Film massivement attendu sur la toile par les militant·e·s afroféministes et leurs allié·e·s, Dear White People de Justin SIEMEN, est une déception indigeste dont l’intention énormément prometteuse reste en travers de la gorge.
Je précise aux lecteurs et lectrices qu’il y aura dans cet articles certaines notions qui peuvent leur être inconnues, ces termes ne pouvant être expliqués rapidement et sans contextes, je mettrais des liens vers des lectures personnelles pour celleux qui souhaitent aller plus loin.
Concernant Dear White People, on ne peut pas dire que son réalisateur ait lésiné quant aux diverses méthodes employées pour nous mettre l’eau à la bouche : après avoir été médiatisé comme L’évènement du dernier festival Sundance se déroulant en Janvier et, après la création d’une chaîne vidéo YouTube avec de petites vidéos du film (48 374 abonné·e·s) ; on espérait un film révélant le véritable visage du racisme et des problématiques liées aux l’identités des personnes noires dans un monde à dominance blanche.
Mais voilà, quelle déception ! Non content de nous appâter avec un discours politique faussé Siemen, homme noir concerné par le racisme, parvient après être allé si loin dans la première demi heure du film, à tomber dans un marasme du «vivre-ensemble » ultra républicain.
« La vie de quatre étudiants noirs dans l‘une des plus prestigieuses facultés américaines, où une soirée à la fois populaire et scandaleuse organisée par des étudiants blancs va créer la polémique. Dear White People est une comédie satirique sur comment être noir dans un monde de blancs. »
Voici pour citer Allociné le synopsis officiel du film.
Sorti le 17 Octobre 2014 aux États-Unis, nous n’étions pas certain·e·s de voir apparaître Dear White People sur les écrans français. Je me souviens encore de ces discussions animées sur Twitter où nous espérions que ce serait le cas, tout en s’exaspérant d’avance du contraire.
Et pourtant oui ! Le 22 Novembre 2014, NegroNews annonce une date officielle de sortie française : le 4 Mars 2015. Nous attendions cette date de sortie en trépignant d’impatience, car non seulement les films abordant les questions de racisme sont rarissimes, voire inexistants, mais avoir une réalisation au casting majoritairement noir, respectant la parité sur l’affiche et produit grâce à une plateforme participative (pas d’ingérences de producteurs: liberté totale du réalisateur) hé bien oui, cela donne cruellement envie. Cruellement envie à n’importe qui habituellement invisibilisé dans ce grand royaume blanc qu’est celui du 7ème art.
I- « A making off about being the only black face in a black movie »
L’invisibilisation des personnes racisé·e·s dans le monde de la (pop) culture ne date pas d’aujourd’hui. Nous pourrions aisément faire un historique des quelques personnages non-blancs vus sur grand écran, mais ne le tenterons pas en ce jour. Cependant, le cinéma ne se limite pas à l’actorat : derrière la caméra des technicien·nes, des analystes, scriptes, scénaristes, monteurs, accessoiristes se démènent pour une reconnaissance rarement obtenue de leur travail. Ici, j’ai été assez déçu des choix de staff de Justin SIEMEN ; quand on sait que le nombre de technicien·ne·s non-blanc·he·s dans le cinéma est proche du néant, on s’attend tout de même à un semblant de « diversité » sur un plateau abordant cette réalité. Hé bien non, SIEMEN était le seul noir dans l’équipe de tournage. Ce choix est bien regrettable ; une équipe de racisé·e·s (ou noir.e.s) habitué·e·s aux questions de racisme aurait certainement -j’aime à le croire- fait d’autres choix de réalisation.
Le son par exemple, géré par Katryn Bostic (blanche) est une sorte de soupe agaçante de musique classique répétitive et très guindée. Visiblement, le but était de nous mettre dans une ambiance feutrée et estudiantine, et là encore on regrette ce choix de musique classique européenne. A croire que les artistes noir·e·s n’étaient pas suffisamment sophistiqué·e·s pour être sélectionné·e·s dans la bande originale. Le seul moment où l’on entend une musique pouvant être considérée comme noire est la scène de la fête raciste. C’est à dire que la culture noire, est présente uniquement quand réappropriée par les dominants, et moquée par ces derniers.
Justin SIEMEN justifie pleinement les choix sonores de son film en décrétant, je cite, qu’il s’agit là « d’hommages aux plus grands », ces plus grands étant KUBRICK, Fritz LANG et BERGMAN. Non pas qu’il y ai quelques problèmes à être un réalisateur noir et à vouloir user de références connues et appréciées , mais une fois de plus c’est la mise en avant d’une culture blanche occidentale dominante à l’instar d’artistes noir·e·s (occidentaux ou pas) . On suppose qu’afin de légitimer cinématographiquement son œuvre, Siemen a préféré faire référence à ces réalisateurs reconnus. Et après tout pourquoi pas? Cependant avec une telle manière d’aborder son travail et la domination blanche l’œuvre finale de Dear White People ne pouvait qu’être critiquable.
La bande son pompeuse de Dear White People m’a moins horripilée que son casting. Ici encore la directrice en charge de cette phase cruciale du film est une blanche, Kim COLEMAN. Mais le choix incombait à SIEMEN et non à son équipe, c’est donc lui qui a opté pour une actrice métisse afin de porter la voix des militant·e·s noir·e·s. Choix discutable, il est évidemment bien plus facile de montrer sur grand écran une femme métisse, claire de peau, s’appelant White aborder les questions de racisme, qu’une femme noire foncée aux cheveux crépus. Surtout qu’au vu de la manière dont se développe cette protagoniste, mettre une femme noire à sa place aurait donné une portée bien plus radicale au film. Ce choix selon moi, est donc totalement conscient et assumé.
II- Noir·e·s Pluriel·le·s
Le panel de personnages noir·e·s mis en place par SIEMEN est véritablement hors du commun ,il nous a rarement été possible d’en voir une si grande variété dans les salles obscures occidentales et particulièrement françaises. Mettre en relation des protagonistes vivant toutes et tous leur situation d’hommes et femmes noir·e·s dans une société blanche sans pour autant tomber dans le pathos, la surabondance d’humour oppressif et toutes ces choses alléchantes relève de l’ovni cinématographique. Pourtant, si ces différences présentent de grands intérêts scénaristiques et politiques, leur approfondissement n’atteint pas les hauteurs espérées.
Commençons par le personnage de Sam.
Héroïne du film, Sam WHITE jouée par Tessa THOMPSON, vue dans Selma d’Ava DUVERNAY, 2015) est une étudiante en Communication à l’Université de Winchester. Militante, black feminist aguerrie, elle anime une émission appelée « Dear White People » où elle moque l’ignorance raciste des blanc.he.s ; ce personnage nous semble au tout début d’une richesse et d’une force dévastatrice pour finalement s’émousser en laissant un peu plus de place au développement du personnage de Lionel. La manière dont SIEMEN construit l’identité complexe de Sam ajoutée à sa relation non-assumée avec un blanc donne lieu à un mélange de sexisme, de racisme et de paternalisme. Ces défauts me semblent primordiaux, mais j’y reviendrai plus tard.
Au tout début du film, elle est élue, à son grand étonnement, cheffe de Résidence de Amstrong-Parker, lieu de regroupement des noir.e.s de l’université. Ayant pour but de « Bring back black to Winchester » (ramener les noir·e·s au devant de la scène universitaire), son programme électoral est basé sur l’exposition des cultures minorisées avec des questionnements propres à celles-ci. Les idées de Sam face aux oppressions sont limpides et assumées, elle est consciente des discriminations vécues par son milieu et des injustices du système dans lequel elle vit. Cependant l’on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas un seul propos concernant son vécu du sexisme. Cette approche d’un militantisme exclusivement antiraciste qu’aurait une femme noire me semble incomplète et remarquable par le sexisme dont fait plusieurs fois preuve la réalisation à travers certains plans, dialogues et mises en scène que je développerais plus loin.
Ensuite Coco, interprétée par Teeyonah PARRIS, est dépeinte comme la femme noire ayant quelques difficultés à assumer sa couleur de peau, elle arbore un tissage ultra lisse, des yeux bleus et rejette toute forme de « communautarisme » noir. La première scène où le spectateur la découvre, est celle de son entretien avec un producteur d’émissions de télé réalité, Helmet WEST (Malcom BARRET), lors duquel elle s’offusque de l’appellation « Girl from the Hood » (fille du ghetto) que lui envoie familièrement son interlocuteur (sexisme?). Le personnage de Coco nous apparaît assez rapidement comme victime d’une situation inconfortable, et ce sentiment est limpide à l’écran. Peu après on s’aperçoit que ce besoin d’être reconnu publiquement, cette attention très portée à son physique et sa racisation sont les motifs de ce malaise. Elle se déprécie énormément et a besoin de reconnaissance, de validation de son physique et de son intelligence, insécurités et façon de se percevoir parfaitement logique dans ce système. Pourtant le personnage est rendu rapidement détestable. Sa jalousie face au succès de Sam et sa chaîne Youtube, son auto-dépréciation quand lors d’une fête elle se sent flattée que deux hommes blancs la félicite sur sa vidéo (vidéo où elle parlait d’avoir un « moment noir » et où elle critique Sam en accentuant ses expressions de visage) la rendent hostile et opposée au discours antiraciste et psoeudo émancipateur véhiculé par sa rivale.
Or ce personnage aurait pu être beaucoup plus intéressant si on ne sentait pas autant la critique du réalisateur envers les femmes vivant mal leur couleur de peau. Coco n’est pas une personne à blâmer pour ce comportement : essayer d’effacer son côté noir est vu comme une échappatoire pour certain·e·s non-blanc·hes et le critiquer est contre-productif et ultra craignos. Un discours antiraciste critique le système non les victimes essayant par leur propres moyens de pallier leur marginalisation. Construire cette protagoniste comme on le ferait avec la méchante d’un film est aussi une forme de racisme, doublé de sexisme car c’est la critique d’un homme sur la dite superficialité d’une femme. Situation qu’il n’a pas vécu, surtout qu’on sait que Coco est issue du ghetto, qu’elle a dû en baver pour arriver dans cette prestigieuse école et on devrait plutôt saluer sa ténacité et son manque de choix plutôt que de la bâcher. Le sexisme appliqué aux femmes noires est appelé « misogynoir » .
Ainsi c’est de la misogynoir que de critiquer le rapport de Coco à ses cheveux, ses yeux bleus aux autres noir·e·s et aux hommes blancs. Mais c’est aussi une forme de colorisme que de présenter la seule femme noire ainsi, tandis que la métisse plus claire de peau est fière et leadeuse. Par exemple en mettant en scène une discussion où Coco expliquerait son manque de références de femmes noires naturelles ayant réussit professionnellement, on corrigerait aisément ce genre de discours culpabilisant tout en blâmant les structures responsables. De plus la méchanceté et le mépris accordés à Coco pour ses choix amoureux n’entrent pas en ligne de compte quand il s’agit de Troy qui sort avec une femme blanche uniquement parce que son père le lui a demandé. Non lui c’est totalement normal et correct. A savoir que si les femmes noires en couples mixtes se mangent des violences et des insultes, les hommes noirs qui ne sortent qu’avec des blanches sont très rarement critiqués. Sexisme de base vous avez dit?
Puis vint Lionel (Tyler James WILLIAM, Everybody Hates Chris, 2005-2009), étudiant noir et homosexuel. On est rapidement happé par sa solitude et sa crise identitaire. Pris dans son propre racisme, il fuit les étudiant·e·s noir·e·s par peur de ne pouvoir y assumer son homosexualité, tout en subissant le racisme et l’homophobie de la part des blanc·he·s qu’il tente de fréquenter.
Le terme « token » lui est justement attribué sur l’affiche et il est parfaitement représentatif de sa position de noir homosexuel : quoi qu’il fasse, il sera la minorité, le quota pour traduire littéralement, et sa présence sera utilisée comme exclusive représentation de toute une communauté. Il semble d’ailleurs possible que cette appellation soit une réaction au cinéma blanc où on trouve fréquemment un seul personnage noir et/ou homosexuel, ce serait donc là une accusation sarcastique de la part de SIEMEN.
La simple existence d’un tel protagoniste est une révolution en soi, et pour le coup, Lionel me semble le plus justement construit du film. L’absence médiatique, culturelle et politique de racisé·e·s non-hétéro·a·s est si prononcée que non seulement cela participe à l’essentialisation de nos sexualités: si tu es noir·e tu es forcément hétéro·a (et cis bien sûr). Mais en plus cela donne l’impression qu’il n’y a que chez les blanc·he·s que l’on est « habitué » aux personnes hors de ces normes.(C’est l’idée véhiculée par l’homonationalisme d’ailleurs).
Pour autant lorsque l’on tente d’intégrer les milieux LGBT/queer blancs on comprend que les choses ne sont pas si simples. Il reste le problème du racisme, et de fait Lionel s’en rend compte progressivement. Tout d’abord par les insultes à la fois homophobes et racistes qu’il subira dans sa résidence majoritairement blanche, puis par le comportement de Georges (Brandon ALTER) un homo blanc qui sous couvert d’intérêts journalistiques l’exotisera violemment, et enfin bien sûr, par l’omniprésence de black faces à la soirée de pastiche.
Et pour finir, Troy FAIRBANKS (interprété par l’ultra magnifique et fan de body building Brandon BELL) fils du doyen de la Résidence Amstrong-Parker (joué par Dennis HAYSBERT), Troy est un jeune étudiant noir relativement perdu entre sa vision moderne du racisme et celle de son père ancrée dans une autre génération. Ces visions sont différentes dans le sens où le père de Troy estime qu’en se comportant de manière respectable (voir politique de respectabilité) tout se passera au mieux pour son fils. Il faudrait selon lui marquer la différence avec les clichés des jeunes noirs délinquants et faire ce que l’on attend des minorités: qu’elles s’assimilent. Les idées personnelles de Troy ne sont pas très claires sur sa position d’homme noir bien né grâce aux sacrifies de papa qui lui met d’ailleurs beaucoup de pression. Ce qui semble d’ailleurs être son problème principal, s’émanciper des attentes de son père. Pour autant son comportement donne l’impression qu’il n’y a pas de réel problème de racisme dans son univers mais plutôt de réalisation professionnelle.
Tandis que l’on voit un futur semblable à celui de son père se dessiner pour Troy, l’élection que gagne Sam l’embarrasse, augmentant ainsi cette impression d’opposition radicale entre ces deux candidats. Troy tentera lui aussi de s’intégrer au monde des blanc·he·s en plaçant l’avis de ces dernièr·e·s au centre de ses émotions et comportements comme son père lui aura appris au final. Toutefois les limites sont très vite posées : sa relation avec Sophia (Brittany CURRAN) semble superficielle, fausse et exotisante, le frère de cette dernière Kurt FLETCHER (Kyle GALLNER) dont Troy souhaite se rapprocher le rejette avec désinvolture et mépris et les propos de Sam semblent de plus en plus appréciés par les étudiants et électeurs d’Amstrong-Parker.
III-Le sexisme pour pallier à l’antiracisme
-L’ amour contestataire
On note que la majorité des critiques concernant Dear White People sont adressées aux personnages de Gabe (Justin DOBIES) et de Coco. Gabe est un étudiant blanc en classe avec Sam, et si tous deux partagent une relation originellement basée sur le sexe, on comprend très tôt qu’il souhaiterait plus. Pourtant leur relation est ultra destructrice pour Sam que Gabe ne soutient pas politiquement en allant jusqu’à la critiquer devant toute sa classe lors de la projection du remake Birth of a Nation (Naissance d’une Nation, 1915 D.W.GRIFFITH) réalisé par Sam. Utiliser une référence à la fois reconnue par les cinéphiles tant pour ses innovations techniques que son racisme latent est un choix judicieux et très pertinent de la part du scénariste. Malheureusement le bienfait de cet outil s’évapore bien vite, quand on s’aperçoit qu’après avoir publiquement montré son désaccord à Sam, seule noire de tout l’amphithéâtre lors de la projection, après avoir encore argumenté avec elle sans jamais comprendre son opinion et sans déconstruire ses privilèges d’homme blanc hétéro, illes couchent ensemble. Cette scène est amorcée par une Sam brusquement autoritaire, ordonnant à Gabe de se mettre à genoux pour entreprendre des rapports.
Message étrange. Est-ce une manière de nous dire que malgré ce débat à la fois primordial pour l’une et simple désaccord pour l’autre, en définitive, c’est Sam qui remporte la manche car elle domine aux moment des rapports sexuels ?? Penser qu’il n’y a qu’au lit qu’une femme, de plus femme noire avec un homme blanc peut exprimer de l’autorité est un problème. Celui-ci aurait pû être évité en mettant en place une relation romantique ou sexuelle de pouvoir, de domination ça aurait pu être intéressant. Mais non! On veut juste sexualiser Sam au maximum. Je n’expliquerais pas ici ce qu’est l’hypersexualisation de la femme noire, mais vous trouverez sur la Toile d’Alma une mise en abîme concrète du sujet.
Cette approche de la femme noire, à la fois exotisante et sexiste, est toujours présente quelques minutes plus tard, quand SIEMEN nous offre le dos de Sam tandis qu’elle se rhabille. Ce genre de plan en lumière tamisé, très érotique et horriblement cliché est une habitude du cinéma dont le but est de faire plaisir aux mâles blancs hétérosexuels. Pour aimer un personnage féminin fort, il doit être sexualisé sinon quel serait son intérêt à part gueuler sans arrêt? Non Sam devait plaire au grand public, c’est pour cela qu’elle correspond autant aux normes de beauté, qu’elle est claire de peau, mince et belle. Il y a t’il une seule scène de sexualisation de Coco par exemple?
Le film vire complètement au paternalisme lors d’une scène où, submergée par des problèmes familiaux, Sam quitte une manifestation non commencée. Gabe la suit contre son gré pour lui parler de ses contradictions de femme noire dans un monde blanc. Il va ainsi lui soutenir qu’elle se targue d’aimer Spike LEE tandis que BERGMAN (hommage de Siemen à ce réalisateur qu’il aime) serait plutôt son réalisateur phare, qu’elle aime Taylor Swift en prétendant le contraire, etc. Le problème de cette scène est qu’elle revêt les codes d’une déclaration d’amour passionnée d’un homme qui connaît la femme qu’il aime et qui lui souhaite d’être fidèle à elle même en s’assumant. Pourtant cela ne peut fonctionner si l’on inclut le facteur racial : Sam est une femme métisse vivant dans un système dominé entièrement par les hommes blancs, il est normal que ses références soient celles de ce système, et il est aussi totalement normal qu’elle essaie de s’en défaire au vue de ses idées. Réapprendre ses références, ses bases culturelles est parfois une nécessité et une forme de résistance. Et si elle ne souhaite pas être visible comme étant une énième fan de Bergman hé bien ça l’a regarde et y a pas à discuter.
Du coup cet homme blanc affirmant à une femme noire (qu’il ne soutien pas du tout dans sa lutte -je le redis-) qu’elle ment aux autres et à elle-même sur sa propre identité est hyper dérangeant. La complexité de l’identité noire/ métisse dans une hégémonie blanche ne peut être saisie par un personnage aussi peu conscient de sa place dans l’échelle sociale, et si elle l’est par ce dernier, ce n’est sûrement pas à lui de l’exprimer. Jamais cette relation ne sera saine elle ne peut qu’être source de conflit. Le paternalisme dégoulinant de ce personnage est si empreint de sexisme, de racisme et d’ignorance qu’on ne comprend même pas que Sam reste assise à l’écouter pendant sa diatribe psoeudo amoureuse.
Nous nous souvenons tou·te·s de cette belle phrase lancé à son amoureuse :
[Image ci dessus montre Gabe en train de dire à Sam : I’m tired of you tragic mulatto bulsh*t]
[Trad approx: je suis fatigué de tes conneries de drama mulâtre]
Rappelons que juste après cette phrase, Sam lui demande de ne pas dire « mulatto », et qu’il hurle trois fois ce mot pour la provoquer. Le tout fait bien-sûr dans un ressort comique. Pour précisions les afro-américains rejettent ce terme car provenant du mot « mule », il désigne un croisement entre un âne et une jument, un animal hybride, ce terme est proprement raciste et des concerné·e·s luttent encore outre atlantique pour être appelé « biracial » ou noir.e. A noter aussi que dans la version française on ne parle pas de « mulatto » mais de « métisse » ce polissage mal traduit de l’anglais ne saisit pas la problématique du terme, ce choix est d’autant plus étrange quand on connaît l’existence de sa traduction littérale : mulâtre.
Le problème avec cette relation est majoritairement dû à l’oubli des luttes de Sam pour Gabe, au final elle le rejoint sur un pont pour lui expliquer ses difficultés à vivre son métissage dans ce monde tout en lui faisant une déclaration d’amour. Et c’est, je pense cette scène qui m’a le plus énervée : toute portée politique se retrouve annihilée par cette conclusion. Pour le réalisateur, on peut donc être une femme noire et aimer un homme méprisant notre vécu de racisée et c’est cool, pipouze quoi! On peut donc être profondément engagé·e dans l’antiracisme et quitter le mouvement pour un détracteur raciste. Génial!
Mais surtout on peut être métisse et se plaindre d’un racisme violent dont le point culminant serait le pauvre papa blanc qui éprouve des difficultés à socialement assumer sa petite fille noire… Acceptation si difficile que la petite fille devenue grande préférerait garder les gens loin d’elle pour mieux les protéger du racisme qu’ielles pourraient vivre en la fréquentant. Ceci est im-pos-si-ble ! SIEMEN tu es allé trop loin sur ce coup là ! Surtout que quelques minutes avant Sam explique au doyen la non-existence d’un racisme inversé…
SIEMEN: I’m tired of your tragic new black bullsh*t bro! (oui je parle au réal. Ya quoi?)
-Une écriture humoristique consternante
Primitivement, parler d’oppressions sous le format comique est… particulier je trouve ; si SIEMEN arrive à rire de son vécu d’homme noir homosexuel dans une université blanche, grand bien lui fasse, néanmoins on constatera plusieurs fois que ce parti pris humoristique, donne des situations, propos ou comportements totalement opposés aux objectifs initiaux.
Je ne reviendrais pas sur le mot « mulatto », mais c’est un bel exemple de ce que je voudrais soulever. Par exemple : lors de la soirée de la résidence Bechet organisée par Kurt et son groupe, Troy dans cet attroupement sacrément viril se démarque comme seul noir de la pièce en se moquant de sa négritude. Il usera de termes sexistes et assimilationnistes dans le but d’être intégré : «Forty white bitches and a mule » (40 putes blanches et une mule). Le propos en question, est une parodie de « 40 Acres and a mule » (16 hectares et une mule) une phrase type dérivée de la promesse d’indemnisation promise aux ancien·e·s esclaves afroaméricain·e·s devenu·e·s libres après la guerre de Sécession. A noter que cet engagement ne fut jamais respecté. Il est donc assez violent de voir un jeune noir rire du manque de réparation promis à ses ancêtres dans une assemblée blanche bourgeoise, en remodelant tout cela dans une version extrêmement sexiste et putophobe. A croire qu’il faut obligatoirement être sexiste pour exister dans un groupe d’hommes? Je précise quand même que la richesse de tout ces visages pâles héritiers attablés est majoritairement issue de l’esclavage car c’est un peu la base du capitalisme. Mais même si on enlève cette question, Troy est un petit bourgeois et si cette question n’a pas de conséquence sur sa vie, c’est encore le cas pour des milliers de colonisé·e·s sur le globe.
Un autre exemple serait ce samedi soir où Lionel surprend les deux étudiant·e·s journalistes blanc·he·s à leur bureau, il se moque du sursaut de l’une d’entre elleux en déclarant «Don’t worry the negro at the door is not here to rape you .» (trad : Ne t’inquiètes pas le nègre à la porte n’est pas là pour te violer). Cette réplique initialement faite pour moquer un cliché raciste tombe dans le sexisme en faisant du viol un sujet de plaisanterie. Effectivement la société raciste pense souvent que les hommes noirs ou racisés sont le plus souvent coupables de viol. Mais on ne peut oublier que la majorité des viols restent impunis dans le monde entier et que les victimes en plus d’être marquées à vie, n’ont pratiquement aucun soutien de la justice ou des proches. Deux sujets si importants ne devraient pas être traités avec humour.
Pour finir, une des dernières scènes du film: après avoir dévasté à juste titre la fête raciste de Kurt, ce dernier empoigne Lionel le plaque au sol en le frappant. La scène est assez violente, car filmée en ralenti avec de gros plans : l’immersion est totale. Et là, plutôt que de faire intervenir n’importe quel personnage afin de contenir l’affrontement, Lionel embrasse Kurt contre son gré sous les regards à la fois répugnés et enjoués des spectateurs·trices. Cette mise en scène à portée comique est foncièrement homophobe : utiliser ce baiser comme honte ultime, comme objet de dégoût est très limite et c’est d’autant plus triste que SIEMEN assume son homosexualité. Ce qui visiblement ne l’empêche pas de s’en moquer en la tournant en arme « dévirilisante ».
-Une construction photogénique sexiste
Les deux responsables de cette partie technique sont Topher OSBORN, (The morning After, 2013) le directeur de la photographie et Philip J.BARTELL (Gattaca, 1997) le chef monteur.
De manière générale, les femmes sont moins importantes dans le film : si l’on compte le nombre de personnages masculins ayant la parole, les hommes dominent irrévocablement. Il n’y a vraiment que les personnages de Sam, Coco et Sophia d’un minimum construites, la dernière disparaissant de l’écran quand Troy rompt leur relation. Les pouvoirs décisionnels sont tous entre les mains d’hommes : le doyen de l’université, le Président de l’université, le producteur de télé ainsi que Troy d’ailleurs perturbé d’avoir perdu le « pouvoir » désormais aux mains de Sam. Pas une seule intrigue abordant une mère, une fille, rien du tout. Les femmes sont totalement mises en arrière. D’où mon analyse ultra critique autour des questions concernant l’humour oppressif sexiste ainsi que la relation abusive qu’entretiennent Gabe et Sam. Même Coco sera finalement rejetée par Troy à cause de son comportement décrété inacceptable par un doyen ne prenant même pas la peine de rencontrer la jeune fille avant de la juger auprès de son fils qui bien sûr obtempérera.
Je n’ai vu aucune place pour les femmes dans ce film : Sam se fane très rapidement, le niveau d’estime personnel de Coco est pire à la fin du film qu’au début, et Sophia est ternie par sa blanchitude bourgeoise.
Lorsqu’on jette un œil à la construction des plans on s’aperçoit qu’il y a un travail assez prononcé sur la photo ; en effet, le positionnement des acteurs/trices paraît ultra cadré, mais malheureusement répétitif. Les hommes sont souvent au milieu et les femmes en arrière plan, elles s’expriment peu, et leur laissent souvent la parole.
Il n’y a qu’avec le personnage de Sam que cette construction n’est pas renouvelée.
-Une morale écoeurante
Si l’on comprend l’objectif dénonciateur de Dear White People, il reste quelques incompréhensions au niveau des choix d’écriture de SIEMEN. On ne s’explique pas sa reculade à la fin de son film. Je me suis renseigné afin de savoir s’il s’agissait de censure, de consignes de production, non. Rien à l’horizon. Pourtant il y a bien un changement de positionnement entre le début du film et son achèvement.
Après nous avoir brossé une image des blancs bourgeois de Bechet comme des homophobes ouvertement racistes, on ne comprend pas ce besoin de les disculper au sujet de l’organisation de la soirée « black face ». Le fait que Kurt ait souhaité annuler la soirée -et de fait soit une victime calomniée par la suite- est pleinement injustifié par son comportement tout au long du film. En revanche cela change toute la morale (s’il en est ) de cette histoire.
Pire encore quand l’administration suspecte Sam d’avoir maintenue cette prétendue soirée. Auparavant, nous avions appris qu’elle n’était pas réellement élue présidente de la maison Amstrong-Parker, car il y aurait eu falsification des résultats de votes. En définitive, la Black Student Union semble totalement malhonnête et illégitime. Se rajoute à cela cette confusion autour de l’intégrité morale de Sam, bref on ne sait plus qui soutenir. Pourquoi faire de Sam une tricheuse? Qu’est ce que cela implique à sa lutte ? Et quel intérêt scénaristique si ce n’est pour mettre au même niveau les racistes et les victimes de racisme souhaitant lutter par tout les moyens nécessaires, quitte à employer la fraude?
La scène la plus écoeurante du film, sera celle où dans un amphi on assiste à une deuxième projection de court métrage réalisé par Sam. Pourtant, cette fois c’est sous un tonnerre d’applaudissement que s’achève la projection. A ce moment de l’émulsion Sam a quitté la BSU, décrétant être fatiguée d’être « The angry black chick » (la fille noire aigrie) et s’est indubitablement « assagie ». (Je cite ici le message véhiculé par ce retournement empreint de traîtrise).Elle se retrouve ainsi, validée par tout·e·s ces blanc·hes et par un système raciste. Bravo !
Pour conclure, je dirais que SIEMEN est très loin d’avoir comblé nos espérances. Bon vous l’auriez compris. J’ai rarement vu de si mauvais montages (première scènes de la cafétéria), autant de gros plans et de plans américains s’enchaînant maladroitement c’était vraiment mauvais. Il aurait dû embaucher un·e noir·e ça lui apprendra aussi. Il n’y a jamais de plan d’ensemble, ce qui crée des incohérences spatiales . Toutefois, les acteurs restent plausibles, l’ambiance immersive, et cela fait un bien indescriptible de voir autant de noir·e·s dans une salle obscure. Je pense qu’il ne faut cependant pas chercher à retrouver trop de réponses, de réalisme ici. Le format comique oblige la superficialité de l’approche. Un sujet tel que le racisme ne saurait être correctement illustré ainsi. Peut être aussi sommes nous en droit d’attendre une représentativité différente de celle de l’élite noire bourgoise afro-américaine qui ne représente qu’une minorité dans la minorité afin, je l’espère, d’avoir enfin des films abordant nos problèmes de classe, de race et de genre.
Relevons cependant qu’une telle production n’a toujours pas vu le jour sur les toiles françaises où la carrière des acteurs·trices noir·e·s est une succession de propositions aux stéréotypes racistes, et où nous sommes tout de même au stade de Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ? sorti en 2014, réalisé par Philippe de CHAUVERON et d’Agathe Cléry du décevant Etienne CHATILIEZ sorti en 2008. Ironiquement on note qu’au niveau du cinéma indépendant américain nous sommes à la critique du « black face » tandis qu’en France c’est un enjeu scénaristique.
Faël
Merci à Enisseo, Malik, Colin, Alice, Alma et l’équipe du site pour leurs relectures et leur aide précieuse.
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