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« Le Majordome de Lee Daniels », ou l’art d’envelopper les luttes dans un drapeau.

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Une affiche qui en dit long …

 

Le Majordome de Lee Daniels a connu un succès au box office, aidé sans doute par un défilé d’acteurs et actrices qui donne presque le tournis : Forest Whitaker, Oprah Winfrey, David Oyelowo, Yaya Dacosta, Cuba Gooding Jr., Clarence Williams III, Lenny Kravitz, Mariah Carey, Vanessa Redgrave, Jane Fonda, Robbie Williams, John Cusack … Aux Etats-Unis, il a été globalement soutenu par la critique et critiqué par la droite, ce qui a contribué à faire engranger au film et à ses concepteurs un capital sympathie non négligeable parmi les démocrates, progressistes et une certaine gauche, d’autant plus convaincus que ce film était nécessaire du fait de son sujet et qu’il s’avérait si dérangeant pour les forces réactionnaires. Et il est vrai qu’il a le mérite de revenir et parcourir une histoire qui est rarement abordée dans les films grands publics : celle de la ségrégation et du mouvement pour les droits civiques. Et cette histoire est racontée en contre-point du parcours d’un homme, né dans les champs de cotons en Virginie en 1919 et majordome à la Maison Blanche de 1952 à 1986, ainsi que du point de vue de sa famille. L’histoire de Cecil Gaines s’inspire d’une « histoire réelle » (comme on nous l’annonce bien dès le générique) celle d’Eugene Allen, une histoire devenue le sujet d’un article du Washington Post (1) en 2008 ouvertement publié en soutient à Barack Obama, alors en pleine campagne présidentielle. Mais c’est précisément ce cadre là qui explique ses limites et nous vaut quelques haut-le-coeur et surprises affligeantes, et laissent finalement un goût amer, alors que les quinze dernières minutes du film sont censées célébrer la réconciliation, l’espoir et les acquis des luttes et rendre hommage à ceux et celles qui les ont menées. La mort de Michael Brown à Ferguson abattu par un policier blanc ainsi que la réponse de type militaire aux manifestations de colère qui l’ont suivie cet été a été l’occasion de démentir de manière flagrante le mythe de l’égalité presque déjà là et la communion nationale que voudrait nous vendre le film.

Ce que le film pourrait avoir de bien.

 

Le Majordome a peut-être le mérite de rappeler et tenter de raconter une histoire rarement montrée sur les grands écrans dans un film grand public, et celui de commencer par l’évocation des années post-esclavage – qui n’en sont pas vraiment – dans le Sud des États-Unis. Si le film s’ouvre sur l’image d’un homme âgé assis seul dans le hall de la Maison Blanche, un flashback nous ramène aux années où, enfant, il fut le témoin du viol de sa mère par un propriétaire blanc et le meurtre de son père pour avoir, à sa demande, osé confronter le violeur de son seul regard. Il raconte ensuite, son parcours jusqu’à la Maison Blanche, formé d’abord par la mère (Vanessa Redgrave) de l’assassin de son père à servir les blancs comme domestique en apprenant surtout à se rendre invisible et à donner l’impression qu’en sa présence « la pièce est vide ». Puis l’on suit son départ pour la ville où il continuera à apprendre à toujours servir et anticiper les attentes des blancs sans jamais formuler la moindre demande et attente propre en retour.

Contrairement à tant de films qui voudraient évoquer l’oppression des Noirs et la violence raciste, il ne s’agit pas uniquement de se concentrer sur un ou des héros blancs sauveurs (quoique … nous y reviendrons) qui prennent la situation en main et viennent plaider la cause des victimes du pouvoir blanc (comme dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ou Mississippi Burning ou plus récemment La couleur des sentiments, Lincoln). Il nous montre aussi la vie d’une famille Africaine-Américaine : sa vie quotidienne, ses amours, ses tensions et frustrations, ses bonheurs et ses malheurs, ses moments de partages entre parents et enfants, et aussi entre amis et non pas toujours en interaction avec des blancs, du moins dans cette sphère privée là.

Mais au dehors et au travail, pour avoir une vie de famille relativement à l’abri du besoin et confortable dans une maison de Washington D.C, Cecil Gaines a dû apprendre à courber l’échine, servir les blancs en maniant l’art de se rendre invisible, inaudible, à ne rien « voir, ni entendre, ni dire » pour connaître une promotion très exceptionnelle et devenir majordome pour une succession de présidents tous blancs et masculins. Il a appris à mettre des gants (impeccablement blancs), à servir avec distinction, à ne pas avoir d’opinions politiques et espérer seulement avancer sans déplaire, sans faire quoi que ce soit qui pourrait, même arbitrairement, l’amener à être licencié.

Deux maisons.

Le film consiste essentiellement en une succession de va-et-vient entre deux maisons : la maison familiale de Cecil et celle où il travaille, la Maison Blanche – la maison des « Grands Hommes Blancs », l’antre et le symbole de la démocratie Américaine – qui (paradoxalement) cohabite avec le déni de droits d’une grande partie du pays. Ce paradoxe est introduit très trop dans le film lorsqu’on nous montre une scène de nuit où l’on voit un couple de noirs pendus et un drapeau américain qui flotte en arrière plan. Si Cecil connait une promotion inattendue jusqu’à côtoyer ceux qui dirigent le pays, on nous fait comprendre qu’il a adopté cette attitude de parfaite obéissance parce qu’il reste hanté par la peur de payer cher, voire de sa vie, une insubordination, un faux pas, une erreur; d’où sa conviction qu’il faut être irréprochable, serviable, patient, content de ce que l’on a, ou de ce que l’on veut bien nous donner. Jeune, il avait compris que « la loi était contre nous, elle n’était pas de notre côté, un blanc pouvait nous tuer n’importe quand ». Maynard, qui le recueille, l’embauche et le forme après son départ de la plantation, lui explique que pour avancer dans la vie et donc au sein d’une société dont les Blancs fixent les règles, il doit apprendre à savoir être un Noir « non-menaçant », avoir « deux visages » celui qu’on montre aux Blancs et celui qu’on a parmi les siens : être à la fois Africain et Américain, cette « schizophrénie » dont parlaient W.E.B Dubois et Frederick Douglas.

Mais son fils, Louis, refuse d’être élevé dans ce principe. C’est ce fils qui n’est pas si fier de son père qui va politiser plus radicalement le film et nous rappeler quelques moments clés du mouvement des droits civiques. Alors que Cecil nous sert de témoin des discussions dans le bureau oval et le quotidien des domestiques, Louis, lui, rejoint les organisations de luttes contre la ségrégation, assiste à des meetings, participe à des sit-ins, des manifestations, suit un moment la tournée de Malcolm X qui est assassiné en 1965, rejoint le Parti des Black Panthères créé en 1966.

Grâce à lui et à travers son parcours sont évoqués : le meurtre d’Emmett Till, jeune homme noir de 14 ans assassiné en 1955  pour avoir prétendument sifflé une femme blanche (2); les sit-ins à Woolworth en 1960 au cours desquels des militants exigèrent la fin de la ségrégation dans la chaine de restaurants et d’être servis comme les Blancs parfois et aussi par des Blancs ; les « Freedom Rides » de Birmingham pour que les bus soient  deségrégués ; la mort de trois militants des droits civiques par des membres du KKK en 1964 à Longdale, Mississippi (3). Par incrustation d’images d’archives, on voit les Voting Marches et le fameux « Bloody Sunday » sur le pont de Selma à Montgomery (Alabama) en 1965 au cours duquel les manifestants furent violemment réprimés (gazés et matraqués) par la police alors qu’on était vers la fin du mouvement et que s’y trouvait une foule d’hommes, de femmes, et des enfants (certains à peine 14 ans) touTEs marchant de manière pacifiste. La question de l’engagement des Africains-Américains dans la guerre du Vietnam est abordée par la confrontation et la dispute entre les deux frères, le plus jeune ayant décidé de s’engager pour montrer son appartenance à la nation, alors que son frère reprend le discours du champion Muhammad Ali : pourquoi aller participer à une guerre menée par un pays qui nous opprime et aller tuer des gens qui ne nous ont rien fait ? Un refus de s’engager qui valu au boxeur d’être arrêté et condamné pour désertion et de perdre sa ceinture de champion.

Et plus Louis lutte, plus Cecil lui en veut. Père et fils deviennent étrangers l’un à l’autre, Cecil considérant que l’engagement de son fils témoigne de son ingratitude et sa non-reconnaissance des efforts qu’il a fait pour lui donner ce dont il devrait juste profiter en attendant que le reste « s’arrange » tandis que Louis attend une forme de reconnaissance de son père pour son engagement et ses idées.

La dialectique entre le père et le fils ne se limite pas qu’à un conflit générationnel entre parents et enfants, celle-ci est plutôt une parabole (sans doute encore valable aujourd’hui) de l’opposition entre des visions politiques radicalement opposées de celles et ceux qui espèrent (et croient) en la patience et le dépassement « naturel » des injustices par une croyance à un progrès inéluctable vers du « mieux », et ceux et celles qui exigent la justice et l’égalité auxquelles ilLEs devraient avoir droit depuis longtemps sans délai ni condition. Tandis que Cecil se satisfait de voir Eisenhower prendre la défense des Noirs en envoyant les troupes fédérales à Little Rock dans l’Alabama (alors qu’en fait il s’agissait surtout pour lui de faire respecter la Constitution après que celle-ci ait interdit la ségrégation dans les écoles) Louis ne se contente pas des miettes que concède un pouvoir blanc quand il y est acculé, et dit à son père qu’« il préfère mourir » que continuer à subir et servir.

Le parcours de Louis permet de montrer des oppositions de tendances au sein du Mouvement et d’évoquer et contraster les postures de figures telles que Stokely Carmicheal – un « Freedom Rider » qui lança l’appel au « Black Power » au sein des Panthères Noires –, ou John Lewis également un « Freedom Rider » mais qui intègrera le Parti démocrate, fut élu au Congrès en 1991 et fervent soutien d’Obama en 2008.

Fils de domestique noir, il se retrouve piqué par les propos de Malcolm X (évoqués mais non rapportés dans le film) sur l’opposition métaphorique entre les « les nègres des champs » (« field negroes ») et « nègres de maison » (« les house negroes ») dans un discours prononcé en 63 dans le Michigan. La métaphore consistait à dire que les seconds s’identifiaient à leurs oppresseurs à tel point que quand celui-ci est malade ils disent « nous sommes malades », et quand la maison du maître brûle ils se démènent pour mettre fin aux flammes, tandis que les premiers prient pour que le maître succombe à la maladie et prient pour que la brise vienne attiser les flammes. Donc Louis est touché par les mots de M. L. King lorsque celui-ci affirme que les domestiques ont en fait contribué à contredire les stéréotypes sur les Noirs en montrant qu’ils étaient « durs à la tâche » et « efficaces » et non-pas « soumis » mais bien « silencieusement subversifs ».

Père et fils vont finalement se retrouver lorsque l’un comprendra que la radicalité du second était nécessaire et commencera à ne plus se sentir « perdu » et plus à sa place dans la grande Maison (sous la Présidence Reagan), tandis que le fils comprendra la trajectoire du père.

Les grands hommes (presque tous blancs) et la fin de la lutte.

 

Mais clairement, la narration ne se contente pas de ce qui se joue dans la maison de Cecil. La moitié du film consiste à montrer les « grands hommes » qui « font l’histoire » discutant et prenant des décisions, mais surtout en nous les rendant plus « humains et familiers » à travers le point de vue particulier du majordome. On les voit peindre (Eisenhower), en famille (Kennedy – avec sa fille Caroline qui s’enquière des motivations des Freedoms Riders alors qu’il lui lit une histoire), constipé (Johnson), descendre en cuisine s’informer auprès de leur domestiques (noirEs) des aspirations de ceux qui sont tout en bas de l’échelle sociale et raciale (Nixon) qu’ils paient deux fois pour les servir et ne promeuvent jamais avant de finir isolé, déprimé et alcoolisé.
Les va-et-vient entre le Mouvement et le sommet de l’État, font que les coups que prend Louis sont mis en regard des balles prises par Kennedy. La crainte de Gloria de perdre son fils engagé dans la lutte pour les droits est mise en parallèle avec la douleur de Jackie après l’assassinat du Président. Et l’on a méchamment l’impression qu’on voudrait nous faire penser que la douleur de « la Première Dame » équivaut à celle de milliers d’autres réunies et que le Président paie son courage comme les militants. Alors que nous montrer les coulisses de cette Maison, c’est aussi nous bombarder de symboles nationaux et nationalistes (les drapeaux, les portraits, les couleurs, un des lieux emblématiques du pouvoir blanc depuis des siècles) pour nous finalement nous dire qu’ils représentent et unissent touTEs les acteurs/actrices (au sens littéral et figuré) de cette histoire.

Or, pour un film qui cherche à retracer des moments importants de l’Histoire à travers une histoire qui se veut « vraie » ; un film qui incruste des images d’archives, rejoue des discours présidentiels et des scènes importantes de la lutte des droits civiques, il faut reconnaître que beaucoup de choses sont sinon carrément passées sous silence, du moins clairement édulcorées ou évoquées si succinctement qu’on en arrive finalement à une réécriture de l’Histoire qui exonère beaucoup l’Exécutif et cherche clairement à le rendre souvent plutôt sympathique. Voir presque tous ces hommes avoir des scrupules et sembler se soucier de la situation des NoirEs, parce que les manifestations « troublent l’ordre public », et s’enquérir auprès des seulEs NoirEs qu’ils fréquentent (à savoir leurs domestiques) des aspirations d’une partie de leurs concitoyens devient vite exaspérant parce que cela neutralise l’asymétrie criante entre les uns et les autres. Et il n’y a que Gloria pour dire à son mari : « Je me fous de ce qui se passe dans cette Maison-là, ce qui m’intéresse c’est ce qui se passe dans cette maison-ci. »

Maison familiale où elle reste d’ailleurs très confinée du début à la fin. Car ce film est surtout une histoire d’hommes qu’ils soient blancs ou noirs. Les femmes s’expriment que très occasionnellement sur la situation politique. Toujours chez elle, Gloria, esseulée, boit mais défend son mari auprès du fils, puis défend le fils auprès du père mais n’exprime ni réelle solidarité avec le Mouvement ni surtout avec sa belle-fille. Son personnage rejoue et entretient jusqu’à la fin l’inimité légendaire (et caricaturale) entre belle-mères et belle-filles qui passe par des jugements assez conservateurs sur le style et l’attitude de celle qu’elle qualifie de « trainée » après le dîner raté à la maison, puis, à la fin se plaint encore des noms que Gina aurait choisis pour ses enfants « rien que pour la contrarier ». A la Maison Blanche, on voit des femmes domestiques s’affairer comme les hommes, mais pour nettoyer (pas pour servir) et ce sont les amis de Cecil qui commentent l’actualité, sont consultés par les (Vice) Présidents, demandent des augmentations de salaires, mais les inégalités entre femmes et hommes ne sont jamais évoquées. Pourtant, le Mouvement a connu dans ses rangs de nombreuses femmes actives, organisées et tout aussi militantes que les hommes mais le film a très visiblement choisi de ne pas montrer leurs points de vues propres, ni de solidarité entre elles.

Si Cecil évoque l’Holocauste vers la fin du film quand il revient sur la tombe de son père, pour dire que l’esclavage en était aussi un génocide, on se demande bien pourquoi montrer, dans les premières scènes, l’anachronisme d’un enfant dans les champs de coton demander à la famille de Cecil pourquoi ils ne sourient pas alors qu’il veut les prendre en photo ? Pourquoi montrer la mère de l’assassin du père de Cecil comme « bien bonne » de l’avoir fait rentrer dans la maison du maître, de lui avoir appris à lire et à se tenir comme un bon « nègre de maison » et finalement la montrer triste de le voir partir ? Pourquoi montrer la famille Kennedy comme la grande amie des NoirEs ? Pourquoi montrer Nixon en cuisine ? Pourquoi montrer Reagan exprimant des doutes et des scrupules par rapport à sa politique intérieure raciste alors qu’il lutta avec ferveur contre toutes les mesures visant à réparer les injustices commises en s’attaquant aux mesures d’actions positives (ou traitements préférentiels des catégories historiquement discriminées et minorisées) ? Et surtout pourquoi terminer par l’élection du premier Président Noir des États-Unis en montrant une pléthore de drapeaux, badges, et une population Noire qui semble comblée … !!!?
Sinon pour surtout ne donner envie à personne de « brûler la maison du maître » ?

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vlcsnap-2014-02-11-14h04m29s248Et tout le monde sourit !

« Une mythologie patriotique. »

 

Le contexte dans lequel est sorti le film de Lee Daniels n’est pas anodin. L’été 2013, on célébrait le 50ème anniversaire du discours historique de Martin Luther King à Washington et la Marche sur Washington. Or, comme le rappelle le journaliste Gary Younge, les célébrations de la Marche ont contribué avant tout à refonder une mythologie patriotique, seulement possible par le passage sous silence de la profonde impopularité de cette Marche à l’époque, le contenu profondément subversif du discours de Martin Luther King est trop souvent été réduit aujourd’hui à ses deux phrases les plus consensuelles (« que les personnes ne soient plus jugées sur la couleur de leur peau mais sur le contenu de leur caractère ») et qui, hors contexte, semblent valider le rêve américain et ont pu être utilisées et servir les Démocrates comme les Républicains les plus conservateurs et même l’argument de Reagan que les États-Unis étaient désormais entrés dans une ère post-raciale. Bien loin du portrait hollywoodien de Kennedy comme l’ami et allié des Noirs en nous montrant sa déclaration de Juin de la même année parlant de l’égalité entre Noirs et Blancs comme d’une question morale (plus qu’économique et politique), Younge rappelle qu’il tenta de dissuader les organisateurs de faire cette Marche, qu’il ordonna que plus de 10000 policiers soient déployés pour la contenir; que la vente d’alcools soit interdite dans le secteur 48h avant et après; qu’un agent du FBI soit posté près de l’ampli pour couper le micro si la foule commençait à réagir de manière trop fervente aux discours. Il rappelle aussi qu’après avoir défendu à Hoover de monter un programme de surveillance autour de King, le Président changea d’avis quelques temps plus tard, et Hoover se chargea de mener une virulente campagne de diffamation autour de King en plus de le mettre secrètement sur écoute, parce que ses critiques de l’Amérique (comme « la plus grande pourvoyeuse de violence et de misère au monde ») la touchait en plein coeur. Dans le film, Edgar Hoover, concepteur et directeur du FBI de 35 à 72, n’est évoqué qu’au détour d’une phrase par Nixon. Et pourtant, sa figure et ses actions devraient suffire en soi à saper toute tentative de glorification de la notion de « démocratie américaine. » Et même si le film donne une liste (réduite) des nombreuses morts de militantEs des Panthères Noires ou de Black Liberation Army dans les années 60 et 70, ses décisions et son action n’y sont pas associées.

Par ailleurs, et comme si souvent le cas, ce film participe à la caricature des Panthères : la coupe afro de la belle-fille, la veste en cuir et le béret noir du fils qui vient dîner chez les parents « raisonnables et aimables » paraissent évidemment déplacés et provocateurs dans cette maison confortable. Mais surtout, on nous montre un des membres prôner comme la loi du Talion comme programme d’action politique « à chaque fois qu’ils prendront un des nôtres, on prendra deux des leurs ! » Et bien sûr, on est bien censés trouver, comme Louis, que ça va peut-être trop loin …

police-shooting-missouriUne autre image de l’Amérique, Août 2013, Ferguson, après le meurtre de Michael Brown.

Sauf, qu’en fait, la lutte ne s’arrête pas là.

 

Si l’on garde bien à l’esprit la situation actuelle des AfricainEs-AméricainEs à l’esprit, il est difficile de se satisfaire de la conclusion complaisante de ce film, qui a pourtant fait verser une larme à son héros final, Barack Obama. Car, les chiffres et statistiques sont éloquents:

. Le taux de chômage des Noirs est deux fois plus élevé que celui des Blancs.
. Il en va de même pour les travailleurs pauvres (13,3% de Noirs – suivis de près par les hispaniques – contre 6,1% pour les Blancs)
. Un très récent rapport révèle que l’écart de patrimoine entre Blancs et Noirs a triplé au cours des vingt dernières années, notamment du fait de l’inégalité d’accès à la propriété, à l’éducation, à l’emploi et aux salaires. L’écart de patrimoine des ménages est passé de 85 000 $ en 1984 à 236 000 $ en 2009.
. En 1979, le salaire médian des Noirs représentait 82,5% du salaire des Blancs. En 2013, ce pourcentage tombait à 76,6%.
. Entre la fin des années post-ségrégation et aujourd’hui, quand on passe aux revenus des ménages les inégalités paraissent encore plus criantes et l’évolution extrêmement lente. En 1967, le revenu médian des ménages noirs représentaient 59,2% du revenu des ménages blancs. En 2012, ce pourcentage est de 61,5% (soit un peu plus de 2% de hausse).
. 47 millions de personnes aux US dépendent des bonds alimentaires (food stamps) et il s’agit bien souvent (mais pas que) de personnes et familles noires qui travaillent. Or, depuis novembre 2013 des coupes drastiques sont venues limiter leurs distributions lorsque a pris fin le (pseudo) plan de relance « stimulus plan », mis en place en 2009.

. Par ailleurs, en 2008, 5,3 millions de personnes aux US étaient privées du droit de vote du fait d’une condamnation, qu’ils soient derrière les barreaux ou en période de mise à l’épreuve.
. Or, si environ 13 % de la population est Africaine-Américaine, elle représentante 38% de la population carcérale. Deux états seulement (le Maine et le Vermont) ne privent pas les personnes condamnées ou à l’essai de ce droit. Huit États exigent une démarche volontaire à une personne condamnée, après avoir purgée sa peine, pour y avoir à nouveau accès.
. 1 jeune Noir né en 2001 sur 3 connaîtra l’expérience carcérale au cours de sa vie.
. 1 Noir sur 9 de 20 à 34 est aujourd’hui incarcéré.
. Le nombre de femmes incarcérées ne cesse d’augmenter et parmi elles, les femmes noires sont sur-représentées.
. Une personne ayant été condamnée, même pour une peine minimale, se verra interdite d’inscription à l’université.
. Un durcissement de la loi, avec notamment des mesures augmentant nettement la durée d’incarcération pour les récidives, a fait exploser la population carcérale de manière dramatique, en Californie en particulier. L’expérience carcérale devient donc souvent une peine à vie d’un point de vue social et économique.

. 4/5 des Africains-Américains terminent leurs études endettés contre 1/5 chez les Blancs. Or, depuis l’année dernière, les plans d’aides de l’Etat à des prêts pour études viennent eux aussi d’être drastiquement réduits.
. En plus, depuis 2009, le Voting Rights Act de 1965 est remis en cause et menacé (4).
. Une enquête du site ProPublica a récemment montré que les enfants noirs dans le Sud des US fréquentent des écoles majoritairement noires à des niveaux jamais atteints depuis quatre décennies. C’est à dire que la ségrégation de fait dans les écoles rejoint ce qu’elle était à l’époque de la ségrégation légale et avant la fameuse décision Brown vs. Broad of Education.

Ainsi, si la ségrégation et l’inégalité entre Blancs et Noirs n’est plus aussi systématique qu’à l’époque des Jim Crow laws, elle n’en demeure pas moins encore largement systémique. Les dénis de droits, les inégalités sont encore criantes et ne peuvent être occultées à coups de symboles et de célébration d’une visibilité de « la diversité » qui reste bien souvent strictement de façade.
Certes, l’élection d’Obama n’aurait sans doute pas pu advenir sans le mouvement des droits civiques mais le but était l’amélioration des conditions de vie de touTEs et pas d’une poignée, la Marche sur Washington qui en fut l’apogée, avait pour but de revendiquer la liberté et l’emploi, la justice et l’accès au logement. Or, de cette poignée, Oprah Winfrey est une représentante parfaite, elle est une de ces exceptions qui confirme la règle. Si, comme elle l’a fait lors de la promotion même de ce film, la milliardaire peut parfois s’exprimer avec véhémence sur le racisme virulent dans certaines strates de la population au point de dire que ceux là devaient simplement « mourir », elle n’est pas la preuve incarnée d’un changement profond par ailleurs, pas plus que ne l’est le Président qu’elle soutient fidèlement. Le racisme ne se cantonne pas à quelques contrées profondes du Sud, il imprègne encore des décisions prises dans les cours de justice ainsi qu’au plus haut sommet de l’Etat et ces décisions ont des conséquences économiques et sociales directes qui ne sont pas dénoncées comme « racistes » mais qui entretiennent des situations qui affectent en priorité, encore et toujours, très souvent les mêmes.

L’accès au pouvoir d’un Président noir a coïncidé avec une détérioration de plus en plus rapide des conditions de vie d’une majorité de noirs aux États-Unis. Il n’en est sans doute pas responsable, mais cette inégalité croissante entre Noirs et Blancs est un fait statistique et les décisions politiques, sociales et économiques prises ces dernières années ne vont pas de le sens d’un redressement des tors. Or, à l’occasion de la célébration de la Marche, prenant la place qui avait été celle de King au pied de la statue de Lincoln à Washington, Obama s’est permis de regretter que ce qui avait pu être des « griefs légitimes » s’étaient mus en « dédouanements systématiques » et que « les principes communs d’unité et de fraternité étaient étouffés par la rhétorique de la récrimination et de la victimisation. » En d’autres termes : l’unité de la Nation et le mythe Américain ne peuvent souffrir que les NoirEs se plaignent encore et toujours de ne pas être traités comme les autres. Et rétrospectivement, son slogan de campagne peut se comprendre, du coup et en fait, surtout comme une variante du « quand on veut, on peut » et comme une négation des conséquences encore actuelles de conditions structurelles encore prégnantes qui entretiennent des inégalités importantes.

Pourtant, les morts du jeune Trayvon Martin (abattu par George Zimmerman en 2013 lui-même acquitté en 2013 – au moment même où sortait le film), de Renisha McBride (abattue en pleine tête par un habitant de Detroit à qui elle venait demander de l’aide à la suite d’un accident de voiture), l’incarcération de Cece Macdonald (une jeune femme trans de Minneapolis condamnée à une peine de 41 mois de prison en première instance pour avoir mortellement blessé un néonazi qui l’avait insultée, agressée et violemment blessée au visage) et Marrissa Alexander (condamnée en Floride à 20 ans de prison pour avoir tirer en l’air pour faire peur à son compagnon violent), de John Crawford dans l’Ohio, de Michael Brown à Ferguson, St Louis (5) – pour ne citer que les affaires les plus récentes – devraient sérieusement, au-delà d’histoires singulières, interroger sur la notion de progrès accomplis, puisque le droit effectif de certainEs à tout simplement exister et ne pas craindre de se faire abattre ou enfermer à tout moment est loin d’être acquis (6) et que chaque affaire révèle les ségrégations et inégalités sociales, économique, raciales et de genre qui les sous-tendent toutes (7).

Quand Cecil fouille dans les cartons de la famille, il retrouve des livres qui traitent de l’histoire du mouvement des droits civiques, et en voix off, exprime finalement une forme de reconnaissance des luttes auxquelles son fils a participé. Il dit : « Ils avaient commencé à écrire à propos des luttes de Louis et ses amis. Louis n’était pas un criminel, il était un héros qui s’était battu pour sauver l’âme de son pays. »

Mais l’Amérique a-t-elle une âme ? Et si oui, qui a intérêt à ce qu’elle soit sauvée ? La question est-elle morale et métaphysique ou est-ce une question de droits, d’égalité et de justice ?

Pourtant, concernant directement la lutte pour les droits civiques et son héritage, le fait qu’en mai 2013 encore, la militante des Panthères Noires puis de la Black Liberation Army, Assata Shakur ait été déclarée la dixième ennemie publique la plus recherchée par le FBI et que sa mise à prix ait été doublée, 40 ans après les faits qui lui sont reprochés, à 2 millions de dollars pour « terrorisme », contredit toute clémence et sympathie pour les militants des droits civiques historiques et actuels, auxquelles voudrait nous faire croire ce film. Assata Shakur, en exil à Cuba depuis plus de trente ans (8), est une des figures emblématiques de la lutte des années 60-70, l’une des victimes du programme de surveillance et de répression COINTELPRO, mis en place par Edgar Hoover et soigneusement passée sous silence dans ce « feel good movie ». Comme le dit Angela Davis dans une interview sur Democracy Now, le doublement de sa mise à prix est une invitation à ce que quelqu’un cherche à la kidnapper et la ramener aux US ou à l’abattre en exil au nom des États-Unis et avec leur bénédiction. Elle est un signal fort à touTEs les militantEs à ne surtout pas suivre leur exemple et honorer leur mémoire. (9)

Fruitvale Station, Ryan Coogler.

 

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Pourtant, un film sorti en juin 2013 peu de temps avant le verdict rendu dans l’affaire Trayvon Martin et l’acquittement de George Zimmerman, Fruitvale Station, le premier long métrage écrit et réalisé par le jeune Ryan Coogler, produit par le même Forest Whitaker et Nina Yang Bongiovi, n’occulte pas ces enjeux, bien au contraire, mais n’a pas eu du tout droit à la même attention. Le film raconte la dernière journée du jeune Oscar Grant abattu dans le dos et à bout portant, alors qu’il était menotté et maintenu face contre terre par deux autres agents ferroviaires, dans la nuit du 31 décembre 2008 à Oakland. Avec justesse et subtilité, et en se basant sur des faits vraiment réels, le film montre la vie d’un jeune et de sa famille, mais aussi les logiques sociales, économiques, raciales et familiales, auxquels il devait faire face : la difficulté de trouver un boulot après une expérience carcérale pour petit trafic de drogue, l’argent qui manque, une parentalité précoce, la nécessité de payer le loyer et de dépanner la famille quand arrive la fin du mois, les femmes qui assurent à la maison et dans de petits boulots. Sans pathos ni clichés, il redonne au personnage son humanité mais dit beaucoup aussi d’une société très actuelle; et rappelle pour conclure, que l’agent condamné n’a purgé qu’une peine de 11 mois de prison pour « homicide involontaire » (10).

Malgré la performance remarquable de Michael B. Jordan (The Wire, Friday Night Lights) dans le rôle principal, et si Fruitvale Station a quand même reçu le prix « un certain regard » à Cannes, il n’a pas tenu que quelques semaines à l’affiche en France et n’a pas reçu de critiques enthousiastes. Au contraire, de nombreux critiques (bien françaises) lui ont reproché « sa naïveté » et « son angélisme », voire son « communautarisme ».

Avoir-alire.com :

« … la vision du cinéaste est totalement bornée et naïve, centrée sur Oscar qui représente, plus que jamais, la version ghetto d’un personnage Disney né au mauvais moment, au mauvais endroit. Et c’est peu dire, tant Coogler n’hésitera pas à enfiler, scènes après scènes, toutes les niaiseries possibles et inimaginables pour faire de son personnage la victime la plus injuste qui soit, avant même que le drame éclate. (…) Fruitvale Station parvient évidemment à émouvoir son spectateur, tant son histoire est terrifiante, son personnage attachant – et parfaitement interprété –, sa mise en scène efficace. Mais le film, faisant de la victimisation de ses figures le cœur de sa narration, reste surtout dangereusement manipulateur, dans le sens où il se prétend être l’adaptation réaliste du drame alors qu’il n’en présente qu’une vision fantasmée, manichéenne, qui lorgne dangereusement avec le communautarisme – les flics sont forcément blancs et blonds tandis que le médecin qui soignera Oscar est noir. Dans un tel contexte, difficile de croire à une coïncidence de casting. »

Télérama :

« L’envie de nouer un lien, par-delà la cruauté et l’injustice de la mort, imprime au film une émotion sincère (…). Mais que dire de cette vie brièvement retrouvée ? Le jeune homme sacrifié prenait des détours dangereux (trafic de drogue, prison) pour construire un rêve tranquille de mariage, de famille. Un type comme lui ne méritait pas de mourir comme ça, nous dit le réalisateur … Plein d’affection, le propos n’en reste pas moins succinct. »

Première :

« Les bonnes intentions ne font pas les bons films et l’on s’interrogera d’autant plus volontiers sur l’angélisme et la naïveté de la démonstration »

Pour Le Majordome en revanche, les mêmes critiques adoptent un autre ton. Première souligne son « incontestable élégance formelle » et reconnait « une véritable vision d’auteur » ou Avoir-alire.com, révélateur, déclare : « Avec force – mais sans tapage – Lee Daniels dénonce le racisme ordinaire qui existait aux Etats-Unis ». (11)

Mais où est le « communautarisme » ?

 

Les conditions de réalisation du Majordome de Lee Daniels, l’univers qui le porte et l’a produit est directement lié au propos qu’il développe. S’il représente une nouveauté jusqu’à un certain point, et si son sujet et son casting tendent à montrer une relative évolution qui n’est pas à ignorer, il n’en reste pas moins le produit d’un système qui reste encore très blanc, masculin et peu progressiste. En 2012, un article du New York Times, rappelait qu’encore très majoritairement les rôles dévolus aux noirs restent limités à trois catégories : l’histoire d’une réussite exceptionnelle et individuelle, la vie de criminels ou la ségrégation. Cette même année là, Octavia Spencer fut la seule actrice noire récompensée aux Oscars pour son rôle de servante de l’héroïne blanche dans la Couleur des sentiments. Sydney Poitier – qui est l’objet de la discussion qui amènera Cecil à mettre son fils et sa belle fille dehors pour l’avoir traité de « Uncle Tom » – fut récompensé en 2010 aux mêmes Oscars pour avoir contribué à lutter au cours de sa longue carrière contre les divisions raciales au sein de l’industrie. Pourtant, en 2002, Denzel Washington fut le second (12) Africain-Américain à remporter le prix du Meilleur Acteur et Halle Berry la première Africaine-Américaine à remporter le prix de la Meilleure Actrice !

Or, si l’on regarde la fiche technique du Majordome de plus près, il est difficile de dire qu’il participe d’une révolution et contredit la règle communautariste blanche et masculine (que montre une infographie récente et très révélatrice de la New York Film Academy.)
. Le script : Danny Strong : blanc.
. Le réalisateur : Lee Daniels : noir.
. Les distributeurs : Harvey Weinstein et David Glaser de la Weinstein Company : blancs.
. Parmi les 21 producteurs et producteurs délégués: 20 blancs (dont 5 femmes) et 1 noir (Lee Daniels lui-même).
. Directeur de la photo: Andrew Dunn : blanc

Il est donc fort à parier que le réalisateur avait peu de marge de manoeuvre d’un point de vue scénaristique, étant donné la configuration. Dans le bonus du DVD, Daniels dit d’ailleurs qu’il ne voulait pas que son film se termine sur l’élection d’Obama mais que la conclusion lui a été imposée par le scénariste et la production. Or au final, ce sont les distributeurs qui se tailleront la part du lion des 100 millions de recettes engrangées par le film.

Dans une interview pour Première, Lee Daniels reconnaît les compromis nécessaires dans cet univers aux règles encore pipées : « Oprah Winfrey, pourtant connue dans le monde entier, et Forest Whitaker, malgré son Oscar, ne sont pas suffisants pour greenlighter un film. C’est une réalité et un triste constat pour Hollywood – une autre forme subliminale de racisme. Il a donc fallu faire appel à des acteurs blancs et j’ai pensé les caster dans les rôles de présidents… Mais le plus important, c’était quand même de faire appel à des acteurs célèbres. Histoire d’inciter les gens de l’Idaho, du Nebraska, ou d’Atlanta à aller voir le film. Ceux-là viendront pour voir Vanessa Redgrave, Jane Fonda ou John Cusack. »

Tous ces constats ne valent pas que pour les États-Unis, on pourrait faire les mêmes analyses sur la France, que ce soit sur les situations sociales, économiques et politiques des populations minorisées, sur l’état du cinéma et ses (non-) représentations de l’histoire des luttes. En 2013 encore, nous avions droit, ici aussi, à la sortie d’un film grand public, La Marche, qui revenait sur une lutte hexagonale, trente années après la vraie Marche pour l’égalité et contre le racisme – si importante pour comprendre la nécessité et l’état de la lutte contre le racisme hier comme aujourd’hui – et pourtant si peu connue. Voici ce qu’en dit de Nabil Ben Yadir, dans son blog :

« …. c’est là tout le problème de ce film, outre qu’il est conçu pour convenir à tous les publics selon des critères de convergence que les vendeurs de lessive ne sauraient contredire. Revenir sur cette marche aurait pu constituer une belle opportunité de parler des fâcheux problèmes qui fâchaient, et qui continuent d’empoisonner la pensée cathodique, sérieusement « fachoïsée » depuis lors. En lieu et place, et malgré toute la bienveillance suscitée par ce genre d’histoire (on le répète), on ne décèle que l’opportunisme d’une production artistique qui ne choisit pas d’ouvrir la boîte à idées, de réfléchir le passé à la lumière du présent. (…) Mais voilà, la belle histoire passe ainsi sous silence tout ce qui a suivi : le paternalisme de SOS racisme et l’entrisme politique qui permit de récupérer fissa le mouvement, le communautarisme qui se nourrit des abandons des missions de la République, la colère transformée en émeutes desdits « petits frères » devenus grands, l’imposition de visas aux Africains de l’Ouest, la « périphiquisation » de la banlieue, l’oubli du droit de vote, le tri sélectif mis en place aux frontières de l’Europe qui fait grossir les rangs des sans papiers… (…) Ce film laisse finalement un drôle de goût pour ceux qui se souviennent de tout le reste. Comme si cette fable pour « marcher » devait déboucher sur un happy end, et donc gommer l’amorale vraie histoire« .

Caerbannog

Notes :

1 . ‘A Butler Well Served by This Election’, The Washington Post, 7/11/2008. Le titre – qu’on pourrait traduire par « Un serviteur bien servi par cette élection » – annonce bien le ton du texte, ainsi que celui publié à sa mort en 2010, qui fait de l’humilité et de la serviabilité une vertu suprême.

2. Dont l’histoire fut immortalisée par Bob Dylan dans sa chanson éponyme.

3. Le sujet du film d’Alan Parker, Mississippi Burning, (1988), mais traitée du point de vue des enquêteurs du FBI.

4. Johann Morri, « Droit de vote : La Cour suprême des Etats-Unis face à un monument de l’histoire constitutionnelle américaine » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 27 février 2013.

5. Après notamment que Bobby Hutton, qui fut le premier à rejoindre le BPP à 16 ans ait été victime d’une embuscade policière, ou Twymon Myers (l’un des fugitifs les plus recherchés des années 70, comme Angela Davis) ne soit abattu en 1973 par la police de New York et le FBI, de plus de 80 balles, le 2 mai 1973, dans le New Jersey, Assata Shakur et deux autres membres de la BLA, Zayd Shakur et Sundiata Acoli, étaient pris en chasse par la police du New Jersey, une fusillade s’en suivit. Zayd fut abattu, Sundiata croupit encore en prison. Assita, elle, fut condamnée à perpétuité alors que tous les rapports montrèrent qu’elle avait été touchée par une balle qui lui traversa l’épaule et lui brisa la clavicule, une autre lui traversa la main droite, alors qu’elle était assise les mains en l’air et qu’aucune trace de poudre ne se trouvait sur elle, prouvant ainsi qu’elle n’avait pas tiré sur les policiers et n’était certainement pas responsable de la mort du policier. En 1979, elle s’évada et s’exila à Cuba où elle vit depuis.

6. Voir : http://blog.wesign.it/2014/08/24/eric-garner-john-crawford-iii-michael-brown-ezell-ford-4-hommes-noirs-non-armes-abattus/

7. Sur ces cas, lire, Trayvon Martin et ses soeurs. Sur le blog negreinverti.wordpress.com

8. Pour les anglophones. C’est le propos d’un très bon article de Dissent Magazine, qui montre, cartes à l’appui, les raisons sociales, économiques et raciales des violentes réactions à la mort de Michael Brown, et dans quel schéma s’inscrivent les violences policières.

9. Angela Davis est une des très rares personnalités à avoir condamné la décision et en avoir explicité le sens et les conséquences. Sinon, c’est parmi les artistes hip-hop, comme Rosa Clemente, Mos Def, Common qu’il faut chercher les soutiens.

10. Sa défense ayant consisté à dire qu’il avait confondu son taser et son pistolet.

11. Souligné par moi.

12. Après Sidney Poitier pour Lilies of the Field, 1963. D’où la discussion à table en famille dans le film.

 

 

Autres articles en lien :

8 réponses à « Le Majordome de Lee Daniels », ou l’art d’envelopper les luttes dans un drapeau.

  1. Concernant le majordome ce qui m’a aussi dérange c est justement le fait de vouloir montrer toutes les luttes des noires en deux heures de temps alors que chacunes de ces luttes pourraient donner des dizaines de scénario le majordome se contente de les survoles

  2. En plus pour la crédibilité du film le fils qui est de toute les batailles de Martin Luther a Malcom X en passant par le Black Panther parti les mobilisations étudiantes le mec aurait meme pas eu assez d une vie pour faire tout ça

  3. si je peut me permettre..le film de lee daniels (qui par ailleurs a realisé le « pas auvais » Preéciious) est un veritable navet! pathétique! ce réalisateur qui réverait d etre a la hauteur de spike lee (lui »jungle fever » »malcolm x » « nola Darling n en fait qu a sa tete » »she hate me » »Inside man »)qui a été un cinéaste authentique durant les années 80 90 particulierement) donc le film fait l impasse sur la presidence bush(evidement cela noircirait le tableau) esthetique epuisant a coup de lumiere flashante inssupportable! film de propagande pure! produit par Harvey weinstein qui a produit Django unchained(autre navet! hélas de plus tous cela s annule a la base meme! car Obama n est qu un pion d une puissance superieure!et les guerres impériales coloniales au moyen orient se font plus facilement a visage noir! bref je ne veut pas aller plus loin dans les détails politiques. cela serait trop long..spike lee n a jamais fait de films sur l esclvage ou sur les black panthers(malcolm x est un bipic qui aborde cela mais pas dans le détail)il ne l a pas fait car toute son œuvre est traversée par cela et c est beaucou plus intéressant et plus fort que ce film grotesque.

  4. désolé pour ce texte très mal écrit..il était 5heure du matin ! c est pour ça ce n est pas une excuse je sait..

  5. Personnellement, j’ai bien aimé le film, et j’ai trouvé qu’il soulevait des problèmes hyperintéressants. Ca fait un bon moment que j’ai vu le film, mais je suis aussi d’accord avec ton article, et je trouve très intéressante ton analyse sur l’ultrapatriotisme du film. Merci pour toutes tes références historiques, je n’avais pas tout saisi, ne connaissance pas bien le contexte américain.

    Par rapport au patriotisme du film, il me semble que les deux personnages de Cecil et de Louis sont tous les deux récupérés comme deux Héros de l’Histoire Américaine. Cette récupération patriotique me paraît progressiste, en tant qu’elle reconnaît l’importance de la lutte des droits civiques dans l’histoire américaine. Mais d’un autre côté, je suis d’accord qu’on tombe dans une mythologie, qui édulcore les luttes passées.

    1) D’un côté, le film réhabilite la lutte des droits civiques comme partie intégrante de l’histoire américaine, et l’égalité raciale comme critère fondamental de la «âme américaine ». Les Américains sont culturellement très patriotiques, et il me semble qu’ils attachent une très grande importance à leur histoire. Personnellement cette glorification de l’ « âme américaine » ne me pose pas problème dans la mesure où elle est synonyme de confiance et de solidarité envers ses compatriotes.
    Du coup, la reconnaissance par le film de la lutte des droits civiques comme période fondamentale de l’histoire américaine est pour moi assez progressiste. Par rapport au contexte français, où il me semble que les luttes raciales sont carrément occultées / ignorées dans l’histoire nationale et coloniale, cette mise en valeur des luttes raciales et de leur importance me semble intéressant.
    De plus, même si le film occulte certains faits historiques, il montre quand même à plusieurs reprises le racisme des présidents blancs.

    2) De l’autre côté, comme tu l’expliques bien, l’histoire des droits civiques est édulcorée, tant dans la mémoire collective américaine que par le film.
    Cette édulcoration me semble prendre deux biais :
    – la mise en valeur du modèle du domestique noir fervent patriote, incarné par Cecil
    – la récupération du personnage politique de Louis a posteriori, récupération d’autant plus facile qu’elle va dans le sens de l’histoire (la lutte des droits civiques fait aujourd’hui consensus), et que le film minimise la violence de la société et des dirigeants blancs (ex : Hoover).

    Le film présente les deux modes d’actions politiques du père et du fils comme toutes les deux pertinentes : le père et le fils se reconnaissent mutuellement comme héros à la fin du film, même s’ils étaient radicalement opposés sur le plan politique.

    La récupération de Cecil comme domestique subversif, de par sa servilité même, me pose problème. Comme tu le dis, en tant que Noir dans un monde blanc, Cecil doit faire preuve d’une docilité parfaite, au risque de se faire licencié ou lynché si l’un de regard est mal interprété (comme l’a été son père)
    Mais le film me semble proposer une autre interprétation : Cecil ne fait pas preuve d’obéissance absolue face aux blancs uniquement par nécessité de survie, mais cette obéissance serait en fait une forme de sagesse. Cecil est patriote, il a foi en le rêve américain, et, plutôt que de lutter pour ses droits, il préfère démontrer aux blancs qu’il est un homme digne, respectueux, et à qui on peut accorder confiance.

    Cette sagesse est corroborée par le personnage de Martin Luther King, selon qui le domestique noir a un rôle important dans l’histoire américaine, car il réfute tous les stéréotypes raciaux en montrant qu’une personne noire peut être digne et prendre en charge de grandes responsabilité dans le domaine domestique. Les domestiques sont «  à bien des égards subversifs, sans même s’en rendre compte » ! (la docilité ne serait même pas une stratégie à long terme, puisque les majordome ne se rendraient même pas compte de leur subversivité!)

    Le fait que le film soit centré sur le personnage de Cecil met véritablement en valeur ce modèle de « servilité subversive ». Le personnage de Cecil évolue, mais seulement dans les cinq dernières minutes du film (il rejoint son fils dans une manifestation, puis démissionne de la Maison Blanche), et on bascule ensuite tout de suite dans le monde des bisounours, avec l’élection d’Obama. Je trouve qu’il aurait été intéressant de présenter les contradictions auxquelles est confrontées Cecil (Comment garder sa dignité tout en servant des Blancs qui le méprisent ? Comment peut-on mener une résistance vis à vis du pouvoir blanc, à petite échelle et dans son quotidien de majordome ?) , plutôt que de trouver une solution miracle, qui transcende la schizophrénie apparente des serviteurs noirs (Cecil a foi en sa patrie, il croit au fond de lui qu’il sera finalement récompensé de sa loyauté)

    Je connais très peu Martin Luther King mais j’ai l’impression que Martin Luther King sert ici de figure d’autorité pour appuyer un discours attentiste et mielleux envers les Blancs :
    «  Bon, ça suffit, on n’est plus au temps des plantations : les Blancs ont compris que les Noirs sont des êtres humains égaux, Cecil ne va pas se faire lyncher pour une parole en l’air. Il faut juste laisser passer le temps pour que les mentalités évoluent, et Cecil a bien compris que la meilleure des stratégies, c’est d’être gentil et de servir les Blanc avec dignité ».
    D’autant plus que Cecil se fait marcher sur les pieds par les Blancs tout au long du film, et je ne me rappelle pas de beaucoup d’exemples où sa stratégie aurait marché.

    Du coup, est ce que tu en sais plus sur la pensée de Martin Luther King ? Est ce que cette idée de « servilité subversive », apparamment issue de M.L. King est incarnée de façon juste par Cecil, ou est-ce que le discours de M.L .King a été récupéré par le film ?

  6. Merci pour cette contribution.
    Je réponds un peu dans le désordre.
    Je suis d’accord avec beaucoup de choses que tu soulignes. Je suis d’accord avec le fait que le film intègre la lutte des droits civiques dans l’histoire et qu’il s’agit bien d’une forme de reconnaissance de son importance et que même si c’est parfois très didactique, c’est bien de les voir s’entraîner, organiser des groupes d’auto-défense, préparer des actions certes pacifistes mais radicales comme à Woolworth. Et oui, ça c’est progressiste, et c’est vrai qu’en France on en est pas là. Dans deux jours, c’est le 17 octobre et cette histoire semble chaque année encore à peine écrire et à peine connue, parfois même dans certains rangs « militants ».
    Dans le film, on voit bien, par l’usage d’images d’archives assez connues, la violence de la répression policière, les arrestations et le rôle de la justice pour contenir et saper le mouvement. Mais le fait que le personnage et le rôle de George Wallace un Démocrate ségrégationniste et raciste virulent soit à peine évoqué, participe, je trouve, au dédouanement assez général de la classe politique dans ce film. Quand le bus des « Freedom Riders » est attaqué par exemple on ne voit pas qu’il y avait la police parmi les attaquants et parmi les membres du Clan. Certes, comme tu dis, on voit des Présidents racistes mais on nous les montre aussi avoir des scrupules et du coup ça annule aussi ce qui est exposé (Là, je pense surtout à Reagan).

    Concernant la citation de King, comme tu dis elle conforte la position et la posture de Cecil et fait de lui un héros aussi, à sa manière. Mais d’abord, je ne retrouve pas l’origine de cette citation. Celle de Malcolm est connue, celle de King, je ne la connaissais pas. Mais elle apparaît dans le film le jour ou la veille de son assassinat, or à ce moment là, contrairement au portrait qu’on fait souvent de King comme moins radical que Malcolm, moins virulent et plus « rassembleur », il était devenu assez isolé au sein des organisations noires parce qu’il dénonçait depuis un moment l’attentisme, et le « gradualisme » que certainEs revendiquaient. Si on relit/ réécoute son discours de 1963, et pas juste le bout que tout le monde connait avec « le Réve », on se rend compte que ce discours est vraiment révolutionnaire dans le sens où il appelle immédiatement (« NOW »), à un changement de système radical. Il fustige l’existence et le maintien des ghettos noirs, les violences policières, le maintient des Noirs dans la pauvreté alors que le pays est riche. Il dit que 100 ans après l’abolition de l’esclavage, les Noirs vivent encore dans les chaines et que les promesses faites se sont transformées en un « chèque en blanc ». Utiliser cette citation, à ce moment, comme une forme de validation d’une posture « attentiste » et « intégrationniste » me paraît clairement frauduleuse.
    Voici ce qu’il écrivait déjà en 1963 de sa prison de Birmingham : http://lmsi.net/Pourquoi-nous-ne-pouvons-pas
    Cette lettre contredit en elle-même, la célébration de l’héroïsme d’une « voix silencieuse subversive. »
    Et je pense que ça clarifie tes doutes, donc.

    Sinon, je trouve intéressant ce que tu développes sur la dialectique et l’opposition entre père et fils, mais y’a une scène qui en dit long aussi sur les stratégies du père et que je trouve super problématique, et ne le montre pas que comme un « sage ».
    Quand il arrive à la Maison Blanche pour l’entretien d’embauche, ça manque de pas passer avec le recruteur, et quand il le sent, il lui dit qu’il ne voudrait surtout pas qu’il embauche quelqu’un dont il douterait qu’il ne remplisse parfaitement son rôle et ne satisfasse pas complètement ses attentes. Et tout d’un coup, il aperçoit la bouteille de Cognac Louis XIII et en fait un éloge savant (verre français en Baccarat blablabla). Et le recruteur l’embauche en disant « I think you’ll do a perfect house nigger ». Je me demande l’intérêt de cette scène, si ce n’est pour montrer que Cecil fait un étalage de sa distinction (c’est à dire se démarque) en montrant sa parfaite servilité et en même temps se distingue en montrant qu’il connaît bien et apprécie même subtilement les signes de distinction du luxe des grands hommes, sans bien sûr en être du tout, mais sans être un « Noir lambda ».
    Je trouve cette scène glaçante. Parce que là, on est au-delà de stratégies visant à garder sa dignité dans un contexte d’adversité.
    C’est comme les moments où il est fier d’avoir la cravate de JFK, de porter les accessoires que lui ont offerts les Présidents. C’est de la révérence. Et c’est bien ça que son personnage sert à montrer. Quand Nixon passe en cuisine et leur donne des badges, ce sont ses amis qui grincent des dents pas lui.
    Si on le voit perdre un peu la foi à force de cirer / et en cirant des centaines de pompes vers la fin (la scène est bien sûr à comprendre dans un sens à la fois littérale et figurée), il rejoint son fils à une manifestation contre l’apartheid en Afrique du Sud, mais il n’a jamais maudit la structure de son propre pays alors que ce dont il a été témoin y suffirait bien.
    En revanche, là où je ne te suis pas trop c’est quand tu dis : « Les Américains sont culturellement très patriotiques, et il me semble qu’ils attachent une très grande importance à leur histoire. » Parce que c’est un peu essentialistes et que justement c’est tout le débat que ce film occulte. Les AméricainEs ne sont pas du tout du tout un groupe homogène avec une histoire, ou plutôt des histoires, communeS. Et de quelle histoire parle-t-on et quand est-ce qu’elle commence ? Les Native-Americans sont aussi très attachés à leurs histoires (car elles sont multiples et variées) mais à peu près tout le monde s’en fout. Pareil pour les « African-Americans » certainEs disent et revendiquent qu’ilLEs sont « African » et pas « American ».
    C’est pour ça que je trouve que Gary Younge avait raison de dénoncer « la mythologie patriotique » autour des célébrations de la Marche et de MLK.
    Ce film et surtout sa fin participe à une clôture de l’Histoire alors même qu’elle commence à peine à être écrite.

  7. Y avait Precious, aussi de Lee Daniels, qui passait sur arte ce soir. C’est carrément d’un autre niveau. Et comme par hasard, le scenario a été écrit par Geoffrey Fltecher (Noir américain), en adaptation du roman Push de Sapphire.

  8. precious est très bon effectivement.. je l ai dit précédemment mais celui la est une mer.. !!selon moi et paperboy est tellement navrant qu il en devient intéressant d une certaine manière..

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