Auteur: Arroway


« Les Meilleures » (2022) : entretien avec la réalisatrice Marion Desseigne Ravel

Ces dernières années, le cinéma français a pu compter plusieurs films marquants racontant une histoire d’amour entre femmes. Certains long-métrages ont fait parler d’eux pour leur male gaze fort problématique (en première ligne desquels La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche), mais des réalisatrices telles que Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu, Naissance des pieuvres) et Catherine Corsini (La fracture, La belle saison) ont porté à l’écran des histoires qui tranchent avec l’hétéronormativité encore largement dominante dans les productions actuelles. Mais ils reproduisent souvent d’autres invisibilisation, de race et de classe notamment. Parce qu’un film peut difficilement répondre à lui tout seul aux attentes de tou-te-s les spectateurices et faire écho aux nombreuses perspectives diverses et intersectionnelles qui traversent nos vies, il existe donc encore et toujours un vrai besoin de multiplier les représentations en phase avec les réalités sociales, sans tomber dans des clichés réducteurs et discriminants, et bien sûr à l’abri de tout male gaze.

Avec son premier long-métrage intitulé « Les meilleures », Marion Desseigne Ravel apporte sa pierre à l’édifice en racontant l’histoire d’amour entre deux adolescentes, Nedjma et Zina, qui vivent dans un quartier populaire du nord-est parisien.

Je me suis entretenue avec elle à l’occasion de la sortie en salle de son premier long-métrage, prévue le 9 mars 2022.

Bande-annonce du film Les Meilleures

Tu filmes des jeunes femmes d’origine maghrébines dans un quartier populaire à Paris : en tant que scénariste et réalisatrice, comment as-tu travaillé ton regard pour écrire et pour réaliser ce film ?

Je l’ai travaillé de manière assez inconsciente. J’ai écrit ce film parce que j’ai travaillé pendant six ou sept ans environ en tant que bénévole dans une association de soutien scolaire, où j’ai fait face à des jeunes qui sont plus ou moins ceux qu’on voit dans le film : des adolescents, dont beaucoup de filles – parce que les filles viennent plus faire du soutien scolaire que les garçons -, et originaires majoritairement du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest. À cette époque, je ne pensais pas encore à faire un film, je faisais cette expérience à titre personnel. J’avais envie qu’il y ait un échange, donc les côtoyer m’a poussée à déconstruire pas mal de choses. Je suis arrivée avec mon lot d’a priori, avec mes idées reçues, et puis j’ai vu des ados face à moi qui avaient l’avantage de nous prendre à parti, moi et les autres adultes bénévoles, et de nous questionner. À 15, 16 ans, deux des ados ont commencé à porter le voile. Au moment où c’est arrivé, j’avais un a priori, peut-être une sorte de vision féministe universaliste qui dit que c’est la religion le problème. Sauf qu’en face de moi, c’était des ados que je connaissais déjà depuis trois, quatre ans, avec qui j’avais des liens assez chouettes et qui m’ont parlé, qui m’ont expliqué. J’ai travaillé autour de ces questions dans mon court-métrage, Fatiya. Dans le long-métrage, il y a cette scène où Nedjma discute avec une animatrice et lui dit : « mais est-ce que tu sortirais avec un babtou ? » C’est des trucs dont j’ai parlé avec les ados, ou plutôt dont eux ont parlé avec moi, parce qu’on parlait de sexualité et de sujets de société. Et c’est ce que j’ai essayé de retransmettre dans le film.

J’avais aussi conscience en écrivant qu’il y avait des points sur lesquels je serai toujours un peu en retard ou approximative. Notamment sur la langue des adolescents. Je savais que je ne pourrai qu’être dans une forme de copie. C’est pour ça que l’une des étapes de préparation du film a été de donner le texte aux comédiennes, d’en parler avec elles, et on a ré-inventé le vocabulaire ensemble.

Donc les comédiennes ont participé à l’écriture en quelque sorte ?

À l’écriture de la langue, en partie oui. Il y avait un scénario très écrit, dont les intentions étaient très précises. Je leur disais « dans telle scène, tu vas lui demander ceci, tu vas lui dire cela ». Mais on a discuté de comment ça allait être formulé : on a mis le dialogue en place ensemble. Il y a des répliques telles que « guette ta tête, frère » par exemple que je n’ai pas écrites, je n’en aurais pas été capable !

De la même manière sur le personnage de la mère, je me suis inspirée d’une personne que j’avais rencontrée. Toute la tirade sur le fait qu’elle cherchait la liberté en arrivant et France et qu’elle ne comprend pas la génération qui est face à elle, c’est quelque chose que j’ai entendu. Je ne fais pas un documentaire, mais j’ai essayé de m’inspirer de choses vécues, de ne pas être dans l’invention. Je n’ai pas le vécu de cette femme maghrébine et j’ai donc essayé d’être à l’écoute des personnes que j’ai pu rencontrer, de m’inspirer de témoignages que j’ai pu recueillir.

Il y a pas mal de films qui vont raconter des histoires d’amour entre femmes et dans lesquels il y a un male gaze qui est très présent, avec pas mal de clichés. Mais je n’ai pas retrouvé les mêmes types d’images et de sensations à l’écran dans ton film. Comment as-tu abordé la question ? Comment as-tu techniquement appréhendé la question de filmer deux jeunes femmes qui tombent amoureuses et qui ont des scènes érotiques ensemble ?

Il y a eu plein de facettes. Il n’y a pas une seule réponse à cette question.

Dans l’équipe technique, j’ai choisi de travailler avec une cheffe-opératrice, Lucile Mercier, que je connaissais déjà parce qu’on avait travaillé ensemble sur deux courts-métrages. Je savais qu’elle avait un regard profondément respectueux et bienveillant.

La deuxième chose, c’est qu’en tant que spectatrice adolescente, j’ai été sensible au male gaze (même si je ne connaissais pas ce mot quand j’étais jeune !). Je me souviens avoir vu certains films où il y avait des histoires d’amour et des scènes de sexe, hétéros pour la plupart, et avoir ressenti une forme de violence face à ces représentations-là. Et je me souviens de m’être dit : je ne veux absolument pas être à la place du personnage féminin qui me semblait terriblement passif, je n’ai pas envie de jouer ce rôle-là. Alors quand j’ai essayé de mettre en scène ces deux jeunes filles, je l’ai fait d’un point de vue où je me sentirais à l’aise.

Pour la scène de sexe… Je pense déjà que ce n’est pas important dans le film de les voir nues : l’histoire sera la même, cela ne va pas apporter quelque chose. Il y a certains films où cela pourrait apporter quelque chose de voir les corps nus, parce qu’il y aurait un sens. Mais pour mon film et ce que je voulais raconter, je ne pense pas qu’on en avait besoin. On a fait une réunion une après-midi avec Lina [El Arabi] et Esther [Rollande], les deux comédiennes. On s’est mis dans un bureau toutes les trois, on a pris la scène et on s’est dit « bon, qu’est-ce qu’on fait ? » J’ai fait des propositions : « alors moi j’aimerais bien faire ça, j’aimerais bien mettre la caméra là, j’aimerais bien qu’on fasse tel geste ». Et il y a des choses sur lesquelles elles m’ont dit non. Il y a des choses sur lesquelles elles m’ont dit oui et c’est ce qu’on voit dans le film.

J’ai essayé de faire en sorte qu’avant que l’on tourne, on soit toutes les trois en relation de dialogue, pour qu’elles se sentent à l’aise. Je crois qu’elles avaient confiance dans la façon dont j’allais les filmer parce que le processus était transparent.

Tu sais si c’est une démarche habituelle dans le cinéma en général ? On entend parler de scandales, d’actrices forcées de tourner des scènes alors qu’elles n’ont pas envie ou elles ne savent pas forcément comment elles vont être filmées. Dans l’approche que tu as eue, les actrices ont participé à la manière dont tu les as filmées, tu as recueilli leur consentement en fait,en les laissant libres d’accepter ou de refuser. Est-ce que tu penses que c’est quelque chose qui est habituel ?

Disons que c’est en train d’arriver très récemment. Je sais que depuis peu aux États-Unis, ils ont créé un poste de intimacy coordinator. C’est quelqu’un qui est censé coordonner les scènes de sexe et s’assurer – justement parce que ce n’est pas le réalisateur avec sa position de pouvoir – que tout le monde est consentant dans la scène de sexe qui va être tournée. C’est assez récent et aux États-Unis ils doivent être un petit peu en avance là-dessus. En France, depuis #MeToo, depuis ce qu’a pu dire Adèle Haenel, il y a aussi une conscience grandissante sur ces questions-là dans le cinéma.

Tu mets en scène une histoire d’amour, mais il y a aussi des histoires de violence. Pourquoi tu as choisi de représenter ce tandem ?

C’est-à-dire ?

Les relations violentes entre les filles rythment le film, que ce soit physiquement, que ce soit en tournant la vidéo pour piéger Zina. De la même manière il y a cette histoire d’amour et d’attirance incertaine, surtout de la part du personnage de Nedjma. Et moi ça m’a interrogée, car ça fait un peu un couple amour/haine. Pourquoi ne pas avoir fait qu’une histoire d’amour, par exemple ?

On voit plus souvent cet arc narratif pour les personnages d’hommes au cinéma : un petit dur, élevé dans des conditions difficiles, qui s’ouvre peu à peu à ses émotions et au sentiment amoureux. Le personnage de Nedjma est confronté à un milieu qui possède des codes violents et on la voit essayer de s’en libérer au contact de Zina qui, au contraire, refuse la violence quelle que soit la situation.

La deuxième partie de la réponse, c’est que dans mon désir de faire ce film, il y avait autant cette idée de filmer une histoire d’amour que l’envie de parler des réseaux sociaux, de la violence qui peut y régner et du poids de la réputation en ligne. Je voulais parler du fait qu’aujourd’hui c’est devenu central dans la vie de beaucoup d’adolescentes et qu’on a beaucoup trop d’exemples autour de nous de cas de harcèlement qui mènent à des drames. J’avais envie de raconter ça. Pour moi la violence sur les réseaux sociaux fait écho à la violence dans la vie quotidienne.

Ça me permet justement de rebondir sur ma prochaine question. Tes précédents court-métrages que j’ai vus ce sont deux huis clos, et en regardant le film j’ai eu l’impression d’être à nouveau dans un huis clos alors qu’on est à moitié en plein air, à moitié dans des appartements, sur le toit d’un immeuble. J’avais l’impression que les personnages étaient enfermés dans un environnement et ne pouvaient pas en sortir. Et du coup on arrive à cette conclusion où, pour qu’elles vivent leur histoire d’amour il faut qu’elles vivent un peu cachées – en tout cas c’est la conclusion un peu en suspens suggérée par le film, même si on peut s’attendre à d’autre chose après.

J’ai vraiment pensé l’espace du film comme étant l’espace clos d’un quartier qui vit sur lui-même. J’ai pu observer ce côté : on passe nos journées au square parce qu’on n’a pas forcément la possibilité de partir en vacances, on traîne dans les mêmes lieux toute la journée. C’est quelque chose qui était très prégnant. Et je crois effectivement que le film raconte cette tension entre une forme d’enfermement et le désir d’espace et de liberté des personnages.

Concernant la fin… je ne voulais pas que le film dise uniquement : « pour vivre heureuses, vivons cachées », ce qui pourrait être un peu plombant, voire défaitiste. Mais j’avais l’impression qu’au stade de leur vie où elles en étaient, les personnages pouvaient difficilement aller plus loin. Cela aurait été une forme de naïveté de ma part, je crois, d’imaginer que les choses allaient évoluer plus vite, plus facilement, et qu’elles allaient faire leur coming out à tout le monde, par exemple. Je pense que ce sont des choses qui prennent du temps. Quand Nedjma dit à Zina « oui, on va se cacher, parce que je n’ai pas la force d’aller dehors en public », elle lui dit aussi quelque part : « donne-moi du temps ».

Et puis on fait jamais « un » coming out : on en fait douze. Tu commences à le dire à une personne, puis une deuxième, et tu construis petit à petit ton espace safe, d’abord avec des ami-e-s, des allié-e-s. Et puis après tu le dis à tes parents. Le film se passe sur quelques jours, quelques semaines maximum, et il se passe beaucoup de choses en si peu de temps. Souvent à la fin, les spectateurs me demandent « mais pourquoi elle n’envoie pas tout péter ? ». Des fois j’ai envie de leur dire « mais à dix-sept ans, vous l’auriez fait ? » C’est difficile. Je me rends bien compte qu’on aurait envie que cette histoire d’amour finisse mieux, de manière plus franchement optimiste. Mais je voulais que cela reste réaliste vis-à-vis de mes personnages.

Il y a ce dernier regard plein de défi, à la fin du film, qui vient contredire tout ce que Nedjma a pu dire avant.

Oui. Quand elle traverse le local à la fin, en fait tout le monde est au courant. C’est un jeu de dupes.

J’aimerais bien revenir sur les représentations des féminités que tu as porté à l’écran. Je ne sais pas si c’était voulu ou pas, mais il y a un petit peu une dynamique butch-fem.

Je pense que ce sont des mots qui n’appartiennent pas du tout à l’univers des personnages. Par rapport aux ados telles que je les connais, il y a un côté – c’est hyper simplificateur ce que je vais dire -, mais il y a soit des filles hyper sexualisées qu’on appelle les « crasseuses » et qui vont être pointées du doigt pour être « trop » féminines, pour « montrer » trop de choses. Et puis les filles qui au contraire vont avoir peur de ça ou ne veulent pas de ça, et qui vont s’habiller en jogging et qui vont être plus discrètes sur leur sexualité. Pour moi il y a de la violence dans les deux cas, on leur donne juste deux choix : soit tu mets un jogging, soit tu mets une mini-jupe et puis selon tu vas être considérée comme ceci, comme cela. Ça m’intéressait effectivement de dialoguer avec ces deux rapports à la féminité.

Tu as fait des avant-premières, quelle a été la réception du public jusqu’à présent ? Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont marquées ?

Oui, il y a plein de choses qui m’ont marquée. Déjà, on a eu la chance d’avoir dans le public plusieurs personnes très concernées par le film, qui pouvaient être dans des situations assez analogues à celles des personnages. Des femmes de cité, maghrébines, qui ont pris la parole et dit que le film était respectueux. Je me souviens d’un jeune homme noir qui a pris la parole au festival Ciné-banlieue à Saint-Denis qui a dit « merci de nous avoir respectés à travers ce film ». Pour moi, c’était en quelque sorte le graal par rapport à comment je voulais représenter ces ados.

Surtout que le film va dans la violence, comme on en parlé tout à l’heure, et que c’était important pour moi d’essayer de trouver un équilibre où je ne veux pas les réduire à cette violence-là mais je ne veux pas non plus faire l’impasse dessus. Comment est-ce qu’on peut faire pour raconter qu’ils ne sont pas que ça, que c’est plus complexe, qu’il y a autre chose ? C’est pour ça que la cousine est l’un des mes personnages préférés, car c’est peut-être la plus violente au départ, mais c’est aussi la plus compréhensive par la suite.

C’est l’adulte aussi, quelque part.

Les actes les plus marquants dans le film sont souvent le fait des personnages les plus jeunes. Je pense aux mots de la petite soeur qui dit que l’homosexualité est une « maladie ». À l’inverse, le personnage de Yousra, la cousine, a une plus grand maturité qui lui fait accepter la « différence » de sa cousine.

Elle encourage Nedjma d’ailleurs.

La première fois que j’ai rencontré Laetitia Kerfa, la comédienne qui joue Yousra, on a pris un café et j’ai commencé à lui raconter le scénario. A un moment, elle m’a dit : « Marion arrête toi, stop. Je te préviens, moi je ne jouerai pas le rôle d’une homophobe. Je ne veux pas aller faire du cinéma pour ça. » Et je lui ai dit « écoute, ça tombe bien, a priori tu es le personnage le plus compréhensif de tous ».

A l’inverse, les personnages les plus durs c’est peut-être Samar et Yasmine (jouées respectivement par Mahia Zrouki et Tasnim Jamlaoui). Ce sont des comédiennes avaient qui j’avais déjà tourné un court-métrage. On avait une relation de confiance : pour moi c’était important de leur demander à elles, avec qui j’avais une relation de longue date, de jouer les personnages les plus violents du film, parce qu’on allait travailler ensemble le fait de ne pas les stigmatiser pour autant. J’espérais qu’on pourrait apporter une sorte de nuance à ces personnages-là, même si leurs actes sont condamnables.

Pour revenir à la réception du film, l’autre retour qui m’a beaucoup touchée, ce sont ceux de spectateurs plus âgés, qui me disent que pendant les quinze, vingt premières minutes, ils n’ont pas réussi à rentrer dans le film, que les codes de ces adolescents leur sont trop étrangers… Mais qu’au cours du film, ils ont été rattrapés par les personnages, ils ont été émus par eux et à la fin ils ont réussi à partager des émotions avec ces ados. Et ça je trouve ça super cool de me dire que je n’ai pas fait un film qui ne parle qu’à un seul type de public déjà convaincu. Que le cinéma peut créer une forme de dialogue.

Aujourd’hui, est-ce que c’est difficile de faire ce genre de films en France ?

Sincèrement, je ne sais pas. Aujourd’hui, c’est très difficile de faire un premier long-métrage en France. Autour de moi j’ai plein d’ami-e-s réalisateurices qui font, qui ont fait ou qui sont en train de faire un premier film, et à part quelques exceptions où ça se passe bien parce que les planètes sont alignées, c’est galère de faire un film. Oui, ça a été long, ça a été difficile, mais je ne sais pas si ça a été à cause du sujet.

Quels sont tes prochains projets ?

J’ai plein d’envie et de projets. Ce qui serait peut-être mon prochain long métrage, c’est encore autour de thématiques LGBT et ça raconte une histoire de famille qui s’est déchirée, où il y a eu des conflits et c’est une histoire de réconciliation. Ça se passe dans un lieu très différent, mais toujours autour de questions de définitions identitaires qui sont importantes pour moi. Et puis j’ai un projet de série co-écrite avec un autre auteur autour de la question de la place de l’Islam en France, qui est une question que j’ai envie de creuser. Pas du tout avec un point de vue, disons, de l’intérieur car je ne suis pas de confession musulmane, mais ce qui m’intéresse de voir c’est pourquoi aujourd’hui en France, cette religion suscite autant de débats et de réactions, parfois très virulentes.

Interview : le mythe des Amazones dans Wonder Woman, Xena, Lost Girl et Supernatural

Dans le cadre d’une thèse, adelin*/ leo Leménager travaille sur les questions de la réception du mythe des Amazones dans la culture populaire, en particulier dans le contexte lesbien radical des années 70.

Sorti en juin 2017, le film Wonder Woman est l’actualisation la plus récente et la plus médiatisée de la figure de l’Amazone sur nos écrans. L’entretien qui suit réalisé durant l’été 2018 propose d’explorer quelques pistes de réflexion sur l’utilisation et la réception du mythe des Amazones dans les films et séries contemporaines.

Est-ce que tu pourrais commencer par expliquer en quoi consiste le mythe des Amazones ?

C’est une question qui est compliquée, on pourrait y répondre pendant trois heures, et même plus. Tout d’abord, il n’y a pas un mythe des Amazones, mais plusieurs, il y a plein d’histoires. Du coup, le mythe des Amazones va englober un imaginaire complexe, riche et très diversifié.

Héraclès combattant les Amazones, détail d’une amphore attique à figures noires, vers 530-520 av. J.-C.
Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ad/Herakles_Amazons_Louvre_F218.jpg

On peut commencer par définir ce que sont les Amazones, de manière très caricaturale. J’ai tendance à expliquer le mythe des Amazones à partir de deux questions centrales : la question du genre et la question de la communauté. Les Amazones sont des guerrières de l’Antiquité. La première occurrence écrite date du VIIIe siècle avec l’Iliade, mais il existe probablement une tradition orale bien antérieure. On les situe dans ce qui est l’actuelle Turquie. C’est un peuple de guerrières qui se battent, qui vont à la chasse, et qui construisent une ville avec des infrastructures très réduites – sans maison, sans lieu sacré. Plus tardivement, il pourra y en avoir, mais pas à la base. Elles vivent dans une communauté en non-mixité où elles sont dans un système de hiérarchie : il y a toujours une reine et elles sont toutes des sœurs. Donc il y a un système hiérarchique mais qui est peu prégnant, c’est-à-dire qu’il y a une reine mais toutes les autres sont au même niveau. Et même la reine est choisie parce que c’est celle qui est la plus « vaillante », la plus forte au combat, mais cela ne lui confère pas de privilèges en particulier à part celui d’avoir des attributs particuliers qui peuvent être donnés par les dieux, mais ça ce sont d’autres histoires. Donc les Amazones, ce sont cet ensemble d’idées.

Il y a beaucoup de questions autour de leur genre. Elles sont perçues comme étant physiquement des femmes, mais à l’intérieur, elles ont une âme masculine. Donc elles sont pensées comme des hommes cis à l’intérieur de corps de femmes cis. Je dis « cis », parce que même si c’est un terme qui vient de nos lunettes contemporaines, c’est très important à mon avis parce qu’il y a la question de la norme : il y a la question de la norme masculine à l’intérieur et la question de la norme féminine à l’extérieur. Donc on est sur quelque chose de normatif par rapport au genre. Ce sont des femmes complètement normatives : elles sont belles, elles sont sexy, elles sont attirantes, elles ont des cheveux longs, elles ont des seins, elles sont maigres, elles sont blanches.

Un cavalier saisissant une Amazone armée par son bonnet phrygien, mosaïque romaine, deuxième moitié du 4e siècle après Jésus-Christ, Daphne, région de la ville historique d’Antioche (aujourd’hui Antakya, Turquie)
Source: https://en.wikipedia.org/wiki/Amazons#/media/File:Orient_m%C3%A9diterran%C3%A9en_de_l%27Empire_romain_-_Mosa%C3%AFque_byzantine_-5.JPG

Tu veux dire dans les représentations actuelles ?

Non, non, dans les représentations antiques. Et elles sont considérées comme des mecs cis complètement normés à l’intérieur avec le côté agressif, violent, guerrier, de courage, héroïque, etc. Donc on est vraiment sur deux identités de genre très normatives.

Est-ce que tu penses que c’est parce que lorsque l’on parle de femmes guerrières, on a tout de suite ces représentations normatives ? Ou est-ce que tu as d’autres représentations en tête qui sortent de ces deux stéréotypes que tu décris ?

Il y a quelque chose de très intéressant dans un mémoire que j’ai lu il n’y a pas longtemps, intitulé « La figure de l’Amazone dans la culture populaire » de Laura Kazprzak (ldisponible à cette adresse https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01614655). Elle avance l’hypothèse suivante, que j’avais aussi formulée mais je trouve qu’elle le dit très bien : dès qu’on pense la femme guerrière, on pense un corps hyper sexualisé avec une gestuelle d’homme. Une meuf ne peut être badass qu’uniquement en utilisant les outils de la masculinité classique. On plaque la masculinité sur un corps de femme, et c’est ça qui fait une guerrière, ou une héroïne courageuse. Dès qu’il y a une notion de courage, de guerre, on va toujours chercher dans l’imaginaire masculin et on le plaque dessus.

Le courage physique ? Et qui ne soit pas du courage par le sacrifice ?

Oui, le courage normatif : le courage dans la violence. Du coup, est-ce qu’il y a des personnages qui sortent de ça ? Dans les médias de masse, non. En tout cas, moi je n’en vois pas. Quand on pense à Lara Croft, à Wonder Woman, même Xena qui a quand même un côté de masculinité normative assez fort… Ce qui est différent chez Xena, c’est qu’elle ne veut pas d’enfants et ne se présente pas comme une femme toute douce et gentille. Et en même temps, il a des trucs lesbiens qui se passent avec Gabrielle. Et en même temps elle se comporte comme un mec. Il y a trois niveaux, c’est une sorte de mix qui est un peu plus complexe que les autres personnages, mais qui reste normatif dans la vision de la féminité et de la masculinité. Dans la même lignée que le dernier Mad Max avec Charlize Theron, où c’est l’apogée de ce que je viens de te décrire : elle a même le crâne rasé, ils l’ont masculinisée physiquement pour pouvoir la penser. Je ne vois pas de figure alternative dans les médias de masse.

Xena
Source : https://livingsimplyy.files.wordpress.com/2015/05/xena-xena-warrior-princess-2742181-958-1200.jpg
Charlize Theron dans Mad Max
Source: http://static1.businessinsider.com/image/55e5cb4bdd08956b518b4586-3486-1743/mad-max-fury-road-furiosa.jpg

J’ai l’impression que c’est lié à la guerre, la guerre physique, qui est genrée au masculin. La guerre psychologique est différente.

Oui, avec la manipulation.

Tous les codes autour de l’entraînement physique, des armes, de l’usage de ses poings, de l’usage violent de son corps sont genrés automatiquement au masculin. On peut se demander dans quelle proportion ce que l’on regarde est genré au masculin, ce qui nie la féminité du personnage, et dans quelle proportion on applique soi-même ce genrage au masculin, parce qu’on se dit que c’est la guerre, et que la guerre c’estmasculin. Et on pourrait étendre la discussion à cette conception essentialiste d’une féminité douce, passive, qui ne doit œuvrer que pour la paix, en opposition avec une masculinité guerrière.

Avec les artistes lesbiennes sur lesquelles je bosse, on n’est pas du tout dans la même représentation du corps. Les guerrières ont des corps massifs, ils n’ont rien de masculin et rien de féminin, ce sont des corps qui sont ailleurs en termes de genre. Je donne toujours deux exemples, qui sont Lena Vandrey et Michèle Larrouy qui ont fait des Amazones.

Après, il y a plein de choses alternatives, je pense à une œuvre de Maïc Batmane sur les Amazones : ce sont trois actrices porno qu’elle a tatouées. C’est très intéressant comme image parce qu’on est toujours dans l’hypersexualisation, on est toujours dans l’hyperféminité, mais on est dans la récupération de l’hyperféminité par la transgression de la norme (douceur, passivité, etc). Car une actrice porno n’est pas dans la norme de ce point de vue-là. Elle est dans la norme physique, mais pas à ce niveau là, parce qu’elle est perçue comme une « salope ».

Mais majoritairement, ça reste sur ce que je t’ai dit avec Laura Kazprzak : une masculinité plaquée sur un corps féminin.

Ce que tu as étudié ce sont les représentations des Amazones dans des films et des séries, et dans la culture populaire. Qu’est-ce qui t’a fait t’y intéresser ?

En fait, le sujet de ma thèse est plus général que cela puisque que je m’intéresse aux réceptions du mythe des Amazones de manière générale ainsi qu’au lesbianisme : comment le mythe est réceptionné dans ce contexte, surtout dans le lesbianisme des années 70, qui est un lesbianisme politique et séparatiste. Voilà mon angle d’attaque.

La réception lesbienne du mythe des Amazones se confronte à la réception normative du mythe, et donc à la réception hétéro et à la réception des médias de masse. Donc j’ai décidé d’aller voir ça pour faire des comparaisons entre ces deux espaces-là : quelles porosités y a-t-il entre ces deux milieux, et quels rejets il va y avoir ? Car évidemment le lesbianisme ne va pas reprendre l’image qui va être véhiculée par les représentations normatifves.

Je voulais aussi travailler sur Xena depuis longtemps, car c’est une des rares séries dans laquelle il y a une féminité alternative à la féminité classique qu’on te sort partout. C’est l’une des portes d’entrées de mon travail.

Et tu as aussi notamment travaillé sur Wonder Woman, Xena donc, et certains épisodes de séries comme Supernatural et Lost Girl. Dans le cadre de Wonder Woman d’une part, et dans Xena d’autres part, quels usages et quelles réinterprétations as-tu observées du mythe des Amazones ?

Il y a des choses qui sont similaires entre Wonder Woman et Xena, et aussi des différences. Dans Wonder Woman, il y a ce que j’appelle un « discours différentialiste moralisateur ». Le but absolu de Wonder Woman, c’est de rétablir le contact avec les hommes. Elle est déjà dans une démarche de sortir de l’amazonat, de ce qu’on pourrait appeler l’amazonat comme non-mixité et qui est différent d’un système matriarcal car celui-ci n’est pas forcément non-mixte. L’amazonat, c’est une sorte d’âge adolescent du matriarcat. Le but de Wonder Woman, c’est de sortir de l’amazonat et de passer dans un monde normé. Il y a eu un animé qui a été fait sur Wonder Woman en 2009, qui reprend le passage à Themiscyra, où Steve tient des discours absolument magiques du genre « mais qu’est-ce que vous croyiez, que les mecs c’était que de la merde ? On est vachement stylé, c’était une énorme erreur de votre part  et maintenant tu t’en rends compte ». Le discours est extrêmement moralisateur au sujet de la non-mixité, c’est un discours que l’on rencontre toujours aujourd’hui. On retrouve beaucoup cet aspect dans Wonder Woman, le côté « tu as enfin compris qu’il fallait vivre avec les hommes, heureusement que tu as grandi ».

Steve capturé par le lasso d’Antiope – Wonder Woman (2017)
Source: http://thenerdybird.com/wp-content/uploads/2017/06/WonderWomanAmazonsLasso.jpg

Dans le dernier film de Marvel, il a cette dimension de destinée historique : elles vivent sur une île, protégée par un dôme magique pénétré par des bateaux allemands. Et dans ce contexte qui véhicule des choses très fort au niveau de l’imaginaire collectif (ndlr: le contexte de la Première Guerre mondiale), elles n’ont plus le choix, c’est comme si elles étaient projetées dans l’Histoire. Elles ne peuvent pas résister, même si Antiope, qui est reine à ce moment-là, pratique la politique de l’autruche. Mais Wonder Woman va vouloir y aller avec toute sa naïveté et son innocence.

Wonder Woman contemplant l’arrivée des allemands sur l’île de Themiscyra (2017)
Source : https://gameplay.pl/galeria/ilustracja/265_234206720.jpg

Dans la première scène, Wonder Woman reste d’abord passive, Steve lui disant de ne pas bouger, et on se demande alors ce qu’elle fabrique. On utilise la même fragilité que dans Tomb Raider sur PS3, cette image de la fragilité alors que ce sont des personnages super badass. Wonder Woman est hyper puissante et on la met dans une position de fragilité par rapport à l’homme. Ça m’a beaucoup étonné dans le film de 2017, alors que dans l’animé de 2009 et dans le pilote de 2011, qui a fait un flop total, on n’est pas du tout sur cette féminité fragile. C’est une tendance qui est très puissante en ce moment.

J’ai envie de mettre ça en relation avec le rôle du corps des actrices et des acteurs dans les représentations proposées au cinéma. Je suis tombée sur quelques vidéos très instructives. Dans le film Wonder Woman de 2017, il y a des actrices professionnelles et un certain nombre de sportives de haut niveau qui pratiquent le cross fit, les arts martiaux, etc. Tout le monde a participé à un entraînement physique et de combat avec quelqu’un qui s’appelle Mark Twight, qui a aussi supervisé l’entraînement de Henry Cavill, qui a joué Superman, et de la troupe des 300. Voici deux vidéos (voir ci-dessous) pour comparer comment il parle de l’entraînement pour Wonder Woman, et comment il parle de l’entraînement pour 300.

Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Entraînement des Amazones pour le film Wonder Woman (vidéo anglais avec sous-titres français)

Entraînement pour le film 300 (vidéo en anglais)

Ça m’inspire beaucoup, beaucoup de choses ! Combien de fois il dit « beautiful » («belle ») dans la vidéo pour Wonder Woman, et on ne l’a pas entendu une seule fois pour l’entraînement des hommes, et inversement pour le terme « failure » (« échec »). C’est très essentialiste comme discours : il n’arrête pas de dire « ce n’est pas comme avec les mecs » parce qu’il fait une différenciation, comme le reste de la société. Et puis il y a l’idée qu’elles vont vraiment devenir des Amazones, ce n’est pas juste qu’elles vont jouer des Amazones. Dans 300, ils ne vont pas devenir des hoplites : on n’a pas ce discours « ils vont devenir des hoplites ! » dans la vidéo. Il n’y a pas « ils vont devenir des guerriers », ils sont juste en train d’aller jusqu’au bout de leur performance physique.

On est aussi dans cette obsession que la guerre, le combat, la violence et l’agressivité ne se gèrent que par le corps. On ne leur apprend jamais psychologiquement à avoir une attitude de courage. C’est psychologique dans le sens où on les envoie tellement loin dans la souffrance et dans la douleur physique qu’ils sont obligés de mettre en place un mental très fort pour pouvoir le faire, mais on n’accentue pas du tout sur d’autres aspects qui sont nécessaires pour faire face à ce genre de situations. Le corps n’est pas tout seul dans l’espace, comme ça…

Il y a plusieurs niveaux dans la vidéo sur Wonder Woman. Déjà, il y a la découverte de la force physique par les femmes. Tout de suite, on nous dit « ohlala, elles sont en train de gagner un truc pour le reste de leur vie. » Ça je le remets en perspective avec mon expérience. La première fois que j’ai été faire un cours d’autodéfense féministe, j’ai halluciné : « ok, j’ai des poings, et ça fait mal si je m’en sers. » Et on sent qu’il y a cette prise de conscience-là chez toutes ces femmes, et je ressens cette énergie de l’empowerment dans leur manière de bouger. Et qu’est-ce que l’empowerment ici, c’est de devenir des Amazones. Le stade ultime auquel il faut accéder, c’est ce statut d’Amazone. C’est une construction mentale très intéressante.

Enfin, les exercices ne sont pas les mêmes : sur l’exercice de tirer, chez les femmes on le fait avec une projection et pour les hommes, on le fait sur place.

Parce que la masse musculaire avec laquelle elles arrivent, en tout cas pour une partie des actrices, n’est pas la même que celle avec laquelle arrivent les hommes. Il y a tout un passé.

Et les acteurs doivent travailler leurs corps quotidiennement. Les femmes aussi, mais pas sur les mêmes aspects puisqu’elles doivent arrêter de bouffer.

Quoiqu’il y a une tendance qui a bougé j’ai l’impression, dans le sens où on est censé avoir un corps « sain ». Est considéré comme un corps sain chez un acteur un corps très musculeux, et pour les actrices c’est un corps « ferme ». Donc il faut quand même des muscles mais il ne faut pas qu’ils se voient, il ne faut pas qu’ils changent la silhouette normée de la femme. Il ne faut pas que ça épaississe la taille, il ne faut pas que cela développe les biceps, etc. D’ailleurs dans le clip, on voit la différence entre la carrure des actrices et celle des athlètes.

Les épaules ne sont pas développées de la même manière, on le voit tout de suite.

On ne demande pas du tout le même investissement : elles doivent devenir elles-mêmes des Amazones, leur « moi » doit devenir Amazone.

Quelques athlètes jouant des rôles d’Amazones dans Wonder Woman (2017)
Source : https://www.fhm.com.ph/people/scene-stealers/wonder-women-bts-photos-of-the-wonder-woman-amazon-warriors-a00195-20170606
Actrices principales jouant les Amazones (Wonder Woman, 2017)
Source : http://cdn.movieweb.com/img.news.tops/NEuMSNrKwB8OyB_2_a.jpg

Et ce discours-là se présente comme féministe qui a accompagné toute la promotion autour de Wonder Woman.

Oui, parce que c’est malheureusement, à mon sens, ce que produit le différentialisme. On valorise les valeurs féminines et la féminité, mais on reste sur cette idée que masculin/féminin, c’est différent, ce qui pour moi est une aberration. Et cette position est adoptée par des personnes qui se pensent très féministes ! Pour une personne non déconstruite, dire que « les femmes c’est génial », c’est très féministe parce que d’habitude on les dévalorise. Là on dit « les meufs c’est génial, elles peuvent faire plein de choses, elles sont tellement différentes des garçons », mais pour moi c’est très pervers car s’il y a binarité, il y a hiérarchie et la domination masculine perdure.

J’ai l’impression que dans le clip c’est un peu plus subtil, dans le sens où on ne dit pas qu’elles sont différentes des garçons, mais qu’elles sont « aussi » capables : « aussi » capable de faire des exercices physiques et du combat, mais – et le mot revient plusieurs fois – c’est considéré comme un « miracle ».

Oui, c’est « exceptionnel ». Il y a ça, mais à un moment l’entraîneur dit très clairement que c’est mieux de bosser avec des meufs parce qu’elles sont plus en communauté, elles « s’aiment plus ». Donc on est à fond dans du différentialisme.

Alors que pour 300, on a vu que les exercices étaient conçus exprès pour créer de la hiérarchie. Après, ça rejoint la volonté de montrer, dans la promotion du film, un collectif de femmes dans une perspective féministe.

C’était très drôle, dès qu’elles parlent de ce collectif, l’image qui est montrée dans la vidéo est un « high five ». On ne les voit pas parler ou échanger entre elles, on ne les voit pas travailler ensemble, on les voit juste faire ce geste-là. Il n’y a que ça qui te montre qu’elles s’entendent trop bien. C’est intéressant comme gestuelle, parce que c’est une gestuelle masculine à la base. Ça fait penser au check, c’est un truc fabriqué qui ne fait pas du tout penser à la féminité. Quand est-ce que tu vois des meufs, même qui sont en train de faire du sport, qui se comportent comme ça ? Pour moi c’est une construction.

Dire que l’on construit des Amazones, ça veut dire qu’il y a une réalité de l’Amazone. Cela renvoie à quelque chose de réel, de palpable, de chair et en os. On n’est pas en train de jouer un personnage, on est en train d’incarner véritablement une figure. Et c’est ce que dit une des actrices à la fin : la frontière entre le mythe et la réalité est très fine.

Pour changer de sujet de but en blanc, à la sortie de Wonder Woman, il a un silence assourdissant autour de la question du lesbianisme sur les derniers films. Je ne pense pas que cela soit le cas sur les films et séries précédentes, en tout cas de ce que j’en ai vu. Il y a une ou deux allusions dans le dernier film, avec des allusions un peu innocentes sur la sexualité de la part du personnage dans la scène où elle est dans le bateau avec Steve. Là où par contre avec Xena (qui n’est pas tout à fait une Amazone, c’est une princesse guerrière mais elle est toute seule), on a quelque chose d’un peu plus progressiste.

Gabrielle et Xena
Source : https://www.hayunalesbianaenmisopa.com/wp-content/uploads/2014/10/xena-gabrielle.jpg

Sur la question du lesbianisme, le personnage de Wonder Woman tel qu’il a été lancé par Charles Moulton est bisexuel. Un biopic vient de sortir sur lui, où toute une histoire est montée autour de ce mec qui a créé les comics, en 1941 je crois – il a commencé avec Wonder Woman –, uncontexte de répression du lesbianisme qui n’était pas du tout le même qu’aujourd’hui car il était psychiatrisé. Le biopic explique que Moulton était en trouple (ndlr: relation à trois personnes) avec deux femmes, qu’il pratiquait le SM avec les deux et qu’il a eu des gamins avec elles. Le costume de Wonder Woman est inspiré de ces pratiques SM  avec le lasso, le latex… il a trouvé l’habit dans un sexshop dans lequel il allait. Évidemment, elles ont des relations sexuelles entre elles aussi, et le biopic montre énormément de scènes lesbiennes et hyper hardcore, avec des scènes de viols au début parce qu’elles acceptent de vivre ça uniquement pour lui.

Professor Moulton and the Wonder Women (2017)
Source : https://howardforfilm.files.wordpress.com/2017/11/professormarstonandthewonderwomen.jpg

À un moment, il y a une scène très intéressante parce qu’il parle de la question des Amazones : il doit récupérer de l’argent en passant devant une sorte de jury qui lui pose des questions sur Wonder Woman et il doit vendre son truc. L’une des membres lui demande : « pourquoi avoir choisi le mythe des Amazones », et il explique que c’est pour donner des figures d’identification aux jeunes filles pour qu’elles aient enfin des personnages badass auxquelles s’identifier et qu’elles se disent qu’elles peuvent tout faire (de l’empowerment, en fait). Elle lui répond que les Amazones sont des adoratrices de Sappho, qu’il y a donc un lien avec le lesbianisme et elle lui demande pourquoi il a fait référence à une pratique perverse. Et lui répond, en gros, qu’il ne voit pas le problème avec le lesbianisme. Après ça, il se fait descendre par le jury et ce sera l’une des raisons pour lesquelles il ne va pas obtenir d’argent.

Cette question du lesbianisme est donc très évoquée dans le biopic, qui en plus évoque la question du trouple dans un blockbuster états-unien, après Vicky Cristina Barcelona (que j’ai détesté). Dans tous les autres films, il y a énormément de sous-entendus. Dans le pilote de la série de 1974 qui est absolument génial, il y a la mère de Diana qui est une sorte d’Amazone aigrie qui déteste les hommes et veut fermer Themiscyra à la population masculine, Diana veut partir avec Steve et il y a des moments très lesbiens entre les Amazones où on se dit « ah il y a truc entre ces deux-là ». Pareil pour le film de 2017. Il y a des sous-entendus vite fait. La question est donc effleurée dans tous les dérivés de Wonder Woman.

Pour Xena, l’héroïne n’est pas une Amazone mais Gabrielle en est une puisqu’elle va devenir reine des Amazones, parce qu’une des Amazones qui se fait tuer sous ses yeux va lui transmettre ses droits. Gabrielle et Xena sont en liens avec des Amazones sur plus d’une trentaine d’épisodes. On voit plusieurs tribus d’Amazones. Xena n’est pas une Amazone, mais on joue tout le temps dans la série sur le fait qu’elle a une âme d’Amazone. D’ailleurs, la version française a utilisé le terme d’Amazone pour traduire une phrase parlant de Xena qui n’avait absolument aucun rapport, qui utilisait un mot peu utilisé qui renvoyait plutôt au monde de la prostitution : « tu es une Amazone manquée ». C’est hyper intéressant par rapport à la construction du garçon manqué, de l’Amazone manquée.

Avec Xena tout est plus complexe parce qu’il y a le rapport avec Gabrielle : elles se roulent des pelles en permanence, elles se font des câlins, il y a de gros sous-entendus sur leur sexualité. Pour moi ce n’est pas du sous-texte, c’est là, au milieu. Il y a d’ailleurs l’un des épisodes finaux : des fans de Xena congèlent leur corps pour tenter de récupérer Xena et Gabrielle dans le monde contemporain. Et là, on voit trois fans de Xena qui discutent ensemble en disant « oui, bien sûr qu’elles baisent ». Au sein même de la série, on joue avec cela, ce n’est pas simplement sous-entendu.

Dans des interviews de Lucy Lawless, l’actrice qui incarne Xéna, elle explique qu’elle n’était pas du tout consciente de ce sous-texte là, en tout cas dans les premiers temps. Dans une interview, elle commente la relation entre Xena et Gabrielle.

Transcription du passage commenté :

« I think Gabrielle was the audience, she was every man. It’s like straight man in comedy. If there isn’t a straight man, something is not funny. Without Gabrielle, Xena isn’t… oh gosh, I don’t even know how to express. You can’t be a big sister without a little sister, you know. And Gabrielle made Xena makes sense. »

«  Je pense que Gabrielle représente le public, elle représente chaque homme. Et on a besoin de cela, autrement… C’est comme les hommes hétéros et la comédie, vous savez. Si on n’a pas d’hommes hétéros, il manque quelque chose de drôle. Alors… sans Gabrielle, Xena n’est pas… Oh mince, je ne sais même pas comme exprimer cela. On ne peut pas avoir de grande soeur sans une petite soeur, vous savez. Et Gabrielle donne sens à Xena. »

C’est complètement comme ça que c’est joué dans la série. Xena est là pour protéger Gabrielle. C’est Gabrielle qui va évoluer au fur et mesure pour gagner en compétences Au début elle ne sait pas se battre. Elle veut parler, elle ne veut pas se battre. Au fur et à mesure, elle va être obligée de se battre et elle va prendre un bâton. Puis elle va tuer, puis elle va devenir super badass et ne plus avoir besoin de Xena. Mais pendant toute la première partie où elle est une sorte de petit chiot fragile, Xena est là pour la protéger. En termes de carrure, même si Gabrielle devient beaucoup plus badass, elle n’aura jamais la carrure de Xena, même si on prend en compte l’évolution de personnage qui est très intéressante.

Le côté petite sœur / grande sœur, on le retrouve beaucoup au début de la série. Ça continue après, mais il se joue quelque chose de sexuel et romantique qui est entremêlée à cette relation parce qu’à chaque fois qu’elle se roule des pelles, ce sont dans des situations de protection l’une de l’autre. Par exemple à la fin d’un épisode, Xena est en train de crever, Gabrielle doit lui amener de l’eau et doit lui mettre dans la bouche, et donc évidemment elles se roulent des pelles pendant des plombes. C’est pour un vrai but, ce n’est pas gratuit. Elles s’embrassent dès la première saison, parce que l’une vient de mourir, l’autre est allée la chercher dans le Tartare et finalement elles reviennent ensemble. Il y a toujours une relation de protection en plus de l’aspect héroïque.

Xena portant Gabrielle
Source : https://dykewriter.files.wordpress.com/2016/02/xena-and-gabrielle_article_story_large.png

La référence la plus connue aux Amazones est Wonder Woman, avec celleau mythe des grecs, comment est-il réinjecté dans les univers des séries Lost Girl et Supernatural ?

Pour moi, la question dans le mythe des Amazones qui obsède notre époque contemporaine, c’est au sujet de sa réalité : est-ce que c’est vrai ? C’est la question qu’on me pose à la fin de toutes mes conférences. Personnellement, ce n’est pas une question qui m’intéresse. Il y a cette question, et puis le sujet du sein coupé, ce sont les deux choses dont on me parle quand on connaît un peu le mythe des Amazones. Les milieux féministes connaissent d’avantage le mythe des Amazones, j’y rencontre d’avantage des personnes qui vont me citer des noms d’Amazones en particulier (Antiopé, etc). Il y a une image des Amazones, biaisée mais intéressante, qui a été diffusée dans le féminisme et le lesbianisme.

Dans Lost Girl, ce qui est repris, c’est l’idée de communauté : la communauté est toujours là, dans Wonder Woman, dans Supernatural, dans Lost Girl. Mais c’est une communauté de prison [ndlr: l’épisode de Lost Girl en question se déroule dans une prison], avec l’idée de renfermement sur soi-même et de non-mixité. Cette non-mixité n’est pas choisie par les prisonnières mais elle est choisie par les Amazones. Il y a des petits moments dans Lost Girl où ça parle du mythe, ce qui me permet de voir ce qui est véhiculé des Amazones : et ça part du lien avec les hommes, toujours.

Pour résumer l’épisode en question (épisode 1, saison 3), Bo se retrouve en prison avec une co-détenue qui lui explique que les Amazones sont des femmes cruelles qui s’accouplaient avec leur voisin une fois tous les cinq ans, et qui tuaient leur enfant lorsqu’il s’agissait de garçons. Alors Bo lui dit : «ah oui, donc ce sont des meufs hyper cruelles et armées ». Une Amazone arrive alors et la plaque contre le grillage de manière féroce. Il s’agit d’une vision négative des Amazones, comme des femmes qui haïssent les hommes et les tuent. Pourtant, dix minutes après, Bo discute avec la doctoresse qui lui dit que ce sont aussi des personnes qui ont fait la fierté du sexe féminin. On retombe alors sur quelque chose de positif. On a ces deux visions-là dans l’épisode.

Bo, l’héroïne de Lost Girl et une gardienne de prison (épisode 1, saison 3)
Source : https://www.syfy.com/sites/syfy/files/1416399108-s03_e0301_01_135725237663___CC___1920x1080.jpg

Dans Supernatural (épisode 13, saison 7), c’est exactement cette même idée des Amazones qui haïssent les hommes. Ce qui est réincorporé dans Supernatural et qu’on ne trouve pas dans Lost Girl, c’est l’idée du rituel. Le rituel de manger un morceau de chair humaine pour montrer que l’on est une Amazone, le rituel de tuer son père pour accéder au rang d’Amazone. La question de l’initiation revient dans Xena et Wonder Woman. Dans Supernatural, c’est une vision très hétéronormative : les Amazones sont des connasses qu’il faut buter, elles n’ont rien de positif, ce qui n’est pas le cas dans Wonder Woman, Xena et Lost Girl – même si dans Wonder Woman on arrive quand même à dire « non les Amazones c’est pas bien, il vaut mieux vivre avec les hommes ». C’est ça la morale. Mais les Amazones y sont moins critiquées. À la fin de l’épisode de Supernatural, les héros sont dégoûtés de ne pas les avoir toutes tuées.

Emma, la fille Amazone de Dean, venue tuer son père Dean (en arrière plan) afin de compléter son rite d’initiation
Source : http://www.supernaturalwiki.com/File:Amazonemma.jpg

Aujourd’hui, les Amazones ont plutôt une portée positive et favorable, ce sont des meufs badass qui ont réussi dans la vie – jusqu’aux cheffes d’entreprise, comme quoi cela a aussi un intérêt dans le cadre du capitalisme. Mais ça n’a pas toujours été comme ça, il y a eu une période où c’était une insulte. Dans Supernatural, on est plutôt dans l’ordre de l’insulte. Ils rajoutent aussi des choses, comme le fait que les Amazones grandissent en trois jours, ce qui n’existe pas dans le mythe.

Il y a aussi l’idée de la mutilation qui revient, la question du sein qui est brûlé.

Apparemment, selon les mythes, cela pourrait venir d’une mauvaise interprétation de l’étymologie du mot grec pour Amazone.

Parmi les auteurs les plus anciens, on parle d’un sein qui est brûlé avant l’adolescence pour ne pas qu’il pousse. Récemment, j’ai découvert la pratique du repassage de sein : on applique des cailloux chauffés très fort sur les seins des femmes pour ne pas qu’ils se développent trop vite et pour retarder la sexualisation. Cela rejoint ce mythe des Amazones qui appliquent quelque chose de très chaud sur le sein gauche pour retarder son développement. Il n’y a donc pas de mutilation réelle. Par contre elles mutilent ou tuent les petits garçons qui naissent, elles leur cassent les articulations pour qu’ils ne puissent pas se développer  « normalement ». On retrouve ça dans Supernatural, puisqu’elles coupent les deux bras et les deux jambes, ce qu’on ne retrouve pas dans les autres films et séries.

Pour conclure, est-ce que tu veux rajouter quelque chose qu’on n’a pas abordé qui te semble important ?

J’ai dégagé deux grandes catégories de discours majoritaires dans la réception contemporaine des médias de masse :

  • Un discours différentialiste moralisateur (« c’est bien les hommes, il faut vivre avec les hommes, ils sont gentils ») qui est très courant.
  • Et un discours émancipateur, d’empowerment, qui peut être calqué sur les hommes.

Par exemple, Wonder Woman qui va apprendre à une petite fille noire à se servir d’une épée dans l’animé de 2009. Ok, c’est de l’empowerment, mais le but est d’acquérir les mêmes armes que les hommes. Il y a donc ce cas où l’empowerment consiste à devenir des hommes, mais d’autre part, il y a un aspect plus à la Xena qui va être un empowerment qui se détache de plus en plus de la masculinité. Même si Xena a des comportements très masculins et que n’importe quelle personne qui a appris les normes sociales va associer son comportement à des normes dites masculines, c’est plus nuancé que cela et ça va développer d’autres manières de penser la féminité même si ça reste très normatif. Avec Xena, à mon avis, il y a plus de capacités d’évolution. Parfois c’est énervant d’essentialisme, mais par moment il y a des éléments très transgressifs.

Voilà les deux discours que l’on retrouve majoritairement quand on utilise le mythe des Amazones dans le contexte des médias de masse : émancipateur, et différentialiste moralisateur.

Le Brio (2017) : plaidoyer en faveur d’un professeur raciste et élitiste

 

Yvan Attal filme dans Le Brio une étudiante nommée Naïla Salah, jeune femme vivant à Créteil, qui suit ses premiers cours de droit à l’université parisienne de Panthéon-Assas. Elle y est confrontée à un professeur, blanc, qui va lui apprendre la rhétorique et la faire participer à un concours d’éloquence. Le film reprend le trope du Professeur Sauveur Blanc : une femme ou un homme blanc, professeur-e émérite et reconnu-e, fait profiter de ses lumières de jeunes élèves racisé-e-s vivant dans des cités pour qu’iels s’élèvent au-dessus de leur condition. Très régulièrement utilisé, ce trope a par exemple était mis en oeuvre dans le film Les Grands Esprits d’Olivier Ayache-Vidal sorti en septembre 2017, qui mettait en scène un professeur agrégé de lettres au prestigieux lycée parisien Henri IV parachuté dans un établissement de banlieue à Stains.

Le Professeur Sauveur Blanc n’est pas forcément une personne qui fait preuve de racisme explicite à l’écran, et lorsque c’est le cas, cela est souvent minimisé et présenté comme de l’humour ou de la provocation inoffensive. En revanche, elle occupe toujours une position de domination dans le sens où elle donne des leçons à ses élèves racisé-e-s et leur apprend en particulier quelles sont les bonnes manières de réagir face au racisme : ne pas « se victimiser » (c’est-à-dire ne pas dénoncer les discriminations ou s’en servir comme excuse pour leur situation sociale et scolaire) et travailler dur pour s’intégrer, en adoptant les codes des milieux dominants blancs et éduqués.

Dans Le Brio, le racisme du professeur Pierre Mazart semble d’abord être reconnu et expressément dénoncé comme tel, ce qui est assez rare pour ce type de film. Mais la situation va se renverser au fur et à mesure que progresse le scénario, pour retrouver les caractéristiques habituelles du trope du Professeur Sauveur Blanc :

  1. Pour éviter une sanction disciplinaire de l’université, Mazart donne des cours particuliers à Naïla Salah, sa dernière victime en date, afin de la présenter à un illustre concours d’éloquence. A la fin du film, l’élève victime se retrouve à plaider brillamment pour le salut de son professeur devant le conseil de discipline qui menaçait de le démettre de ses fonctions. Alors que le professeur semble être dénoncé pour ses attitudes racistes en début de scénario, le film finit par le défendre activement.
  2. Naïla refuse d’abord de se taire face au comportement raciste de son professeur et de « s’intégrer ». Mais elle accepte au cours du film d’adopter les codes requis dans l’univers du professeur, de l’université et plus tard de sa profession d’avocate. Il s’agit de parler un français châtié, de se tenir droite, de porter certains types d’habits. Quelques années plus tard, face à ses clients arabes, de classe populaire et accusés de délits, elle joue à son tour un rôle actif dans la propagation de ces mêmes codes pour les présenter devant la cour et les défendre.

 

Un professeur antipathique et raciste, à première vue.

Dans la séquence d’ouverture du film, la caméra suit Naïla Salah qui se rend à l’université pour son premier cours de l’année : depuis le train, jusqu’à l’entrée somptueuse de Panthéon-Assas, et enfin dans les grands couloirs jusque dans l’amphithéâtre gigantesque où se tient le cours du professeur Pierre Mazart. Celui-ci remarque immédiatement son arrivée et profite alors de son retard pour la stigmatiser.

La jeune femme ne se laisse pas faire et demande pourquoi il l’humilie publiquement. Commence alors un échange au cours duquel Pierre Mazart va s’avancer toujours plus loin dans les répliques racistes et classistes. Il ironise sur un prétendu « complexe de persécution » soi-disant « typique » et sous-entend ainsi que la jeune femme s’imagine être ici victime de racisme. Il prétend ne pas distinguer son prénom de son nom (arabes, visiblement incompréhensibles pour ses oreilles de blanc français), et la corrige sur sa manière de s’exprimer.

La scène alterne des plans depuis le point de vue du professeur et des plans depuis le point de vue des élèves et de Naïla, comme pour adopter de manière équitable les perspectives de chacun des personnages. Les plans révèlent l’immensité de l’amphithéâtre, comme une arène dans laquelle serait jetée Naïla, mais aussi une foule d’élèves à laquelle fait face, seul, le professeur. Pour autant, la séquence semble plutôt dénoncer le professeur. L’amphi proteste largement en entendant les propos racistes que Mazart lance à Naïla Salah. Des plans sur les réactions de la jeune femme montre son ébahissement et son ulcération, tandis que l’on peut voir des élèves sortir leur téléphone pour filmer la scène – des vidéos qui, on le devine, se retrouveront sur les réseaux sociaux pour déclencher un scandale.

 

 

L’héroïne n’est pas seule, elle bénéficie du soutien des autres élèves de l’amphi : une voix venue des rangées de sièges – on ne verra pas de qui – lance au professeur qu’il s’agit de racisme, qu’il n’a « pas le droit ». Par la suite, même le président de l’université, qui a l’habitude de couvrir les frasques de Mazart, reconnaît explicitement que cette fois-ci le professeur est allé trop loin une fois de trop, et qu’il ne pourra pas empêcher qu’un conseil de discipline ait lieu. En apparence donc,le racisme de Pierre Mazart semble être avéré, reconnu par les étudiants et l’institution, et dénoncé comme tel.

Par ailleurs, quelques scènes dans le premier tiers du film brossent un portrait assez antipathique de Mazart : il fait un doigt d’honneur au vigile de sécurité à l’entrée de l’université, harcèle puis insulte une femme dans la rue alors qu’il est ivre – un bon exemple de harcèlement de rue perpétué par des hommes blancs éduqués, habituellement peu représenté -, et dîne systématiquement seul. Ces éléments contribuent à faire de Mazart un personnage hors des normes. Et ce qui va « rattraper » Mazart, c’est qu’il est également un professeur hors norme, au dessus du lot, grâce à ses talents d’orateur et de transmission des savoirs à ses élèves.

Ceci, Mazart va pouvoir le démontrer lorsqu’on lui propose un échappatoire pour éviter une sentence trop sévère de la part du conseil de discipline. Son ami le président de l’université lui suggère en effet une solution pour « bien fermer la gueule au recteur » : entraîner Naïla Salah pour qu’elle participe au prestigieux concours annuel d’éloquence inter-université. Le cynisme des deux hommes avance à visage découvert : il s’agit de fournir une caution « diversité » et anti-raciste à la fois à Mazart et à l’université, en endossant le beau rôle de l’université qui présente au concours une jeune femme « issue de la diversité ». Celle-ci n’a selon eux aucune chance de gagner mais qu’importe : l’essentiel est de donner l’impression de remplir courageusement sa vocation de professeur même face aux causes perdues (car pas une seule seconde, au début du film, les deux hommes ne peuvent s’imaginer que l’étudiante a une chance de gagner le concours – elle atteindra pourtant la finale).

 

Un professeur aux méthodes problématiques, mais un pilier de l’excellence.

Un soir, Mazart propose des cours particuliers à Naïla pour la présenter au concours : elle est révoltée contre le professeur et refuse d’envisager d’aller à ce cours. Mais on retrouve l’étudiante le lendemain matin prête à étudier la rhétorique avec Mazart. Que s’est-il passé entre temps ? Le film a réalisé une ellipse qui n’est pas anodine. Qu’est-ce qui fait que Naïla, malgré sa rancœur, a changé d’avis et décidé de se retrouver seule avec ce professeur raciste ? Les spectateurices ne peuvent que spéculer, mais le discours général du film tendrait à appuyer la thèse selon laquelle, au fond d’elle-même, l’étudiante sait que son salut passe par les voies de l’excellence incarnées par son illustre professeur. Et cela est tellement évident qu’il n’est pas la peine de l’expliquer à l’écran.

La supériorité intellectuelle de Mazart sert à excuser ses comportements déplacés et problématiques. Il s’inscrit ainsi dans une longue lignée de personnages de professeurs, instructeurs et autres entraîneurs qui insultent, humilient, agressent voire même blessent leurs élèves pour « leur bien » et pour qu’iels atteignent l’excellence (Mazart n’est pas sans rappeler, quelques degrés de violence en moins, le personnage de Fletcher dans le film Whiplash). Mazart reprend systématiquement Naïla sur son langage en faisant mine de ne pas la comprendre. Il la touche en posant ses mains sur son dos et sur son ventre sans la prévenir : iels sont alors seuls dans une salle de classe, et la réaction de Naïla est d’abord celle de la surprise puis de la protestation. Mais la menace d’un attouchement à caractère sexuel est complètement évacuée par le film puisque Mazart disqualifie les faibles protestations de l’élève, comme si cette menace ne pouvait pas être réelle. Comme si la jeune femme voyait toujours le mal dans les intentions de son professeur.

Le film explique le comportement de Mazart comme étant simplement un désir de faire des blagues et de provoquer, pas comme un « racisme véritablement dangereux ». Ainsi s’amuse-t-il à l’appeler « Fatima », parce que « c’est joli Fatima » explique-t-il d’un air faussement innocent (comme si toutes les femmes arabes étaient interchangeables et pouvaient être appelées par le même prénom).

Mazart ajoute donc à son score plusieurs comportements sexistes qui ne sont pas condamnés par le film. En effet, Naïla Salah, en plus de suivre la longue route vers l’apprentissage des codes de l’intégration, doit aussi apprendre à gérer ses émotions : elle se met souvent en colère, ce qui l’empêche de garder son sang-froid pour répondre intelligemment grâce à ses compétences rhétoriques. Lors du premier tour du concours d’éloquence, elle délivre ainsi une piètre performance à la suite de l’attaque oratoire pétrie de racisme de son opposant.

Heureusement, un homme, Mazart, va lui apprendre à surmonter ses émotions et à être « fière de ce qu’elle est ». Le traitement « pas-vraiment-raciste » du professeur est même un excellent outil pédagogique dont a besoin Naïla, pour l’entraîner à affronter le racisme qu’elle peut rencontrer chez les autres élèves et adversaires dans le concours. L’ironie restant qu’il s’agit d’un homme blanc de classe aisée, n’ayant subi aucune des situations que Naïla rencontre quotidiennement, qui le lui apprenne : le trope du professeur sauveur blanc dans toute sa splendeur.

 

L’art d’avoir toujours raison, selon Schopenhauer : la base de la rhétorique enseignée par Mazart.

Un racisme peu menaçant

L’existence et les conséquences du racisme de Mazart semble se résumer à un mécanisme simplement individuel et non pas s’inscrire dans une structure plus globale, répandu dans l’ensemble de la société et des institutions. Étant individuel, et lorsqu’il se manifeste sous forme de remarques ou de blagues, ce racisme ne serait pas dangereux et n’aurait pas de conséquence « sérieuse » d’ordre matériel et psychologique sur les personnes qui le subissent. De plus, il s’expliquerait par la psychologie des individus. Dans le cas du professeur Mazart, il s’agit de l’envie de provoquer et de faire des blagues : utiliser des stéréotypes racistes et classistes seraient un simple ressort humoristique plutôt inoffensif.

Au premier tour du concours d’éloquence, l’opposant de Naïla multiplie les allusions racistes pour déstabiliser la jeune femme. Le jury et le public restent sagement silencieux pendant que la jeune femme est humiliée. La stratégie de son opposant marche, puisque la jeune femme perd ses moyens. Cet étudiant sera heureusement disqualifié par le jury en raison de son comportement, et Naïla remportera quand même le tour malgré sa piètre performance. Dans le film, cette scène joue un double rôle. Il s’agit tout d’abord d’un avertissement : c’est à Naïla de changer son comportement, ne pas se victimiser et travailler plus dur. Les multiples rapports de domination qui sont à l’œuvre induisent des humiliations publiques et la perte de confiance en soi de Naïla : mais la charge de surmonter ces obstacles repose sur les épaules seules de la jeune femme.

Cette scène permet aussi de distinguer Mazart, dont le racisme n’a pas pour but de d’humilier la jeune femme, et le racisme de l’étudiant qui vise à nuire. Une autre scène du film appuie cette vision de Mazart comme personnage dont les propos discriminants ne cibleraient pas plus les personnes arabes que d’autres personnes : lorsqu’un étudiant redoublant de la même promotion que Naïla lui explique que Mazart se moquait systématiquement de son origine aristocratique pendant sa première année d’université. La mise en équivalence des deux situations ne fonctionne pourtant pas : placer les blagues et les piques de Mazart au sujet de l’aristocratie sur le même plan politique que les discriminations subies par les personnes racisées, revient à ignorer les effets concrets du racisme tels que les obstacles pour l’accès à l’emploi, à l’éducation et la santé, entre autres.

 

 

Cet étudiant est lui aussi révolté par le comportement de Mazart. A vrai dire, il semble même être plus en colère que Naïla elle-même et ne comprend pas ses réactions : il lui demande plusieurs fois pourquoi elle ne porte pas plainte et pourquoi elle prend des cours particuliers avec lui. C’est lui, enfin, qui lui révèle à la fin du film qu’elle n’est en fait qu’une caution, l’« amende honorable » de Mazart pour qu’il évite d’être sanctionné. Cet étudiant est blanc, donc non directement concerné par les comportements de Mazart, mais il reproche à Naïla de ne pas dénoncer le professeur. Que le film semble plutôt critique envers ce personnage est assez intéressant lorsque l’on pense à la figure de l’allié qui donne des leçons, ou à celle du Social Justice Warrior qui voit des discriminations partout et demande réparation sans tenir compte de l’avis des personnes directement concernées. Malheureusement, cette critique est à double tranchant d’un point de vue politique, puisqu’elle se fait au profit du personnage de Mazart : l’allié blanc est dénoncé pour mieux défendre le professeur raciste.

Au final, ce que le film semble critiquer dans la posture de cet étudiant est le fait de ne pas voir Mazart tel qu’il est réellement, au contraire de Naïla qui est directement concernée par son comportement raciste mais qui apprend tout de même à le connaître. Les gens qui dénoncent les comportements racistes des personnes seraient donc, nous dit le film, peu clairvoyant-e-s et passeraient à côté de qui sont réellement les gens. Au lieu de dénoncer et de vouloir sanctionner les personnes pour leur racisme, iels devraient plutôt chercher à les comprendre et trouver ce qui est bon en elles en tant qu’êtres humains.

 

A la fin, Pierre et Naïla deviennent super potes.

Même si tout le monde se plaint du professeur – y compris l’agent de sécurité noir à l’entrée de l’université, à qui Mazart fait un doigt d’honneur en toute tranquillité -, jamais il ne présente la moindre excuse ou ne reçoit de sanction. Les personnages victimes du professeur sont choqués et révoltés, mais aucun-e ne porte plainte et aucune action concrète ne sera jamais prise contre le professeur. La seule menace sérieuse qui plane sur le professeur durant tout le film est le conseil de discipline, dont il est sauvé par son élève et amie Naïla Salah lorsqu’elle y délivre, avec brio, un plaidoyer en sa faveur.

De même, on ne verra pas à l’écran la punition du premier opposant au concours d’éloquence qui fait preuve de racisme. Il y a comme une réticence à montrer à l’écran des actions concrètes contre les personnes ayant des comportements racistes, blocage qui s’explique peut-être par le fait que, dans le film, la charge de surmonter le racisme appartient d’abord aux personnes qui le subissent.

 

Une fracture multiple à combler, pour s’intégrer.

Le film développe ses personnages et son scénario selon une fracture dont les deux bords sont représentés par Naïla Salah et Pierre Mazart. Elle est une jeune femme arabef, et il est un homme blanc d’âge mûr. Il représente l’ancienne garde dans une université au hall de marbre, au français soutenu et aux effets oratoires élaborés. Elle fait partie de la nouvelle génération prompte à s’enflammer et à dénoncer en les insultant les comportements qu’elle trouve scandaleux : mais voir du racisme partout ne serait-il pas une manière de se victimiser, de se chercher des excuses pour les échecs scolaires et professionnels en trouvant les raisons ailleurs qu’en soi-même ? C’est en tout cas ce que suggère le film à de multiples reprises. Même la mère de l’héroïne ne comprend pas de quoi se plaint sa fille lorsque celle-ci lui parle de son professeur raciste : la jeune génération est trop susceptible, elle cherche trop.

A cette fracture générationnelle, se superpose un gouffre en terme de classe : d’un côté la banlieusarde vivant dans un appartement modeste et de l’autre le professeur parisien qui fréquente les grands restaurants. Cette triple fracture – de race, de classe et de génération – s’incarne spatialement par les allers-retours de Naïla entre deux mondes distincts : Paris avec l’université de Panthéon-Assas, et Créteil « la-banlieue », avec ces « jeunes » qui traînent à la nuit tombée au pied des immeubles.

Naïla navigue, seule, entre deux mondes. Par exemple, Pierre Mazart ne se rend jamais à Créteil. Tout au plus apprend-il une ou deux insultes en arabe. Le scénario du film consiste à faire en sorte que Naïla adopte les codes du monde de Mazart pour réussir. Car pour que cette réussite ait une réelle valeur, elle doit se passer dans ce monde-là : le petit copain qui passe son permis pour être chauffeur à son compte ne joue pas dans la même cour – et Mazart ne manquera pas de le faire remarquer à Naïla. Enfin, le monde social parisien de la jeune femme est centré autour d’hommes blancs ayant un statut social élevé : outre Mazart, le seul autre étudiant en droit avec lequel elle échange est un jeune homme blanc de classe aristocratique. Pourtant, étant donné le nombre d’étudiant-e-s dans sa promo, on peut imaginer que d’autres élèves vivent des situations similaires à celles de Naïla et pourraient partager leur expérience. L’absence de ce type d’échange dans le film contribue à renforcer l’isolement de Naïla face à Mazart : il est la seule option vers la réussite, le seul modèle que le film lui offre.

Ce monde auquel il faut s’intégrer, c’est aussi le monde de l’apparence et de la rhétorique, plutôt que celui de la vérité : « Avoir raison, la vérité on s’en fout. » dit Mazart à Naïla. Il y a un petit côté mission civilisatrice dans l’attitude de Mazart lorsqu’il la sermonne pour ne pas parler un français assez soutenu et de ne pas s’habiller « correctement » : « Vous croyez quoi ? Qu’on n’est pas jugé sur son apparence, que la manière dont on se présente au monde n’a pas d’importance ? L’éloquence, la rhétorique, c’est précisément cela que je vais vous apprendre. » L’idée que la rhétorique et quelques habits bien choisis peuvent contrebalancer les biais que l’on peut rencontrer chez ses interlocuteurices justifierait l’apprentissage des outils des dominant-e-s pour réussir. En fait, il s’agirait même de la seule solution valable.

Pendant le film, Naïla n’appartient complètement à aucun de ces deux mondes : à la maison et avec ses ami-e-s, elle est « super française », ainsi surnommée en raison de son éloquence et de sa grammaire parfaite. D’ailleurs durant le film, on la voit reprendre à plusieurs reprises ses camarades lorsqu’iels font des fautes de français, annonçant la scène finale avec son client. À Paris pourtant, elle perd étonnamment ses moyens lorsqu’elle parle, et doit apprendre de nouveaux codes. Il s’agit pour la jeune femme de combler cette fracture qu’elle incarne entre les deux mondes, ce qui revient dans le film à intégrer le monde des blanc-he-s, des personnes éduquées, des dominant-e-s, sans renier ses origines symbolisées par son petit ami et son utilisation de la langue arabe.

Le vêtement est utilisé comme symbole de ces tensions et de ce mouvement d’intégration : à plusieurs reprises, Mazart lui enjoint de quitter son « uniforme de banlieusarde informe » (dit-il en costume veste-cravate, un autre type d’uniforme après tout). Naïla s’exécute après quelque résistance, mais c’est en sweat et jeans qu’elle fait son plaidoyer en faveur de Mazart. Contrairement à ce qu’affirme Mazart, il n’y pas que l’apparence qui compte, la vérité et le talent sont aussi importants. Ceci est vrai pour Naïla qui doit trouver sa place, mais aussi pour le professeur : la vérité du personnage de Mazart révélée au cours du film, ce n’est pas qu’il est raciste, c’est qu’il est un excellent professeur qui a aidé Naïla.

La transformation de la jeune femme s’achève quelques années plus tard, au terme de ses études. Et c’est un autre uniforme, la robe d’avocat, que Naïla Salah revêt pour célébrer sa réussite. A son tour, elle donne des instructions à son client pour s’en sortir devant la justice : parler un langage plus soutenu et remplacer ses vêtements de sports par un costume.

 

L’uniforme de la banlieusarde : sweat à capuche, t-shirt et casque audio autour du cou.

L’autre uniforme de classe, chemisier et veste noire cette fois-ci.

***

Résumons : une étudiante victime du racisme de son professeur fait un plaidoyer en sa faveur pour éviter son renvoi. Le-dit professeur ne s’excuse jamais ni ne remet son attitude en question. Le film lui donne même raison sur l’essentiel : l’importance de l’apparence et des qualités d’éloquence pour réussir. Le reste de ses propos racistes ne sont « que » des mots, des « provocations » qui sont elles-mêmes utiles puisqu’elles servent à entraîner la jeune femme à ne pas se laisser dominer par ses émotions.

Ainsi formée, la jeune femme pourra aller à son tour éduquer les petits délinquants de « son milieu » pour qu’ils fassent meilleure figure au tribunal et leur éviter des sentences trop lourdes. C’est certes une chose absolument essentielle d’acquérir des outils et des armes pour se défendre, faire sa place et remettre en question les règles dominantes. Mais pourquoi montrer l’héroïne prendre conscience de cela grâce à un professeur blanc et raciste aux méthodes éducatives humiliantes ?

Arroway

Le Nouveau Stagiaire (2015): le patriarcat ne se fait jamais trop vieux.

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« Je déteste jouer le rôle du féministe, mais… » Il y a quelque chose de perturbant dans cette formule employée par De Niro pour s’adresser à son interlocutrice Jules, jouée par Anne Hathaway, dans l’une des scènes clé du film. Parfait exemple de mansplaining, De Niro amorce à ce moment de l’intrigue une « leçon de féminisme » qu’il prodigue à une jeune femme brillante qui a monté une entreprise florissante. L’héroïne en larmes, à la fois en raison de déboires amoureux et de déceptions au travail, écoute cet homme providentiel et paternel qui lui conseille de prendre ses propres décisions et de gérer son entreprise comme elle l’entend. Comme si elle l’avait attendu jusqu’ici pour le découvrir…

Cette scène résume à mon sens un grand nombre des défauts du film Le Nouveau Stagiaire : il s’agit d’une comédie « moderne » qui intègre ce que la société états-unienne a bien voulu entendre des revendications du féminisme libéral, mais qui ne remet pas vraiment en cause les fondements du patriarcat et les inégalités découlant directement du système capitaliste. La figure paternaliste incarnée par un De Niro sexagénaire et débonnaire guide une femme d’affaire blanche et trentenaire qui, malgré la réussite de son entreprise, n’arrive pas à trouver le « bon » équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Autrement dit, au sein du film, obtenir une place traditionnellement monopolisée par les hommes sur le marché capitaliste ne suffit pas à faire bouger des stéréotypes genrés toujours tenaces. Que les hommes se rassurent : les femmes auront toujours besoin d’eux pour pleurer sur leurs épaules et suivre leurs conseils dans tous les aspects de la vie.

Nancy Meyers, la réalisatrice du film, s’est donné pour objectif de réhabiliter les femmes dans le travail entreprenarial à travers l’image de « la bonne patronne ». Les femmes d’affaires volontaire, à la carrière florissante et qui aiment leur travail, est un thème qu’elle a d’ailleurs exploré dans ses autres films « Ce que veulent les femmes » et « The Holiday » :

« Il n’y a pas assez de films qui montrent des femmes qui travaillent et qui en sont satisfaites, qui sont bonnes à ce qu’elles font et qui sont de bonnes patronnes. Si je vois un film de plus avec une femme qui est une patronne horrible détestée par ses employées… », dit Meyers en levant les yeux au ciel.

« There aren’t enough movies that show working women who are content at their job, good at their job and good bosses. If I see one more movie where a woman is a horrible boss who is hated by her employees … » Meyers says with an eye-roll.

Interview pour The Guardian, octobre 2015

Dans cette déclaration, Meyers fait référence aux représentations souvent négatives des femmes ayant du pouvoir en entreprise. Ces représentations font écho à la manière dont les femmes sont perçues par leurs collègues et leur hiérarchie dans le monde du travail, et contribuent ainsi à la perpétuation de ce sexisme structurel. En effet, les femmes voient régulièrement leurs compétences remises en question lorsqu’elles occupent une position hiérarchique élevée. Lorsqu’elles gèrent des équipes, elles subissent des injonctions contradictoires : soit elles sont renvoyées à une pseudo « féminité douce » qui manqueraient de poigne et de « leadership » pour être suffisamment efficace dans le monde des affaires, soit, au contraire, elles sont considérées comme « frigides », dures, intransigeantes. Dans tous les cas, elles transgressent la place subalterne qui leur est normalement assignée en occupant une position de pouvoir.

Mais la portée féministe du film de Meyers trouve (très) vite ses limites.

Un féminisme pro-capitaliste

Le héros principal du film n’est pas Jules la femme cheffe d’entreprise, mais Ben, un vieil homme blanc joué par Robert De Niro. Le Nouveau Stagiaire raconte l’histoire de cet homme à la retraite qui s’ennuie sans son travail. Car le travail, c’est la vie ! nous fait comprendre le début du film. Et en dehors du travail, point de salut ! Notre héros s’ennuie tellement dans sa vie de retraité qu’il décide en effet de faire un stage à 70 ans. Avant cela, il a tout essayé : voyager et revenir avec un collier de fleurs, lire des livres, faire du tai chi dans un parc le matin, lire le journal dans un café, etc.

Hélas, l’univers n’est pas aussi vaste d’opportunités que ce bon vieux monde de l’entreprise, avec ses contraintes horaires, son stress, sa hiérarchie… Pour Ben, être au bureau, c’est comme être de nouveau « à la maison ». Et pour cause, notre héros fait son stage dans les mêmes locaux où il a travaillé pendant 40 ans : home sweet home… Sans distance critique aucune, le film reprend un discours capitaliste qui encourage les salarié-e-s à passer le plus de temps possible à travailler pour l’entreprise (autrement dit, à fournir encore plus de travail non-rémunéré au bénéfice des propriétaires), en créant l’illusion d’un espace de vie plus accueillant et plus épanouissant que sa propre maison. Et le monde de l’entreprise est tellement fantastique, que Ben va même y trouver le bonheur tout en bas de la hiérarchie : à la position de stagiaire.

Ben est recruté dans une start-up de commerce de vêtements en ligne qui a été créée par Jules (car dans les comédies états-uniennes, lorsque des femmes créent leur affaire ou sont à la tête d’une entreprise, c’est plus souvent dans le secteur de la mode, de l’édition et de la restauration que dans le domaine de l’opto-électronique). Jeune femme dynamique qui n’a pas une seconde à elle, Jules est à la tête d’une entreprise de deux cents de personnes. Dédiée à 110 % au succès de sa boîte, Jules est surtout à fond dans le micromanagement… On la voit au téléphone au service après-vente, à l’entrepôt d’emballage des paquets pour expliquer aux employées comment plier des vêtements, en train de reprendre le travail des graphistes, courir entre deux réunions… Bref, elle donne de la tête partout : il s’agit de « son » entreprise, on l’a bien compris. En parallèle, elle est mère d’une petite fille et en couple avec un partenaire qui a laissé tomber son travail pour s’occuper à plein temps de l’enfant.

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La réussite selon Nancy Meyers : une jeune femme blanche, mince, habillée de manière branchée, qui fait tranquillement du vélo dans les locaux de son entreprise pendant que son employée court derrière elle.

Ces scènes illustrent un point de vue féministe libéral qui suggère que « la solution » au patriarcat, c’est de permettre aux femmes l’accession aux postes de pouvoir économiques et politiques de la même façon qu’aux hommes. Le problème est que cette « solution » continue d’alimenter les mêmes inégalités économiques et sociales au sein du système capitaliste. L’entreprise est fortement hiérarchisée : en dehors des actionnaires de l’entreprise, Jules semble être celle qui prend toutes les décisions, et on la voit malmener ses subalternes à plusieurs reprises. Son entreprise baigne dans un culte du travail et d’un esprit « start-up » très à la mode qui se veut « jeune », innovant, convivial mais qui n’est qu’un vernis qui cache l’exigence d’une « flexibilité »  et d’un travail supplémentaire énorme demandés aux employé-e-s. Et même si l’entreprise a atteint son objectif de croissance beaucoup plus rapidement que prévu, la quête capitaliste d’un chiffre d’affaires toujours plus gros est le moteur de l’intrigue.

Enfin, il y a une absence totale de personnes racisées parmi les personnes ayant des responsabilités dans l’entreprise (ce qui se traduit à l’échelle du film par un casting particulièrement blanc), sans que cette inégalité ne soit dénoncée à aucun moment. Au contraire, l’une des rares fois où des personnes racisées apparaissent à l’écran correspond à une scène dans l’entrepôt particulièrement empreinte de paternalisme : Jules, en bonne patronne blanche, « apprend » aux femmes racisées employées – visiblement ravies- comment plier correctement des vêtements pour l’expédition … alors que c’est le boulot qu’elles font tous les jours. Le contenu du scénario et le manque d’acteurices racisé-e-s au casting reproduisent ainsi, sans distance critique, un racisme structurel à la fois dans le monde de l’entreprise et dans les représentations cinématographiques.

Le film semble esquisser une critique du capitalisme dans les effets sur la vie personnelle des employé-e-s. Enfin, surtout sur la vie de la patronne, ce qui invisibilise totalement les rapports de pouvoir et l’exploitation des salarié-e-s. On voit ainsi Jules être victime de stress et de surmenage (elle ne mange pas et ne dort presque jamais). Sa vie de famille disparaît et son lieu de travail accueille toutes ses activités « extra-professionnelles » telles que faire du sport, socialiser, dîner, et même dormir. Sa voiture avec chauffeur fonctionne même comme une extension de son lieu de travail. Mais finalement, tout cela n’est qu’un dérèglement temporaire dans la vie de Jules, et non pas un dysfonctionnement systémique. A la fin du film, l’héroïne trouve un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (c’est-à-dire dans son rôle de compagne et de mère), sans que son statut au sein de l’entreprise ne soit le moins du monde remis en cause.

Un paternalisme exacerbé

Deux autres éléments ternissent particulièrement le potentiel féministe et politique du film : d’une part, le fait que la réussite de Jules passe par son infantilisation en femme fragile qui « craque » en pleurant et qu’il faut soutenir, et d’autre part la mise en avant de personnages masculins comme agents indispensables à son succès.

Au cours du film, malgré sa réussite apparente, les vies professionnelle et familiale de Jules prennent un très mauvais virage : ses investisseurs lui demandent d’engager un PDG pour prendre sa place et son couple se met à battre de l’aile (son compagnon la trompe). Que faire face à ces problèmes professionnels et personnels que Jules ne peut (visiblement) pas résoudre toute seule ? C’est là que Papa De Niro entre en scène en devenant le stagiaire de Jules.

Tout devient alors très simple. Papa dit à Jules de manger et lui apporte une soupe – et voilà que Jules mange comme une grande alors qu’elle disait avant n’avoir jamais le temps. Papa conseille à Jules de dormir – voilà que Jules s’endort toute seule dans la voiture. Papa conduit sa fille Jules à l’école au travail, et voilà qu’il fait un peu partie de la famille et devient le confident de la jeune femme. Papa dit à Jules de ne pas trop boire alors qu’elle affirme pouvoir tenir l’alcool, et voilà qu’il se retrouve à lui tenir les cheveux pendant qu’elle vomit dans une poubelle. C’est à se demander comment Jules avait fait jusqu’à maintenant pour créer de toute pièce son entreprise de 200 personnes en 18 mois, trouver un mari et s’occuper de sa petite fille… De même, lorsque Jules doit prendre sa décision finale quant à savoir si elle doit confier les rênes de son entreprise à un PDG tiers ou diriger elle-même, notre héroïne vient chercher les sages conseils de Papa. Et, cerise sur le gâteau, ceux-ci reçoivent la bénédiction de son mari : Jules a ainsi les approbations des deux hommes de sa vie, elle peut continuer sereinement à diriger son entreprise en toute légitimité.

On notera que les seules relations positives de Jules en dehors du travail sont avec des hommes. La relation avec sa mère est exécrable, les échanges avec les mères des camarades de classe de sa fille sont teintés d’hypocrisie et de jalousie (vous avez dit stéréotypées ?). Jules n’a visiblement pas d’amies et elle arrive même à faire pleurer la seule femme dont elle serait la plus proche, son assistante personnelle au travail. En un mot : Papa De Niro est la seule ancre au port de sa vie, qui l’aide à se « calmer » et à se « recentrer » comme elle le dit elle-même (et c’est sûrement pour ça que De Niro l’emmène faire du tai chi à la fin).

Le film infantilise l’héroïne à de nombreuses reprises. Celle-ci prétend s’affirmer comme une femme indépendante qui sait ce qu’elle fait… or elle a systématiquement tort face à De Niro (y compris pour savoir quel est le plus court chemin pour aller à son rendez-vous, mais ça c’est normal, c’est parce que les femmes n’ont pas un bon sens de l’orientation). Le film ne cesse de montrer des femmes qui craquent et qui pleurent. La première fois que Jules demande à Ben d’effectuer une tâche, il la surprend dans une salle de réunion en train de pleurer. Et, réminiscence d’une « galanterie » sexiste que l’on croyait révolue, voilà que l’on nous explique que les hommes devraient toujours garder des mouchoirs sur eux pour pouvoir les tendre aux femmes, car celles-ci, non seulement pleurent tout le temps, mais en plus ne pensent jamais à en avoir sur elles (quelles écervelées). Le mouchoir en papier, c’est donc cet objet qui permet aux hommes de voler au secours des femmes (avant c’était l’épée et le cheval blanc, mais il faut bien faire avec son époque), et donc de les séduire par leur attention. C’est d’ailleurs comme cela que Ben a rencontré son épouse avec laquelle il est resté marié pendant plusieurs décennie.

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Alors que les pleurs des femmes servent ici à les dépeindre comme des êtres fragiles et à les placer dans une position de dépendance, les larmes que Ben laisse poindre font de lui un « homme total », c’est-à-dire qu’il sait être viril mais aussi sensible et à l’aise avec ses émotions (ce qui est traditionnellement associé au « féminin ») sans que cela ne le décrédibilise.

Sous prétexte de revaloriser l’expérience des « sénior-e-s » sur le marché du travail face aux « jeunes », le film renforce ainsi à grands coups de marteaux des poncifs sexistes et paternalistes.

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Le repos sur l’épaule paternelle après la cuite du soir.

De Niro : un mâle viril en voie de disparition

Papa De Niro n’est pas seulement le papa que toutes les petites filles rêvent d’avoir, c’est aussi un formidable « pote » : à peine arrivé à son premier jour de stage, voilà qu’il fraternise avec un autre stagiaire dans la vingtaine. Des trois stagiaires qui commencent le même jour que lui, c’est immédiatement du jeune homme blanc dont Ben se rapproche, plutôt qu’avec les deux autres personnes retraitées dont il partage pourtant la même expérience et le même dépaysement dans cette nouvelle entreprise. Le problème, c’est que l’une de ces personnes est une femme (dont on ne saura pas grand-chose à part qu’elle ne sait pas conduire, évidemment) et que l’autre est un homme noir (qui n’ouvrira pas la bouche pendant les courtes secondes où on le voit à l’écran faire tapisserie derrière De Niro et son jeune pote blanc).

En fait, De Niro est tellement charismatique qu’il ne gagne pas un mais trois jeunes potes blancs dans sa nouvelle entreprise. Mais comment fait-il ? C’est très simple : en prodiguant ses conseils de séduction pour aller draguer les filles. Fort de son expérience, il enseigne à la jeune génération pétrie de nouvelles technologies que les techniques à l’ancienne marchent le mieux : il vaut mieux aller parler en personne aux femmes « plutôt que d’envoyer des mails ou des textos », et un costume fait gagner plus de points qu’un t-shirt gris à la Zuckerberg.

Ben est un grand cœur sensible comme il le dit lui-même, et un tombeur de ces dames, forcément. Une scène particulièrement représentative du modèle de virilité présenté par le film est l’épisode avec la masseuse : travaillant pour les employé-e-s de l’entreprise, elle offre une petite séance de « détente » à Ben, ce qui lui provoque une érection dont ces deux voisins s’aperçoivent et qu’ils l’aident à cacher dans un moment de camaraderie virile.

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Yeah, papi a eu une érection au boulot. Topez-là !

Ben est en fait bien plus qu’un grand frère ou un mentor pour les jeunes hommes du film : il s’agit d’un des derniers spécimen d’une masculinité virile qui est en voie de disparition dans notre monde. « Regardez et apprenez, les garçons », dit Jules à ses jeunes employés mâles en pointant Ben, « parce que ça (elle désigne Ben), c’est ce qui est cool ». Dans une scène au bar, Jules délivre un discours typiquement masculiniste qui plaint les garçons d’aujourd’hui pour qui cela doit être dur de trouver leur place dans une société où les femmes sont plus encouragées et gagnent sur tous les tableaux. Visiblement, Jules et l’auteur/rice de ce script vivent dans un monde où les différences de salaires entre femmes et hommes n’existent pas, où les postes de pouvoir ne sont pas toujours très majoritairement occupés par les hommes, où le travail domestique n’est pas encore majoritairement effectué par les femmes, etc.

« Comment en une seule génération  », poursuit Jules « les homme sont-ils passés de mecs comme Jack Nicholson et Harrison Ford à … »

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…ça.

<(traduction : des jeunes hommes qui ne savent pas parler aux femmes, ne savent pas s’habiller, ne savent pas trouver de logement.)

Un autre preuve que De Niro est cet homme moderne et « total », c’est sa capacité à soutenir et encourager Jules à poursuivre sa carrière sans se sentir menacé lui-même. Le compagnon de Jules, plus jeune, échoue précisément à cette épreuve. Celui-ci se sent délaissé, jaloux peut-être du succès de Jules et du peu de temps qu’elle passe à la maison alors qu’il a lui-même laissé de côté une brillante carrière pour s’occuper de leur fille. Il se met alors à la tromper. En fait, le film semble tisser un lien entre travail et masculinité : lorsque De Niro désespère de ne pas travailler au début du film, il est montré comme totalement impuissant et dominé par une femme qui le harcèle et l’embrasse de force. Dès qu’il recommence à travailler, il redevient actif dans le rapport de séduction et noue une relation avec la masseuse au travail.

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De son côté, le compagnon de Jules n’a plus de travail salarié et ne peut même pas « exercer » sa virilité dans la chambre à coucher avec Jules : il va donc coucher ailleurs pour avoir « du temps à lui » (« me time » dit-il en anglais), autrement dit réaffirmer sa virilité. Le film opère ici une inversion des rôles puisqu’il s’agit d’une expression qui est d’habituellement entendue dans la bouche des femmes au foyer qui n’ont pas le temps de s’occuper d’autre chose que des enfants, des tâches ménagères et de leur mari lorsque celui-ci rentre du travail.

Les rôles de Jules et de son compagnon sont inversés par rapport aux normes traditionnelles dans lesquelles l’homme travaille et la femme reste à la maison. Mais les difficultés rencontrées par le couple sous-entendent que cette configuration n’est « pas naturelle »: Jules est une femme qui travaille, mais elle a des problèmes pour tout gérer en même temps et a besoin d’aide, tandis que son compagnon s’occupe de leur enfant à la maison mais doit combler le « manque de virilité » dû à l’absence de travail et de relations sexuelles avec sa femme en allant coucher ailleurs.

***

La seule « consolation » un tant soit peu féministe du film est que Jules gagne sur tous les tableaux : elle reste cheffe de son entreprise, tandis que son compagnon fait amende honorable pour l’avoir trompée et lui réitère tout son soutien. Mais cette victoire n’est acquise que grâce à l’aide précieuse de Papa De Niro. Et reste aussi que décidément, ce « féminisme »-là, pour ce qu’il vaut, ne s’adresse qu’à une minorité de privilégiées.

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Illustrations : Madeleine Sassi

« Equal Rights Equal Lefts », OTEP (2017) : analyse critique d’un appel à lutter pour les droits LGBT

Otep

OTEP est un groupe de néo-métal californien actif depuis 2000 dont la chanteuse, Otep Shamaya est ouvertement lesbienne et politiquement engagée sur de nombreux fronts comme en témoigne son compte Tumblr girlgoesgrrr.

Récemment, le groupe a réalisé un clip sur le morceau « Equal Rights Equal Lefts » présent sur leur album Generation Doom (2016) et qui traite des droits LGBT (plutôt LGB que T d’ailleurs).

Attention, certaines images violentes peuvent potentiellement choquer (sang) :

Voici ce qu’a déclaré Otep à propos de cette chanson pour la sortie du clip :

« J’ai écrit cette chanson pour célébrer et encourager toutes les personnes à vivre qui elles sont vraiment, à vivre leur vérité, et à lutter pour leur droit à exister. Tous les jours la communauté LGBTQ doit faire face à la bigoterie, au harcèlement, aux moqueries et aux attaques législatives. Nous ne sommes pas « l’autre ». Nous sommes vos ami-e-s, votre famille, vos voisin-e-s, vos collègues de travail, vos docteur-esses, vos infirmiers/ères, vos soldat-e-s et vos concitoyen-nes. Dit simplement, cette chanson et cette vidéo sont à propos d’amour et d’égalité. »

« I wrote this song to celebrate and empower all people to live their authentic selves, to live their truth, and to fight for their right to exist. Every day the LGBTQ community faces bigotry, bullying, ridicule and legislative attacks. We are not “the other”. We are your friends, your family, your neighbors, your coworkers, your doctors, nurses, soldiers and fellow Americans. Simply put, this song and this video are about love and equality. »

Le morceau parle très clairement de lutte, et même de combat physique. Le titre est un jeu de mots dans ce registre : « rights » en anglais, signifie les « droits » mais peut aussi désigner une « droite » (un coup de poing droit), tout comme « left » peut désigner « une gauche ». Le clip met bien en scène ces échanges de politesse par coups de poing interposés entre la chanteuse et un homme qui l’insulte dans la rue alors qu’elle se promène avec sa copine.

Otep a assurément le sens de la punchline : « he called me a dyke, I called him an ambulance » (« il m’a traité de gouine, je lui ai appelé une ambulance » avec le jeu de mot en anglais où « call » peut signifier appeler mais aussi désigner le fait d’insulter quelqu’un).

Plus qu’une célébration de l’amour et de l’égalité, ce morceau est un appel à se défendre. Pour jouissives que puissent être ces paroles qui appellent à ne pas se laisser faire, plusieurs éléments m’interpellent d’un point de vue politique.

Lutter pour exister : entre compétition virile et reproduction de rapports de domination

Tout d’abord, la vidéo met en scène une violence dont on peut questionner la fonction. Si le combat entre les deux protagonistes est provoqué par l’homme qui insulte les lesbiennes et sort de sa voiture pour frapper Otep, on peut cependant remarquer qu’Otep aurait très bien pu s’en aller et éviter le combat physique. Elle choisit au contraire de rester et d’affronter son opposant pour lui montrer sa supériorité. La vidéo met en scène une violence qui atteint son paroxysme lorsqu’Otep égorge son opposant avec un bris de verre. Or il est difficile de justifier cet acte comme étant de la légitime défense étant donné que l’homme était à terre. Il s’agit de la mise en scène d’une violence visant à dominer et à prendre sa revanche, et non d’une violence visant à se défendre.

egorgement

Le clip réalise juste après une pirouette en révélant qu’il s’agit en fait d’une scène imaginée par l’opposant d’Otep, mais les images ont bien été montrées et ne sont pas à mon avis compensées par celle de la chanteuse tendant la main pour aider son opposant à se relever (quelques secondes à la toute fin du clip). Le glissement rapide qui s’opère entre la situation où Otep se défend, et celle où elle attaque son adversaire à terre, semble légitimer implicitement le recours à cette violence pour dominer.

Le combat concerne l’homme et Otep qui incarne un personnage résolument butch. Les codes d’une masculinité virile sont utilisés : les deux protagonistes s’affrontent physiquement dans un combat de rue, et la copine de l’agresseur devient une sorte de trophée à s’approprier par la vainqueuse : « I put you on blast then fucked your wife » (« je t’ai éclaté, puis j’ai baisé ta femme »). Le reste de la chanson décrit une sorte de compétition sexuelle, où l’humiliation de l’agresseur passe par le fait que la femme de ce dernier couche avec elle et soit d’avantage satisfaite sexuellement qu’avec lui : « Your ego’s been deflated » (« ça a dégonflé ton ego »). La lesbienne butch « gagne » contre l’homme hétéro car les femmes la préféreront à lui : «  So say what you say, do what you do, but I’ll always get more pussy than you » (« Dis ce que tu dis, fais ce que tu fais, mais j’aurai toujours plus de chatte que toi. »). Autrement dit, on assiste à une compétition virile qui instrumentalise les femmes féminines en trophée de guerre entre les hommes hétéro et les butchs.

Il ne s’agit pas ici de tomber dans une lecture simpliste qui critiquerait le personnage butch d’Otep parce qu’elle ose précisément incarner une certaine masculinité (dans son apparence physique, sa manière de bouger, son attitude et ses actes) ou parce qu’une relation butch-fem reproduirait forcément un  schéma hétérosexiste. Au contraire qu’une femme lesbienne qui ne respecte pas les normes de la féminité traditionnelle, ose affronter à armes égales un homme blanc hétéro est un acte de rébellion subversif à bien des égards (c’est pour cela qu’il est jouissif de la voir gagner haut la main). Par ailleurs, la copine de son opposant est décrite comme étant l’initiatrice de leurs rencontres ce qui va à l’encontre de l’idée qu’elle incarnerait un rôle passif et soumis dans la relation.

« Gay for a day », that’s what she claimed, but that’s what these chicks always say
She’s calling my home, texting my phone, sending me snaps, and begging for more

« Gay juste pour un jour », c’est ce qu’elle prétend, mais c’est ce que ces nanas disent toujours,
Elle m’appelle à la maison, elle m’écrit par sms, elle m’envoie des photos, et elle me supplie d’en avoir plus

Mais dans le contexte du morceau, ces détails sont clairement instrumentalisés pour faire enrager l’opposant d’Otep. La relation entre les deux femmes s’inscrit dans un rapport où il s’agit pour Otep de montrer qu’elle a gagné la préférence d’une femme dans le but d’établir un rapport de force vis-à-vis d’un autre homme. Le problème réside dans le fait d’utiliser le corps d’une femme pour asseoir sa supériorité vis-à-vis d’autrui. La copine n’a pas d’existence en dehors de la rivalité entre Otep et son adversaire et elle attendait passivement qu’Otep vienne lui faire découvrir « la religion », c’est-à-dire les relations sexuelles entre femmes.

Si les milieux queer semblent plus ouverts pour questionner et détourner les codes du genre, ils ne sont cependant pas à l’abri de reproduire certaines injonctions genrées et inégalités de pouvoir C’est ce qu’explore la réalisatrice Nneka Onuorah dans son documentaire « The Same Difference » (2015), dans lequel elle part à la rencontres des « studs » (lesbiennes masculines) dans les communautés lesbiennes noires aux États-Unis. En filmant des témoignages et des interactions de groupe, elle montre comment des rôles genrées normatifs peuvent se réinscrire dans les interactions entre lesbiennes, et vis-à-vis des bisexuelles.

Le documentaire de Onuorah filme presque uniquement des lesbiennes noires américaines, et n’a pas pour objectif d’analyser l’articulation de ces normes de genre avec le racisme. En revanche, il n’est pas possible de faire l’impasse sur cette question pour décortiquer la dernière partie du clip d’OTEP.

Le personnage de la copine apparaît sur les écrans vers la fin de la vidéo. Les plans sur cette femme en sous-vêtements aux côtés d’Otep réutilisent des codes objectifiants habituellement utilisés pour les regards hétéro masculins : il s’agit de la « meuf » de la rappeuse, dans une voiture décapotable, qui expose des parties nues de son corps à la caméra. On remarque que cette femme, qui « trouve la religion » avec Otep, porte un voile noir qui recouvre ses cheveux ainsi qu’une partie de son visage. Le personnage de la femme est clairement objectifié et sexualisé : elle est montrée comme « exotique », lascive et mystérieuse, et son corps est un enjeu de pouvoir entre Otep et son opposant. Ceci pose la question de la reproduction de clichés orientalistes et de rapports de domination dans les représentations des femmes arabes. On peut aussi s’interroger sur le fait d’utiliser le voile comme marqueur de la religion, dans un contexte où la religion musulmane est rendue « hypervisible » dans nos sociétés par focalisation sur des signes visibles qui renseignent, ou sont supposés renseigner, sur les croyances et les pratiques de telle ou telle personne (voile, barbe, jupe longue).

Ainsi, c’est une dynamique race+genre qui est mise en oeuvre dans le processus d’objectification du personnage de la copine.

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Une mise en scène de couples lesbiens et gays très normée

Une deuxième dimension politiquement discutable dans cette vidéo est la représentation des deux couples lesbien et gay. Les quatre personnages correspondent à des critères physiques très standard et normés : blanches, très minces, sans muscles et féminines pour les femmes ; blancs, très musclés, très « virils » pour les hommes.

La mise scène du couple lesbien utilisent des codes que l’on peut rapprocher du male gaze : contrairement à la manière dont est filmé le couple gay, les corps des femmes sont découpés avec de nombreux plans sur des portions de chair, alors que les plans sur les hommes se concentrent essentiellement sur leur visage et leur bouche. Les actions filmées sont plus variées chez les femmes (endroits où elles embrassent et où elles se touchent) que chez les hommes qui ne sont grosso modo filmés qu’en train de s’embrasser sur la bouche (ils doivent s’ennuyer à la longue, mais heureusement ils peuvent aller jouer avec les vagues !). Certains passages montrent les actrices qui regardent directement la caméra, ce qui n’est pas le cas avec les acteurs. Enfin, les actrices sont montrées complètement nues alors que les hommes restent en caleçon.

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Pose et regards lascifs en direction de la caméra

On peut aussi remarquer que le couple de femmes est filmé à l’intérieur, avec des accessoires tels que des voiles de tulle, des draps et de coussins en plumes. Les hommes, eux, sont filmés en extérieur dans la nature, au milieu des rochers et des vagues. Des codes genrés sont ainsi bien réinscrits : une féminité douce, qui reste dans un environnement intérieur et confortable ; et une masculinité plus sauvage qui évolue en extérieur face au déchaînement des vagues.

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Les femmes prennent des poses dans l’intérieur d’une chambre…

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… tandis que les hommes exposent leurs muscles sur les rochers.

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En résumé, pour libératrice que puisse être cette vidéo d’un certain point de vue, elle reproduit des codes genrés et orientalistes qui s’avèrent problématiques. En particulier, il me paraît nécessaire de déconstruire et de remettre en question le système de concurrence et de violence typiquement « masculine » qui est mis en avant ici dans la lutte pour les droits LGBT, ainsi que les processus d’objectification et d’exoticisation des personnes racisées dans la mise en scène d’une libération queer.

A titre de réflexion, on pourra comparer l’approche de la vidéo d’OTEP avec celle du clip « High School Never Ends » de l’artiste queer Mykki Blanco, qui dénonce les violences racistes, xénophobes, homophobes et transphobes (mais qui ne se termine pas franchement bien, attention images potentiellement dures à regarder).

Dans « Equal Rights Equal Lefts », OTEP exhorte à se battre pour ses droits en montrant qu’il est possible de gagner. Les discriminations y sont incarnées par une seule personne, la lutte est du un contre un, et la chanteuse en sort vainqueuse toute seule, par elle-même (on voit sa copine l’embrasser et partir au début du clip). Le clip de Mykki Blanco quant à lui met en scène une tragédie shakespearienne à la « Roméo et Juliette » qui montre de manière crue la réalité des violences à l’encontre des personnes queer. Contrairement au clip d’OTEP, il souligne l’aspect collectif et systémique des discriminations, inclut une dimension raciale et décrit la spirale des violences conduisant au meurtre des dominés. On est loin de la scène d’égorgement aux couleurs de l’arc-en-ciel produite dans « Equal Rights Equal Lefts » qui laisse entendre que le meurtre puisse être un fantasme de revanche désirable. Pour ces raisons « High School Never Ends » propose à mon avis une analyse de la structure des dominations plus intéressante comme base de réflexion pour une lutte politique collective.

Arroway

The Good Fight : après The Good Wife, vous reprendrez bien une dose de féminisme blanc libéral ?

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On ne comprend toujours pas pourquoi les actrices sont photographiées dans des poses érotiques sur les affiches de la série

Note: cet article traite des trois premiers épisodes de The Good Fight, actuellement en cours de diffusion.

Après la série The Good Wife qui aura duré sept saisons pour atteindre un final contestable et contesté l’année dernière, The Good Fight prend la relève en suivant le personnage de Diane Lockart dans son nouveau cabinet d’avocats à Chicago. The Good Fight reprend des codes scénaristiques très similaire à The Good Wife, aussi bien sur le ton, les sujets abordés que sur le discours politique. Sous un vernis progressiste de féminisme libéral bienpensant incarné par l’avocate Diane Lockart, la série The Good Fight reproduit un même point de vue situé : celui de femmes blanches, riches et éduquées.

L’épisode pilote suit deux héroïnes. Diane Lockart, brillante avocate en fin de carrière et supportrice d’Hillary Clinton dont elle garde une photo sur son bureau, décide de partir des Etats-Unis après l’élection de Trump pour s’acheter une villa dans le sud de la France. La série introduit par ailleurs un nouveau personnage principal qui concentre une grande partie de l’attention, Maia Rindell, la fille d’un riche consultant financier ami de Diane qui vient de réussir le concours du barreau et a été engagée dans le cabinet de Diane. On recroise également Lucca Quinn, qui s’était distinguée comme partenaire d’Alicia Floricks dans The Good Wife. Ces trois femmes sont présentées comme les personnages principaux de la nouvelle série, qui a pour ambition de mettre les femmes en avant en tant qu’héroïnes, et en tant qu’héroïnes qui s’entraident. Malheureusement, la série tombe dans les mêmes écueils que sa prédécesseuse, et à de multiples niveaux que je vais détailler.

Diane Lockart, ou l’archétype de la féministe blanche libérale

L’épisode pilote de The Good Fight consiste à montrer le changement de cap de Diane, qui rejoint le camp de celleux qui mènent la lutte pour la bonne cause (“the good fight”). Mais Diane Lockart est l’emblème par excellence d’un féminisme blanc et libéral, très privilégié, symbolisé par son idole Hillary Clinton. Au-delà des discours féministes, des bonnes intentions antiracistes et des valeurs progressistes qu’elle défend, le personnage de Diane a multiplié pendant les sept saison de the Good Wife des décisions allant à l’encontre de ses convictions affichées, sans que la série n’en pointe le caractère problématique. Au contraire même, elle les justifie. Au compteur de ses actions contradictoires, on peut par exemple citer le fait qu’elle ait accepté de travailler “contre son camp” pour un républicain anti-avortement et contre les droits LGBT pour l’aider à mieux préparer ses actions en justice. La justification ? Essayer d’influencer les opinions de son client pour l’empêcher d’intenter des procès qu’il lui sera difficile de gagner.  ais surtout, rapporter des millions de dollars au cabinet.

On peut aussi citer la réaction outrée de Diane face à la vidéo mise en ligne par Monica, une candidate à un poste dans le cabinet, qui démontrait le racisme et les discriminations à son encontre pendant le processus de recrutement. Or Diane s’était battue, en vain, auprès de ses collègues pour que l’on embauche Monica, une figure “de la diversité” plutôt que des jeunes hommes blancs sortis des meilleurs universités de droit. Dans cet épisode, la série délivrait une fois de plus un discours profondément ambigü sur les questions de racisme, typique de The Good Wife. En effet, le discours de Diane était montré comme problématique lorsqu’elle déclarait en entretien à Monica que “cela avait dû être dur” de grandir là où elle avait grandi (reproduisant ainsi des stéréotypes à l’égard de Monica au même titre que ses collègues). Mais par la suite, Diane en était absoute, puisqu’elle s’était démenée pour embaucher Monica. Si la vidéo de la candidate la remet à sa place, en révélant qu’elle ne vaut pas mieux que ses collègues qui disent des choses racistes en entretien de recrutement, cela est montré comme une injustice vis-à-vis de Diane qui, contrairement à ses collègues, n’a pas été “volontairement raciste” puisqu’elle a essayé de l’embaucher. Enfin, et surtout, cette vidéo met en péril le cabinet qui peut être poursuivi pour discrimination, et ceci est une menace directe pour Diane qui dépasse toute autre considération morale. Là s’arrête donc sa bienveillance, et celle de la série, à l’encontre des “candidats de la diversité”.

Finalement, Diane Lockart est avant tout une cheffe d’entreprise qui fait de l’argent, même si cela signifie défendre des personnes contre ses convictions politiques. L’argument habituel consistant à dire que tout le monde mérite une défense – et qui est tout à fait valable par ailleurs-, ne suffit pas à expliquer les décisions stratégiques qui mènent son cabinet à accepter certains clients plutôt que d’autres. Par exemple, comme il est rappelé dans l’épisode pilote, le cabinet de Boseman représente un grand nombre de victimes de violences policières, tandis que le cabinet de Lockart a une grande expérience dans la défense de la police et de l’état en la matière. On ne peut donc que pointer du doigt les incohérences qui sous-tendent l’image positive de féministe progressiste que la série dresse de Diane.

Enfin, les raisons qui mènent Diane à rejoindre le “bon camp” de la lutte dans le cabinet Boseman sont d’avantage des raisons matérielles et financières qu’un choix de conscience. Initialement, devant l’élection de Trump face à Clinton, Diane avait décidé de prendre sa retraite et de partir des Etats-Unis : elle jetait l’éponge et arrêtait de se battre devant l’échec politique que représentait pour elle l’élection de Trump.

Diane bouche bée devant le diffusion télévisée de l’investiture de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis

Finalement, l’ère Trump quand on a les moyens de partir s’acheter une villa en Provence pour sa retraite, ce n’est pas si mal.

Mais ruinée par la perte de ses économies dans le scandale financier Rindell, contrainte de continuer à travailler et lâchée par ses “ami-e-s” qui ne veulent plus collaborer avec elle, Diane rejoint le cabinet de Boseman contre lequel elle défendait son dernier dossier avant sa retraite prévue. L’équipe du cabinet de Diane composée d’avocat-e-s blanc-hes y représentait l’Etat et la police. Elle faisait face à l’équipe du cabinet d’Adrian Boseman composée d’avocat-e-s noir-e-s qui représentait la victime, un jeune homme noir qui avait été agressé sans raison par la police. En lui proposant de l’employer, Boseman offre donc l’opportunité à Diane de rejoindre “la lutte pour la bonne cause”. Mais si Diane accepte, c’est d’avantage par obligation que par choix, vu qu’elle n’a plus aucune autre option. Sa réaction à la proposition de Boseman est d’ailleurs significative : son premier réflexe est de demander si elle obtiendra un statut de patrenaire au sein du cabinet. Autant pour l’âme d’activiste désintéressée… La série défend le point de vue son héroïne et le présente comme allant de soi. Diane est une femme ambitieuse, qui a réussi, et par elle la série célèbre un idéal féministe libéral.