Auteur: Julie G.


Saga Twilight : violence conjugale et glorification du patriarcat

Lorsqu’a eu lieu le phénomène de société « Twilight » (livres et films), nombreux l’ont violemment critiqué. Cependant, les critiques négatives ont été globalement orientées sur trois axes : la nullité (des livres, des films, des acteurs, etc.), la défense de la chasteté promue par  le roman (Bella et Edward n’ont de relations sexuelles qu’à partir de leur mariage) et la redéfinition (trahison selon certains) du mythe du vampire. Si ces axes de critiques sont relativement pertinents (encore que la nullité est une notion subjective), la saga Twilight propage d’autres idées et modèles, autrement plus dangereux que la virginité avant le mariage.

Nota Bene : Le site étant basé sur l’analyse de productions audiovisuelles, l’analyse sera effectuée sur les 5 films de la saga, bien que des comparaisons avec la série de romans soient occasionnellement faites.

La relation entre Bella et Edward

Twilight, ou une énième relecture de Cendrillon

Bella est une jeune fille relativement banale, certes plutôt jolie mais sans talent ni éclat particulier (on apprendra plus tard qu’elle a le pouvoir de résister aux pouvoirs des vampires). Edward, de son côté, est exceptionnellement beau, passionné de musique, jouant du piano et doté de pouvoirs liés à sa condition de vampire (force, vitesse, agilité, lecture dans les pensées…). Jacob quant à lui a également des qualités humaines (passion pour la mécanique, capacité à réparer des véhicules) et des qualités liées à sa condition de loup-garou (force, agilité, transformation en loup).

Twilight joue sur le fantasme de Cendrillon : une jeune fille qui, malgré sa condition, parvient à séduire un prince. Bella, malgré son absence totale de relief, parvient à rendre fous amoureux, presque malgré elle, deux hommes « extraordinaires » (ainsi qu’à devenir la star de son lycée et à séduire un garçon humain auquel elle n’accorde aucune importance). De plus Bella n’est pas particulièrement heureuse avant l’arrivée d’Edward dans sa vie. Au contraire, sa vie est plutôt morne et terne.

Cette idée est particulière bien montrée dans la séquence ou Edward prend Bella sur son dos et l’emmène dans les arbres. On est ici dans le cas typique de l’homme qui émerveille la femme pour gagner son cœur.

 Ce rêveeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee bleu…

On notera qu’à plusieurs reprises dans le film Edward fait étalage de sa richesse, ou plus exactement de la richesse de sa famille, tandis que Bella, en bon ersatz de Cendrillon, mène un train de vie relativement modeste. Certes ce n’est pas la base de leur relation mais Bella se montre quand même souvent impressionnée par les moyens financiers de la famille Cullen.

Le fantasme de Cendrillon est complètement pernicieux parce qu’il implique que le seul moyen pour la femme de s’élever socialement, de se sortir d’une situation douloureuse ou même de trouver un intérêt à la vie, est une relation avec un homme. Les femmes ne sont donc pas encouragées à s’épanouir ou à construire seules leur propre bonheur puisque celui-ci consiste à trouver le prince charmant.

Bella, éternelle damoiselle en détresse

En plus de jouer sur le fantasme de « la fille ordinaire aimée par un homme extraordinaire », Twilight joue sur le fantasme de l’homme protecteur qui veille sur sa femme.

En effet, tout au long des quatre premiers films Bella passe son temps à être secourue par des hommes, principalement par ses deux soupirants Edward et Jacob, mais aussi occasionnellement par d’autres (notamment Sam, le chef de la meute de loups garous et Carlisle, le patriarche de la famille Cullen).

De plus, Edward exprime à plusieurs reprises qu’il est de son DEVOIR de protéger Bella, laquelle se retrouve très souvent en position de danger.

Ce genre de modèle donne une vision complètement biaisée des rapports homme/femme, la femme est passive n’a qu’à exister pour satisfaire son homme, tandis que l’homme subit une pression monstrueuse puisqu’il doit non seulement protéger mais également émerveiller sa compagne.

De la même façon, on retrouve cette idée de protecteur/protégée dans la relation entre Bella et Jacob, puis à la fin du dernier film entre Jacob et Renesmée.

Sérieusement, comment peut-on vivre sans un loup géant qui veille sur nous, faibles et fragiles créatures ?

Quid d’une relation égalitaire où faire plaisir et prendre soin de son/sa partenaire serait partagé par les deux membres du couple ?

Le film diffuse l’idée toxique que la femme est par définition faible et a absolument besoin homme pour la protéger. Pourtant les statistiques montrent qu’un homme a plus de chance de se faire agresser qu’une femme à l’extérieur. Et surtout que pour la majorité des femmes qui sont victimes des violences sexuelles et/ou physiques, l’agresseur fait partie de leur entourage proche (amis, parents, relations de travail, et surtout partenaires amoureux).

Bella, devenue vampire

Lorsqu’elle devient vampire, Bella sort enfin de son éternelle posture de victime pour devenir enfin forte et puissante. Edward lui-même reconnait qu’il a sous-estimé Bella. Il est assez jouissif de voir le personnage être enfin capable de tenir tête aux hommes. Un clin d’œil est d’ailleurs fait à l’intro du premier film puisque le premier animal que chasse Bella est un puma qui s’apprêtait à attaquer une biche. Cependant cette puissance est loin complète, puisque la force extrême de Bella est due au fait qu’elle soit nouveau-né (elle est donc temporaire) et que Bella a besoin d’un mentor pour expliquer comment gérer son nouvel état de vampire, rôle qui est bien entendu tenu par Edward.

D’ailleurs, cette réaffirmation de la relation supérieur/inférieure est assez bien symbolisée lorsque Bella découvre ses nouveaux pouvoirs et court dans la forêt : elle commence par dépasser Edward qui finit par la rattraper et la dépasser, comme s’il était inacceptable qu’une femme soit meilleure que son mari.

Justification de la violence conjugale et plus généralement de la violence envers les femmes

On retrouve justement dans Twilight une dangereuse justification de la violence conjugale, non seulement physique mais surtout morale.

Dans la toute première séquence du premier film, on voit une biche (animal symbolisant traditionnellement la douceur, la féminité, la vulnérabilité et la passivité) traquée et attaquée par un homme que l’on devine aisément être Edward. On retrouve dans ce prologue toute la symbolique du film : la femme est une douce victime et l’homme une bête sauvage.

Ce sont d’ailleurs quasiment systématiquement des hommes qui veulent « dévorer » Bella : Edward qui lutte car elle est irrésistible, Jasper qui se jette sur elle lors de la soirée d’anniversaire, James qui la traque, Laurent qui veut la dévorer…

 Il a du mal à contrôler ses pulsions, normal, c’est un homme…

L’ennemi principal des deuxième et troisième films, Victoria, veut détruire Bella mais par vengeance personnelle, et non pas par désir irrésistible de la dévorer.

Dans un registre plus ouvertement sexuel, Bella est agressée sexuellement par Jacob qui l’embrasse de force. Elle tente de le frapper mais se casse la main, ce qui rappelle l’impuissance et la vulnérabilité de Bella face à une agression quelle qu’elle soit. De plus, l’agression de Jacob est « justifiée », dans le film comme dans le livre, par son amour pour Bella.

L’instinct de « dévorer » et la difficulté à se contrôler semblent dans les films principalement des problèmes de vampires « masculins ». Certes, on voit à quelques occasions les vampires féminines avoir du mal à se contrôler mais c’est beaucoup plus léger et plus rare que pour leurs homologues masculins. Bella, elle-même, lorsqu’elle devient un vampire nouveau-né, et donc en théorie avide de sang, est parfaitement capable de se contrôler face au humains.

Les films semblent aller dans le sens d’une idéologie qui prétend que l’homme est naturellement violent et a naturellement des difficultés à se contrôler, notamment sexuellement. L’idée que l’homme est naturellement poussé à la violence et a des difficultés à se contrôler est doublement toxique : déjà il est insultant pour les hommes de suggérer qu’ils sont contrôlés par leurs « instincts » ou leurs « pulsions », et plus dangereux encore, cela pousse à la tolérance de la violence, notamment conjugale et sexuelle. « C’est un homme, ce n’est pas de sa faute s’il a du mal à se contrôler… »

Cette idéologie est particulièrement pernicieuse car elle est souvent utilisée comme justification des viols (ce n’est pas de sa faute, il n’a pas pu se contrôler…) et tend à rejeter le blâme sur la victime (elle a excité le violeur, c’est donc de sa faute si elle a été agressée).

 En quoi le fait qu’il ait du mal à se contrôler est de sa faute à ELLE ?

 On remarquera que cette idéologie, en plus de justifier la violence, nie les désirs des femmes et notamment les désirs sexuels, prétendant que comme ils sont moins fort (et donc moins importants ?) que ceux des hommes, c’est moins grave s’ils sont frustrés.

L’un des pires aspects des films est que ce sont les femmes elles-mêmes qui excusent leur homme quand celui-ci se sent coupable d’avoir été violent.

On le voit notamment avec le couple formé par Sam le chef de la meute et la douce Emily (qui agit comme une mère avec la meute (normal, la maternité c’est son destin de femme)). Emily a été défigurée par Sam alors qu’il s’est transformé sous l’emprise d’une crise de colère. Le fait de vivre sous une menace permanente avec un homme qui a failli la tuer ne semble pas troubler autre mesure Emily. L’amour est plus fort que tout, il excuse même les pires violences.

 Elle est défigurée à cause de lui, mais ce n’est pas grave, ils sont heureux et amoureux…C’est un risque à prendre quand on aime quelqu’un…

On retrouve cette même idée lorsque qu’Edward constate les bleus de Bella après leur nuit d’amour. Il est désolé et veut s’arrêter tout de suite, mais Bella insiste et en redemande ! Si Bella est blessée durant le sexe, c’est un signe d’amour et de passion…

Être blessée durant le sexe, un signe de folle passion sexuelle…

Mais la violence physique n’est pas la pire violence conjugale exposée et justifiée dans Twilight, car sous prétexte de la protéger, Edward exerce un contrôle quasi-total sur Bella.

Dès le début de leur relation, Edward se comporte d’une façon qui ferait frémir n’importe quelle femme un tant soit peu sensée : il espionne ses conversations, il s’introduit dans sa chambre pour la regarder dormir…

Dites-moi, c’est une romance ou un film d’horreur ?

Pire encore Edward ne semble s’adresser à Bella qu’à l’impératif, débarque sans prévenir et lui fait peur, se permet de lui donner des ordres et de prendre des décisions à sa place, il l’oblige même à aller à son bal de promo alors qu’elle n’en a pas envie.

On remarquera qu’Edward ne lui conseille pas de manger quelque chose, il ne lui ordonne même pas de manger quelque chose, il prend tout bonnement la décision pour elle sans la consulter.

Pareil lors de leur toute première scène d’amour, ou c’est Edward qui prend l’initiative et arrête tout quand « ça va trop loin ». Bella a-t-elle seulement son mot à dire dans l’histoire ?

Plus leur histoire avance, plus Edward prend la quasi-totalité des décisions et donne des ordres à Bella. Dans le deuxième film, il arrive, malgré son absence à donner des ordres à Bella ! Dans le troisième film, il la manipule à plusieurs reprises et tente de lui interdire de voir ses amis (les loups garous). Dans le quatrième film, il tente de la faire avorter sans lui demander son avis. Même dans le dernier film où Bella n’est plus fragile et perpétuellement en danger, il trouve le moyen de prendre les décisions sans la consulter.

La relation entre Bella et Jacob est basée sur les mêmes principes que la relation entre Bella et Edward : il l’émerveille, la protège… et tente de prendre les décisions qui la concernent à sa place. La principale différence est que Bella se rebelle contre les décisions de Jacob, principalement parce qu’elles l’empêchent d’être avec Edward.

Le film suggère non seulement que les femmes sont perpétuellement en danger et absolument incapables de se défendre seules, mais qu’en plus elles sont incapables de prendre les décisions qui concernent leur vie et de prendre soin d’elle-même. Les seules décisions que prend Bella sans consulter Edward sont par rapport à son enfant. Le fameux instinct maternel ! Il est amusant de voir qu’une femme est incapable de prendre soin d’elle-même mais capable de prendre soin de son enfant…

Le plus dangereux est que la violence qu’Edward fait subir à Bella est présentée comme une preuve d’amour et un volonté naturelle de protéger sa dulcinée.

La violence psychologique est un des aspects les plus importants et les plus sous-estimés de la violence conjugale. L’un des aspects les plus graves de la relation d’abus est que la victime perd toute confiance en elle-même, n’a plus aucun amour-propre et devient complètement dépendante de son partenaire. Tout au long de la saga et plus particulièrement dans les livres, Bella ne cesse de se dévaloriser elle-même. Cette dévalorisation peut être attribuée à « l’effet Cendrillon » puisqu’il s’agit d’une femme « sans intérêt » qui séduit un homme « extraordinaire », mais peut également être l’effet du contrôle qu’exerce Edward sur Bella, puisque si elle a besoin d’être contrôlée cela sous-entend qu’elle est incapable de s’occuper d’elle-même.

Des modèles patriarcaux et genrés

La glorification du système patriarcal et de la virilité

Tous les systèmes présentés dans les films sont des systèmes patriarcaux dominés par des hommes.

La famille Cullen, présentée dans les films comme un système juste permettant le bonheur de chacun de ses membres est un système entièrement patriarcal. En effet c’est Carlisle Cullen, le « chef de famille » qui prend quasiment toutes les décisions relatives à la famille. C’est également lui qui a fondé la famille soit en transformant des humains, soit en adoptant des vampires. Dans le livre il va jusqu’à former les couples de ses enfants. Ses enfants se plient quasiment toujours à ses ordres et sa femme reste perpétuellement en retrait. C’est également le seul de la famille à exercer un métier, celui de médecin (un métier de prestige et d’autorité).

Il est étrange de montrer que même pour des individus « hors-norme », en l’occurrence des vampires, on cherche à rester dans un environnement « normé », celui de la famille. Les « enfants » de la famille Cullen ayant pour la plupart plus d’une centaine d’année, ont-ils vraiment besoin d’un père pour prendre les décisions à leur place ?

L’idée que des individus isolés se retrouvent pour former un clan ou même une famille est compréhensible et pas néfaste en elle-même, mais pourquoi tiennent-ils donc absolument à perpétuer des valeurs hiérarchiques et patriarcales ?

On remarquera que lors de son mariage Bella « quitte » sa propre famille pour entrer dans la famille d’Edward, comme cela se faisait auparavant ou se fait encore dans certains pays. Elle est prête à simuler sa propre mort et à faire souffrir sa famille (notamment son père), pour être avec Edward.

Le film va jusqu’à prétendre que le système patriarcal de la famille est le seul valable, puisque l’autre système présenté, celui du clan ou tous les individus sont égaux et où il n’y a pas de chef, est celui des méchants. Cela est légèrement nuancé dans le dernier film ou d’autres clans « amis » sont présentés. Cependant, on note que les autres clans sont le plus souvent liés par des liens familiaux (le plus souvent frères et sœurs), comme si le modèle familial était le seul possible.

Le système des Volturi basé sur la monarchie absolue est lui aussi patriarcal puisque tous les chefs sont des hommes.

Celui des loups garous est calqué de façon assez prévisible sur la structure sociale d’une meute de loups, ou plus exactement se prétend basé sur la structure sociale d’une meute de loup. La meute de loup est donc dirigée par un mâle alpha qui est le fils ou le petit fils d’un chef. On se retrouve donc avec un fonctionnement patriarcal fondé sur la transmission héréditaire du pouvoir par le sang[1].

Le plus amusant est que dans la nature une meute de loup est dirigée par un COUPLE de loup, soit un mâle et une femelle alpha. Et que la meute est principalement composée des rejetons dudit couple. Encore un exemple (parmi tant d’autres) d’une déformation volontaire au cinéma des structures de fonctionnement animales pour justifier une hiérarchie ou une structure hiérarchique humaine (et dans ce cas-ci phallocratique).

Des personnages définis par des stéréotypes genrés

On remarquera que la quasi-totalité des personnages de Twilight correspondent à des stéréotypes sexistes et genrés.

Carlisle Cullen et Billy Black sont des patriarches : le premier est un traditionnel « chef de famille » tandis que le second correspond au « vieux sage de la tribu »[2]. Sam, lui, est un jeune meneur dynamique et agressif, chef de la meute de loups garous. Emmett Cullen est également un exemple de virilité « agressive » et guerrière.

Esmée Cullen et Emily sont des personnages qui correspondent au stéréotype de la mère : elles prennent soin de leur « famille » (les Cullen pour Esmée, la meute pour Emily) et s’effacent tous naturellement derrière leur homme.

Rosalie correspond au cliché de la femme parfaite et inaccessible, lorsqu’elle sort enfin de ce cliché réducteur, c’est pour correspondre à d’autres clichés : celui du « rape and revenge »[3] : elle est violée et assassinée, avant d’être laissée pour morte par son fiancé, et une fois devenue vampire, elle se venge. Ce qui est dérangeant dans cette trajectoire, c’est que non seulement on tente d’approfondir un personnage féminin cliché en lui rajoutant d’autres clichés, mais également le principe du « rape and revenge » en lui-même. L’idée d’une femme qui se venge d’un viol en utilisant les armes de ses agresseurs peut sembler séduisante, mais ce genre de construction narrative suggère que la violence est la seule réponse à un viol ou une agression, en oubliant la reconstruction psychologique après un viol qui est lente et difficile (en effet les « rape and revenge movies » ne s’attardent sur la souffrance de la victime que pour justifier la violence de leur vengeance). Elles sont également culpabilisantes pour les victimes de viol en leur renvoyant l’idée que les femmes devraient se défendre plus violemment et  adopter une réaction typiquement « masculine ». Dans le cas précis de Rosalie, le film est suffisamment subtil pour exprimer qu’obtenir sa vengeance ne suffit pas à se reconstruire et à se remettre, mais par contre trouver son âme sœur le permet ! Le film zappe complètement la reconstruction psychologique du personnage en suggérant que trouver l’amour lui suffit à surmonter son traumatisme.

Le personnage de Rosalie est également dans la frustration de ne pouvoir être mère. Il n’est pas dérangeant d’avoir un personnage dans cette frustration et cette envie, qui est tout à fait compréhensible. Ce qui est dérangeant c’est que pratiquement toutes les femmes du film vivent dans le désir de maternité, ce qui ramène à l’idée que les femmes cherchent toutes à satisfaire leur destin biologique de maternité. Aucun des hommes du film n’est dans la frustration de ne pouvoir être père.

Le personnage d’Alice, elle, est une variation de la « manic pixie dream girl »[4], c’est-à-dire un personnage toujours joyeux et optimiste, répandant de la joie autour d’elle et n’existant que pour les autres. Le personnage d’Alice n’a pas de problématiques propres, son seul but étant de s’occuper des autres, en particulier Bella et Jasper. Cependant, Alice est peut-être le personnage féminin le plus « féministe » (ou le moins sexiste) de la saga. En effet, elle est un des rares personnages féminins à prendre des initiatives et s’avère être un élément capitale de résolution de l’intrigue dans les deuxième et cinquième films. C’est également le seul personnage que l’on voit prendre le dessus sur un homme en combat.

Les amies de Bella, elles, sont des clichés d’adolescentes, ne se préoccupant que de mode et de garçons. Jessica est de plus complètement insensible à la détresse de Bella et ne rate jamais une occasion de la critiquer, notamment lors de son mariage. On retrouve cette idée sexiste que les femmes sont perpétuellement en compétition entre elles, notamment pour les hommes, et sont incapables de solidarité entre elles.

On retrouve un autre stéréotype sexiste, qu’on pourrait appeler « la femme démoniaque et manipulatrice ». Dans le troisième film, deux relations sont mises en parallèle : celle de Jasper et Maria dans un flashback et celle de Victoria et Riley dans le présent. Dans les deux histoires les deux hommes sont transformés en vampires par leurs compagnes puis fous amoureux, ils sont manipulés afin qu’elles puissent parvenir à leur fins. On retrouve l’idée qu’une femme qui a du pouvoir (et qui plus est du pouvoir sur un homme) est forcément une folle dangereuse avec des projets démoniaques.

Les stéréotypes genrés, du type « les femmes sont naturellement plus douces que les hommes » ou « les hommes sont forts », sont généralement présentés comme des composantes naturelles voire génétiques de l’être humain alors qu’il s’agit en fait de normes imposées par la société. Ils sont problématiques pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’ils ont tendance à stigmatiser les gens qui ne se reconnaissent pas dans ces stéréotypes et surtout parce qu’ils entretiennent la domination patriarcale. Par exemple, le stéréotype du « patriarche sage » (Carlisle) ou le stéréotype de « la femme comme une chose fragile et incapable de se défendre seule » (Bella) permettent évidemment de perpétuer et de justifier la domination des hommes sur les femmes.

Une vision de l’amour complètement biaisée

Le film présente une vision de l’amour dans la lignée des grandes passions amoureuses idéales et inaccessibles : l’amour de Bella et d’Edward est éternel, comme celui de tous les autres personnages vampires (Edward sous-entend que le divorce n’existe pas chez les vampires, en effet le divorce quelle horreur !).

Le film perpétue le mythe du « grand amour », unique et éternel. Que ce soit parmi les vampires ou parmi les loups garous, les couples sont présentés comme la seule possibilité de relation, ils sont formés par une force surnaturelle. C’est particulièrement évident pour les loups garous ou les membres de la meute subissent « l’imprégnation », c’est-à-dire qu’ils découvrent leur « âme sœur » et que rien ne peut les séparer. Mais on retrouve cette idée également pour les vampires chez qui Edward exprime par exemple souvent l’idée qu’il « attendait » Bella.

A noter que dans Twilight, le grand amour est hétérosexuel. Les films présentent une multitude de couples (vampires, loups garous, humains, inter-espèces) mais absolument aucun couple ou personnage homosexuel n’est présent dans le film, ne serait-ce parmi les personnages secondaires. De plus, l’homosexualité n’est jamais ne serait-ce que mentionnée dans les dialogues. L’homosexualité est tout simplement niée.

Aucun des couples « mystiques », qu’ils soient vampires ou loups garous, ne semble traverser les problèmes « classiques » d’une vie de couple, comme la jalousie, la difficulté à vivre ensemble, la monotonie … Bella et Edward affrontent toujours des problèmes extérieurs (différence de nature, ennemis) mais très rarement de problèmes intérieurs comme la jalousie, la lassitude dans le couple (celle-ci ne semble exister dans aucun des couples de vampires qui sont pourtant ensemble depuis plusieurs centaines d’années), la difficulté à vivre ensemble.

Le triangle amoureux au centre de la saga pourrait venir contredire cette idée du grand amour, puisque Bella est partagée entre deux hommes : Edward et Jacob. Cependant l’amour que Bella porte à Jacob n’est jamais assez fort pour véritablement menacer sa relation avec Edward. En effet, si l’on apprend dans l’épisode 3 que Bella éprouve de l’amour pour Jacob, cet amour n’est jamais assez fort pour mettre en péril « le couple mystique » de Bella et Edward, la preuve étant que ce dernier n’est même pas jaloux lorsque sa fiancée embrasse Jacob.

Dans l’épisode 4, Jacob fini par expérimenter enfin sa propre expérience de « couple mystique », en s’imprégnant de la propre fille de Bella, Renesmée qui n’est âgée que de quelques jours… (Qui a osé dire bizarre ?!). Certes, il n’est pas (encore !) question de sexe entre Jacob et Renesmée, (encore heureux). Lors de son imprégnation, il se contente de dire qu’il sera ce dont elle a besoin (un ami, un frère, un protecteur… toujours cette chouette idée que les femmes ont besoin de protection…) mais tout cela finira comme il se doit en histoire d’amour hétérosexuelle… Quand Jacob trouve son « grand amour » ou « amour mystique » avec Renesmée, l’ordre des choses est rétabli : il n’y a plus de triangle amoureux ou d’amour à sens unique.

Au final, Twilight présente une vision de l’amour très mystique, proche du conte de fée (où le prince tombe éternellement amoureux de la princesse rien qu’en la voyant…). Cela parait certes très romantique, mais en plus de véhiculer des fantasmes inaccessibles, cela revient à également à fonder l’attirance entre individus sur un principe « aphrodiste » : si le prince tombe amoureux de la princesse, c’est d’abord parce qu’elle est belle, pas à cause de son éclatante personnalité… De la même façon Bella et Edward sont attirés l’un vers l’autre par le désir et la fascination. Dans les films (et encore plus dans les livres), on insiste sur la beauté fascinante des vampires qui attirent irrésistiblement Bella. De la même façon, quand Bella commence à être attirée par Jacob, ses premiers mots sont « you’re kind of beautiful ».

Bella et Edward ne peuvent également pas vivre l’un sans l’autre. Lorsqu’ils sont séparés, ils tombent chacun de leur côté en sévère dépression. Et lorsque qu’Edward apprend la mort de Bella, sa réaction est de se suicider. Le film a d’ailleurs été beaucoup critiqué sur cet aspect, au motif que la dépression de Bella après le départ d’Edward est une forme de sexisme puisque la femme ne peut pas vivre sans son homme. Cependant, étant donné que la réciproque est vraie (Edward ne pas vivre sans Bella non plus…), je ne pense pas que le film soit sexiste sur ce point précis.

 Une façon mature de gérer la fin d’une relation, se laisser mourir au fond de la forêt…

Par contre, il y quelque chose d’oppressant dans cette impossibilité à vivre et à se construire en dehors du couple hétérosexuel. Lorsqu’Edward quitte Bella et qu’elle tombe dans une grave dépression, la seule chose qui lui permet de sortir de son marasme, c’est une autre relation amoureuse hétérosexuelle, construite sur exactement le même modèle que la relation précédente (au moins Jacob a-t-il l’élégance de prévenir avant de s’introduire dans sa chambre sans lui demander son avis). Même si Jacob et Bella ne sont officiellement qu’amis, une logique de couple se met très vite en place, validée par le troisième film.

De la même façon, Rosalie et Jasper expriment chacuns à différents moments de la saga combien ils étaient perdus sans leur conjoint et comment l’amour les a sauvés.

Certes, l’amour d’un conjoint peut aider quelqu’un à se sortir d’une situation difficile ou douloureuse, mais il est également possible de s’en sortir seul ou avec l’aide de proches comme la famille ou les amis… Cette piste n’est jamais explorée par la série où Bella a pourtant un père, une mère et des ami-e-s qui peuvent l’aider.

Twilight, ainsi que de nombreux films, impose l’amour et la relation de couple hétérosexuelle comme une norme obligatoire, hors de laquelle toute tentative de bonheur est impossible.

La grossesse de Bella et ce qu’elle implique comme idéologie

La « grossesse mystique », une forme de violence envers les femmes

Anita Sarkeesian, blogueuse féministe définit le cliché de la « grossesse mystique » comme l’une des pires formes de violence envers les femmes, puisqu’elle s’en prend au corps même des femmes et à leurs fonctions reproductrices. Une grossesse mystique est tout simplement lorsqu’une femme humaine est fécondée par un organisme non-humain, il peut s’agir d’un organisme d’origine extra-terrestre ou comme ici d’un vampire. Ce cliché est utilisé dans pratiquement toutes les séries de science-fiction ainsi que dans de nombreux films.

http://www.youtube.com/watch?v=0rhH_QGXtgQ&feature=BFa&list=PLBBDFEC9F5893C4AF)

Bella vit une grossesse absolument traumatisante : elle est très amaigrie, obligée de boire du sang humain, et manque de mourir lors de l’accouchement qui est une vraie boucherie. La grossesse de Bella dans Twilight est paradoxale puisque, s’il s’agit bien d’une grossesse mystique (une femme humaine enceinte d’une créature non-humaine), cette grossesse est désirée par Bella qui se bat contre tous ceux qui veulent la faire avorter pour sa propre santé et sécurité, dont son mari Edward qui encore une fois n’hésite pas à prendre une décision à sa place. C’est d’ailleurs la première fois dans la saga que Bella s’oppose fermement à Edward et prend sa propre décision (on remarquera d’ailleurs qu’il le vit très mal et reproche carrément à Bella d’avoir pris sa décision seule alors qu’il a pris la quasi-totalité des décisions auparavant). La phrase ou Bella affirme que sa grossesse est son choix à elle et que personne n’a à prendre la décision à sa place est une belle affirmation du choix féminin, malheureusement cette affirmation du choix est mise au service d’une idéologie bien précise, « pro-vie ».

Il est néfaste de montrer systématiquement la grossesse dans les films sous un jour idyllique, c’est même le meilleur moyen de culpabiliser toutes les femmes qui peuvent ressentir des difficultés, mais il est également pernicieux de montrer une grossesse atrocement traumatisante. Certes, il peut sembler subversif de prendre le mythe de la grossesse rayonnante à rebours, mais reste que le corps des femmes est torturé et même possédé. Lors d’une grossesse mystique (comme lors d’un viol), le corps des femmes ne leur appartient plus, il appartient à l’organisme qui l’occupe. Comme dit dans la vidéo, le cliché de la « grossesse mystique » attaque les femmes au niveau biologique. Il s’agit basiquement d’une forme de torture sexiste puisqu’entièrement réservée aux femmes, l’originalité du film étant que Bella subit cette torture de son plein gré.

 La grossesse rayonnante de Bella……n’est rien comparée à son merveilleux accouchement.

De plus, le cinquième film suggère que Bella est « récompensée » pour la torture et le sacrifice qu’elle a subi par la naissance de sa petite fille : elle a enfin accompli son destin biologique, son destin « de mère ».

Un film anti-avortement

Si la phrase ou Bella affirme que sa grossesse relève de son choix et de personne d’autre peut être vue comme l’affirmation de la liberté de choix des femmes, le contexte semble nous dire tout-à-fait autre chose.

Le fait que Bella choisisse de garder son enfant malgré le danger de mort et les souffrances causées conforte l’idée qu’une femme doit absolument garder son enfant quelles que soient les conditions de sa grossesse. Faire défendre l’idée inverse par certains de ses proches (et donc des personnages positifs) qui la poussent à avorter (Edward, Alice, Jacob), loin de nuancer le propos ne font que le renforcer, d’une part parce qu’il place Bella en position de martyre incomprise, d’autre part parce que tous les personnages finiront à un moment ou à un autre par se ranger à l’avis de Bella.

Le film réussit également à caler quelques jolies petites phrases complètement anti-avortement, comme lorsque Rosalie dit sèchement à Alice d’utiliser le mot « bébé » et non pas le mot « fœtus ».

En fait, techniquement, entre le troisième mois et l’accouchement on appelle ça un fœtus…

Mais le plus beau moment anti-avortement reste celui ou Edward entend les pensées du fœtus, pardon du « bébé » dans le ventre de sa mère, et déclare à Bella que celui-ci l’aime déjà.

Femmes, vous seriez des monstres de ne serait-ce que songer à avorter alors que le foet… bébé dans votre ventre vous aime déjà… Comment ça non-sens biologique absolu ?

Ce n’est peut-être pas un hasard si le film est sorti à un moment où l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur propre corps est dangereusement remis en question aux Etats-Unis.

La défense de la virginité jusqu’au mariage me semble un moindre mal, comparé aux autres idées défendues par la saga Twilight. Le plus dangereux est que les livres ont été écrits par une femme (Stephenie Meyer), les films ont été écrits par une femme (Melissa Rosenberg) et le premier film de la saga a été réalisé par une femme (Catherine Hardwick)… et que les nombreux fans du livre et des films sont majoritairement des femmes et des jeunes filles. Twilight a également inspiré une fan-fiction basée sur les mêmes ressorts relationnels, c’est-à-dire ou l’homme et la femme sont dans une relation abusive : 50 shades of Grey, également écrit par une femme. Il est important de se rappeler que les structures sexistes ne sont pas seulement perpétuées par les hommes mais également par les femmes.

Parce que le film est conçu par des femmes et pour les femmes, le sexisme de Twilight est relativement subtil et beaucoup moins évident voir que celui d’autres films ou les femmes sont perpétuellement en tenue sexy ou n’ont absolument pas de texte. Twilight joue sur des modèles et des valeurs qui sont matraqués aux femmes dès l’enfance : l’homme protecteur, l’homme qui a du mal à contrôler ses pulsions… et surtout la notion de l’amour absolu et éternel. Il parait donc assez logique que Twilight ait plu a des nombreuses femmes et adolescentes.

Twilight est de plus nocif car les idées qu’il défend sont justifiées par l’histoire : si Edward prend le contrôle sur Bella c’est parce qu’elle est effectivement en danger. De la même façon, si Bella refuse catégoriquement d’avorter, c’est parce qu’elle sait qu’une fois devenue vampire, elle ne pourra plus avoir d’enfants.

Le fait qu’il y ait eu relativement peu de critiques vis-à-vis de la violence conjugale dans les livres et les films est à mon avis symptomatique de la tolérance de la société envers les violences envers les femmes et notamment les violences conjugales.

Julie G.


[1] On notera qu’en plus d’être sexiste et patriarcal, le système des loups garous est également raciste. En effet, les loups garous sont tous issus de la même tribu amérindienne (les Quileutes) et la représentation des natifs est caricaturale : les Quileutes se baladent presque nus dans la forêt, ils sont proches de la nature, utilisent des grigris… Rien que le fait que leur système se prétende basé sur le fonctionnement d’une meute de loup tend à les animaliser.

[2] On notera au passage le stéréotype sur les amérindiens qui sont représentés comme un peuple sympathique se réunissant au coin du feu pour se raconter des légendes. Si ce stéréotype semble sympathique, il a tendance à faire apparaître les amérindiens (comme tous les peuples indigènes) comme un peuple primitif et sujet aux superstitions. De plus le fait que les stéréotypes soient les mêmes pour tous les peuples natifs représentés par le cinéma américain tend à nier les spécificités des peuples en les uniformisant.

Mulan (1998) : féminisme et patriarcat chez Disney

Sorti 3 ans après Pocahontas, Mulan est également (comme signalé ailleurs sur ce site dans l’article consacré à Pocahontas) une tentative de lutter contre les accusations de racisme, de sexisme et d’ethnocentrisme. Mulan est-elle une tentative plus réussie que Pocahontas ?

Sortir de l’ethnocentrisme selon Disney

Après avoir été souvent accusés d’ethnocentrisme, les studios Disney ont créé plusieurs héros « exotiques », c’est-à-dire n’étant pas d’origine européenne (Aladdin, Pocahontas…). Cependant, s’il est progressiste de montrer d’autres contrées que l’Europe et les Etats-Unis, l’image qu’en donne Disney n’est pas forcément innocente.

La Chine, conforme à l’imaginaire collectif occidental 

Mulan s’inspire de la légende de Hua Mulan[1] dont les origines et le contexte historique sont incertains. Hua Mulan, fille d’officier ayant été entraînée au combat, décide de se travestir en homme et de remplacer son père trop âgé (ou selon les versions, son frère, trop jeune) obligé de s’engager dans l’armée. Elle part avec l’accord de son père. Hua Mulan sert durant 12 ans dans l’armée chinoise lors de la guerre contre les Huns, se distingue au combat et devient même général sans que personne ne découvre jamais qu’elle est une femme. A la fin de la guerre, bien que l’Empereur lui propose un poste haut placé dans son administration, Hua Mulan décide de prendre sa retraite et de rentrer dans sa famille.

Le film de Disney s’écarte de la légende pour des raisons pratiques (la guerre est beaucoup plus courte dans le film) et dramaturgiques (Mulan part sans prévenir ses parents, sans avoir été jamais entraînée au combat et est découverte lors d’une blessure).

Le film prend également des libertés avec le contexte historique, l’histoire semblant se dérouler au Vème siècle tandis que la légende de Mulan se déroule, selon les estimations, près d’un siècle plus tôt, aux alentours de 316. De plus, les Huns ont effectivement envahi le Nord de la Chine (ainsi que la Russie, l’Inde, la Perse et une grande partie de l’Europe). Le contexte historique flou permet d’installer une temporalité de « conte de fée » et d’accumuler dans le film tous les images qu’un occidental s’attend à trouver dans un film qui se passe en Chine… De plus, comme les occidentaux connaissent en général mal l’histoire de la Chine, cela permet aux auteurs de mélanger allègrement les différentes époques et même d’ajouter des éléments qui n’existent pas ou qui sont inexacts (la muraille de Chine a été construite bien avant l’invasion des Huns, il n’y avait pas de marieuse à cette époque en Chine…).

Le film présente donc une image de la Chine idéalisée selon l’imaginaire et les références du public occidental.

La Chine vue par Disney…

Certes, Disney est sorti de son ethnocentrisme occidental pour proposer des films se déroulant dans des univers non occidentaux : Aladdin, Pocahontas, Mulan, ou Kuzco. Malheureusement les réalisateurs ont tendance à prôner l’exotisme et à tomber assez facilement dans le cliché. Au final on ne présente pas au spectateur un monde nouveau mais on se contente de lui présenter une imagerie populaire qu’il connait déjà. S’il est théoriquement positif de présenter aux enfants (premier public de Disney) des pays et des continents différents du leur, est-il profitable de leur remplir la tête de clichés ? Si le but est de sortir de l’ethnocentrisme de Disney), pourquoi s’acharner à leur présenter des choses caricaturales, des idées reçues ou des éléments que de toute façon ils connaissent déjà ?

A noter que la propension de Disney à l’imagerie populaire n’est pas réservé aux « univers non occidentaux », Les 101 Dalmatiens et Les Aristochats se déroulant respectivement à Londres et à Paris ont également leur quantité d’images d’Epinal !

A noter également que l’utilisation de décors et de folklores bien ancrés dans l’imaginaire collectif n’est pas réservé à Disney, Dreamworks fait exactement la même chose dans Kung-Fu Panda !

Mulan s’écarte donc de la légende et du contexte historique mais rien de très surprenant chez Disney qui s’écarte souvent du matériau de base (qu’il s’agisse d’un conte, d’un roman ou d’un personnage historique) dans le but de le rendre plus cinégénique ou simplement plus adapté aux enfants.

L’ennemi, ce barbare

Mulan reproduit exactement le même travers que de nombreux autres Disney : le méchant « typé ». Comme expliqué dans l’article qui lui est consacré sur ce site, les méchants ont dans Aladdin un faciès arabe et les gentils un faciès plus européen. On retrouve à peu de chose près le même racisme primaire dans Mulan. Certes les « gentils » chinois ont des visages de type « asiatique » notamment au niveau de la couleur de la peau et de la forme des yeux, mais les « méchants » Huns ont exactement les mêmes caractéristiques, simplement amplifiées ! Les yeux des Huns sont extrêmement bridés, au point d’en être réduits à des fentes et leur peau est bien plus foncée que celle des chinois.

De plus, les Huns, peuple « barbare », sont bestialisés au possible : peaux de bête, physique trapu, violence extrême, musculature surdéveloppée. Les méchants sont donc non seulement des « étrangers » mais également des brutes, dépourvus de civilisation.

La première séquence du film est d’ailleurs le franchissement de la grande muraille de Chine (frontière extrêmement symbolique) par les Huns, « les barbares ». Faut-il y voir une analogie avec l’immigration ?

Il est amusant de noter que si certains Huns étaient de type « mongoloïdes », la majorité des Huns qu’on a retrouvés étaient de type européen[2].

De gentils chinois se battant contres de méchants européens, voilà qui aurait pu être révolutionnaire chez Disney !

Le méchant est non seulement bridé et basané…

Mais en plus bestial, bref « pas comme nous »

 

L’émancipation, le problème des femmes non-occidentales 

Durant tout le film, l’accent est mis sur la difficulté d’être une femme dans une société patriarcale et figée : lors de la séquence chez la marieuse, lors de la chanson « A girl worth fighting for », lorsque Mulan est chassée de l’armée, lorsque personne n’écoute Mulan alors qu’elle tente de prévenir que les Huns sont de retour…

On notera que toutes les héroïnes de Disney qui sont « brimées » par la société et leur parents, et à qui on impose notamment un mariage contre leur gré (Jasmine dans Aladdin, Pocahontas) sont des héroïnes venant de contrées « exotiques ». Les héroïnes caucasiennes de Disney sont quant à elles attaquées par des méchants qui agissent «  individuellement ». Mérida dans Rebelle pourrait inverser cette tendance, mais on reste dans un univers « exotique », celui de l’écosse médiévale, ce qui semble sous-entendre que ce genre de problèmes « c’était avant ». Les héroïnes qui s’émancipent sont donc des héroïnes « exotiques », les autres n’ont pas besoin de s’émanciper puisque l’oppression sexiste ça n’existe pas dans nos belles contrées occidentales.

On retrouve cette même idée dans de nombreux articles (presse écrite et internet) qui déplorent fermement la place des femmes dans les sociétés islamiques.

Cette idée selon laquelle « les autres sociétés sont de méchantes sociétés patriarcales et sexistes » a un double effet néfaste. D’un côté elle permet un discours discrètement raciste (sous couvert de dénoncer le sexisme on accuse « les autres »), de l’autre elle permet de se dédouaner du sexisme qui existe dans nos sociétés occidentales (« tu devrais t’estimer heureuse d’avoir le droit de vote, regarde les femmes non-occidentales et vois comme elles sont malheureuses »).

Mulan est-il une métaphore de nos sociétés occidentales ? Mais si quelques parallèles peuvent être établis entre nos sociétés occidentales et le film (la séquence chez la marieuse, la grande muraille comme frontière…), l’ambiance « exotique » et « dépaysante » du film semble suggérer que l’oppression des femmes est le problème des sociétés non-occidentales et/ou anciennes.

Déconstruction et apprentissage du genre

Le film développe une idée très intéressante sur la théorie du genre à savoir qu’être un homme ou une femme n’est pas inné mais s’apprend[3].

Le douloureux apprentissage de la féminité

Au début du film, Mulan est montrée comme enjouée, maladroite, intelligente et peu préoccupée par son apparence. Bien que jolie, elle ne correspond absolument pas aux critères de féminité de la Chine Impériale : douceur, humilité, délicatesse, élégance, fertilité… (Des critères qui font d’ailleurs d’ailleurs écho à notre société occidentale actuelle).

La première scène du film la montre en train de copier les recommandations d’un livre sur son bras, puis elle est préparée en vue de sa visite chez la marieuse. Cette séquence montre bien à quel point les codes physiques et comportementaux de la féminité sont artificiels. Mulan est maquillée, coiffée, habillée et surtout enjointe à se comporter comme une poupée. Elle apprend (ou tente d’apprendre) littéralement à être une femme, tant dans le physique (costume, maquillage, position) que dans le comportement. Il est clairement montré à quel point tout cela est antinaturel pour l’héroïne et globalement artificiel (même les autres jeunes femmes à marier qui sont plus à l’aise semblent complètement artificielles).

De plus, on peut trouver dans la séquence de préparation et chez la marieuse, une critique de la pression imposée aux femmes par la société. A son arrivée chez la marieuse, Mulan est scrutée de toutes parts avant d’être jugée sur son physique et ses moindres faits et gestes. Mulan fait référence à travers son héroïne de la Chine médiévale à une situation vécue par de nombreuses femmes en occident : la dictature de la beauté parfaite et le jugement impitoyable de la société.

L‘adage « Il faut souffrir pour être belle » est ici parfaitement illustré…

Cette séquence est-elle une métaphore pour critiquer la dictature de la beauté parfaite dans nos sociétés occidentales ? Ou suggère-t-elle que cette oppression « ce n’est pas chez nous » ?

En saisissant le bras de Mulan, la marieuse se met accidentellement de l’encre sur les doigts et se dessine involontairement une barbe sur le visage. Simple gag ou façon d’exprimer que les règles imposées aux femmes par les femmes sont au fond les règles des hommes ?

On retrouve cette difficulté (voire impossibilité) à apprendre les codes de la féminité lors de la chanson « Réflexion » où Mulan exprime son déchirement entre sa volonté de correspondre à ce que la société et surtout sa famille attend d’elle et son désir profond d’être elle-même.

Mulan se débarrasse progressivement de tous les artifices qu’on lui a imposé (bijoux, maquillage, coiffure…) et exprime clairement l’impression qu’elle a de jouer un rôle que lui impose la société et qui ne lui convient absolument pas.

L’omniprésence du reflet, symbole de l’aliénation des femmes aux normes artificielles de la beauté ?

Au final, Mulan choisit donc de combattre pour sauver son père mais également pour sa propre émancipation.

Le douloureux apprentissage de la virilité 

Lorsque Mulan arrive pour la première fois dans le camp de soldats, Mushu lui suggère, afin de se faire passer pour un homme, de prendre une démarche ridicule et de frapper ses camarades. De plus Mulan est horrifiée par les agissements d’un certain nombre de soldats qu’elle trouve « répugnants ».

De la même façon que les codes de la féminité, les codes la virilité sont présentés dans le film comme étant de l’ordre de l’acquis et non de l’inné.

Dans la chanson, « I’ll make a man out of you », Mulan et tous ses camarades apprennent à devenir des hommes à force de travail et d’exercices…

Cependant l’apprentissage de la masculinité n’est pas aussi critiqué que celui de la féminité, s’il est long et difficile (Mulan est tous ses camarades sont absolument nuls au début…) il finit par être payant (Mulan et ses camarades deviennent des pros) mais surtout valorisant et gratifiant (ils sont tous fiers d’être devenus des hommes). C’est également en partie grâce à cet entraînement que Mulan parvient à vaincre ses ennemis (mais également grâce à son intelligence comme nous le verrons plus tard…).

Par ailleurs, si le film ne montre que peu de modèles de féminité, il montre divers modèles de virilité.

La virilité caricaturale (semi-défaillante). Les compagnons de Mulan (Yap, Ling et Chien Po) sont au départ présentés comme ridicules et sont utilisés comme side-kicks comiques tout en ayant une importance dans l’histoire. Ils sont physiquement caricaturaux (un grand maigre, un obèse et un petit trapu) mais parviennent grâce à l’entraînement de Shang à devenir des guerriers efficaces.

L’un des ressorts comiques du film est la confiance absolue que ces personnages ont en leur virilité malgré sa défaillance.

Des personnages sûrs de leur virilité mais ridicules.

La virilité défaillante ou efféminée. Comme expliqué dans l’article « Méchants et méchantes chez Disney (2) : Hommes faibles » publié sur ce site, les méchants Disney sont souvent faibles physiquement, avec des mains fines, une fine moustache et une attitude précieuse, voire efféminée.

Le personnage de Chi-Fu regroupe toutes ces caractéristiques. Même s’il ne s’agit pas de l’antagoniste principal, il est tout de même d’un personnage franchement antipathique. Bien qu’au service de l’Empereur (et donc par conséquent dans le camp des « gentils »), il est régulièrement en train de faire du tort à nos héros, Mulan et Shang : il donne sa convocation au père de Mulan (le personnage est à nos yeux odieux alors qu’il se contente d’exécuter les ordres de l’empereur qui, lui, apparait comme un vieux sage sympathique), surveille Shang, dénonce Mulan et l’humilie en public… Chi-Fu est de plus obséquieux et lâche. Bref, tout pour être sympathique. S’il est suggéré que le personnage est hétérosexuel (il parle d’une fiancée dans « A girl worth fighting for »), il correspond, comme tous les méchants Disney de la catégorie « efféminé », à une idée fausse mais malheureusement très répandue de l’homosexualité.

L’homosexualité est donc présentée chez Disney comme une accumulation de clichés ridicules doublée de méchanceté.

Un homme maniéré…

…donc forcément odieux.

La virilité parfaite. Shang est l’incarnation d’une virilité « parfaite », bien équilibrée, il est musclé sans être caricatural (au contraire des Huns), il est un modèle à atteindre pour les membres de son régiment.

La virilité de Shang n’est jamais remise en question. Certes son attitude envers Mulan (le fait qu’il n’ait pas confiance en elle) est implicitement critiquée par le film, mais il finit par comprendre sa valeur et à lui faire confiance.

Vers la fin du film, alors que l’empereur est retenu en otage par Shan Yu dans son palais, les soldats tentent de pénétrer dans le palais par la force :

Mulan décide, elle, d’entrer par la ruse, elle déguise donc ses compagnons en femmes :

Et ils entrent en escaladant les colonnes du palais grâce à leur châles (accessoire féminin).

Mais lorsque Shang décide au dernier moment de les rejoindre, il est bien habillé en homme et grimpe en utilisant sa cape (accessoire typiquement masculin et guerrier).

Le film montre ici les limites de son féminisme. Mulan avait pris un parti pris très fort non seulement en montrant une femme forte et même héroïque, mais également en se moquant des codes de la virilité. Cependant, si on peut déguiser en femme les trois personnages secondaires comiques, il est impossible de toucher à la sacro-sainte virilité du héros, parce qu’un homme qui se déguise en femme, c’est forcément ridicule. La transformation des trois compagnons de Mulan est d’ailleurs traitée sur un mode héroïco-comique tandis que la transformation de Mulan au début du film était traitée de façon héroïco-dramatique.

La scène est d’ailleurs très ambiguë. On sent la volonté des auteurs de réaliser une scène féministe en montrant que la féminité est le moyen d’entrer dans le Palais, mais dans ce cas pourquoi le héros ne se déguise-t-il pas en femme ?

De plus lorsque Yao, Ling et Chien-Po se déguisent en femmes, ils se retrouvent à utiliser l’arme absolue de la femme : la séduction ! Et c’est seulement lorsqu’ils sont découverts en tant qu’hommes qu’ils se retrouvent à utiliser l’arme absolue de l’homme : la violence. Décidemment chez Disney même quand on tente de chasser le préjugé sexiste, il trouve le moyen de s’infiltrer.

En femme, la séduction…

…et en homme la violence.

De la même façon, l’attitude maternelle de Mushu envers Mulan est un ressort comique récurrent du film.

Le jugement impitoyable de la société 

Le film exprime également la pression que la société exerce sur les gens, et surtout les femmes, pour qu’ils correspondent à ce qu’on attend d’eux.

Les hommes sont soumis à une pression terrible puisqu’on attend d’eux qu’ils prennent soin de leur famille et qu’ils soient des guerriers. Cette pression est notamment exprimée dans le film au travers du père de Mulan qui, même âgé et affaibli, décide de reprendre l’épée et de combattre pour l’empereur. Le film montre clairement qu’il en est incapable (lorsqu’il tente de s’entraîner il est terrassé par la douleur) mais il intègre tellement l’opinion de la société qui l’oblige à être un homme fort et un guerrier, qu’il refuse de voir la vérité en face.

La pression exercée sur les hommes est également montrée lors de l’entraînement ou Shang se montre impitoyable avec ses recrues qu’il insulte en les traitants de filles.

S’il infantilise les femmes, en ne leur donnant aucun pouvoir et en réservant celui-ci aux hommes, le patriarcat fait également peser une pression importante sur les hommes en leur imposant des contraintes aussi arbitraires que celles imposée aux femmes : celles d’être forts, héroïques, de prendre soin de leur famille.

La pression et le jugement exercés sur les femmes sont également explicités par le film. Lorsque Mulan échoue chez la marieuse, elle est non seulement jugée par la société (la marieuse qui l’insulte, ses parents qui sont déçus…) mais aussi et surtout par elle-même. Lors de la chanson « Réflexion », elle se juge et constate qu’elle a échoué, non pas au regard de ses propres valeurs et désirs mais par rapport au regard de la société qu’elle a intégré au point de le faire sien.

Le jugement est encore pire, lorsque l’on découvre que Mulan est une femme qui a usurpé l’identité d’un homme. Bien qu’elle vienne de faire preuve d’héroïsme en sauvant la vie de Shang, elle est méprisée et humiliée. Là encore, elle est d’abord jugée par les autres, avant d’intégrer ce jugement et de se dire qu’elle a eu tort. Mulan ne se juge pas par rapport à ses propres valeurs mais bien par rapports aux valeurs de la société.

Il est intéressant de noter que dans le film, l’image du miroir apparait au moment où Mulan se juge elle-même (l’échec chez la marieuse et son exclusion de l’armée) mais également au moment où elle prend la décision clé du film, celle de se faire passer pour un homme (pour prouver qu’elle est quelqu’un de valeur comme elle l’explique plus tard). Là encore la notion de jugement est importante puisque Mulan veut prouver à son père, à la société et à elle-même qu’elle a de la valeur.

Un retour à la féminité 

Le film exprime la difficulté de Mulan à trouver sa place dans le monde. En effet, quand elle est maquillée et coiffée comme une poupée elle exprime clairement son impression de jouer un rôle, mais lorsqu’elle est déguisée en soldat, elle joue littéralement un rôle puisqu’elle se fait passer pour un garçon.

L’imagerie récurrente du reflet dans le film semble également renvoyer à la difficulté de Mulan de répondre à la question « qui suis-je ?». En effet, Mulan n’est pas à sa place lorsqu’elle veut jouer le rôle d’une femme comme la société le désire mais elle n’est pas non plus complètement à sa place parmi les hommes (notamment la scène du bain ou dans la chanson « A girl worth fighting for » lorsqu’elle suggère qu’on puisse désirer « une fille avec un cerveau, qui dit ce qu’elle pense »).

A la fin du film, Mulan trouve finalement sa place, en revenant à la féminité, mais à une féminité moins caricaturale et excessive que celle qu’on lui impose au début. Elle porte une robe qui la laisse libre de ses mouvements (elle peut courir et se battre avec), les cheveux coupés et dénoués et pas de maquillage.

La féminité équilibrée, la féminité « excessive », la virilité et finalement un retour à la féminité équilibrée.

Mulan revient également à la féminité puisqu’elle finit par trouver un homme avec qui elle peut enfin vivre la sacro-sainte histoire d’amour hétérosexuelle.

Bien que Mulan devienne une héroïne en endossant l’identité d’un homme, à la fin du film elle reprend sa place de femme : féminine, soumise à son père (au patriarcat) et vivant une histoire d’amour hétérosexuelle. Le film pose des questions profondes sur la place des hommes et des femmes dans la société et surtout expose assez clairement qu’il n’est pas « inné » d’être un homme ou une femme, mais propose au final une solution assez conventionnelle, puisque le couple final est composé de la féminité « équilibrée » et de la virilité « équilibrée ».

On remarquera que deux fois au cours du film, Mulan est comparée à une fleur : la première fois par son père qui vient la consoler après son échec chez la marieuse, et la seconde fois par l’empereur qui la compare à une fleur qui s’épanouit dans l’adversité.

Les femmes peuvent donc s’attribuer des valeurs et des comportements masculins (ici se battre) mais à condition de rester ou de revenir à une certaine forme de féminité.

Une héroïne active

Contrairement à de nombreuses héroïnes Disney qui attendent que leur Prince Charmant vienne les sauver, Mulan est une héroïne active et indépendante.

L’intelligence plutôt que la force brute et la revanche des faibles 

A son arrivée au camp d’entraînement, Mulan, ainsi que l’intégralité de son régiment, est incapable de suivre l’entraînement du capitaine Shang, censé faire d’eux des hommes et dont la première épreuve est de décrocher une flèche en haut d’un poteau, alourdi de deux disques de bronze fixés au poignets. La virilité, selon le capitaine Shang, se résume aux aptitudes au combat et à la capacité de faire la guerre.

Alors que le capitaine Shang la congédie car elle ne parvient pas à suivre l’entraînement, Mulan à une idée et réussit à décrocher la flèche grâce à un stratagème ingénieux. Ensuite, Mulan et ses camarades parviennent à triompher de l’entraînement.

De la même façon, lorsque le régiment de Shang se retrouve en forte infériorité numérique face aux Huns, plutôt que se contenter de tuer Shan Yu grâce à leur dernière fusée comme Shang le suggère, Mulan déclenche une avalanche qui engloutit les Huns.

Lorsque la Cité Interdite est prise d’assaut par les Huns, Mulan réussit à entrer par la ruse tandis Shang échoue à entrer par la force.

Et lors du dernier combat contre Shan Yu, Mulan réussit à le tuer par la ruse plutôt que par la force. Ce dernier combat peut également s’expliquer par le fait que les méchants de Disney ne sont jamais tués « directement » par les gentils mais toujours indirectement. La mort de Shan Yu permet d’éviter de montrer son cadavre.

Bien que Mulan démontre également sa force et sa capacité à se battre (à l’entraînement et contre Shan Yu), le message du film est clair : pas besoin d’être le plus fort pour réussir dans la vie. Ce message est également exprimé au travers du parcours de Mushu : au début tout le monde se moque de lui, à la fin il a gagné le respect des ancêtres. Au départ rejetés et considérés comme des incapables Mushu et Mulan parviennent à réussir.

De l’héroïsme au féminin

Bien qu’elle utilise généralement l’intelligence plutôt que la force, Mulan est non seulement capable de s’approprier les techniques de combats mais également capable d’agir de façon héroïque. Mulan est l’une des seules héroïnes qui non seulement n’est jamais secourue par un homme mais en plus sauve à deux reprises la vie de l’objet de son amour. Certes Pocahontas sauve la vie de John Smith dans le film éponyme, mais elle lui sauve la vie en se sacrifiant (le sacrifice des femmes pour leur homme…) et non pas en se battant.

L’homme en détresse et la femme active : une rareté tant chez Disney que dans le cinéma en général.

De plus lors du sauvetage de l’empereur, Shang est rapidement mis hors-jeu et Mulan se retrouve à affronter Shan Yu seule avec Mushu.

Shang est en mauvaise posture mais Mulan est là pour redresser la situation.

Il est très rare de voir de l’héroïsme féminin au cinéma, de plus un personnage féminin héroïque sera le plus souvent soit le sidekick d’un personnage masculin encore plus fort (comme par exemple Trinity dans Matrix), soit un objet sexuel (Sucker Punch, Lara Croft).

Une vision ambigüe du patriarcat 

Comme souvent chez Disney, on retrouve « la figure paternelle bienveillante » qui apparait au travers de trois personnages :

-Le père de Mulan qui la console après son échec cuisant chez la marieuse.

-Le premier ancêtre qui préside les ancêtres décédés de la famille Fa et choisi les gardiens pour veiller sur les vivants

-L’empereur de Chine, figure patriarcale par excellence

L’originalité de Mulan est que toutes ces figures patriarcales seront remise en question et même se retrouveront en position de faiblesse.

Le père de Mulan apparaît comme un homme sage et bienveillant mais également comme un homme vieillissant que sa fille doit protéger. Plusieurs fois dans le film le personnage est montré en état de faiblesse. Certes Mulan n’est pas la première héroïne Disney qui désobéit à son père (Ariel, Jasmine et Pocahontas l’ont fait) et ce n’est pas la première qui cherche à protéger son père (Belle se sacrifie pour lui) mais c’est la première héroïne qui désobéit à son père POUR le protéger parce qu’il est en position de faiblesse.

L’impuissance du père

L’autorité du première ancêtre est elle aussi remise en question, puisque la désobéissance de Mushu à ses ordres (à la suite d’une erreur de ce dernier) est couronnée de succès. En outre, dans la scène finale, Mushu se moque gentiment du premier ancêtre.

De la toute-puissance… au vieillard gentiment taquiné

Le personnage impliquant le patriarcat le plus puissant, l’empereur de Chine, est également celui qui se retrouve dans la plus grande position de faiblesse. En effet, pris en otage par les Huns, l’empereur se retrouve basiquement dans la position de la damoiselle en détresse.

Pour une fois qu’il ne s’agit pas d’une princesse à sauver mais d’un empereur !

Cependant, bien que les figures patriarcales soient ébranlées, tout le monde tient à ce qu’elles restent en place (et Mulan la première). Toute la fin du film est consacrée à sauver l’empereur, symbole du pouvoir patriarcal par excellence. Et toute la conduite de Mulan semble se ramener à son père, la mère n’ayant qu’une place secondaire dans la famille et dans l’histoire. Au début du film, pendant qu’on la prépare pour aller chez marieuse, la principale préoccupation de Mulan est de faire honneur à son père (« to keep my father standing tall »). De la même façon, lorsqu’elle revient victorieuse de la guerre, son premier acte est d’aller s’agenouiller aux pieds de son père. N’est-il pas ironique que l’une des seules héroïnes féministes de Disney lutte pour maintenir le patriarcat en place ? Ou bien ne tolérerait-on que les femmes sortent de leur rôle passif seulement si elles maintiennent le patriarcat en place ?

 

Alors Mulan remplit-il son contrat de lutter contre le sexisme, le racisme et l’ethnocentrisme chez Disney ?

Le bilan est partagé : d’un côté Mulan offre un orient « de carte postale », conforme à l’imaginaire collectif occidental et des méchants qui véhiculent des valeurs racistes (Shan Yu) et à la limite de l’homophobie (Chi-Fu).

D’un autre côté le film est clairement féministe et plus rare encore se revendique féministe ! Même s’il n’est pas impossible que ce féminisme assumé soit une réponse aux accusations de sexisme adressée à Disney, c’est suffisamment rare pour être signalé !

Deux réserves cependant face à ce féminisme :

Malgré quelques efforts effectués par Disney et Pixar, les petites filles manquent encore de figures féminines fortes et actives auxquelles elles peuvent s’identifier. Malheureusement, le cinéma d’animation et le cinéma en général ne proposent souvent que des figures féminines limitées à des clichés et secondaires.

L’autre principe est que le féminisme chez Disney (mais aussi dans le cinéma au sens large), ce sont des femmes qui s’attribuent des valeurs dites masculines : le pouvoir, la force, le combat, l’aventure (Mulan et Mérida sont des guerrières, elles s’approprient donc des valeurs masculines). A quand des films où des personnages masculins s’approprie des valeurs dites féminines ? Parce que se comporter en homme quand on est une femme c’est glorifiant, se comporter en femme quand on est un homme c’est dégradant ?

On regrettera également la conclusion relativement conventionnelle où, malgré une déconstruction des genres opérée tout au long du film, Mulan revient à la féminité (certes une féminité émancipée, mais une féminité tout de même).

Dans l’article consacré à Dragons sur ce site, il est montré que le film démarre avec cette idée (un personnage masculin porteur de valeurs « féminines ») mais sans aller jusqu’au bout. Pour ma part, le seul film que je connaisse qui soit allé au bout de cette idée est Paranorman sorti en 2012.

Julie G.

Sources :

http://www.animationsource.org/mulan/fr/custom/&id_film=45&nump=3672

http://www.madmoizelle.com/dessins-animes-histoire-106353

http://transtexts.revues.org/408?lang=en


[1] L’action se déroulant dans le nord de la Chine le nom du personnage se prononce en mandarin « Hua » cependant les réalisateurs ont choisi de prononcer le nom de Mulan en cantonais soit « Fa ».
[2] Source Wikipédia
[3] Théorie développée entre autres par Simone de Beauvoir

Taken (2008), un florilège des pires clichés du film d’action américain

Gros succès de l’année 2008, ayant relancé la carrière de Liam Neeson comme héros de film d’action, Taken est un film propageant des idées profondément rétrogrades.

Le film raconte l’histoire de Bryan, ancien agent du gouvernement, qui doit secourir sa fille Kim, lorsque celle-ci est kidnappée par la mafia albanaise lors d’un voyage à Paris avec son amie Amanda.

Le monde, cet endroit effrayant

Au début du film, lorsque Kim demande à son père l’autorisation de partir à Paris avec son amie Amanda, celui est fortement réticent et commence par refuser catégoriquement sous prétexte que le monde est un endroit dangereux et qu’il ne serait pas raisonnable de la laisser voyager seule. Difficile pour une jeune femme de s’émanciper quand le monde ENTIER est redoutable. Alors restons chez nous, c’est quand même beaucoup plus sûr.

 Je connais le monde, c’est un endroit dangereux… Pourquoi tu ne restes pas à la maison ?

Et on en rajoute une couche…

Laisser sa fille découvrir le monde et faire ses propres expériences ? Pas une bonne idée selon la suite du film…

Le film lui donnera raison puisque les deux jeunes filles seront piégées puis kidnappées par un réseau qui enlève de riches voyageuses pour les prostituer. Le film corrobore donc la thèse comme quoi le monde est un endroit dangereux pour les femmes (et donc qu’elles devraient rester sous la protection d’un homme).

 Il est quand même très peu probable qu’un réseau de proxénétisme clandestin prenne le risque de s’en prendre à des voyageuses venant de pays riches qui risquent d’être recherchées par la police. Les femmes exploitées par les proxénètes sont le plus souvent dénuées de toute ressource, certainement pas de riches voyageuses. Sans compter que les probabilités d’être enlevé(e) en plein jour, au milieu du 16eme arrondissement, dans un appartement qui fait tout l’étage, sont très faibles voire absolument ridicules. Mais bon un film sur une jeune fille pauvre venant d’un pays pauvre ou même en développement exploitée par un réseau criminel, c’est tout de suite beaucoup moins vendeur qu’un film sur une gentille fille riche sauvée par son Papa.

L’étranger, un être malfaisant et bourré de clichés

Nous avons vu que Bryan insistait consciencieusement sur fait que le monde était un endroit dangereux et effrayant, et pour cause TOUS les personnages négatifs du film sont étrangers (par rapport au héros du film qui est américain) et pratiquement tous les personnages positifs sont américains. De plus, le film joue sur les clichés racistes et xénophobes au travers des antagonistes

Kim est kidnappée par la mafia albanaise installée en France comme l’explique Jean-Claude à Bryan (notons au passage le sympathique sous texte sur l’émigration !). Les albanais sont donc des brutes patibulaires avec de magnifiques faciès « typiques d’Europe de l’Est » ou plutôt « typique d’Europe de l’Est vu par les américains ».

 Un cliché s’est glissé dans chacune de ces quatre images, sauras-tu le retrouver ?

Lorsqu’il débarque à Paris, Bryan contacte Jean-Claude, un ancien agent devenu bureaucrate, un petit personnage sournois, plus préoccupé par son confort personnel que par la justice et qui s’avèrera non seulement impliqué dans les trafics de proxénétisme et de drogues de la mafia albanaise (comme une bonne partie de la police française) mais trahira également son ancien ami à la première occasion. L’autre personnage français du film, Peter, travaille avec la mafia albanaise en séduisant des jeunes filles pour les piéger avant de transmettre leurs adresses aux kidnappeurs. On se retrouve donc avec le cliché du français séducteur jouant de son charme d’un côté et le cliché du français traître et sournois de l’autre.

L’un des principaux antagonistes du film, Patrice Saint-Clair est un homme d’affaires, suave, raffiné et sans pitié, typique du méchant français dans le cinéma américain, l’originalité du film étant qu’il est suisse.

Le summum du cliché est atteint lorsque Kim est vendue à un riche cheik de la péninsule arabique. Là encore on retrouve des méchants aux visages « typiquement arabes » selon les critères du cinéma d’action commercial américain. Depuis les années 2000 et le 11 septembre, le terroriste musulman a remplacé le communiste russe comme antagoniste principal du cinéma d’action hollywoodien. Ici, les personnages musulmans ne sont pas présentés comme des terroristes, cependant le film perpétue les clichés anti-islam par le personnage du cheik auquel on amène trois jeunes femmes, toutes vierges.

La femme, éternelle victime complètement dépendante de l’homme

L’un des motifs récurrent dans le film est celui de l’homme actif et de la femme passive. Tous les personnages féminins du film sans exception sont des victimes et celles qui réussissent à s’en sortir ne le peuvent qu’avec l’aide d’un homme.

Le premier motif de passivité féminine apparait lorsque Bryan est chargé de la protection de la pop-star Sheerah, celle-ci est agressée (elle est donc une victime) et est protégée par Bryan qui la sauve en se battant contre l’agresseur puis en l’entraînant en sécurité dans la voiture. Durant toute la séquence, Sheerah se contente de se laisser guider passivement par Bryan.

Lorsque Kim est enlevée, on retrouve cette même idée de l’homme actif et de la femme passive. Bryan prend directement des initiatives pour secourir sa fille. Même le nouveau mari, Stuart, a un rôle actif, puisqu’il utilise son argent pour mettre un jet à disposition de Bryan, et bien qu’il se contente d’exécuter les ordres de ce dernier, il a quand même une utilité, contrairement à la mère, Lenore, qui se contente de pleurer et de supplier l’homme tout puissant de lui rendre sa fille.

Le motif principal du film est d’ailleurs celui d’une femme secourue par un homme, notons quand même la radicale originalité du film puisque le héros ne sauve pas sa bien-aimée mais sa fille, laquelle fille étant particulièrement futée puisqu’elle et son amie tombent dans un piège grossier environ une minute après leur arrivée.

Notons quand même que bien qu’elles soient kidnappées ensembles, les deux amies ne subiront pas le même sort. Loin de là.

Lorsqu’elles arrivent dans l’appartement, la distinction est faite entre Amanda, jeune fille plutôt libérée, prête à coucher avec le premier garçon venu et Kim, jeune fille pure et explicitement vierge.

 

Du sexe ?! Mais tu n’y pense pas ?!

La première finira morte droguée et abusée dans un endroit sordide, tandis que la deuxième seras vendue aux enchères à des gens riches et finalement sauvée par son père avant d’être violée. En matière de promotion de la virginité, même Twilight n’a pas fait aussi fort.

 Et voilà comment finissent les filles qui couchent…

Le motif de la femme passive et de l’homme actif atteint son apogée lorsque Brian sauve une prostituée dans le but de l’interroger, puisque la jeune femme est droguée, donc inconsciente…

Le dernier personnage féminin du film n’est pas secouru mais victime innocente du héros, mais nous y reviendrons plus tard.

L’autre motif récurrent et complémentaire du film est le paternalisme, en effet Bryan agit « en père » avec pratiquement toutes les femmes qu’ils rencontre, alors certes il est logique qu’il se conduise en père avec sa fille, mais il se conduit également en père avec Sheerah ( il ne se contente pas de la sauver mais prend soin lui offrant une boisson sucrée pour qu’elle remette du choc et en la serrant contre lui, elle lui offre d’ailleurs un baiser sur la joue très filial en remerciement) et avec la jeune fille droguée qu’il sauve de la mafia albanaise.

Mais ce qui est choquant c’est que Bryan se comporte également en père avec son ex-femme Lenore à qui il fait la morale (voire le paragraphe intitulé « Le monde cet endroit effrayant »). La mère dont le discours parait sensé au début (« notre fille doit découvrir le monde ») apparait après l’enlèvement comme un gamine capricieuse incapable de prendre soin de sa fille.

On remarquera également que dès qu’un personnage féminin essaie de prendre une décision contre l’avis de l’HOMME qui rappelons-le a TOUJOURS raison (Kim et Lenore sur le voyage à Paris) cela se solde par un désastre. Non seulement la femme est passive mais elle ferait mieux de le rester pour sa propre sécurité.

Bien que le film présente plusieurs personnages féminins très différents les uns des autres, tous se retrouvent en position de victime à un moment ou à un autre et aucun n’est capable de s’en sortir sans l’intervention d’un personnage masculin. Dans ce film, la femme est forcément soumise à l’homme, qu’il soit un agresseur ou un sauveur. De plus le discours comme quoi le monde est dangereux (sous-entendu : « pour les femmes ») est un discours qui restreint la liberté et l’indépendance des femmes en utilisant la peur. Une peur qui n’est absolument pas légitime puisque la majorité des actes violences subies par les femmes sont en majorité infligées par l’entourage proche (famille, amis, collègues) et non pas par des inconnus.

La paternité selon les auteurs du film

Le rapport entre Kim et son père est la colonne vertébrale du film. Les auteurs insistent durant tout le début du film (avant l’enlèvement) sur l’amour que Bryan porte à sa fille. En effet, il a renoncé à sa carrière dans les services secrets pour se rapprocher de sa fille, laquelle ne semble absolument pas apprécier les efforts que son père effectue pour elle, pas plus que la mère, Lenore qui non seulement ne fait aucun effort pour rapprocher sa fille et son père mais tente de tout faire pour repousser Bryan de sa nouvelle vie.

Selon les auteurs du film, l’amour parental ne semble se mesurer qu’aux actes que les parents effectuent pour leurs enfants. Plutôt que de passer du temps avec sa fille Bryan exprime son amour en lui offrant une machine à karaoké (qu’il a payée très cher par rapport à ses revenus et que sa fille délaisse parce que son riche beau-père lui offre un cheval), en lui sauvant la vie et en lui présentant une célébrité qui va lancer sa carrière de chanteuse. De plus sa fille ne lui propose de passer du temps avec lui que lorsqu’elle a quelque chose à lui demander, en l’occurrence son autorisation pour un voyage à Paris.

Lorsqu’il accepte à contrecœur de la laisser partir, (rappelez-vous le monde est dangereux !) Bryan ne donne aucun conseil utile à sa fille, comme par exemple lui expliquer comment se défendre en cas d’agression ou le très basique « ne donne pas ton adresse à n’importe qui » mais lui impose de l’appeler très régulièrement. Au lieu de lui donner les clés de son indépendance, il préfère la surveiller de près et garantir lui-même sa sécurité.

Certes les parents doivent protéger leurs enfants, mais les maintenir dans la dépendance ne semble pas être une solution. Quand donc Kim pourra-t-elle voyager seule ? Lorsqu’elle aura un mari pour veiller sur elle ?

La violence banalisée à l’extrême

Dans Taken, comme dans la majorité des films d’action américains, la violence est omniprésente et reste généralement dans le schéma assez classique  du « héros seul contre tous » qui fracasse à tour de bras ses adversaires. La violence dans le film reste relativement justifiée, le héros se bat par « nécessité » (encore qu’on pourrait imaginer que le héros enquête de façon plus subtile et sans avoir recourt à la violence mais dans ce cas on sortirait du cadre du film d’action). Cependant deux scènes m’ont particulièrement choquée du fait de leur violence entièrement gratuite.

Dans la première séquence, Bryan Mills veut extorquer des informations à Marko, membre du gang qui a kidnappé sa fille. Bryan ne se contente pas de le tabasser pour le faire parler mais utilise un système plus élaboré, qui envoie un courant électrique à la personne, tout en discourant sur le côté pratique d’avoir du courant à sa disposition, en effet dans certains pays torturer les gens c’est compliqué parce qu’il n’y a pas assez d’électricité ! Ensuite, ayant obtenu les informations qu’il désirait, plutôt que de livrer l’homme à la police (qui de toute façon est corrompue), Bryan préfère partir en laissant le courant électrique, abandonnant l’homme à une mort atroce malgré ses supplications.

Il n’est pas anodin de présenter un acte de torture perpétré par un personnage principal, qui plus est un personnage positif, présenté comme sauveur avec des intentions louables (secourir sa fille), cela légitime la torture. De surcroît le discours de Bryan exprime clairement qu’il l’a souvent utilisé auparavant dans son travail. Quand on sait que l’armée et les services secrets américains ont souvent recours à la torture, notamment dans le cadre d’actions « anti-terroristes », cela laisse songeur. En effet, le film semble suggérer qu’on a le droit de laisser la morale de côté quand c’est pour le bien de sa famille ou de son pays. De plus, pourquoi tuer Marko une fois qu’il a donné les informations ? On n’est plus dans une logique de défense, de protection des êtres chers, mais bel et bien dans une logique de vengeance, Bryan appliquant la loi du Talion.

Dans la deuxième séquence, Bryan veut obtenir des informations de Jean-Claude, un policier français, impliqué dans le réseau de prostitution. Plutôt que de s’en prendre directement à Jean-Claude, Bryan préfère tirer une balle dans le bras de sa femme et menacer de la tuer. Il est clairement explicité que la femme de Jean-Claude ne sait absolument rien des activités illégales de son mari. On peut comprendre que Bryan soit désespéré de ne pas retrouver sa fille, mais pourquoi blesser une innocente ? De plus Bryan minimise son geste en expliquant que seule la chair est blessée… De quoi bien ancrer dans les esprits que tirer sur quelqu’un, ce n’est pas si grave si on ne le tue pas. Rappelons qu’une blessure par balle même non létale, n’est jamais anodine et reste extrêmement traumatisante pour la victime, physiquement et moralement.

Mais qu’a-t-elle fait pour se retrouver dans une telle position ? Rien, elle est innocente.

De plus, bien que le héros ait travaillé pour le gouvernement américain (donc dans une structure organisée), le film fait l’apologie de l’autodéfense. En effet à son arrivée, Bryan contacte un des amis de la police française, laquelle est laxiste (elle n’a pas l’intention de se fatiguer bien qu’il y ait une victime en danger et préfère la bureaucratie à l’efficacité), incompétente (Bryan les dupe avec une absolue facilité) et par-dessus tout corrompue (puisqu’elle reçoit de l’argent de la mafia albanaise). Le héros n’a donc pas d’autre choix que celui de protéger sa fille lui-même.

Il est intéressant de noter que bien que le film ait été réalisé, co-écrit et produit par des français, il a été calibré pour la mentalité des médias américains et en cumule tous les pires travers (sexisme, xénophobie primaire, racisme, défense de la torture et de l’autodéfense). Loin de moi l’idée que les médias français sont dénués de tout travers, simplement ce ne sont pas les mêmes. Ce calcul peut s’expliquer très simplement par le fait que les français iront de toute façon voire un film d’action américain tandis que les américains n’iront jamais voir un film d’action étranger (à la limite ils en feront un remake).

Mais si on peut comprendre la volonté de faire un film d’action « à l’américaine », c’est-à-dire spectaculaire et divertissant, doit-on obligatoirement y placer TOUS les pires travers idéologiques du cinéma hollywoodien ? S’il est difficile d’envisager un film d’action sans violence, pourrait-on au moins éviter les poncifs sexistes et xénophobes ?

Julie G.

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