Vous trouverez la première partie de cette critique sur cette page.
Jurassic World, un film raciste
Ceux qui espéraient que tourner dans une production américaine permettrait à Omar Sy d’interpréter autre chose que le bon noir de service, détrompez-vous. Sy, qui n’apparaît que quelques minutes à l’écran tout au long du film, incarne ici le side-kick noir du héros blanc dans toute sa splendeur (à l’exception des blagues nulles, heureusement). Son unique rôle dans le film consiste à soutenir et à approuver Owen Grady dans ses moindres dires, faits et gestes. Sa seule action dans le film consistera à sauver Owen de la menace d’un raptor en explosant ce dernier à l’aide d’un lance-roquette. L’homme blanc ne pouvant rester redevable de l’homme noir, Grady lui sauvera à son tour la mise quelques secondes plus tard, mais de manière non-violente, simplement en détournant l’attention du raptor. Ce qui a pour effet d’accentuer la violence avec laquelle Omar Sy a pulvérisé « dans le dos » le raptor. Ces noirs, tous des brutes.
Tout comme Omar Sy est le seul noir de Jurassic World, Simon Masrani est le seul personnage racisé de pouvoir (de nationalité et d’origine inconnues dans le film, mais l’acteur est indien) de cette superproduction. Alors qu’on le voit assez peu à l’écran, son personnage est, à mon sens, le plus fouillé, si l’on puis dire, du film : pas vraiment gentil (il n’exige pas l’arrêt des croisements génétiques pour créer de nouveaux dinosaures), pas vraiment méchant (il réprimande Claire comme un petite fille parce qu’elle a créé de nouveaux dinosaures dangereux), Simon Masrani est en revanche clairement présenté comme un enfant capricieux. Disposant d’un petit hélicoptère, il tient absolument à le piloter lui-même et répète plusieurs fois « je gère, je gère », expression jeune s’il en est (le personnage avoisine la quarantaine), sourire idiot aux lèvres. Évidemment, l’entêtement de ce grand enfant originaire d’un pays que le réalisateur de film serait probablement incapable de placer sur une carte, causera sa mort, puisqu’il insistera à nouveau pour prendre les commandes de son hélico à la place de son pilote et sera victime des ptérodactyles.
Derniers personnages racisés visibles à l’écran dans Jurassic World, les asiatiques. On retrouve le Dr. Wu, seul rescapé du casting du premier Jurassic Park dans ce nouveau film. Toujours dans le rôle du scientifique créateur de dinosaure, le réalisateur lui attribue cette fois-ci un rôle de méchant, ce qui n’était pas le cas dans le film de 1993. Évoquant un méchant sbire James Bondien des années 70, le Dr Wu est discrètement vendu au spectateur comme étant méchant : vêtements de méchant, musique de méchant lors de ses apparitions et rhétorique de méchant : « Mais qu’est-ce qu’un monstre finalement ? Pour une souris, un chat est un monstre. Nous sommes habitués à être le chat. » Pourtant, rien n’obligeait le réalisateur à diaboliser ce personnage, qui se contente d’exécuter les ordres de Simon Masrani comme il exécutait auparavant les ordres de John Hammond. De fait, le Dr Wu est exactement dans la même situation que Claire Dearing : il a interprété la consigne de Masrani de créer des dinosaures « plus cools » en « créer des dinosaures avec plus de dents. » Mais, alors que Claire emprunte la voie de la rédemption grâce à l’épaule virile d’Owen Grady, le Dr Wu tente de se justifier et apparaît comme diabolique puisque sa réplique concernant chat et souris semble montrer qu’il avait conscience de créer un monstre. De fichus roublards qui fuient leurs responsabilités, ces bridés !
L’autre personnage asiatique est un militaire nommé Hamada, qui intervient dans une scène faisant une allusion très claire à l’imagerie de la guerre du Vietnam (qu’on retrouve dans des films très typés « mâles » tels que Predator) : une escouade de soldats dans une jungle luxuriante, soudainement attaqués par un ennemi camouflé (l’Indominus), en traître. Il y a les flammes, la jungle, l’ennemi qui est camouflé et qu’on ne voit pas, la défaite des soldats américains. Pour moi, ce genre de scène sert à mobiliser un imaginaire associé pour les américains à la défaite militaire, pour ensuite l’exorciser avec la victoire de l’homme blanc, ancien de l’US Navy (Owen Grady). A l’époque de la guerre du Vietnam, des critiques reaganiens accusaient la bureaucratie de l’administration américaine d’être responsable de la défaite. On peut interpréter le discours de Jurassic World de cette même façon, comme nous allons le voir à présent.
En résumé, les personnages racisés dans Jurassic World, c’est :
- Un noir aux ordres de l’Homme Blanc (Omar Sy).
- Un indien dirigeant et capricieux… donc destiné à mourir (Simon Masrani).
- Un asiatique présenté comme mauvais (Dr Henry Wu)
- Un asiatique lui aussi aux ordres de l’Homme Blanc… qui meurt quand même parce que ces jaunes doivent payer pour le Vietnam (le soldat Hamada, un nom japonais en plus, autre ancien ennemi des USA).
Jurassic World, un film bourré de faux-semblants
Un propos anti-technologie, faussement anti-militariste et faussement anti-capitaliste.
S’il ne nous appartient pas ici de juger l’utilité, la dangerosité ou la mauvaise utilisation faite des nouvelles technologies, nous pouvons en revanche critiquer la critique qu’adresse Jurassic World à celles-ci pour de biens mauvaises raisons. Car outre l’Indominus Rex, le film comporte un second antagoniste en la personne de Vic Hoskins, barbouze d’une officine américaine tellement secrète qu’elle n’est même pas nommée. Celui-ci affiche son mépris pour les drones de guerre, arguant que « dès qu’un conflit éclatera, ils seront hackés », et prône un retour aux « armes naturelles. » En l’occurrence l’utilisation de raptors dressés sur les zones de conflit. Le film dans son entier véhicule lui-même un propos anti-technologie :
– ce sont des expériences sur les gènes qui ont permis la création de l’Indominus, ce qu’Owen Grady souligne comme étant un problème : « C’est un hybride génétique qui a grandi en labo. » L’Indominus sera d’ailleurs tué par le T-Rex, un dinosaure « pur ».
– Malgré toutes les précautions technologiques prises pour assurer la sécurité du parc rien ne fonctionne.
On comprend alors que le discours anti-technologique du film n’a pas pour but de questionner l’utilisation que l’on fait des nouvelles technologies mais bien de valoriser l’idée d’un nécessaire retour à la bonne virilité façon la Stallone-Schwarzie. Car qui va sauver tout le monde ? Owen Grady, grâce à sa bite, son couteau et son fusil old-school, en opposition aux soldats du film harnachés des pieds à la tête de protections, armés d’armes futuristes et suivis informatiquement. Une supposition validée à la fin du film lorsque, pour faire redevenir gentils les raptors afin qu’ils aillent botter les fesses de l’Indominus, Owen leur enlève le casque infrarouge accroché sur leur tête. Pas besoin de tous ces gadgets pour l’emporter dans une baston à la régulière ! Par ailleurs, il serait aisé de croire que le film véhicule une idéologie anti-militariste, car le héros n’aura de cesse de s’opposer à Vic Hoskins le va-t-en-guerre. Sauf que la violence gaillarde du film montre bien que ce n’est pas la guerre le problème, c’est l’utilisation de technologies pour mener celle-ci, car rien ne vaut un mâle doté d’un bon fusil se roulant dans la boue pour occire ses adversaires. Une idéologie fréquemment véhiculée par Hollywood.
Cette idée du retour à la virilité gaillarde passant par l’abandon des technologies est aussi véhiculée par le parcours des frères Mitchell : tandis que Zach, au début du film, est obnubilé par les filles (parce que « nous les mecs on peut pas se contrôler », c’est bien connu) et par son lecteur mp3 vissé en permanence sur ses oreilles, ce qui apparaît comme une faiblesse, Gray est absorbé par les projections holographiques. Par la suite, ils se retrouveront totalement démunis en pleine forêt, sans même un téléphone portable. C’est à ce moment que la virilité masculine fait son grand retour par le biais d’un dangereux saut depuis une falaise pour échapper à l’Indominus (une preuve de courage), suivi de la réparation du 4×4 déjà évoquée.
Enfin, passons rapidement sur le fait que le film véhicule vaguement une sorte d’anti-capitalisme simpliste, puisque c’est la poursuite du profit sans limite qui entraîne la catastrophe. Un discours qui pourrait paraître louable mais qui se révèle très hypocrite quand on sait que Jurassic World est lui-même un fervent représentant de ce capitalisme outrancier tant les placements de produits y sont nombreux (17 marques apparaissent ou sont citées). De plus, il s’agit là d’une illustration de l’argument utilisé par les plus ardents défenseurs du capitalisme : le capitalisme, des fois ça entraîne des problèmes, mais bon globalement ça marche. Vous voulez transformer Jurassic World en Corée du Nord, M. Mélenchon ? Hein ?! Hein ?! C’est ça que vous voulez pour nos enfants ?
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Jurassic World, un film spéciste
Sous couvert de magnifier la beauté et la grandeur des dinosaures « qui nous rappellent à quel point nous sommes petits », d’enseigner le « respect » pour les animaux et d’apprendre aux humain-e-s « l’humilité », le film tient un discours totalement hypocrite, qui reproduit en fait un spécisme tout ce qu’il y a de plus basique.
De fait, tout le début du film ressemble beaucoup à une immense pub pour les zoos. On y voit des enfants monter sur les bébés dinos, jouer avec, ou les spectateurs regarder un gros monstre amphibien sauter dans sa piscine. Il y a aucun point de vue critique là, au contraire : on voit tout par les yeux de Gray, trop content d’être là. Et le film invite ainsi les enfants dans la salle et les adultes ayant « gardé leur âme d’enfant » à trouver ça trop génial, ne serait-ce que par la qualité des effets spéciaux.
On a ensuite tout le discours mystificateur autour du zoo. Masrani qui s’inquiète dans l’hélico de savoir si ses animaux sont heureux (alors qu’ils sont enfermés dans un zoo, derrière des barrières électrifiées et surveillés par des hommes armés !). Puis nous avons Owen qui expliquera à Claire Dearing qu’il ne cherche pas à contrôler les raptors mais à instaurer une « relation de respect mutuel ». Cette affirmation est pourtant contredite par la séquence qui l’a précède, durant laquelle Grady oblige les animaux à obéir à ses ordres afin de devenir leur maître. Plus spéciste, y’a pas.
Le deuxième type de discours de ce film décidément bien hypocrite concernant la fonction du parc est aussi tenu dans ces deux mêmes scènes par Masrani et Owen (qui expliquent au passage la vie à Claire, dans une ambiance bien paternaliste…) : Hammond a créé le parc pour rappeler aux humains « à quel point ils sont petits, et récents », ou encore « pour nous apprendre l’humilité ». Donc non seulement il y a l’idée selon laquelle les humains, en enfermant (et donc en dominant/séquestrant/violentant) des animaux, devraient apprendre qu’ils sont les « petites parties d’un grand tout » et qu’ils doivent respecter les autres êtres vivants. HA HA HA. Nous ne prenons pas beaucoup de risque en affirmant que ce n’est pas en exerçant une domination sur les autres espèces qu’on apprend à se considérer comme leurs égaux. Derrière toutes ces séquences se cache le discours classique sur la fonction pédagogique des zoos (un des grands arguments, et peut-être même LE grand argument pour justifier les zoos aujourd’hui). Or enfermer les animaux, ça n’apprend rien de plus (et même moins) que de les observer vivre libres. Ça apprend juste aux enfants qu’il est normal de traiter les animaux comme bon nous semble, de les enfermer, etc.
La seule domination qui est critiquée dans le film à ce niveau, c’est celle du méchant militaire qui veut en faire des armes. Or, de manière révélatrice, ce qui est problématique là-dedans selon le film, ce n’est pas du tout le fait de traiter les animaux comme des instruments/moyens/objets/êtres à notre service (Owen ne dit pas non au principe d’ailleurs, puisqu’il laisse le méchant se servir des dinos). Non, le seul problème selon le film, c’est que c’est une arme qui risque d’être retournée contre nous (une des grandes peurs actuelles des américains d’ailleurs. Cf. tous les films où des espions sont soupçonnés d’avoir été « retournés », comme Salt ou Homeland). Donc le problème ce n’est pas de transformer les animaux en armes, mais juste que ces armes ne vont pas bien marcher !
Au final, le film prône un « rapport de domination naturel » sur les animaux, incarné par Owen. Ce n’est pas juste une blague quand il dit qu’il est leur « mâle alpha », cette réplique véhicule l’idée que ce qui est cool, c’est de réussir à imposer son respect aux animaux, et encore plus si ceux-ci sont dangereux. La scène finale est édifiante à ce niveau : Owen enlève la caméra que le méchant avait posée sur les raptors, et devient ainsi leur maître naturel. Il n’a alors plus qu’à siffler pour que les raptors lui obéissent et foncent sur le l’Indominus.
Cette histoire de domination naturelle (c’est-à-dire de l’homme comme animal qui domine naturellement les autres animaux) est à lier avec tout le discours anti-expérimentation génétique du film (une critique véhiculée depuis le 1er Jurassic Park, cf. une réplique qui revient sans cesse dans les films : « Voilà ce qui arrive quand on se prend pour Dieu. »). Cette critique de la génétique n’implique donc pas du tout une critique de l’exploitation des animaux, mais vient pour justifier une « bonne domination » (celle d’Owen) contre une « mauvaise domination » (celle de Claire qui enferme les dinosaures dans des enclos sans aucun contact extérieur).
Conclusion
Jurassic World est sans conteste l’un des films les plus sexistes que j’ai pu voir. Bien que certaines parts du discours viriliste du film soient « cachées », Jurassic World comporte de nombreuses scènes frontalement violentes envers la gent féminine, au point que son visionnage en devient insupportable, y compris pour des personnes non-sensibilisées à ce problème de société. Par ailleurs, outre le racisme commun à de nombreux blockbusters hollywoodiens, le film est terriblement hypocrite vis-à-vis de tous les sujets qu’il tente d’aborder de près ou de loin : anti-militarisme, technologie, capitalisme, respect des animaux… Un film de divertissement n’est certes pas là pour véhiculer de profonds messages (encore que), mais Jurassic World, sous couvert d’être un bon gros no-brainer pour les petits et les grands, camoufle des idéologies nauséabondes, ce qui est un comportement fort malhonnête de la part du réalisateur et des producteurs.
Zorglomme
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