intentions de la réalisatrice sont ici claires : Nat est à l’aise avec son corps et avec sa sexualité. Son consentement dans la relation sexuelle est exprimé et explicite : elle se déshabille elle-même et initie l’acte sexuel.
Illes sortent boire un verre et Damien, un collègue de Nat, lui signale qu’il est intéressé par elle. Elle lui dit clairement que ce n’est pas réciproque.

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Nat dit à Damien qu’elle n’est pas intéressée.

Wilson repart. Nat, un soir, sort dans un bar dansant avec une amie. Elle tombe sur le même collègue. Il s’incruste un peu quand les filles dansent. Nat décide de rentrer chez elle. Le collègue propose de la raccompagner à scooter. Arrivé devant chez elle, il lui répète son attirance. Elle lui dit qu’elle n’est pas intéressée. Quand elle ouvre sa porte, le collègue s’introduit sans y être invité dans l’appartement et la viole. Elle est hébétée et surprise. Il part. Elle s’enferme chez elle, choquée, prostrée.
Le lendemain, elle retourne au travail. Dans la rue, elle le voit. Elle s’enfuit. Elle cloisonne les fenêtres et la porte de son appartement. Elle a peur.
A partir de là, le film se centre sur Nat et les différents moments douloureux par lesquels elle passe. Panique, sentiment d’insécurité, peur dans la rue, puis sentiment de saleté, douches répétitives, se faire mal, se brosser jusqu’à se blesser, puis réconfort dans la nourriture et punition de se réconforter. La phase de punition continue dans une période d’activité sexuelle intense. Maquillage, mini jupe, sortie, alcool, elle choisit des types par hasard et semble parfois reproduire la scène de viol qu’elle a vécue. Elle n’en prend aucun plaisir, son visage paraît triste. Les relations sexuelles sont rapides et les types ne se posent pas de questions sur le plaisir que Nat semble ne pas avoir.
Au milieu de tout ça, elle se sépare de Wilson, s’isole de ses ami-e-s. Vers la fin, elle va porter plainte au commissariat. Peu à peu, elle renoue des liens avec certaines personnes avec qui elle peut parler du viol, se déculpabiliser. Enfin, elle va reprendre possession de son corps. Dans la dernière scène, elle se regarde dans un miroir et danse.

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Un film ancré dans la réalité : 

Loin des stéréotypes sur le viol (le parking, la nuit, l’inconnu étranger…) le film semble coller de près à la réalité du viol. Le personnage de Damien correspond à un certain nombre de donnés statistiques sur les violeurs. Dans 75% des cas, l’agresseur est dans l’entourage de la victime, ici, il est le collègue de Nat. Dans 67,7% des cas, le viol a lieu au domicile de la victime ou de l’agresseur, ici, Nat est violée chez elle. 49% des viols sont commis sans aucune violence physique, ici, Damien rentre en usant de la surprise chez Nat, celle-ci est stupéfaite et ne réagit pas.
Au début, Nat ne va pas porter plainte. D’ailleurs, elle semble ne même pas y penser. Et en effet, on constate que sur les 75000 femmes violées en France chaque année, 90% ne portent pas plainte 3. Quand Nat finit par aller au commissariat, c’est un échec. Le flic qui l’interroge est déplaisant, il lui pose des questions sur sa tenue, et semble sous-entendre qu’elle a été ambiguë avec son collègue. Ainsi, ce moment semble assez représentatif d’une certaine réalité car très peu de plaintes aboutissent à un procès. Ici, nous avons l’impression que Nat va abandonner rapidement cette procédure qui finalement la décourage plus qu’elle ne la réconforte. De plus, la scène du dépôt de plainte au commissariat soulève un certain nombre de stéréotypes liées aux personnes violées et aux figures du pouvoir. La victime doit être par exemple forcément en jupe sous-entend le policier. Or, Nat portait un jean. Elle ne se souvient plus de la scène exactement donc pour le policier, elle ment en partie.Or, la mémoire d’un viol est toujours quelque peu troublée. Le fait que le policier soit un représentant de l’État et du pouvoir induit que c’est bien là un problème de société. En effet, le peu de considération qu’il témoigne pour Nat emmène à penser que d’une part la justice ne remplie pas les attentes des victimes de viol et que d’autre part les structures du pouvoir et ses représentants ne font pas grand cas des violences sexuelles.

Un autre point est intéressant dans le film, la réalisatrice a pris le parti de se centrer exclusivement sur Nat et la façon dont elle vit son viol. Ainsi, Damien disparaît complètement. Pas d’excuses, pas d’éléments psychologiques à charge, on ne s’occupe pas de lui car il n’est plus le sujet du film. C’est Nat, son vécu et comment elle fait face qui semblent importer à la réalisatrice. Elle dit d’ailleurs lors d’ une interview qu’ il y a dans le film deux personnages principaux seulement : Nat et puis sa douleur 4. D’où le dispositif cinématographique mit en place : les plans se resserrent autour de Nat, jusqu’à l’apogée de ce processus, dans la scène du commissariat, où l’on ne voit plus que son visage. Sa solitude apparaît donc visuellement. Les intentions de la réalisatrices sont originales, loin des films du type Rape and Revenge 5, comme Irréversible ou L’ange de la vengeance, qui se centre sur la vengeance après un viol, dans le film d’Audrey Estrougo le point de vue de Nat est le seul dont on se préoccupe et la façon dont elle se sort de sa douleur est certes moins spectaculaire que dans un film comme Kill Bill, mais semble plus réaliste.

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Cette autre affiche est assez significative !

Ainsi, la trajectoire de Nat, certes particulière, n’en demeure pas moins percutante, car finalement, le fait que le film s’inspire des statistiques sur le viol montre qu’il essaye de faire sortir le viol de l’exception, du privé, de l’inquiétant fait divers. C’est d’ailleurs peut être pour cette raison que le film s’appelle Une histoire banale. Car c’est une histoire qui finalement arrive à beaucoup d’autres personnes. La scène où Nat lit des témoignages sur internet de personnes violées tend à prolonger cette idée 6. Elle prend conscience que d’autres personnes ont vécu ce qu’elle a vécu. Elle ne cesse d’ailleurs de répéter que « ça arrive ».

Il est intéressant de remarquer qu’Audrey Estrougo a choisit de montrer des phases de réactions très claire (phase de boulimie, obsession de se laver…). Elle délimite chacune. Certes, cette façon d’aborder le viol est plutôt « didactique 7 » mais demeure en partie intéressante. En effet, il est intéressant de montrer qu’il peut y avoir différentes phases et qu’elles peuvent s’enchaîner, être différentes, changer. De même, montrer qu’il y a des traumatismes liés au viol permet d’en ancrer la réalité et rend impossible la négation ou la minimisation de la douleur ressenti par la victime. De plus, il me semble que par rapport aux films style Rape and Revenge, qui s’achève avec la vengeance de l’héroïne et du coup la mort du violeur, Une Histoire Banale rend compte du temps qu’il faut à Nat pour s’en sortir. Le passage du film qui met en scène les différentes phases de réactions de Nat montre que gérer son viol n’est pas forcément aussi simple qu’une balle dans la tête d’un mec!

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Bang bang, gros gun et jarretelles…

Mais il faut garder en tête aussi que c’est là que le film ne tient pas un propos universel et qu’il y a autant de réactions possibles à un viol qu’il y a de viols. Il n’y a pas de bonnes réactions et de mauvaises réactions, des bons points ou des malus comportements. Et je ne peux m’empêcher de vous mettre ici une citation de Virginie Despentes dans King Kong Théorie. Despentes revendique le droit de ne pas forcément se sentir enfermé par les phases traumatiques qu’il faudrait ressentir pour être une bonne victime.

« Penser pour la première fois le viol de façon nouvelle. Le sujet jusqu’alors était resté tabou, tellement miné qu’on ne se permettait pas d’en dire autre chose que « quelle horreur » et « pauvres filles ». Pour la première fois, quelqu’un valorisait la faculté de s’en remettre, plutôt que de s’étendre complaisamment sur le florilège des traumas. Dévalorisation du viol, de sa portée, de sa résonance. Ça n’annulait rien à ce qui s’était passé, ça n’effaçait rien de ce qu’on avait appris cette nuit-là. »

La phase qui m’a le plus interrogé est celle où Nat sort beaucoup et a des relations sexuelles avec des hommes qu’elle choisit dans des bars. Il semble que cela soit un moyen pour Nat de se réapproprier sa sexualité. Pourtant, Nat y apparaît ne pas pas prendre du tout de plaisir et vivre ces relations rapides plutôt mal. On peut alors se poser la question de savoir si Nat consent à ces relations ou pas. Il peut être difficile de comprendre que même si elle ne prend pas de plaisir elle consent à ces rapports. Or, Nat choisit manifestement ce type de sexualité car il semble lui permettre de reprendre ainsi possession de corps. Personnellement, il m’a semblé que ces scènes étaient un peu ambiguë car elles pouvaient faire naître une interprétation que j’ai envie de déconstruire ici. Je m’explique : le fait de représenter ce type de sexualité comme une phase réactionnelle post viol induit que ce comportement pourrait être en général problématique et ne pas être vécu positivement et qu’il serait du coup une « pathologie ». En gros, cette représentation un peu négative de ce type de sexualités pouvait laisser penser que cette sexualité est liée à un traumatisme. Il aurait peut être été intéressant de montrer des personnes s’épanouir dans cette sexualité mais bon comme le propos du film n’est pas là, je pinaille un peu car il est clair que Audrey Estrougo raconte l’histoire de Nat, histoire du coup particulière et personnelle à son personnage et elle n’universalise pas la réaction de Nat.

Un troisième personnage ?

Un autre point est soulevé tout le long du film, et je n’ai pas trouvé d’interviews d’Audrey Estrougo dans lesquelles elle en parlait. Cela en partie parce qu’il apparaît très imbriqué dans le propos principal du film. Il s’agit du harcèlement de rue.
Cela commence au tout début du film, Nat est dans le métro et sourit à elle-même en pensant à Wilson qu’elle va retrouver dans peu de temps. Un type assis en face la regarde et semble interpréter ce sourire intime comme une invitation publique. Il s’assoie donc à côté d’elle et la regarde avec insistance. Nat étonnée, agacée et mal à l’aise change de rame.
Il y a ainsi au moins trois autres scènes où Nat se retrouve harcelée. Ce sont des scènes de rues et de lieux publics dans lesquelles des hommes font des remarques sur le physique des femmes, des plaisanteries ou des avances, on les y voit dévisager du regard des femmes ou se rapprocher physiquement d’elles sans y être invité.

Ainsi, le film tisse un lien ténu entre le viol de Nat et les moments de harcèlement qui se produisent dans la rue. Je suppose que cela permet à la réalisatrice d’instaurer un climat sexiste où se produisent quotidiennement des violences contre les femmes. De même, là encore, ce lien permet de replacer le viol comme un acte finalement banal dans une société sexiste au sein de laquelle les violences sexuelles « arrivent » et arrivent souvent. Car la société patriarcale en assignant aux hommes et aux femmes des rôles et des comportements sociaux inégalitaires favorise les violences sexuelles et sexistes.

Ces trois scènes semblent rentrer particulièrement en résonance entre elles et avec le viol de Nat. Dans la phase de sexualité intense de Nat, un type dans la rue fait une remarque à Nat sur son physique. Nat, très énervée, commence à se battre verbalement puis physiquement. Son amie temporise la situation. Surprise du comportement de Nat, elle lui dit « calme-toi, il a juste dit que tu étais mignonne ». Visiblement Nat est dans une phase de confusion et de violence trop démesurée pour être saine et c’est son amie qui tient un discours a priori raisonnable. Or, Nat est dans son droit de signaler que ce n’est pas ok pour elle d’être regardée et jugée. Elle dit à son amie qu’elle n’a pas envie qu’un type lambda lui parle de son corps. Pourtant, les remarques de rue ne sont pas vécues comme des violences que quand on est mal luné. C’est un nœud que le film ne résout pas vraiment en témoigne une autre scène à la fin du film dans laquelle un jeune homme vient parler à Nat qui est assisse dans un parc seule sur un banc. Il lui dit qu’il la trouve mignonne et qu’il veut lui donner son numéro. Au début, elle est froide mais le type insiste, s’assoit à côté d’elle et va jusqu’à la toucher, s’incruste dans sa sphère d’intimité mais comme il fait des blagues en même temps, sa drague semble passer mieux et Nat finit par discuter avec lui et accepter son numéro. Pour ma part, cela me semble assez problématique car cela suppose qu’il y aurait une façon de faire qui permettrait de dégeler les femmes qui disent non et conforterait les « artistes de la drague » à bien insister et à se donner après des conseils bien horribles. En bref, il semble qu’il y ait d’autres raisons qui colle avec le propos du film pour lesquelles Nat accepte de discuter avec cet homme (que j’expliciterai par la suite), mais on peut aussi voir dans cette scène un truc assez moche de légitimation de drague bien lourde qui continue même après que la fille ait dit non et qui induit ainsi un rapport de pouvoir.

Cependant, je crois qu’il y a là non pas une minimisation du harcèlement de rue mais une forme de temporisation : tous les dragueurs ne sont pas des harceleurs et ainsi tous les harceleurs ne sont pas des violeurs. C’est un moyen pour la réalisatrice de faire sortir Nat de cette phase de violence contre les hommes en général et de lui redonner confiance en une forme de communication à peu près égalitaire. En effet, elle rit aux blagues du jeune-homme et semble plutôt bien. Pour moi, le fait que le jeune homme se soit incrusté dans l’espace de Nat m’interroge sur la possible communication égalitaire qui peut suivre d’un tel premier contact. Il me semble un peu dommage que ce soit une scène de drague qui permette de montrer que les interactions avec les hommes peuvent être sereines.

L’autre scène se passe à la toute fin du film : Nat assiste à une altercation dans la rue. Une fille engueule un type qui l’a harcelée. Puis, elle marche vers Nat et lui parle de son malaise avec des larmes dans les yeux.
Je n’ai pas très bien compris ce que Nat ressentait (si vous voulez me donner votre interprétation je l’accepterais avec plaisir!). Est-ce de l’admiration pour ces filles qui se battent quotidiennement pour lutter contre ces violences sexistes ? Cette hypothèse aurait alors un côté girl power car elle induit que Nat est devenue solidaire des femmes en général qui ont connu des violences. Ou bien, deuxième hypothèse, elle se voit en miroir dans cette femme et repense à sa propre violence envers les hommes et aussi envers elle-même, elle voit dans les larmes et la colère de cette femme le reflet de la détresse qui a été la sienne et elle réalise qu’elle est désormais sortie de cela, sortie de sa douleur. Cette hypothèse semble être confirmée par la scène suivante (la dernière) dans laquelle Nat va à un club de danse et danse face au miroir, en se regardant, reprenant ainsi possession de son corps. Alors qu’il y a d’autres femmes autour de Nat, il n’y a pas vraiment d’interaction entre elles ce qui rend manifeste qu’Une Histoire Banale est bien l’histoire de la trajectoire personnelle et particulière de Nat et que la réalisatrice a fait le choix de se centrer précisément sur cela, du début à la fin, de la douleur au sentiment d’aller mieux.

Même si l’expression est (très) maladroite, Le Journal du Dimanche dit que le film n’est pas « le brûlot féministe auquel on aurait pu s’attendre » et Audrey Estrougo souligne dans le même article que ce n’est pas un documentaire qu’elle a voulu faire mais bien un film. Ainsi, il n’a pas de prétentions à donner un point de vue universel sur les réactions d’une personne après un viol. Pourtant, il est très intéressant et mérite d’être vu car il replace le viol et le harcèlement dans les mécanismes d’une société sexiste. Dès lors, l’histoire du viol d’une personne est bien souvent une histoire banale.

Fanny Gonzagues

Notes :

[1] http://www.lejdd.fr/Culture/Cinema/Une-histoire-banale-un-film-pour-8-000-euros-660500

[2] http://une-histoire-banale.fr/page-d-exemple/

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Viol#France

[4] Fiche Allociné du film. D’ailleurs, elle explique la difficulté d’aborder seulement le point de vue féminin sur le sujet : « Audrey Estrougo réalise son film du point de vue féminin, en essayant de ne pas passer par le regard de l’homme, chose difficile au cinéma selon la réalisatrice. » http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=225286.html

[5] Ceux-ci sont souvent présentés comme problématiques d’un point de vue politique. Les exemples cités sont des films faits par des hommes qui parlent de la façon dont eux réagiraient s’ils étaient violées. Donc, ils utiliseraient la violence laissant entendre que si les filles ne l’utilisent pas dans la vrai vie, c’est qu’elles sont peut être contentes finalement. C’est tout l’enjeu du film de Virginie Despentes, Baise-moi, dans lequel les femmes se réapproprient cette violence de la vengeance.

[6] Que Bernard Achour dans Première qualifie ainsi : « une parenthèse lourdement didactique aux allures de miniclip documentaire pour le Planning familial… » hum hum…http://www.premiere.fr/film/Une-Histoire-Banale-3915310

[7] Un journaliste de Critikat souligne ainsi: « Le récit n’est pas exempt d’un certain didactisme dans la volonté de décortiquer toutes les phases de son parcours post-traumatique, mais il ne s’encombre jamais d’un propos purement théorique. », http://www.critikat.com/actualite-cine/critique/une-histoire-banale.html

Millénium, de Stieg Larsson à David Fincher

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Millénium, c’est avant tout une saga littéraire dont trois tomes ont été achevés et édités à titre posthume dans les années 2000. L’auteur, Stieg Larsson est mort après avoir envoyé son manuscrit à une maison d’édition. Ces livres sont centrés autour du personnage de Lisbeth Salander et appartiennent au genre policier (et ses nuances : thriller pour le premier, espionnage pour le deuxième, judiciaire pour le troisième). Cette saga a été un immense succès, il doit s’être vendu environ 60 millions d’exemplaires dans le monde et plus d’1 million en France.

J’ai lu les trois romans récemment, je les ai beaucoup aimés et j’ai été ravie de leur « popularité ». J’étais un peu passée à côté au moment de leur sortie parce qu’à l’époque j’avais eu l’impression qu’en tant qu’objet de « culture de masse », c’était pauvre en significations et que je n’allais pas y trouver matière à réflexions. Hum, j’avais fait preuve d’un beau mépris de classe. Si j’ai aimé ce livre c’est parce que j’y ai trouvé pour ma part des correspondances avec mes propres centres d’intérêt, en particulier la dénonciation d’une société patriarcale. Ainsi, je vais vous parler principalement de cet aspect là ici. Car pour moi, ce livre a une portée féministe. Mais ce n’est pas parce que j’ai lu Millénium ainsi qu’il s’agit de la seule lecture possible (en témoignent des commentaires glanés sur des forums qui voient l’œuvre comme étant anti-féministe). Je dis seulement que j’ai eu l’impression d’être en possession d’un super bouquin qui défendait des valeurs que je partage et ça m’a fait plaisir que des personnes l’aient apprécié aussi, pour d’autres raisons ou pour celles-ci.

Stieg Larsson, l’auteur, est suédois, il a été militant antiraciste et a longtemps dénoncé et analysé les mouvements d’extrême droite. Une anecdote lue sur internet raconte qu’il aurait assisté au viol d’une jeune-fille et qu’il n’aurait rien fait. Réfléchissant sur sa lâcheté, il en aurait conçu un féminisme radical.

Deux adaptations filmiques de sa saga et une en bande dessinée ont à ce jour eut lieu. La première est suédoise et a adapté la trilogie complète (Millenium 1 (Män som hatar kvinnor) sorti en 2009 est réalisé par Niels Arden Oplev). La seconde est américaine et seul le premier tome, « Les hommes qui n’aimaient pas les femmes », a été réalisé (par David Fincher avec Daniel Craig et Rooney Mara, sorti en 2012).

L’objet de cet article est de voir si les films ont su conserver l’esprit féministe et la dénonciation d’une société patriarcale et oppressante pour les femmes ; choses qui m’ont paru primordiales lors de ma lecture. Je parlerai exclusivement du tome 1 vu qu’il est le seul à connaître deux adaptations pour l’instant.

La trame narrative en quelques mots 

Mikael Blomkvist est un journaliste d’investigation dans une revue indépendante et politiquement à gauche qui se nomme Millénium. Il connaît au début de l’histoire une situation d’échec : il doit démissionner de la direction du journal et est décrié par toute la Suède car il a essayé d’épingler un riche industriel véreux mais ses sources se sont démises et il n’a plus de preuves de la félonie de l’homme. Il se retrouve sans job et plein de dettes. Un vieux monsieur riche l’engage pour enquêter sur la disparition de sa nièce, il y a 40 ans. Il soupçonne un membre de sa famille : les Vanger qui vivent tous et toutes sur une île.

Lisbeth Salander est sous tutelle avec un avocat pervers et violent dont elle se vengera. C’est une hackeuse et enquêtrice pour une boîte privée et elle est chargée de l’enquête sur l’intégrité de Bloomviskt pour le compte de Vanger qui souhaite l’embaucher. Intriguée par l’homme, elle continue de hacker son ordinateur et découvre en même temps qu’il enquête sur la disparition de Harriet. Elle décide alors de l’aider. Elle est très intelligente et possède une excellente mémoire. L’enquête entraînera les deux personnages sur la piste d’un tueur en série.

Des promos et de la com’ 

Avant de commencer, un peu de réflexion autour des films, de leurs promos et de leurs choix de com’ :

Le titre de Millenium 1 est en français (traduit littéralement du danois) « Les hommes qui n’aimaient pas les femmes ». Il semble clairement coller à l’histoire : il y a un tueur psychopathe de femmes. Pourtant, le pluriel interroge : il ne parle pas seulement de notre tueur mais aussi semble t-il de tous ces misogynes que l’on rencontre dans le roman, surtout autour de Lisbeth : les hommes qui l’agressent dans le métro et surtout l’avocat qui la viole. C’est bien, il me semble, ce que décrit le roman : un parallèle est à faire entre ces hommes qui tuent des femmes et ces hommes qui les agressent, comme si cela participait en quelque sorte à une même mécanique : une société masculine, où les hommes dominent par la violence (physique et psychologique, comme la suite des romans le confirme avec des personnages comme le psychiatre et les policiers véreux).

En France voici l’affiche du film suédois avec en bonus l’affiche espagnole :

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Cela me fait m’interroger : alors que ce titre explicite bien le propos du roman, pourquoi son traitement visuel est si petit en France, alors qu’en Espagne il est bien visible ? Y aurait-il quelque chose qui gène les gentils messieurs qui s’occupent de la com’ du film ? Le titre serait-il trop explicite pour être visible ? Cette question prend sens quand on voit qu’aux États-Unis, le titre a été complètement transformé pour The Girl with the Dragoon Tatoo, titre qu’aura aussi la version américaine de Fincher. Il semble qu’il y a dans ce titre quelque chose de gênant, une dimension trop explicite, un pluriel qui fait penser à une dénonciation du système patriarcal.

Cette idée de niveler la portée féministe de l’œuvre se retrouve dans les affiches promotionnelles des films. Voici à nouveau deux affiches, celle du Millenium 2009 suédoise et celle du Millenium 2012 américain :

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Dans la suédoise, nous voyons les deux personnages principaux au coin du feu et on les imagine en pleine réflexion autour de leur enquête. Lisbeth est au premier plan, ce qui est justifié, puisqu’elle est le personnage principal de la saga en général.

L’américaine présente un couple, dans une posture que l’on pourrait qualifier d’amoureuse, un peu amant, un peu sensuel. On est loin de l’enquête, on est plus dans le glamour. Au premier plan, c’est Daniel Craig (c’est le grand nom de la production, c’est normal), il a l’air sombre et grave (il porte le poids du monde sur ses épaules). Lisbeth/Mara est derrière un peu cachée. Le héros semble être Daniel Craig surtout que Rooney Mara l’enlace de façon un peu sensuelle : ses mains semblent se saisir avec force des pectoraux/abdos de Daniel (ce qui sous-entend à la fois, « j’ai besoin de toi mon homme » (comme si elle s’accrochait à lui), et « je te prends tes gros muscles » (dans une ambiance érotico-SM). Il me semble qu’il y a aussi une dimension enfantine dans cet enlacement de l’homme-père, j’expliciterai plus loin cet aspect.

Le pire est à venir dans une com’ qui police encore plus le propos original de l’œuvre :

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Cette affiche promotionnelle a fait scandale à sa sortie : d’abord parce qu’on voyait le sein de l’actrice (qui a été gommé par un habile montage avec la date de sortie) et ensuite parce que certain-e-s ont trouvé le sens de la pose des personnages en contradiction avec leur ressenti de lecture[1].

Je vais essayer d’être de bonne foi et de comprendre ce que cette affiche veut me dire : il y a un monsieur habillé qui enlace une fille topless. Elle est topless parce que c’est une Femen ? Non on dirait plutôt qu’elle est fragile, qu’il faut la protéger, en témoigne ce bras qui la retient vers l’arrière, contre le monsieur, bras qui semble plaire à la fille puisqu’elle le touche gentiment. Je me dis que c’est l’histoire d’un type qui doit protéger une jeune femme qui se promène nue et par conséquence naturelle encourt un risque d’agression. Et elle, elle semble très contente que son papou la protège. Oups, ça ne serait pas le scénario de Taken ?

Trêve de plaisanterie, j’ai lu le livre alors je peux me dire que ce geste d’enlacement est plutôt menaçant, figurant le pouvoir masculin. Voulait-il coller au titre original « les hommes qui n’aimaient pas les femmes » ? Ce geste symboliserait la société patriarcale même sous les traits d’un « ami » (James Bond quoi, le mec sympa par excellence) menaçant les femmes par derrière, tel l’ennemi intérieur… A la limite, j’aurais pu feindre de croire à cette interprétation mais voilà, Rooney Mara est topless… Peut-être est ce pour évoquer la fragilité du personnage, et aussi dénoncer le fait que les femmes soient toujours perçues comme objet de désir dans le cinéma hollywoodien… Mais là encore je doute que ça dénonce ou alors ça dénonce à la façon de SpringBreakers, on expose des corps nus pour après dire « nan mais je critique tout ça tsé ! » il n’empêche que ce qui reste c’est du bikini rose. Le message semble se diluer dans ce qu’il dénonce.

J’essaye d’être de bonne foi et de comprendre, mais non, rien ne se passe, cette affiche ne ressemble pas à ma vision du livre. Lisbeth est une héroïne que j’ai trouvée puissante et forte, je veux continuer à pouvoir m’identifier à elle comme figure culturelle féministe !

Alors il nous faut rentrer plus en profondeur dans les films eux-mêmes pour voir si le message de l’œuvre originale est mieux traité, car on ne sait jamais, des erreurs de com’ sont probables !

Un petit bonus : une autre image de com’ centrée sur le couple Mara/Daniel montrant bien l’ancrage promotionnel du film de Fincher dans le genre romance sensuelle avec une ambiance un peu transgressive puisque les deux héros échangent un souffle de cigarette.

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Mikael, physique et caractère du personnage dans les deux versions

Je commence les films et je ne peux m’empêcher de comparer les physiques des personnages. A priori, cela ne saute pas aux yeux, Mikael est un homme de plus de 40 ans, que l’on sait par le livre assez charmant. Mais c’est dans les détails qu’on voit les différences.

Le Mikael de Nyqvist

Mikael Nyqvist incarne bien l’image d’un Mikael gentil, séduisant, qui a conscience de certains de ses privilèges et qui essaye de se montrer le plus bienveillant et le plus respectueux possible :

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On le voit souvent faire la cuisine et pas comme Clint Eastwood dans Sur la route de madison qui épluche une pauvre carotte et finit par dire « Tiens si on prenait une bière ? ».

Puis on le voit en papi pantouflard quand il s’installe dans le chalet des Vanger pour enquêter. Ce qui casse volontairement quelque peu le côté glamour/viril du personnage. De même, il est agréable de constater que les films suédois ne semblent pas prôner un aphrodisme sans conscience. Certes l’homme est « beau » mais on voit à son corps qu’il a dépassé la quarantaine et qu’il affiche des poils grisonnant et un ventre tout a fait normal.

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Autre chose quant à sa « virilité » : il ne semble pas prendre ombrage du principe d’égalité et il n’a pas peur de dire ses faiblesses, comme avec ce passage dans la voiture où il avoue qu’il n’aime pas trop conduire et qu’il n’a pas conduit depuis longtemps.

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C’est un trope bien connu : la conduite est le privilège masculin par excellence dans lequel les femmes ne pourront semble t-il jamais exceller. Qu’ici il propose à Lisbeth de conduire est certainement un retournement de ces considérations, montrant le caractère volontairement égalitariste de Mikael.

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De la même façon, il n’a pas peur de montrer son admiration pour les talents de Lisbeth et son intelligence hors du commun. Il dit clairement qu’il aurait aimé être aussi fort, ce qui est intéressant car cela semble signifier que sa « virilité », que son privilège masculin ne va pas de soi, qu’il n’a pas le monopole des qualités et qu’il cherche à être sympa sans être oppressant et surtout sans pour autant en demander une contrepartie (comme du sexe).

En conclusion, ce Mikael suédois est un personnage cool qui est un alliée de Lisbeth et aussi par là même des femmes et de tous les autres (ceuxlles qui ne sont pas privilégié-e-s).

Le Mikael de Daniel Craig

On part déjà avec une épine dans le pied, Daniel Craig c’est le dernier James Bond qui est sensé représenter l’essence même du masculin, alors pour moi, cela ne va pas de soit de le voir dans un rôle d’homme-allié. Pourtant, je reconnais qu’il y a de l’effort et qu’il doit s’agir là de son rôle le plus politiquement sympa. Des lunettes smoothy et des pulls en laine et le voilà prêt à faire le journaleux fatigué et en perte de vitesse.

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Mais tout cet attirail n’enlève pas que Craig c’est aussi ça :

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Un torse épilé et viril, des muscles. Je parlerais de la relation de Lisbeth et Mikael dans les deux versions par la suite, mais là aussi il y a des différences de traitement.

Je peux parler aussi de la relation de Mikael avec sa fille, personnage du livre mais absent de la version suédoise. C’est une jeune-fille en conflit avec son père dans l’histoire originale puisqu’elle s’est tournée vers la religion, ce qui déconcerte Mikael qui est plutôt athée et politiquement libertaire. Dans le film, le conflit est réduit à son strict minimum et l’apparition de ce personnage sert plutôt l’intrigue puisque la fille donne la clé de l’énigme des numéros. Mais nous avons droit avant à un discours de Mikael-Daniel sur ce que c’est d’être père qui pour le coup n’a pas vraiment d’utilité scénaristique (à part pour illustrer le caractère de l’homme).  On y voit donc un père compréhensif, qui malgré ses opinions différentes est ouvert au dialogue. C’est la papa parfait, ensuite sa fille se fait kidnapper par une mafia albanaise et il va la sauver…Non, j’arrête cette blague, pardon !

mille1Trop sympa le papa !

milleTrop heureuse d’avoir un papa trop cool !

Mara/Lisbeth et Rapace/Lisbeth, physiques et caractères 

D’abord, quelques remarques concernant encore la com’ du film de Fincher. Car il faut le dire, elle est assez invasive et aussi plutôt scandaleuse, générant sans cesse des polémiques[2].

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Une série de photo promotionnelles ont été publié sur la toile avant la sortie du film. Elles mettaient en scène l’actrice Rooney Mara dans le rôle de Lisbeth et jouait sur le côté « badass » du personnage (elle fume et se fait faire des tatouages), tout en faisant de cette « révolte » physique quelque chose de glamour. Ce look paraît même être un phénomène de mode : en témoigne la sortie d’une collection « Dragon Tatoo » inspiré du look de Lisbeth chez la marque H&M au moment de la sortie du film[3] dessinée par la costumière du film de Fincher. Ainsi, au même titre que le look fifty ou classy, le look Lisbeth pose un trope, une image, une attitude. Du caractère asocial et féministe du personnage, il ne reste plus rien. De même, ses seins nus sur l’affiche font d’elle un objet érotique. C’est la même mécanique de détournement de ce qui faisait la qualité de l’histoire originale : on érotise la puissance féminine, ici l’héroïne forte (trop forte peut être), pour récupérer cette subversion et la réintégrer dans un rapport de domination classique, ce bon vieux hétéro-patriarcat dans lequel les femmes sont objets de désir pour les hommes.

Dans le roman, Lisbeth est une fille de 25 ans environ. Je donne quelques précisions quant à ses traits de personnalité  : ce n’est pas que dans le livre elle aurait peur des personnes qui l’entourent, c’est plutôt qu’elle vit comme une agression toutes les interférences qui l’empêchent de vivre sa vie comme elle l’entend. La trilogie lui donnera raison par la suite, elle ne souffrait pas de paranoïa mais était bien au cœur d’une machination politique dont les ficelles étaient tirées par quelques hommes puissants. C’est donc une personne avec une histoire difficile et des problèmes de communication avec les autres. Les autorités suédoises (toutes incarnées par des hommes) la pensant violente, la font suivre par un avocat à qui elle doit rendre des comptes sur sa capacité à se prendre en charge toute seule. Entourée de bonhommes qui voudraient la voir tomber, elle s’est trouvé des activités qui lui permettent d’avoir des relations avec d’autres humains : la communauté de pirates.

L’actrice Noomi Rapace incarne une Lisbeth d’acier, qui a un regard franc, non fuyant, elle ressemble beaucoup à l’image que je me faisais à ma lecture :

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Elle a un look un peu dark qui souligne son côté asocial : elle se fiche de détonner avec l’ambiance autour, ici le tranquille open space de la boîte où elle travaille comme enquêtrice.

Mara, elle, ne correspondait pas à mon image personnelle de lecture : son look est certes particulier mais il semble toujours participer au dispositif qui nous fait passer le personnage pour une gamine fragile. Elle porte des t-shirt trop grand ou un peu régressif, faisant d’elle une adolescente qui aurait du mal à s’assumer :

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Une petite fille à qui les vieux messieurs font des remarques auxquelles elle ne répond pas, faisant penser que c’est vrai, qu’elle a bel et bien oublié de manger :

manger

Dans le livre, Lisbeth est pansexuelle[4], elle a des aventures sexuelles indifféremment du sexe ou du genre des personnes avec qui elle partage ces moments (sans que cela ne semble jamais bizarre ni jugé car le roman me paraît sur ce point là plutôt anti-hétérosexiste : les relations affectives entre tous les personnages ne sont pas hétéronormées ou pro-amour exclusif/monogame et ad vitam). Elle vit son rapport aux relations affectives simplement : quand elle veut avoir des rapports affectifs sexuels, elle le propose. Le film suédois inclut un rapport sexuel avec une autre fille après le viol de Lisbeth par son tuteur, peut être pour montrer que le personnage est fort et qu’elle refuse de se sentir victime jusque dans sa sexualité, ne permettant pas de laisser croire qu’elle aurait été « brisée » à vie et qu’elle serait incapable d’avoir un rapport sexuel après son viol.

Dans le film américain, ça me semble moins clair. Lisbeth va dans un bar et coule un regard timide vers une fille.

timide

Juste après, nous voyons la même fille mettre un petit cachet dans la bouche de Lisbeth. Puis, on les retrouve au lit.

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La sexualité de Lisbeth semble plus passive, plus soumise au bon vouloir d’une autre qui l’aide par un petit taz à se décoincer. Dans cet ordre des choses, on perd le côté « je choisis ma sexualité comme je l’entend » qui était intéressant et le personnage nous apparaît fragile et encore une fois enfantin dans sa façon se laisser faire.

Mais le plus flagrant et le moins féministe reste la relation de Mara/Lizbeth aux autres hommes. Il y a d’abord son patron, quand Mikael veut embaucher Lisbeth dans l’enquête :

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De la dénonciation du patriarcat qui oppresse Lisbeth jusque dans sa vie matérielle, lui empêchant d’être libre concrètement et aussi symboliquement, on passe chez Fincher à un monument de bienveillance paternaliste, considérant le personnage non pas comme un être libre et indépendant mais comme une femme à protéger du monde extérieur et surtout de la lutte des phallus (l’enquête bien masculine de Mikael/Daniel contre le tueur). Il y a comme un sous-entendu : elle n’a pas sa place dans l’enquête concrète, il faut la protéger d’elle-même car dans sa vanité d’ado rebelle, elle a tendance à se croire invincible. Cette intervention du patron de Lisbeth est un ajout du film de Fincher à l’histoire originale. Dans le roman, il a ce côté paternaliste mais c’est toujours tourné en dérision puisque Lisbeth le provoque dans sa bienveillance en piratant son ordinateur par exemple (pénétration symbolique). J’ai l’impression que cette scène retourne les qualités de Lisbeth contre elle et que sa mémoire et ses compétences dans la recherche d’informations devient par opposition une incompétence dans l’action, et encore une fois la ramène du côté de la bonne veille passivité des femmes.

Lisbeth a un autre ami : son ancien tuteur, encore un gentil vieux monsieur. Dans le film suédois et dans le roman, cette amitié montre encore la particularité de Lisbeth : elle choisit ses ami-e-s sans aucune considération sur leurs âges. Elle est dans une relation d’égalité avec ses ami-e-s, elle les choisit pour leur qualité.

Dans le Fincher, il y a encore un détournement de l’indépendance de Lisbeth dans ses choix affectifs. Dans une scène de la fin, elle va voir le monsieur à l’hôpital et elle lui raconte qu’elle a rencontré un homme. Le vieux monsieur approuve et elle lui précise qu’il apprécierait pour une fois cet autre monsieur.

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Et nous voilà en présence d’une jeune-fille un peu timide qui n’ose pas regarder en face ce père de substitution et qui lui confie qu’elle vient de rencontrer un potentiel amoureux (Mikael/Daniel). Elle semble chercher l’approbation du papa. Le pire c’est que le « un » laisse penser que les autres relations affectives ne sont pas approuvées par le tuteur. Et quand on y repense, ce sont les relations lesbiennes de Lisbeth ces autres relations affectives qui nous ont été données à voir. On en conclut que l’amour de Lisbeth pour le journaliste est valorisé comme étant une relation adulte, validé par le Père tandis que les autres sont des errances d’adolescente qui se cherche.

Voici une dernière capture qui précise le côté enfantin de Lisbeth : à la fin du film, nous voyons Lisbeth dans sa chambre d’hôtel et qu’est ce qu’elle mange ? Un happy-meal, la box trop funky de macdo pour les enfants !

macdo

Le personnage incarné par Rapace semble plus sur d’elle. Ce sont les autres qui la provoquent et la violentent. Plus précisément ce sont les hommes. Ce qui fait la force du personnage, c’est qu’elle semble révoltée contre cette situation (par extension contre sa condition féminine dans un monde dominé par les hommes). La scène du métro montre qu’elle refuse de se laisser faire et qu’elle est en guerre contre la domination masculine. En résumé (dans le roman et dans le film suédois), Lisbeth est dans le métro quand elle se fait agresser par un groupe d’hommes. Dans le film, il s’agit d’un groupe d’hommes un peu ivres qui semblent sortir d’un match de foot. On les voit un peu provocateurs et débordants de leur force masculine collective pousser Lisbeth contre un mur. Celle-ci les repousse, ils la frappent en retour et lui renverse de la bière dessus. Elle casse alors une bouteille et les menace. On n’est pas dans une logique de super-women qui connaîtrait des prises de kung-fu comme dans les films d’actions, on est plutôt dans une agression semblable à la réalité où Rapace se défend avec les armes à portée de mains, sans que cela soit spectaculaire.

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Dans le film de Fincher, l’agression se passe complètement différemment : c’est un homme tout seul, qui semble être un marginal, qui vole son sac à Lisbeth. Celle-ci le rattrape, lui reprend son sac et s’enfuit. Pourquoi ce traitement différent ? Il semble que la scène suédoise exprime bien l’aspect quotidien de la domination masculine et Lisbeth apparaît être forte dans la mesure où elle lutte contre ces provocations. Dans le film américain, il s’agit de suite de quelque chose d’anodin qui montre plutôt la débrouillardise du personnage car elle réussit à ne pas rentrer dans la confrontation directe. Il semble qu’on a plus un cri contre ces inégalités dans l’image de Rapace ci-dessus et dans l’autre version une manifestation de persécutions ancrant la fragilité du personnage. Il est encore une fois intéressant de comparer les deux versions et de voir que certes, elles suivent l’histoire du roman mais dans un traitement assez différent et qui donnent des visions opposées du personnage de Lisbeth. Je me demande si la scène de viol correspond aussi à cette même mécanique. Il semble qu’elle soit construite de façon assez similaire dans les deux films. Pourtant dans le film suédois cette scène est du coup perçue comme l’apothéose horrible d’un continuum de tous les comportements patriarcaux du film, là où dans le Fincher, on pourrait plus percevoir le violeur comme un « un pervers sadique », un individu isolé, comme la scène de métro où l’agresseur était « un type marginal »[5].

Pour finir, je souligne ici que physiquement les deux actrices semblent assez différentes, Rapace est petite et musclée avec un regard acéré et emprunt de colère et Mara est petite et mince tendance oisillon égarée avec ses grands yeux accentués par la décoloration de ses sourcils lui donnant un regard un peu étrange et perdu[6].

La relation entre Lisbeth et Mikael

La Rencontre

Rappel du fil narratif : Lisbeth a enquêté sur Mikael et connaît toute sa vie intime (il entretient une relation affective-sexuelle avec sa collègue de la revue Millénium, celle-ci est mariée). Elle a donné les conclusions de son enquête à Vanger qui a embauché Mikael pour mener l’enquête sur sa nièce disparue. Elle continue de le pirater par curiosité et découvre avec lui les dossiers autour d’ Harriet.

Le moment de la rencontre des deux personnages diffère dans les deux versions : dans le film d’Oplev c’est Lisbeth qui prend contact avec Mikael après avoir découvert l’énigme des versets bibliques, première piste vers le tueur en série. Elle lui envoie un mail plein d’ironie :

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Il interroge l’avocat de Vanger et découvre que cette personne qui lui a donné la solution de l’énigme a mené une enquête à son sujet. Il va alors lui rendre visite pour lui demander de l’aide. Nous l’avons vu, le Mikael suédois ne rechigne pas à avouer ses faiblesses et il reconnaît les capacités de Lisbeth.

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On peut le voir très poli, frapper à la porte et demander s’il peut rentrer, considérant que sa présence est inopportune mais qu’elle lui doit cette rencontre puisqu’elle a fouillé sa vie privé.

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Le film de Fincher ne prend pas le même chemin. Déjà, l’énigme des versets est découverte par la fille de Mikael (ce qui est fidèle au livre) et c’est Mikael qui prend l’initiative de demander « un assistant ».

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C’est ainsi que l’avocat lui parle de Lisbeth et de ses capacités d’enquêtrice. Il découvre qu’elle a mené l’enquête sur lui et s’en retrouve tout énervé. Il se rend donc chez elle, à moitié pour l’engueuler à moitié pour lui demander si elle veut bien venir l’aider.

Cette différence marque le parti pris des films : chez Oplev, le léger changement par rapport au roman rajoute un côté indépendant au caractère de Lisbeth : elle décide elle-même de s’intéresser à la disparition d’Harriet et se montre supérieure à Mikael dans la résolution de l’énigme. Chez Fincher, on a plutôt un renforcement de l’autorité de Mikael/Craig, qui prend l’initiative de l’inclure dans son enquête. Quand il pénètre dans l’appartement de Lisbeth, il apparaît comme un vrai dominateur. Il ne parle qu’en impératifs et semble considérer Lisbeth comme une gamine.

ordre

Elle reconnaît là l’autorité de ce mâle et s’exécute, la « copine » est renvoyée et illes s’attablent pour discuter. Mais à nouveau, Craig prend les devants et s’impose dans le quotidien de Lisbeth/Mara :

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C’est alors qu’il lui propose un deal : « je fais mon enquête etc. tu veux m’assister ou pas ». Mais au lieu de simplement présenter sa proposition, le voilà qui rajoute ceci :

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Je m’imagine la scène : un type vient chez moi pour me demander de l’aider à faire quelque chose, au lieu d’être gêné et un peu mal à l’aise de pénétrer dans mon espace personnel, le voilà qui se met à me demander de virer les personnes que j’ai invité, il m’oblige à manger et il dit qu’il va faire ma vaisselle sous-entendant que chez moi c’est dégueulasse. Je me dirais qu’il s’agit là d’un très désagréable individu qui se croit dans ses pénates !

Il est troublant de remarquer que ce sous-entendu ancre encore une fois le personnage dans une espèce de figure enfantine : incapable de se gérer elle-même, elle laisse ses vieux déchets traîner. De plus, lorsque Craig pose le deal, il précise à Lisbeth : « je pense que ça t’amuserais ». L’emploi de ce terme donne l’impression qu’il propose à une petite-fille une sortie au cirque plutôt qu’une recherche méticuleuse dans les milieux de l’extrême droite suédoise.

Les scènes de Sexe

Ainsi, les deux héros se retrouvent dans le chalet sur l’île des Vanger. Illes se lancent dans l’enquête et un soir bim bam boum ! La façon dont les deux films traitent la chose est assez symptomatique de tout ce que nous avons pu relever auparavant.

Chez Oplev, nous sommes le soir après une journée de labeur, Lisbeth se glisse dans la chambre de Mikael et lui baisse son pantalon.

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Il lui demande si elle pense que c’est une bonne idée car le personnage cherche toujours le dialogue sans jamais vouloir imposer son avis.

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Si l’on prend juste la scène de sexe du film américain, on retrouve exactement la même chose, elle le déshabille et lui fais l’amour. Il y a tout de même de petites nuances : Craig dit « Je suis presque sûr que c’est une mauvaise idée », on élude un peu le côté dialogue et élaboration collective de la relation. La scène garde tout de même une portée similaire.

Sans titreSi nous regardons attentivement dans la version américaine, il y a eu un petit renversement de la situation…

Nous avons affaire à une même mise en scène : Lisbeth est dessus et prend l’initiative totale de la relation, répondant à un désir personnel. Ce qui est intéressant, car il est bien de voir un peu au cinéma les femmes ayant du désir et aussi du plaisir ce qui évite le genre de scène où l’homme à soudain envie de prendre femme et où c’est cela qui excitera et procurera du plaisir à sa partenaire.

Pourtant, je reste décidément gênée par cette première scène de sexe à cause du dispositif mis en place autour de celle-ci dans le film américain. En effet, juste avant, Lisbeth a soigné Mikael blessé dans la douche, découvrant son corps viril. Il saigne au front et elle le recoud avec du fil. La situation semble retourner les traditionnelles caractéristiques de sexe : elle se montre sûre d’elle et pas du tout apeurée par la vue du sang et elle le soigne avec sang-froid. Lui est faiblard et se plaint, il rechigne et râle, il a peur de l’aiguille. Il va dans sa chambre et se sèche, c’est là que nous voyons Lisbeth déterminée à le rejoindre pour coucher avec lui. Pourquoi cela est-il gênant ? Parce qu’il semble que son désir naît dans l’aspect « care », trope qui colle à la description normée des femmes, descendant de l’aspect maternel de leur prétendue essence. Cette scène où elle le soigne ne renverse absolument pas les rapports de domination malgré le ton des personnages puisqu’elle est le prélude de leur rapport sexuel. Tout se passe comme si la vue du corps de Daniel avait émoustillé Lisbeth et comme si sa sexualité s’éveillait en même temps qu’elle prenait soin de lui.

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La suite de la scène ne me plaît pas d’avantage car après ce moment où Lisbeth s’impose au-dessus, on voit que le bonhomme n’hésite plus vraiment à lui faire l’amour ainsi il la renverse et revient à un missionnaire plus traditionnel. Et le lendemain, surprise ! Elle a préparé le petit-déjeuner !

La deuxième scène de sexe a lieu à l’hôtel. Nous y voyons un Mikael qui a l’air de s’ennuyer sérieusement pendant qu’elle est dessus et il va même jusqu’à lui parler de l’enquête pendant qu’elle tente d’avoir du plaisir.

Le plus troublant reste qu’après ces rapports sexuels, Lisbeth semble considérer que Mikael est sa référence en terme d’autorité. Elle lui demande toujours la permission avant de faire quelque chose, s’il veut qu’elle ouvre la fenêtre parce qu’elle fume par exemple. Je ne vois qu’une hypothèse de lecture : pour Fincher, Lisbeth était une gamine en errance et elle rencontre en Mikael, plus âgé et plus expérimenté, une figure paternelle. En quelques mots, il semble qu’elle n’attendait que ça pour être heureuse : un homme pour donner sens à sa vie et à ses actions.

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Le film suédois traite la relation des deux héros de façon très différente. Lisbeth apprécie Mikael mais semble toujours gênée par trop de promiscuité. Elle prend l’initiative pour faire l’amour avec lui et lui communique sa vision de la relation : elle ne cherche pas l’amour mais juste un échange affectif. En témoigne les scènes d’après sexe où elle quitte le lit conjugal pour dormir seule.

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Il est même drôle de constater que c’est Mikael qui est dans le rôle de la personne en recherche d’échange affectif type tendresse. Après avoir fait l’amour, il souhaite rester près de Lisbeth.

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L’amour et le glamour chez Fincher

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Je n’aime pas l’aspect du film de Fincher qui fait de Lisbeth une héroïne romantique. A la fin du film, elle fuit la Suède car elle voit Craig partir avec sa collègue avec qui il entretient des relations sexuelles. On dirait que cela la peine, comme si elle réalisait qu’il ne l’aime pas. Vexée, froissée et rejetée, elle prend la fuite. Mais une image à la fin nous montre que l’expérience fut bénéfique. Qui reconnaîtrait la jeune-fille aux yeux craintifs et aux t-shirt régressifs dans cette apparition sexy ?

sexyLe glamour

Quelques mots pour conclure

Je crois que j’aimerais bien le film de Fincher s’il n’y avait pas eu le roman et le film d’Oplev et Noomi Rapace en héroïne trop cool. Alors Fincher qui es-tu ? Tu voulais reprendre cette histoire mais tu as été arrêté par les studios américains ?

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Il est malheureux de constater, comme je me l’étais proposé de réaliser, que le film réduit a minima le propos féministe et la portée contestataire de l’œuvre. Il semble vider de sa substance son propos progressiste. Il fait de la relation entre les deux personnages principaux une romance dans laquelle Lisbeth est blessée dans sa féminité et il fait de l’enquête le combat personnel de Daniel, Lisbeth y aidant seulement partiellement. Le plus agaçant pour moi reste l’aspect enfantin du personnage de Lisbeth/Mara. Ce revirement fait passer sa révolte pour ce que les psychologues appellent la rébellion de l’adolescence ignorant par là la critique originelle du roman d’un viriarcat étouffant pour les femmes et d’une société qui lui est favorable. Tout se passe comme si sa personnalité n’était qu’une carapace, une chrysalide, cachant une jeune-fille fragile en demande affective. L’intérêt pour moi des romans Millenium est au contraire le fait que Lisbeth est une personne forte qui va se battre contre les attaques de cette communauté d’hommes qui a essayé de la briser. Mikael n’est pas sa révélation amoureuse mais plutôt son ami, au sens de quelqu’un qui va l’aider dans son combat sans essayer de la dominer.

Dès lors, je ne suis pas étonnée des articles[7] qui signalent que le film de Fincher plairait beaucoup plus aux hommes qu’aux femmes qui lui préféreraient le roman.

Fanny Gonzagues


[3] http://www.cosmopolitan.fr/,le-look-millenium-debarque-chez-h-m,2087,1523341.asp ou pour en voir plus : http://www.madmoizelle.com/hm-dragon-tattoo-68358. Et bien sur, une polémique a suivi, résumé ici avec des extraits assez marrant des réponses de la marque suédoise aux critiques : http://www.gossy.fr/hm-polemique-autour-de-la-collection-millenium-art24826.html

[5] Comme l’objet de l’article est plus une étude comparative des deux films, je ne m’attarde pas sur la structure « rape and revenge », surtout que j’aurais du mal à la comparer avec d’autres films, en ayant vu très peu…Ainsi, vos remarques seront les bienvenues !

Bromance VS Womance

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Après les grandes épopées amicales masculines des années 80-90 (surnommées buddy films) telles que L’arme fatale ou Men in Black, les années 00 ont vu apparaître un sous genre : la bromance (contraction de brother et de romance), à la fois descendant des buddy films et participant au genre de la comédie romantique. C’est l’histoire d’une relation très proche entre deux ou plusieurs hommes, une amitié qui reprend les codes de la relation amoureuse hétérosexuelle : monogamie et serment à vie.

Encore une fois, Hollywood semble faire preuve d’un certain progressisme dans la construction de ce nouveau genre, mais détrompons-nous immédiatement, il faut désamorcer la menace homosexuelle qui pourrait peser sur des relations proches entre personne du même sexe, ainsi les héros de ces films auront souvent à prouver leur hétérosexualité et leur virilité, car elle est problématique dans ces films. En effet, ils sont gros, geeks, pas beaux, puceaux, glandeur, etc. Loin des physiques d’un Mel Gibson ou d’un Bruce Willis, la virilité des Steve Carell ne va pas de soi (les différences des physiques et des caractères de ces nouveaux hommes feraient à elles seules l’objet d’un article, je me concentrerai ici sur les codes de l’amitié). Par exemple, dans En cloque, mode d’emploi (2007), de Judd Apatow, la joyeuse bande de bro’ passe son temps à faire le relevé systémique des apparitions de seins dans les films et à décrypter les touffes des actrices. Dans American Pie (1999), l’unique but des bro’, c’est de coucher avec une fille avant d’entrer à l’Université.

Ainsi, sous couvert de redéfinition de l’amitié entre hommes, il y a par derrière une réaffirmation de la norme hétérosexuelle.

womances01Les bro’ s’amusent…. loin des femmes hystériques et trop sérieuses…

La deuxième critique que j’adresserais à ces bromances, c’est que la représentation d’une grande amitié entre phallus semble toujours, en même temps qu’elle délimite le territoire des codes masculins, devoir mettre à distance les autres, c’est-à-dire les femmes (mais aussi toutes formes de différences). Par exemple, dans En cloque, mode d’emploi (2007), Apatow semble prôner un certain essentialisme des sexes qui est toujours un peu agaçant : les femmes veulent un homme « sérieux », les hommes veulent glander entre potes. Les femmes sont souvent hystériques et ne comprennent pas l’humour. J’ai été atterrée par la scène où deux bro’ se font des blagues autour de Retour vers le Futur et que les filles disent :  « on comprend rien de ce que vous dites, vous voulez vous enculer ou quoi, comme des gays ? ». (et hop ! on désamorce la menace homosexuelle en rigolant… car t’imagines, ils seraient trop naaaazes s’ils étaient vraiment gays !). Cette scène est tout à fait agaçante pour une deuxième raison : il y a l’idée que les hommes ne semblent pas envisager la possibilité que cette culture « trash » ou « geek » puisse être partagée et qu’elle n’est pas que le privilège des hommes.

C’est donc ici que ce situe le point de départ de ce qui va suivre : dans ce genre de comédie, cette délimitation des cultures masculines qui sous-tend leur bromance semble rendre impossible une appropriation féminine des codes même de l’amitié. Dès lors, l’essentialisme dans la définition des caractéristiques des hommes et des femmes qui guide la plupart de ces comédies empêche-t-il aux femmes de posséder une amitié similaire à celle des bro’ ? L’apparition récente à Hollywood des womances semblerait à première vue contredire cela. Pourtant, ce substantif formé à partir de son pendant masculin, la bromance, semble oublier la partie la plus importante : l’amitié (bro). Un groupe de femmes amies est-il simplement possible à Hollywood ?

Pour rendre cette étude la plus claire possible (et la plus efficace, du moins je l’espère), j’ai choisi comme objet d’analyse les comédies autour du mariage qui ont rempli nos écrans ces derniers temps. La franchise Very Bad trip, (2009 pour le premier, 2011 pour le second et dont un troisième volet est en préparation) pour le pendant masculin et les films Mes meilleurs amies sorti en 2011 et Bachelorette sorti en 2012 pour leur version féminine.

En effet, ces trois films racontent la même histoire : un groupe d’ami-e-s affrontent le mariage d’un-e de leur membre.

Very Bad Trip, l’amitié comme exclusion des autres…

 womances03Ensemble, oui…Mais attention ! pas de femmes surtout !

Quatre amis partent fêter l’enterrement de vie de garçon de l’un d’eux à Vegas. Ils perdent la mémoire de leur folle nuit et vont devoir arranger toutes leurs bêtises et arriver à l’heure au mariage. Voilà le synopsis en quelques mots.

On pourrait se dire « pourquoi parler de sexisme, ce n’est pas le propos du film, vu qu’il se centre sur un groupe d’amis et qu’on ne voit pratiquement aucune femme dans la majorité du film ». En fait non, on ne pourrait pas ne pas en parler car il s’avère que les personnages féminins sont soit hystériques, soit nus. La petite amie de Stu est une harpie dominatrice à lunettes (donc dans le cliché commun : femme à lunettes, femmes intellectuelles et frigides) qui l’appelle tout le temps, contrôle ses comptes bancaires et cerise le gâteau, a osé le tromper lors d’une croisière. Elle bat aussi son mari, ce qui s’avère le plus choquant car cela fait de la violence conjugale quelque chose que les femmes infligent aux hommes et non le contraire. On comprend bien que celle-là, un des enjeux sera de la dégager méchamment, sorcière ! En témoigne le regard fier du très viril Phil, quand Stu explose et lui ferme son clapet en lui rappelant qu’elle l’a trompé, devant toute l’assemblée du mariage histoire que cela soit bien humiliant…

womances04Sorcièèèèère !

Celle de Phil est quant à elle inexistante : il n’en parle jamais et ne l’appelle jamais. Lorsqu’il rentre de sa petite fiesta sans lui avoir donné aucune nouvelle concernant notamment leur retard, elle l’accueille avec un grand sourire, contente de l’avoir attendu à la maison en s’occupant toute seule du gosse pendant que papa allait s’éclater avec ses potes à Vegas… mais je crois que c’est censé nous représenter le modèle de l’épouse parfaite en opposition à celle de Stu. L’autre figure féminine proposé est celui de la prostituée au grand cœur (forcément ça va ensemble, car une femme autonome (qui n’est pas en couple et qui gagne son argent) est une aberration, elle se doit donc d’être au service des hommes en aidant nos gentils camarades à trouver la vérité : il s’agit de Jade, la stripteaseuse sexy. Donc environ trois femmes qui doivent dire trois phrases pour une heure et demi de film. Soit. Mais à la fin, nous avons une bonne surprise : les photos de leur folle nuit sont dévoilées et nous voyons enfin des femmes à l’écran. Oh ! Elles sont toutes pratiquement nues et ne sont que des objets sexuels !

womances05Féministe médisante ! Il fallait attendre la fin !

Ainsi, le lieu de l’amitié masculine est un espace où les femmes sont absentes. Le groupe de garçons se constitue comme bande de Bro’ en partageant des blagues sexistes, homophobes, racistes et spécistes. Par exemple, le personnage du chinois est toujours tourné en dérision, d’abord parce que son accent chinois est sensé être « drôle » et qu’il est efféminé. Ils trouvent sa botte dans la voiture et s’exclament « mais c’est une chaussure de fille ! ». De même, il est toujours très féminisé dans son langage et ses vêtements. Le dealer est noir et la bande de copains le surnomment le « Doug black », il est un peu bête car il se mélange ses sachets de drogue. De même, ils trouvent hilarant de faire semblant d’enculer un tigre. Toutes ces « blagues » permettent au groupe de se créer une identité en excluant les autres (homosexuels, femmes, non-blancs, animaux). Tout se passe comme si, finalement, l’amitié se solidifiait et prenait forme non pas grâce aux aventures rocambolesques vécues mais plutôt grâce aux exclusions partagées par les membres du groupe. Dès lors, Stu dont le but principal était de se débarrasser de la domination de sa femme réussit son examen final en lui fermant le clapet et il saute victorieux dans les bras de ses amis juste après, qui le félicitent et semblent fiers de lui.

Alors, nous demandons-nous légitimement, dans les womances, ce sera la même chose ? L’amitié féminine exclura les hommes de son territoire et se constituera une culture autonome ? A votre avis ?

Bachelorette (2012), trouver le bonheur en passant par le phallus…

womances06Qui sont les vrai-e-s héros/héroïnes, les Bro’ ou les Wo’?

Bachelorette sorti 2012 est écrit et réalisé par une femme : Leslye Headland. Il s’agissait à l’origine d’une pièce de théâtre. Les producteurs refusèrent pendant longtemps de la financer arguant que ça n’intéresserait personne un film autour d’un groupe de femmes (du moins ça n’aurait intéressé que des femmes).  Mais grâce au succès de Mes meilleures amies (Bridesmaids) en 2011, le film trouve des producteurs.

Le film commence par un repas entre Beckie, l’outsider grosse, et Regan la distinguée, mince et blonde. Beckie lui apprend qu’elle va se marier. Regan appelle leurs amies communes du lycée pour leur annoncer la nouvelle. Dès le début, le décor est planté : les filles minces (Regan, Katie et Gena) font part d’un vrai mépris pour leur amie. Des propos mesquins tel que : « elle est pas trop mal de visage » sont prononcés. On comprend même qu’elles l’ont surnommée « pigface » au lycée. Le mariage de leur amie la moins avantagée physiquement (jugement se basant bien évidemment sur les normes sévissant à Hollywood) sera l’occasion pour les trois filles de se remettre en question, car si celle-ci a pu trouver le bonheur avant elles, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche chez elles. Oui, le postulat de base de ce genre de film c’est que le bonheur passe par le couple (hétérosexuel, bien entendu).

Et en effet, il y a bien quelque chose qui ne tourne pas rond chez nos minces héroïnes : Gena se réveille souvent à côté d’un type qu’elle ne connait même pas et abuse de drogues. Katie est superficielle, ne pense qu’à faire la fête et rêve de sortir avec un homme qui a un travail. Regan est une control freak, qui fait attention à ce qu’elle mange et peste contre sa vie ratée (parce qu’elle n’est pas mariée) alors qu’elle avait fait tout bien comme il faut (université, rencard, carrière pas trop écrasante pour un homme).

Ainsi, leurs retrouvailles vont être l’occasion de toucher le fond (symbolisé par la scène où elles prennent de la drogue) et de remettre en question leur choix de vie.

womances07Ces filles là ont un problème : elles sniffent de la cocaïne …

A partir de là, l’enjeu sera pour ces trois filles un peu paumées de remonter la pente, en comprenant leurs problèmes et en les résolvant. Pourtant, ce n’est pas leur amitié qui leur apportera réconfort et espoir, mais l’intervention d’un phallus !

Gena se drogue et couche à tout va parce qu’elle n’a jamais pu se relever après sa rupture et son avortement. Son ex va alors comprendre sa détresse et l’aider à reprendre confiance en elle pour finalement lui faire une déclaration d’amour au micro devant toute la salle du mariage. (Je ne sais pas pourquoi les déclarations publiques sont si populaires dans les comédies romantiques, d’autant plus qu’il raconte à tout le monde qu’illes ont couché ensemble la veille dans un discours bien horrible où il explique qu’il a mis son pénis dans son vagin et qu’il a fait des va et vient, reproduisant ainsi le discours dominant sur la définition de l’acte sexuel : pénétration et puis c’est tout !). Katie, ex star déchue du lycée, a du mal à trouver l’amour et se noie dans les excès, avouant même s’être taillée les veines lors d’une soirée où elle était stone. Elle remet le couvert juste avant le mariage en absorbant une boîte de Xanax. Mais l’homme gentil qui a un travail la sauve. Le lendemain, tout semble oublié et on nous laisse entendre que sa nouvelle relation la comble désormais. Encore une fois, on minimise un acte grave et on nous fait croire que l’amour finit par régler tous les problèmes… Regan en se faisant culbuter dans les toilettes sales d’un bar, comprendra qu’il faut lâcher prise sur ses exigences. Ainsi toutes les révélations et les évolutions des personnages principaux passent par l’intervention d’un homme.

Quid de leurs amitiés alors ? Nous sommes loin de la solidarité affichée dans Very Bad Trip, les amies se séparent et vaquent à leur but (trouver l’homme) dès qu’elles en ont l’occasion. Leurs relations, quand elles en ont, ne sont que jalousie pour celle qui se marie ou démonstration d’amitié sous cocaïne. Pour tout vous dire, j’ai cherché une capture d’écran où on voyait les amies réunies dans le même plan et à part à la fin, dans la danse festive où un hug général occupe le plan une nanoseconde, je n’ai rien trouvé. Tout ce qui fait l’action « comique » du film, ce sont les terribles abominations que les trois amies font subir à la robe de mariée de leur amie.

womances08On s’amuse bien : on se moque de notre amie grosse et on lui bousille sa robe de mariée au passage !

Cela commence avec l’essayage à deux de la robe qui craque puis des multiples tentatives pour la réparer qui finalement l’abiment toujours plus. Gena laisse une call-girl s’essuyer l’entre-jambe dessus. Katie, après des excès de cocaïne, saigne du nez au-dessus.

Tout cela est censé être drôle ? Non, ça ne l’est pas, car cette robe symbolise leur amitié et son traitement montre à quel point elles en font fi (à la fois de la robe elle-même et de leur amie qui la possède). D’autant plus que la robe comme artefact du mariage et de la féminité en dit long sur les possibilités des filles à se constituer comme groupe partageant de l’amitié et des valeurs communes. Les événements partagés : l’avortement de l’une et la boulimie des autres ne permettent pas de sauver ce naufrage. Même si nous reconnaissons qu’il est bien d’aborder ces choses-là dans ces films, il s’avère que c’est en stigmatisant l’avortement et la boulimie que les « amies » se constituent ici comme groupe, c’est-à-dire qu’au lieu de lutter ensemble et de se montrer fortes contre la stigmatisation opérées par la société des avortées ou des boulimiques, elles semblent avoir honte et présenter ces choses de manière négatives. Les expériences partagées permettent souvent de constituer et de définir un groupe d’ami-e. Dès lors, si celles-ci sont posées comme négatives, la cohésion amicale qui en découle n’est-elle pas d’ores et déjà bancale ?

Alors la nouveauté de ces womances c’est quoi ?

Ce qui est intéressant c’est que ces femmes s’octroient enfin des privilèges que l’on voyait destinés aux hommes dans les comédies : se droguer, les plans culs, le vomi rigolo. Cependant, il est mal vu pour une femme de faire ce genre de choses (parce qu’une femme se doit d’être toujours sérieuse, rigoureuse et s’occuper du foyer et des enfants), c’est pourquoi on nous laisse entendre qu’elles se droguent parce que elles ne sont pas satisfaites de leurs vies, qu’elles ne se sont pas encore réalisées dans la relation hétérosexuelle monogame. D’ailleurs la seule qui ne se drogue pas et ne participe pas à l’épopée alcoolisée des filles c’est celle qui se marie, alors que dans Very Bad Trip, le futur marié participait à la fiesta avec ses bro

L’idée de womance semble donc complètement artificielle : elle reprend les codes du borderline masculin (humour potache, alcool, sexe d’une nuit…) sans prendre ce qui est positif : l’amitié, l’entraide et le bonheur d’être ensemble.

Mes meilleures amies, encore une femme à réparer…

 womances09Affiche sexy pour promouvoir le film… (on cache un peu la grosse et on met valeur les corps dénudés des actrices… Welcome to Hollywood)

Bridesmaids (2011)a été écrit par Kristen Wig et Annie Mumolo qui se sont connues au Saturday Night Live, émission américaine diffusé le samedi (vous vous en doutiez je crois), à base de sketchs sur la culture et la politique du moment. Wig y était actrice dans la troupe du show et Mumolo y écrivait les scénarii (autre personnalité très connue qui y a écrit : Tina Fey dont nous connaissons le chef d’œuvre Mean Girl (2004) avec Lindsay Lohan). Il est réalisé par Paul Feig, le grand bro’ d’Apatow.

C’est l’histoire d’Annie, qui approche des quarante ans et qui va être demoiselle d’honneur au mariage de sa meilleure amie. Annie, qui nage en pleine looserie, va avoir du mal à organiser les festivités mettant par là en péril son amitié avec Lilian. J’ai eu du mal parfois à voir le côté « comédie » du film car les événements qui jalonnent la vie d’Annie et qui finissent par lui faire toucher le fond sont assez glauques. En effet, Annie travaille dans une bijouterie avec un patron horrible et se fait souvent réprimander. Elle vit avec un frère et une sœur complètement débiles qui lisent son journal intime et qui finissent par la mettre dehors. Elle couche occasionnellement avec un type ignoblement phallocrate (le choix de l’acteur Jon Hamm est, je suppose, assez second degré car il campe dans la série Mad men un fameux macho man made in 60’s). Leur partie de jambes en l’air qui ouvre le film est très caricaturale  (leur rythme ne sont définitivement pas synchronisés et ils ont l’air de vouloir des choses différentes) nous montrant ainsi l’absence d’amour des deux partenaires (car à Hollywood, les scènes de sexe sous amour, c’est draps de soie et mains qui s’enlacent, n’oubliez pas). Il n’empêche, monsieur jouit mais madame n’a pas trouvé son bonheur. Il lui demande tout naturellement de partir. Annie entame sa shame-walk sans broncher.

Tout le ressort comique du film, c’est la confrontation entre Annie la prolo et Helen la riche pour gagner le cœur de la future mariée. Chaque événement autour du mariage (fête de fiançailles, enterrement de vie de jeune-fille, essayage de robe de mariée) sera l’occasion de se livrer à une petite guerre dans laquelle Annie perdra la bataille et tout ce qui lui restait : sa dignité et son amie d’enfance. Je pense que l’aspect « lutte des classes » du film est volontaire et en effet il est intéressant que la question des moyens financiers soient abordée. Malheureusement, il semble que ce décalage de mode de vie ne soit nullement politique. Il met plutôt en lumière, par opposition, le gouffre social dans lequel s’embourbe Annie. En témoigne la scène où Annie pète un plomb quand Helen offre un billet pour Paris à Lilian et détruit le cookies géant, signe de l’aisance financière de la maîtresse de maison.

womances10La bonbonnière, l’ambiance étouffante du groupe de femmes, Annie pète un plomb…

Il est drôle de constater que nous ne savons pratiquement rien finalement des membres du groupe des demoiselles d’honneur. Dans Very Bad Trip, on connaissait la profession de chaque personnage. Ici, les femmes ne se définissent définitivement pas par leur métier. J’ai lu quelque part que les scénaristes avaient voulu que les rôles féminins correspondent le moins possible à des clichés. Epic Fail. Il y a la mère débordée, la fille naïve, la gentille copine, la freak, la mean girl et Annie.

womances11Qui à votre avis est bizarre/riche/naïve….etc… ?

Quid de leur amitié alors ? Les scènes collectives sont souvent centrées sur la rivalité entre Annie et Helen et nous ne voyons pratiquement pas interactions entre les autres demoiselles d’honneur. Il n’y a que Megan qui sort du lot et offre à Annie son amitié. Cela pourrait être touchant mais elle la frappe et l’agresse à moitié. Ce témoignage d’amitié maladroite est tout de même le passage le plus positif du film. Donc le groupe de fille se constitue autour de la jalousie entre les deux principales amies de la mariée. La scène de diarrhée témoigne d’une certaine volonté de cohésion dans le trash mais manque son but car l’humiliation subie écarte plutôt les personnages qu’il ne les réunit.

womances12Rivalité entre femmes, seule mode d’expression des wo’ entres elles….

Le mariage de Lilian n’est pas l’occasion de se réunir et de consolider des amitiés mais il est plutôt un chemin de croix pour Annie. C’est finalement un film beaucoup plus centré sur un parcours personnel que sur un groupe d’amies, contrairement à ce que l’affiche ou la promotion pouvait laisser penser. En effet, Annie est pommée, l’enjeu sera de se faire « réparer » et surprise ! c’est l’intervention d’un homme qui permettra cela.

Réfléchissons une minute…Pourquoi Annie est-elle une looseuse ? La réponse c’est qu’elle a perdu son fiancé et son entreprise de pâtisserie. Nous présenter une femme looseuse ce n’est pas normal, il faut toujours lui octroyer une psychologie de comptoir (avec une fine dose de sexisme : pourquoi avoir rajouté un copain frauduleux dans l’affaire ? l’histoire ne le demandait pas ! mais pour expliciter l’échec d’une femme c’est bien pratique…). Ainsi, si Annie rate tout, c’est qu’elle le veut bien. La morale est que si vous avez l’impression que quelque chose ne va pas, c’est chez vous qu’il faut chercher… Dans ces films les structures sociales (patriarcat, hétérosexisme, capitalisme, etc) ne sont pas désignés comme les responsables des problèmes des gens, car les responsables ce sont toujours les individus singuliers. Ainsi, on culpabilise les individus (ici l’héroïne) parce que ce serait de leur fautes si illes galèrent, alors que cette héroïne est la victime d’un système sexiste et hétérosexiste. Politiquement ça encourage à accuser les individus, alors qu’il faudrait plutôt accuser les idéologies, les systèmes de domination, qui ont mis les individus dans le caca où illes sont…

Au début du film, elle discute avec Lilian de son plan cul. Lilian lui explique que ce type n’est peut être pas très sympa mais Annie répond qu’il lui dit la vérité sur ce qu’il attend de leur relation. Pourquoi pas, nous disons-nous…. mais tout semble contredire cela : le fait qu’elle se remaquille avant de se recoucher à ses côtés, etc… Ainsi, si Annie continue de voir ce bonhomme c’est « par dépit » : son plan cul n’est pas pour elle une échappatoire ou un moyen de s’amuser, mais c’est un moyen de s’enfoncer d’avantage. Son boulot qu’elle déteste, ses colocs horribles, elle les a choisit car elle se déteste. Toute la quête du film sera pour Annie de réapprendre à s’apprécier. Annie est « fucked up » (mal dans sa peau, foutue), elle a besoin d’être « fixed ». « Fixed » est le terme anglais souvent employé dans ces films, il signifie « arranger », « retaper ». Il est aussi employé dans le film Friends with benefits (2011) pour caractériser le personnage féminin. Et c’est parce qu’elle est « foutue » qu’elle se fait plaquer au début du film. C’est souvent là tout l’enjeu d’une comédie romantique : les femmes ont besoin d’être « fixed » et les hommes de devenir plus matures… (c’est là tout l’éternel discours sexiste essentialiste de ces films). Et Mes Meilleures amies prend toute sa dimension sexiste quand le film se révèle être une comédie romantique. Les problèmes d’Annie se résoudront dans la destination unique de la femme : l’Amour. On voit bien dans son discours à de jeunes fiancées venus acheter une bague qu’elle est dérangée : elle ne croit plus en l’amour. Il faut arranger ça, elle rencontre un flic charmant et gentil qui cherchera à l’aider.

 womances13Elle résiste, mais pourtant, elle finira avec lui…

Comme il s’agit d’un homme, il sait mieux qu’elle ce qui est bon pour elle et il lui tracera sa voie en lui soumettant l’idée qu’elle devrait refaire des gâteaux et relancer son commerce. On se demande bien pourquoi elle n’y a pas pensé elle-même…

womances14Les hommes décident…

 

Conclusion

Loin de moi l’idée en nommant cet article « Bromance Vs Womance » d’imposer une hiérarchie et de faire valoir un genre (dans son double sens) sur un autre. De même, je ne souhaite pas mettre à l’index ces comédies et me placer au-dessus d’elles en position de juge car l’idée de faire valoir l’amitié au cinéma me semble une chose très positive. Le problème vient du traitement de la chose : bromance et womance n’exploitent pas le potentiel de leur sujet car ils ne donnent qu’une seule version de l’amitié, une version très codée par rapport à tout ce que peut être une relation entre personnes. Dans la bromance, le groupe se définit par l’exclusion de l’autre, tandis que dans la womance, le groupe ne se constitue jamais car on ne laisse pas les femmes avoir d’autres objectifs que celui de l’amour. Le « message » de ces films permet de reconduire les présupposés d’une société profondément patriarcale : on enchaîne les femmes à l’amour en leur proposant des modèles d’amitié bancals qui ne leur apportent qu’un trop faible réconfort. Les rapports entre femmes qui sont représentés ne sont que rivalités et jalousies, nous laissant comprendre que leurs relations sociales ne sont pas positives. Cela sert une morale politiquement douteuse : nous faire croire que les femmes entre elles ne s’aiment pas afin qu’elles ne cherchent pas à se réunir, ce qui pourrait leur permettre de critiquer un peu trop le patriarcat et leur donner des idées de révolution ou d’égalité, une femme seule et isolée étant plus facile à duper qu’un groupe de femmes solidaires.

Annexe : Figures d’Outsiders

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Ce qui fait le point commun de ces trois films, outre leur scénario plus ou moins similaire, c’est la présence d’un-e nouveau/elle venu-e dans le panorama du cinéma hollywoodien : l’outsider sympathique. Ille est en surpoids par rapport à la norme, ille est trash et un peu bizarre. Précisons du moins que dans Bachelorette, c’est l’outsider qui est heureuse et se marie avec un mec plus beau, alors qu’en général à Hollywood la condition sine qua non du bonheur c’est d’être mince et jolie. Montrer une personne « grosse » heureuse semble plutôt positif.  Pour ce qui est de Megan dans Mes Meilleures Amies, il y a aussi un côté positif dans l’idée qu’elle est indépendante : elle aime son travail, gagne bien sa vie et elle a des aventures amoureuses. Il est tout de même assez agaçant que ces personnages soient forcément comiques. Comme si il fallait toujours être « drôle » pour compenser l’idée d’être « moche » à Hollywood. Il est aussi agaçant que leurs caractère soient toujours liés à leur poids. Prenons Megan, à la fin du film, des scènes tournées caméra à l’épaule nous montre les rapports intimes de Megan et de son copain flic. Étant grosse, elle n’a visiblement pas le droit d’avoir la scène d’amour « draps de soie ». De même, la scène présuppose qu’elle aime la nourriture et faire des trucs cochons avec.

womances16Sexualité atypique pour personnage atypique…

 Et quand il s’agit d’aller manger un bout au restau, elle se précipite.

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Il est bien sûr intéressant de montrer des personnages décomplexé-e-s. Mais pourquoi cela doit-il toujours correspondre à une idée reçue en rapport avec leur physique ? Ne peut-il pas y avoir des personnages au physique atypique (selon la norme hollywoodienne) qui vivent des histoires « normales » sans que forcément on nous rappelle leur différence ? Pourquoi faut-il qu’un physique conditionne toujours l’histoire et la destinée d’un personnage ?

Fanny Gonzagues

Les comédies romantiques américaines sur l’amitié homme/femme : redéfinition ou réaffirmation du couple et de l’Amour ?

Sexfriends (No strings attached, 2011), Sexe entre amis (Friends with benefits, 2011), et Friends with kids (2012) nous racontent la même histoire : deux ami-e-s se rendent compte au fil de nombreuses péripéties qu’ils sont amoureux. Le public est content, ces films connaissent un joli succès. Tout va bien. Non, ça ne va pas si bien…Ces récentes comédies romantiques prétendent prendre acte d’une certaine modernité dans les rapports affectifs entre les sexes mais finissent invariablement par reproduire le traditionnel schéma du couple hétérosexuel. Nous sommes floutté-e-s sur la marchandise : on a des « friends » dans les titres mais l’Amour est toujours là, aussi normatif, aussi grand, et aussi immortel, et surprise, c’est lui qui gagne à la fin (spoiler, oups, enfin vous vous attendiez à quoi ?). Il serait temps de tuer les idoles, non ?

Redéfinir les relations affectives

(ça aurait pu être bien….)

. No strings attached (2011) : Adam et Emma se fréquentent de loin pendant de nombreuses années. Un jour, Adam, ivre, s’endort chez Emma et ils ont une relation sexuelle. Un peu géné-e-s, illes préfèrent ne plus en parler et rester ami-e-s. Emma argue qu’elle n’a pas le temps d’avoir des relations de couple car elle travaille beaucoup (elle est médecin) et qu’elle n’aime pas s’investir émotionnellement. Plus tard, illes recouchent ensemble et concluent qu’illes peuvent être partenaires sexuels sans investissement émotionnel, et se retrouver à toutes heures quand illes le désirent.

. Friends with benefits (2011) : Dylan et Jamie se font plaquer en même temps dans un merveilleux montage alterné. Les raisons avancées sont les mêmes : illes sont émotionnellement foutu-e-s, incapables de s’impliquer. Jamie recrute Dylan pour un travail à New-York comme directeur artistique de GQ (magazine hautement féministe). Illes deviennent rapidement ami-e-s et  se racontent leurs petites histoires amoureuses ratées en concluant que « le couple c’est fini, ce n’est pas pour nous ». Un soir, Jamie confie à Dylan qu’elle est en manque de sexe. Il lui propose alors de coucher ensemble entre ami-e-s, « comme on jouerait au tennis », c’est-à-dire sans complexes, naturellement, et sans être impliqué-e-s sentimentalement. Illes se racontent leurs préférences sexuelles et se font mutuellement jouir.

. Friends with kids (2012) : Deux amis de longue date qui s’appellent au téléphone à n’importe quelle heure de la nuit pour jouer à « tu préfères », ont du mal à avoir une relation « sérieuse ». Tou-tes leurs ami-e-s sont en couples avec bébés. Julie propose donc à Jason de faire un bébé entre ami-e-s. Illes se mettent à l’ouvrage (par voie naturelle) et se partagent la garde de leur bébé.

Jusque ici, on est plutôt d’accord, il est intéressant de redéfinir dans une réflexion commune les relations affectives. Face à la multitude de biens affectifs (un câlin, un bisou, une discussion, une caresse…) on n’est pas obligé d’être soit ami-e-s, soit en couple. Les personnes intéressées discutent ensemble de leur préférence, de la meilleure relation qu’ils pourraient entretenir. Et puis, on commençait à en avoir assez de voir au cinéma soit du sexe version porno soft soit la romance version drap de soie et mains qui se crispent. Ici, on entrevoit les prémisses d’une certaine démystification des scènes sexuelles : les personnes discutent et rigolent pendant l’acte.

L’Amour est dans la place : réaffirmation de la norme

Dans une démarche politique, où l’on souhaite déconstruire et comprendre les normes qui régissent notre société, on peut trouver intéressant de brouiller les limites tellement tranchées entre l’amour et l’amitié. Le concept de « sexfriends » semble prendre acte d’un désir de les remettre en question. Mais comme le dit un sage monsieur qui promène son chien dans No strings attached : « des amis qui couchent ensemble, ça n’existe pas ». Et ce sera là tout le propos de ces films : brouiller les limites, ce n’est pas possible. On en revient toujours au même schéma : on est ami OU on est amoureux. Les masques tombent : le faux progressisme affiché au début n’était qu’un moyen de mieux revenir à la norme sacrée : l’Amour.

. No strings attached (2011) : Emma explique à sa collègue/amie (car forcément les femmes entres elles ne parlent que des mecs, la chose est bien connue) que si elle ne s’investit pas dans une relation, c’est par peur d’être brisée… « Je vais me retrouver à pleurer dans ses t-shirt ». Pauvre petit être fragile… Pour Adam, le deal ne pose pas de problème jusqu’à ce qu’un autre homme prenne de la place dans la vie d’Emma. Une discussion surréaliste a alors lieu : le rival lui dit : « je sais que tu couches avec elle, mais moi je suis celui qu’elle va épouser car je vais m’occuper d’elle et je serais là tous les jours à lui dire des mots compliqués (REALLY ?????) et sauver des vies ». Se dessine ici une idée de ce qui doit faire rêver les femmes : il a la sophia, il prend soin de moi et il sauve le monde… [l’orgueil de ce sur-mâle sera puni à la toute fin du film car on le verra entretenir des relations homosexuelles (ohhhhhhh !!!!!), il me semblait suspect aussi à être si masculin.] L’instinct mâle d’Adam s’éveille et il tendra à faire de cette relation une relation de couple classique : exclusive et éternelle. Il multiplie les déclarations et le reste vient tout seul : la pression sociale de la famille et des amis (qui ne comprennent pas pourquoi si affection il y a, couple il n’y aurait pas) contraignent Emma a accepter cette situation et à accomplir son destin de femme : l’Amour dans le couple.

 On a remplacé les fleurs par des carottes, et alors ?…

 . Friends with benefits (2011). Le grand retournement conservateur du film (que l’on soit clair-e, on se doutait très bien que ça allait arriver, on a feint la surprise seulement pour l’hypothèse sociologique !) se produit quand la mère de Jamie l’interroge sur sa relation d’amitié sexuelle avec Dylan, Jamie répond qu’elle en profite en attendant. En attendant quoi ? De connaître le « true love », car elle croit en l’Amour qui vous saisit, vous transcende et rend les moments avec l’autre absolument inédits. Parallèlement a lieu une discussion entre bro’ après un match de basket (on est pas des pds) : « Que fais-tu avec Jamie », demande l’ami,  « On est des sexfriends », répond Dylan. « Ahhhh ces choses ne peuvent jamais marcher car les femmes veulent toujours plus » (autre poncif essentialiste anti-féministe). Dylan est dégouté : « pouahhh le couple c’est la mort ! ». Le sage ami répond : « tu verras un jour tu rencontreras quelqu’un qui fera que tu ne peux plus respirer » et blabla l’amour le vrai…. Nous, pauvres spectateurs/trices, comprenons alors que nos héro-ïne-s ne cherchent pas à déconstruire mais sont tout simplement paumé-e-s. Le film saura par la suite les remettre dans le droit chemin de la relation de couple hétérosexuelle et monogame. Car encore une fois, l’apparition d’un tiers masculin va bouleverser leur petit arrangement et Dylan se retrouve sur le carreau. Jamie prend conscience la première qu’elle « aime » Dylan. Et il finit par en prendre conscience aussi. Dans une fin ambiguë, il organise une flash-mob pour Jamie car « tu voulais que ta vie ressemble à un film, voilà » (après qu’on ne vienne pas nous dire que le cinéma n’est pas politique car même dans les films, les films ont une influence) il se met à genou et demande : « veux-tu redevenir ma meilleure amie, je t’aime », ils s’embrassent et FIN. J’avoue que j’ai eu du mal à décrypter le sens de cette fin : mon hypothèse serait que le réalisateur trouvait intéressant de continuer à « casser » les codes et à détourner le sens de la déclaration (en témoigne la volonté de jouer la carte de la « méta comédie romantique » en nous montrant les personnages du film regarder une comédie romantique qui, elle, finit par la classique demande en mariage). Mais cette hypothèse me semble outrageusement hypocrite au sens où le film finit par la formation d’un couple. En quoi cela serait progressiste de changer les mots de la demande si c’est pour finalement en arriver à la même conclusion (je t’aime et bisou) ? C’est bien là le danger de ces films : nous faire croire en une nouveauté, en une modernisation des rapports, pour nous ressortir la même soupe oppressive : l’Amour dans un couple.

 « Jamie, veux-tu redevenir ma meilleure amie ? », oulala ça déconstruit grave par ici…

. Friends with kids (2012), Jason et Julie sont heureux entre ami-e-s avec leur bébé jusqu’à ce qu’encore une fois un tiers vienne bouleverser leur arrangement. C’est Megan Fox dont Jason est tombé amoureux et qui elle n’aime pas les bébés (c’est une femme hybride, elle est mauvaise). De son côté Julie s’est rendue compte que Jason est la personne qui la connait le mieux au monde : il sait prendre soin d’elle. Comme le dit son amie (encore !!!) : « partager une si belle chose [un bébé] avec quelqu’un-e ne peut pas laisser indifférent ». Elle lui fait sa déclaration mais lui n’a pas de sentiment romantique pour elle, ni d’attirance. Illes se quittent faché-e-s et organisent une garde alternée pour leur enfant. Lors d’une discussion au bar avec un bro’, Jason raconte qu’il fait des rêves érotiques avec Julie… Mais ça veut dire qu’elle l’attire en fait, mais alors si attirance physique il y a + grande estime amicale, c’est donc de l’Amour ? Fort de cette grande avancée, il court chez Julie et lui déclare son « true love ». Baisers et Fin. Encore une fois, on assiste au grand retour de l’Amour le puissant vainqueur qui donne un sacré coup de bâton à l’idée de faire un enfant sans « Amour ».  Et la comédie romantique américaine conserve les mêmes valeurs. Sous un emballage nouveau/moderne qui semble de prime abord redéfinir les relations sociales entre les sexes se cache un bon vieux conservatisme : homme + femme = Amour = couple = bébé.

 La sainte trinité

 

Backlash : le couple cet absolu, et l’Amour avec un grand A

Dangereux ces 3 films ? Oui, car ils réaffirment pernicieusement une norme, une loi « naturelle » : une relation sexuelle entre un homme et une femme ami-e-s aboutit nécessairement à une relation amoureuse. La nature humaine ne peut pas repousser l’équation amitié + sexe = Amour. Et ces films pourrissent au passage les qualités de l’amitié car selon eux seul l’Amour est désirable, l’amitié n’étant qu’un pis-aller : « non, on n’est pas ensemble, on est juste ami-e-s ». En plaçant l’Amour au-dessus de toutes les formes de relations affectives, ces films en condamnent donc par avance l’invention de nouvelles.

De simples divertissements sans conséquences ? N’ayant pour but que de nous changer les idées après notre  journée de boulot ? Pas seulement, car il y a quelque chose de pourri au royaume des comédies romantiques, quelque chose de dangereux : l’Amour. On nous le vend comme étant la chose à rechercher, la plus belle chose de l’univers, ce qui fait de nous des êtres vraiment accomplis. Que pense-t-on de quelqu’un qui ne connaît pas l’Amour ? Qu’il lui manque quelque chose d’essentiel.

Mais attention, on ne parle pas ici de l’amour « banal », de celui que l’on peut avoir pour un-e ami-e, pour un membre de sa famille ou pour son chien. Non, on parle ici de l’Amour avec un grand A, l’Amour avec une majuscule, celui qui s’empare de nous sans raison, et qui unit un homme et une femme (parce que des homos qui s’aiment, moi j’en ai pas vu beaucoup dans les comédies romantiques), qui les unit exclusivement, et les destinent à vivre des jours heureux en couple avec des enfants (qui seront bien sûr, les « fruits naturels » de cet Amour…). Cet Amour est à bien distinguer de ces sous-produits qui lui ressemblent, qui en ont l’odeur mais qui n’en sont pas (l’amitié, l’affection, le désir, etc). Entre tout ça et l’Amour il y a un fossé, que dis-je, un précipice…

Il n’y aurait rien à objecter si tout le monde était heureux/reuse comme ça. Or, c’est bien là le problème, l’Amour est loin de ne faire que des heureux/reuses. Il y a d’abord ceux/celles qui ne le trouvent jamais (ou qui le perdent et jamais ne le retrouvent), qui le cherchent sans relâche, toute leur vie, et qui en souffrent parce que d’autres à côté semblent l’avoir. Et puis il y a ceux/celles qui croient l’avoir trouvé mais qui se rendent compte que finalement cela n’est peut-être pas si auto-suffisant que ça, qui sentent qu’ils/elles aspirent à quelque chose d’autre, peut-être à une vie affective plus riche, moins refermée sur le tête à tête entre les deux Amants exclusifs, où que sais-je encore…

Contrairement à ce qu’on nous répète donc à longueur de bobines, l’Amour n’est pas la plus belle chose au monde, car l’Amour fait souffrir (peut-être même plus qu’il ne rend heureux)[1]. Ce n’est peut-être pas un hasard si un besoin se fait ressentir de briser cette idole, besoin si fort que les comédies romantiques les plus mainstream s’en font l’écho. Et la tâche ne serait pas difficile. Il suffirait déjà de casser cette barrière arbitrairement érigée entre les différentes formes de rapports affectifs possibles, barrière qui place l’Amour d’un côté (et tout en haut), et le reste de l’autre. En multipliant ainsi les possibilités de rapports affectifs dans lesquels les individu-e-s pourraient s’épanouir pleinement, on éviterait peut-être déjà que beaucoup restent sur le carreau.

Tout cela semble facile en théorie. Mais comme on peut le voir avec les films dont nous avons parlé, le combat est loin d’être gagné. Car même lorsque certain-e-s réussissent à déconstruire ces structures oppressives pour construire d’autres vies affectives, l’artillerie lourde débarque (sous la forme de films, mais aussi évidemment de tous les autres gardiens de la norme sacrée) pour leur expliquer qu’ils/elles ont fait fausse route. L’Amour a manifestement beaucoup de défenseurs/seuses, et  ils/elles ont tout l’air d’être particulièrement zélé-e-s.

Annexe : Iconographie du coït dans Friends with Benefits

Ce film est mon préféré des 3 car c’est celui qui fait semblant d’aller le plus loin ! Permettez donc que je m’attarde un peu sur les scènes de sexe. Car il y a une vraie différence entre elles : au début, les personnages sont ami-e-s et pendant leurs relations sexuelles illes discutent, rigolent, mangent ensemble et se font des blagues. Vers la fin, la scène de sexe est beaucoup plus sérieuse, induisant ainsi que leurs sentiments ont changé et que de l’amitié, illes sont passé-e-s à l’amour ! On quitte donc une vraie complicité pour une imagerie kitsh faite de lune et de caresses tendres.  C’est là toute la différence entre « baiser » et « faire l’amour » ! Et tout se passe comme si « faire l’amour » était plus sérieux, plus intense, plus vrai… plus tout quoi !

 Entre ami-e-s, on rigole, entre amoureux/euses, les baisers sont intenses

 

 Changement de décor : entre ami-e-s on blague avec un nounours pendant qu’on a une relation sexuelle, entre amoureux/euses la lune brille à l’horizon et les corps s’enlacent dans le clair-obscur.

 Les ami-e-s se donnent des conseils, les amoureux/euses sont silencieux car leurs corps parlent à leur place, en témoigne les fameuses mains enlacées, symbole de l’orgasme mutuel qui souvent dans ce genre de films apparaît comme le sommet de l’union de deux êtres dans l’Amour.

Et ce n’est pas seulement la manière dont les personnages couchent ensemble qui change, c’est aussi la mise en scène de l’acte. Lorsque c’est « entre ami-e-s », la musique est rythmée et entraînante, et les plans se succèdent aussi rapidement que les paroles décomplexées que les personnages échangent sur ce qu’ils sont en train de faire. Lorsque c’est « entre amant-e-s », une musique pop bien romantico-sirupeuse nous est infligée, et les fondus enchaînés s’enfilent jusqu’à la nausée pour bien symboliser la fusion totale que les deux personnages sont en train de réaliser.

Le fait que le sexe oral (cunnilingus puis fellation) constitue le cœur du coït entre ami-e-s, alors que celui entre amant-e-s se réduit à la bonne vieille pénétration en mode missionnaire n’est peut-être pas innocent. En effet, s’il s’agit avant tout entre ami-e-s de se faire plaisir mutuellement (d’où les conseils constamment échangés pour y parvenir), ce n’est apparemment pas le but premier lorsque les amant-e-s « font l’amour » (et en effet, on ne les voit pas jouir dans cette seconde scène de sexe). C’est que l’événement qui a lieu alors dépasse largement le vulgaire coït et sa recherche bassement matérialiste du plaisir. Non, ici, les plaisirs de la chair sont transcendés par un sentiment infiniment supérieur : l’Amour. Or il est à craindre au passage que cette évacuation de la question du plaisir se concrétise surtout dans les faits par une évacuation de la question du plaisir féminin. Certes, on ne nous montre pas la fin de la scène « d’amour », mais on peut facilement imaginer ce qu’elle aurait donné : dans une communion mystique, les deux amant-e-s auraient atteint l’orgasme exactement en même temps (évidemment, puisqu’ils s’aiment…). La bonne blague ! Cette évacuation de la question du plaisir féminin est d’autant plus flagrante quand on se souvient que la première scène de sexe (entre ami-e-s) se fondait justement sur la déconstruction du phallocentrisme spontané du coït hétérosexuel. En effet, elle nous montrait à la fois l’homme sûr de lui et pourtant au final incapable de faire jouir la femme sans les conseils de cette dernière, et en même temps le même homme présupposant l’incapacité de sa partenaire à le faire jouir et commençant ainsi à lui donner une leçon de fellation, leçon immédiatement interrompue par sa découverte de la bien plus grande compétence de son amie en la matière. Ainsi, grâce au dialogue, la femme put prendre du plaisir (alors que sinon l’autosuffisance de son partenaire ne l’aurait pas permis), et l’homme put se rendre compte qu’il en savait beaucoup moins sur son propre plaisir que n’en savait sa partenaire. Que la deuxième scène de sexe se déroule dans un silence religieux n’est donc pas vraiment de bonne augure, et il est à craindre que, « par Amour » et conformément à la tradition, papa y éjacule dans maman sans trop se préoccuper du plaisir de cette dernière…[2]

Fanny Gonzagues

[1] Je passe ici sur le lien sur un point pourtant important : le lien indissociable entre cette idéologie de « l’Amour » et la domination masculine. En effet, est-ce un hasard si le discours qui fait de l’Amour quelque chose d’essentiel à l’accomplissement d’une personne est beaucoup plus martelé aux femmes qu’aux hommes ? Peut-être est-ce là un moyen de rendre les femmes dépendantes des hommes, pendant que ces derniers peuvent quant à eux se consacrer avec moins de scrupules à d’autres projets que celui de trouver l’âme sœur pour fonder une famille. Et si certain-e-s sont si réticent-e-s à étendre le concept d’amour aux couples homosexuels, et n’arrêtent pas de nous marteler leur théorie sur la complémentarité homme/femme dans l’Amour, n’est-ce pas qu’il y a là un enjeu politique crucial qui ne se réduit pas à une simple question de définition ?

[2] Le fait que cette deuxième scène se déroule dans la maison de famille de Dylan n’est pas un hasard. Si la seule recherche du plaisir est une chose au final assez immature à laquelle peuvent à la rigueur se livrer deux ami-e-s un peu paumé-e-s, « l’acte d’Amour » est quant à lui beaucoup plus sérieux et beaucoup plus significatif en termes d’engagement. Qui dit Amour dit bébé, et qui dit bébé dit vie de couple et famille…