Auteur: Julie G.


Black Mirror « White Christmas » (2014) : Un joyeux noël à tous les masculinistes !

Attention cet article contient des spoilers sur les deux premières saisons de Black Mirror et plus particulièrement sur l’épisode spécial de Noël, intitulé “White Christmas”.

TW : psychophobie, suicide, mort d’enfant, torture

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Black Mirror est une série de science-fiction britannique, créée par Charlie Brooker. Il s’agit d’une anthologie diffusée entre 2011 et 2014 sur Channel 4, puis par Netflix depuis 2016. Les épisodes se situent dans un futur plus ou moins proche et ont en commun de traiter de l’impact de la technologie sur la société. Lors de sa sortie, la série a reçu de nombreuses critiques élogieuses, autant pour la qualité de ses histoires que pour son propos (supposément) polémique.

Bien que de nombreux épisodes de la série soient politiquement problématiques,  je vais me concentrer dans cet article sur l’épisode spécial de Noël, diffusé sur Channel 4 le 16 décembre 2014. Cet épisode d’une heure et demi (plus long que les épisodes normaux) concentre à mon avis une bonne partie de ce qui est oppressif dans cette série.

Dans un chalet que l’on suppose perdu au milieu de nulle part, deux hommes qui travaillent ensemble depuis 5 ans se préparent à fêter Noël. L’un d’eux, Matt Trent (Jon Hamm), tente d’engager la conversation avec son compagnon, Joe Potter (Rafe Spall) qui ne parle pas beaucoup. Pour briser la glace, il commence à lui raconter son histoire…

Après ce prologue, l’histoire se déroule en trois récits distincts, mais prenant place au sein d’une intrigue plus large.

1er récit : Gentils pick-up artists et dangereuses psychotiques…

Le premier récit que raconte Matt Trent à son compagnon se déroule dans une réalité proche de la nôtre, dans laquelle une grande partie sinon la totalité de la population possède des caméras implantées dans les yeux, et où il est possible de se connecter grâce à internet à ces caméras et de voir au travers des yeux d’autres personnes. Matt utilisait donc cette technologie afin de coacher des hommes timides et de les aider à séduire des femmes en leur donnant des instructions en temps réel.

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Ce soir-là, il aidait un jeune homme timide nommé Harry (Rasmus Hardiker) à s’introduire (sans invitation) dans la soirée de Noël d’une entreprise afin de rencontrer une femme. Durant la soirée, Matt aide non seulement Harry à s’habiller et à prendre confiance en lui, mais également à manipuler et à mentir. Il lui conseille ainsi de faire semblant de connaître les gens présents (allant jusqu’à faire une recherche sur internet pour trouver un mensonge crédible afin de justifier sa présence), d’ignorer la femme qui l’intéresse et s’adresser à celle qui est juste à côté… Harry finit par sympathiser avec sa “cible”, Jennifer (Natalia Tena). Durant la conversation, lorsque celle-ci, confesse vouloir quitter son boulot mais en avoir peur, Harry l’encourage en lui disant qu’il ne s’agit que d’un “changement d’état”. Plus tard, en revenant des toilettes, Jennifer surprend Harry en train de parler à Matt (et aux autres hommes qui suivent la scène, grâce à la magie d’internet) et pense qu’il parle tout seul. Elle l’invite alors à le rejoindre chez elle. La soirée prend un tour dramatique lorsque Jennifer empoisonne Harry avant de se suicider à son tour, expliquant qu’elle n’en peut plus des voix dans sa tête et qu’elle a compris qu’il ressentait la même chose.

Bien que ce ne soit pas explicitement dit, le comportement de Matt Trent (ainsi que des autres hommes qui assistent à la scène), rappelle fortement celui des pick-up artists. Les Pick-Up Artists (ou PUA pour les intimes), terme qu’on pourrait traduire en français par « artistes de la drague » sont des hommes pour qui la séduction est un jeu et qui ont pour but de séduire le plus de femmes possibles (et bien sûr d’avoir des relations sexuelles avec elles). Les PUA forment une communauté et échangent de nombreux conseils et techniques. Le problème est que de nombreuses « techniques » enseignées et pratiquées sont oppressives et ne respectent pas le consentement des femmes.

Des liens pour mieux comprendre ce qu’il y a de problématique dans les pratiques des PUA » :

http://lesquestionscomposent.fr/poire-le-violeur-quand-seduire-devient-faire-ceder/#more-2022

http://www.crepegeorgette.com/2013/09/11/pick-up-artists-seduction-a-la-francaise-et-consentement-des-femmes/

http://lesquestionscomposent.fr/toi-aussi-encourage-le-viol-comme-kamal/

http://www.toutalego.com/2013/08/pua-quand-un-site-de-drague-incite-au.html

Cet arc narratif aurait pu être une excellente façon d’aborder le problème des PUA, notamment la façon dont ces derniers utilisent les fragilités psychiques des femmes qu’ils rencontrent pour arriver à leurs fins ainsi que les conséquences d’un tel traitement sur les victimes. D’autant plus que les PUA ont tendance à viser les femmes psychiquement fragiles afin de pouvoir les manipuler à leur aise. L’épisode aurait également pu aborder en quoi il est problématique de filmer quelqu’un contre son gré ou à son insu (notamment lors de rapports sexuels). Malheureusement, tout ce qui aurait pu être intéressant est évacué au profit d’un discours psychophobe et misogyne.

Bien que Matt Trent soit clairement un manipulateur utilisant des méthodes douteuses, c’est la malchance et non pas lui (ni Harry) qui pousse Jennifer au meurtre et au suicide. En effet, les deux éléments qui poussent Jennifer à passer à l’acte sont d’une part le fait qu’elle croit que Harry entend lui aussi des voix lorsqu’il s’adresse à Matt dans le micro, d’autre part la conversation sur le changement d’état (Harry pense parler d’un changement de travail, ce que Jennifer comprend comme un encouragement à se suicider).

vlcsnap-2017-01-08-19h18m24s338 vlcsnap-2017-01-08-19h18m34s856 vlcsnap-2017-01-08-19h18m38s746« C’est un cauchemar, vous avoir, vous savez, dans ma tête, en train de nous regarder. De me dire quoi faire. »

Le film évacue donc toute potentielle critique des PUA et de leur façon d’exploiter les fragilités des femmes pour les manipuler puisque la mort de Harry et Jennifer est finalement provoqué de manière accidentelle. Cette évacuation est renforcée par le fait que Harry est montré comme un gentil garçon qui tente de faire machine arrière et d’amener ses camarades à le laisser tranquille puisqu’il “l’apprécie vraiment” et que “tout ceci devient trop réel”. Malheureusement, l’aspect virtuel/réel n’est pas développé. Ce qui est fort dommage, de nombreuses questions de sociétés actuelles sont liées à cette problématique. Il arrive souvent que les gens aient sur internet des comportements qu’ils n’oseraient pas avoir dans la « vraie vie ». Comme par exemple des comportements de harcèlement en ligne, de revenge porn (diffuser des photos érotiques ou dénudées d’une femme pour se venger d’elle) ou tout simplement des propos haineux. Les comportements d’agressions virtuelles ont des conséquences psychologiques bien réelles sur les personnes qui les subissent.

Certes, Mike Trent et ses acolytes derrière l’écran sont montrés comme des salauds qui n’attendent que d’espionner une relation sexuelle à l’insu d’une femme, mais comme ils ne sont finalement pas responsables, leur rôle est finalement mineur.

Cette séquence et la représentation du personnage de Jennifer sont également très psychophobes, dans la mesure où les auteurs jouent sur la notion de “fou dangereux”. Ce cliché selon lequel les personnes psychotiques sont nocives et font du mal autour d’elles est très répandu au cinéma.

La définition du cliché (trope) et des exemples sur le site TV Tropes (en anglais) :

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/InsaneEqualsViolent

En plus d’être faux (les personnes ayant des troubles psychiques ont plus de chance d’être victimes de violence que d’en être auteur), ce trope est largement relayé par les journalistes. Il suffit de voir le nombre de fois où les médias qualifient l’auteur d’un crime violent ou d’un attentat de “malade mental”. Cette façon de qualifier systématiquement les auteurs d’agression (et notamment d’agression sexuelle) de « malades mentaux » relève d’une logique psychophobe (et raciste, puisque que lorsque le tueur n’est pas blanc et/ou chrétien, sa religion et sa culture sont immédiatement mise en cause) et permet d’éviter de s’interroger sur les causes sociales de ces agressions. On retrouve l’explication de la folie dans divers cas allant des viols « commis par des fous » qui n’ont rien à voir avec la culture du viol ou les actes terroristes qui n’ont aucune cause politique…

Plus d’informations ici :

Lettre ouverte à la psychologue qui explique le terrorisme par la folie

Ce cliché a une influence directe et délétère sur les personnes souffrant de troubles mentaux, tout particulièrement les personnes souffrant de psychose (schizophrénie, schizotypie, etc…). Considérés comme dangereuses, elles sont marginalisées et souffrent de discrimination sur tous les plans : amical, professionnel, amoureux…

Dans cet épisode, le comportement de Jennifer est de plus montré comme irresponsable puisque qu’elle ne prend plus ses médicaments. (Le dialogue joue sur le double sens du mot “drugs” qui en anglais signifie à la fois médicament et drogue, Harry comprend donc qu’elle a arrêté de prendre de la drogue).

vlcsnap-2017-01-08-19h14m42s919« Je n’ai réussi à tenir l’année dernière que parce que j’étais sous drogue/sous médicaments. »

Le spectateur est alors appelé à compatir au sort de ce pauvre Harry qui meurt empoisonné par une dangereuse psychotique qui l’empoisonne contre son gré…

On retrouve également dans cette séquence l’idée que si les neurotypiques font du mal aux neuroatypiques, ce n’est pas intentionnel, c’est un accident. Ce n’est pas de leur faute au fond.

Or la psychophobie est une oppression systémique qu’exercent les neurotypiques sur les neuroatypiques. Elle se manifeste de plusieurs façons, comme par exemple :

  • la négation du ressenti des personnes concernées : “Mais non tu n’es pas dépressif, reprends toi en main voyons !”, “il dit qu’il pense au suicide, mais c’est un caprice”
  • les insultes à caractère psychophobes
  • l’exclusion
  • le refus de mettre en place des stratégies adaptées quand c’est possible (pour le travail, dans les relations interpersonnelles)
  • les injonctions à la normalité
  • la culpabilisation

De nombreuses personnes souffrant de troubles psychiques sont passées à l’acte suicidaire en partie parce qu’elle n’étaient pas comprises, ignorées voir maltraitées par leurs soignants et leur entourage. Parce qu’en demandant de l’aide, elle se sont vue répondre qu’elles tentaient “d’attirer l’attention” ou qu’il s’agissait d’un “caprice”.

https://coupsdegueuledelau.wordpress.com/2016/10/05/traductionquand-la-transphobie-et-la-psychophobie-se-donnent-la-main-pour-pousser-un-ado-au-suicide/

Ici, la série inverse totalement une situation oppressive : dans la réalité, les neuroatypiques subissent de nombreuses violences physiques ou morales de la part des neurotypiques, alors qu’ici Jennifer empoisonne ce pauvre Harry qui n’avait rien demandé…

Cette partie de l’épisode se finit lorsque Mike est surpris par sa femme alors qu’il tente de détruire les preuves de ses activités de PUA sur internet…

2ème récit : La femme rompue

Dans le deuxième récit, Mike explique à son compagnon qu’il pratiquait son activité de PUA en amateur. Il décrit donc à Joe une de ses journées de travail afin que celui-ci devine quel était son métier.

On voit alors Mike interagir avec un œuf en plastique : dans celui-ci se trouve la conscience dupliquée d’une femme nommée Greta (Oona Chaplin) qui apparaît sous forme humaine dans un décor d’un blanc éclatant.

black-mirror3-pngMike annonce à la version électronique de Greta que son rôle sera de servir la version originale de Greta afin de satisfaire tous ses désirs (cuire ses toasts à la perfection, régler les lumière de la maison, la réveiller le matin…)

Alors que la version électronique de Greta se rebelle contre cette séquestration et cette exploitation, Mike brise sa volonté en simulant d’abord trois semaines, puis 6 mois d’inactivité totale, sans aucune stimulation sensorielle. Sans autre choix, la version électronique de Greta finit par se soumettre.

vlcsnap-2017-01-08-19h22m26s982A partir de maintenant, femme, ton boulot sera de t’occuper de la maison…

La dernière séquence montre donc la version électronique s’occuper de sa riche et oisive propriétaire.

Cet arc narratif est tout à fait intéressant puisqu’il interroge sur la possible souffrance des machines et pose la question d’une éventuelle conscience électronique. Mike justifie son travail à son compagnon choqué en arguant qu’il ne “s’agit que de ligne de codes”. De nombreuses questions philosophiques se posent donc : si une machine possède des sentiments, est-il moral de l’exploiter ? A quel point la copie d’une personne est-elle semblable à la personne originale ?

On nous montre deux choses à l’écran : d’une part un personnage féminin qui n’a aucune agentivité face à l’homme qui la brutalise, d’autre part une femme qui s’exploite toute seule.

vlcsnap-2017-01-08-19h23m21s564La femme rompue…

Montrer un homme qui torture un personnage féminin pour l’obliger à faire des tâches ménagères aurait pu être un moyen de dénoncer les rapports de domination qui structurent notre société. Cependant cette critique potentielle est annihilée par le fait que c’est finalement l’original de Greta qui a choisi cette situation et qui en profite.

Dans le même esprit, le deuxième épisode de la saison 2, intitulé “White Bear” montre une femme noire, Victoria (Lenora Crichlow) qui n’a également aucune agentivité (si au début de l’épisode, elle donne l’impression d’être un personnage actif, elle est en fait entièrement manipulée et torturée par des personnages blancs qui sont dirigés par un homme).

Ces violences envers des femmes sont déconnectées de toute idée de violence genrée ou de domination masculine et/ou raciste. Victoria est torturée, non pas parce qu’elle est une femme noire, mais parce qu’elle a commis un crime. Et la domination de la version électronique de Greta obéit à une logique purement capitaliste.

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La série nous montre donc des femmes torturées par des hommes (parfois de manière hyper complaisante, comme dans « White Bear ») sans jamais mettre cette violence dans le contexte d’une société patriarcale. Pire encore, la série nous montre que la femme est responsable de l’exploitation de son double numérique (ou de sa propre exploitation ?).

Dans la société actuelle, la majeure partie des tâches ménagères sont effectuées par des femmes au bénéfice des hommes (http://www.inegalites.fr/spip.php?article245). Dans les familles riches, les personnes exploitées pour les travaux ménagers sont généralement des personnes racisées et/ou issues de l’immigration. On retrouve ici une triple occultation de l’exploitation : celle des femmes par les hommes, celles des personnes racisées par les blancs et celle des classes populaires par les classes supérieures.

3ème récit : Ma femme, cette ignoble s******

Après que Matt a gagné la confiance de Joe, son compagnon, en lui racontant sa vie, celui-ci se livre à son tour.

Joe était très amoureux de sa femme, Beth. Suite à un dîner avec des collègues de celle-ci, Tim (qui est asiatique) et sa fiancée Gita, Beth annonce à son mari qu’elle est enceinte et qu’elle n’a pas l’intention de garder le bébé. Joe engueule alors sa femme en lui reprochant d’avoir bu, en l’accusant d’être égoïste et en tenant des propos violemment anti-avortement. Cette dernière finit par le “bloquer”, une manipulation qui rend Joe invisible et inaudible à ses yeux et elle-même invisible et inaudible aux yeux de Joe.

vlcsnap-2017-01-08-19h29m29s350Joe, incapable d’entrer en communication avec sa femme…

Joe passe la nuit sur le canapé et, le matin venu, tente de s’excuser pour son comportement, mais Beth a maintenu le blocage et s’en va définitivement sans autre explication. Joe découvre alors que le blocage le rend également incapable de regarder les photos de sa femme.

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Quelques mois plus tard, il recroise sa femme et constate malgré le blocage qu’elle est enceinte. Il tente d’entrer en communication avec elle, mais celle-ci fait appel à la police. Joe a interdiction formelle de l’approcher à moins de X pieds, sinon, il ira en prison. A partir de là, Joe devient obsédé par « son enfant » et commence à espionner sa femme en se rendant près de la maison de son père à chaque Noël. Il ne peut cependant pas voir celle qu’il considère comme « sa fille », car le blocage s’étend aux enfants des personnes bloquées.

Lorsque sa femme meurt dans un accident de voiture, le blocage est levé et Joe se précipite pour voir « sa » fille pour la première fois. Il prévoit même un cadeau pour elle, une boule à neige. L’enfant étant asiatique, il se rend alors brutalement compte que sa femme l’a trompé avec son collègue de bureau, Tim. Joe se précipite alors vers le père de Beth pour lui demander des explications et déclare plusieurs fois “qu’il veut voir sa fille”. Joe semble sous le choc et déconnecté de la réalité.

Devant les refus du vieil homme, il finit par se mettre en colère et fracasser le crâne de son ancien beau-père avec la boule à neige. Horrifié de son acte, Joe s’enfuit et laisse la petite fille seule dans la maison. Il explique à Mike qu’il a appris par les autorités que l’enfant était morte gelée en allant chercher de l’aide…

Cet arc narratif comprend de nombreuses thématiques chères aux masculinistes : la femme manipulatrice qui trompe et ment, le père que l’on prive de son enfant sans raison valable et le père qui croit que l’enfant d’un autre est son enfant.

Pour celleux qui ne sauraient pas ce qu’est le masculinisme : https://www.ababord.org/Le-masculinisme-ou-comment-faire

Encore une fois, la série renverse les rapports de force entre hommes et femmes. Alors que dans le monde réel, il est très difficile pour une femme d’obtenir la moindre protection légale contre son mari violent que ce soit pour elle-même ou pour ses enfants, dans le monde de Black Mirror, les pauvres maris innocents se retrouvent bloqués sans raison ! Difficile de voir ici, “les dérives de notre monde actuel” qui sont supposées être montrées dans la série.

Cette inversion des rapports de forces genrés est l’un des fers de lance des masculinistes. L’une de leurs stratégies principales est d’instrumentaliser des cas particuliers (comme par exemples un homme qui serait victime de violences conjugales ou un homme qui n’aurait pas obtenu la garde de ses enfants) pour faire croire qu’il s’agit de problèmes représentatifs des rapports hommes/femmes dans notre société, l’idée étant de montrer qu’au fond les hommes sont les victimes des femmes. Même la violence de Joe (le meurtre du beau-père et l’abandon de la petite fille dans la maison) est excusée car Joe est montré durant tout l’épisode comme la victime de Beth. La réaction de Joe est présentée comme étant le résultat de la souffrance qu’il a subie. Le scénario trouve donc le moyen d’excuser la violence masculine et de faire de la femme la réelle coupable. Une belle inversion de l’oppression sexiste donc.

vlcsnap-2017-01-08-19h35m10s150La victime de l’histoire…

Un bon exemple de ce discours réactionnaire est l’instrumentalisation du cas de Maxime Gaget, qui inverse également les rapports de force entre les genres :

https://stop-masculinisme.org/?p=162

Il ne fait aucun doute que les hommes peuvent être victimes de viol ou de violence conjugale, cependant, il convient de différencier les cas particuliers et les rapports sociaux. Or le mouvement masculiniste tente d’instrumentaliser des cas particuliers pour en faire des généralités.

Le troisième épisode de la saison 1 montrait déjà un homme découvrant l’infidélité de sa femme grâce à un dispositif permettant d’enregistrer tous les souvenirs d’une personne grâce à une caméra implantée dans l’œil et un système de stockage implanté dans le cerveau. Alors que le début de l’épisode semblait montrer un personnage persuadé à tort de l’infidélité de sa femme et se montrant soupçonneux sans raisons, le spectateur se rendait compte par la suite que non seulement ces soupçons étaient justifiés mais qu’en plus il n’était pas le géniteur de sa fille.  En plus d’être globalement misogyne, avec un personnage féminin menteur et manipulateur, ce retournement de situation invalide totalement le propos de l’épisode et plus globalement de la série. Le personnage principal n’est pas malheureux à cause de la technologie et de ses dérives, il est malheureux parce que sa femme l’a trahi et trompé.

La dernière partie de l’épisode « White Christmas » reprend le même principe avec un personnage féminin encore plus odieux. Alors qu’il aurait suffi qu’elle avoue la vérité à son mari et le quitte (ce qui lui aurait brisé le cœur mais lui aurait finalement permis de tourner la page), Beth se montre à la fois incohérente et totalement insensible à la détresse de son mari.

Alors que la fuite de Beth aurait pu lui permettre de reprendre le contrôle sur son propre corps face aux propos anti-avortement très violents de son mari, elle garde finalement le bébé. De plus, les propos de Joe semblent avoir été dictés par la colère et le désir d’avoir un enfant plus que par ses convictions politiques. Ce choix scénaristique évacue la problématique du contrôle du corps des femmes par les hommes en la ramenant à des propos émotionnels et non politiques.

vlcsnap-2017-01-08-19h29m09s463 vlcsnap-2017-01-08-19h29m14s893« -Tu te comportes en garce sans cœur qui tuerait un enfant. -Ce n’est pas juste. -Qui s’en débarrasserait parce que ça ne convient pas à ses plans. »

Le problème n’est pas de montrer une femme changer d’avis sur une grossesse et décider de continuer. Le problème est que rien n’est amené par le scénario pour justifier ce choix, pour la simple et bonne raison que le point de vue de Beth ou ses motivations ne sont absolument jamais abordées. Pire encore, toutes les actions et motivations de Beth qui sont montrées à l’écran ne semblent dirigées que dans un seul but : créer une histoire intéressante et émouvante pour le personnage masculin. Même son père, lorsqu’il se retrouve face à Joe dans la dernière séquence, ne parvient pas à donner une explication convaincante (ni pour Joe, ni pour le spectateur) au comportement de sa fille. Comme souvent dans la fiction, nous nous retrouvons donc avec un personnage féminin qui ne sert à strictement rien d’autre qu’à approfondir le personnage masculin.

On trouvait déjà ce type de procédé dans le 2ème épisode de la saison 1. Dans cet épisode, Bing encourage Abi à participer à un concours de télé-crochet, seule solution pour échapper à une vie entière d’exploitation. Mais le concours ne tourne pas comme prévu : alors qu’Abi participe au concours en tant que chanteuse, elle se retrouve recrutée contre sa volonté par l’industrie pornographique. À partir de ce moment, l’épisode ne se concentre pas sur la souffrance d’Abi qui est violée régulièrement, mais sur la souffrance de Bing qui souffre de la voir abusée. Si le personnage d’Abi est plus cohérent dans ses motivations, elle est d’une part assez passive, attendant que Bing l’encourage à participer et lui paye le droit d’inscription, d’autre part elle ne sert qu’à créer une histoire pour le personnage masculin, auquel le spectateur va être amené à s’identifier.

Épilogue : Les hommes blancs sont des victimes

Dans la dernière partie, on comprend que les deux personnages principaux se trouvent dans un environnement virtuel. Joe n’est pas réellement Joe mais une copie électronique de lui-même et Matt l’a manipulé pour obtenir de lui une confession pour le meurtre du père et de la fille de Beth.

Les deux personnages finissent tous les deux punis d’une manière atroce : la copie de Joe reste bloquée dans le décor de la cabane, obligé d’écouter la chanson qui passait à la radio lorsqu’il a tué son ex-beau-père, pour une durée de plusieurs milliers d’années et Matt, qui a passé un marché (pousser Joe aux aveux en échange de sa liberté) se retrouve “bloqué” par l’intégralité de la population. Il ne peut donc interagir avec absolument personne.

Ces deux punitions sont totalement disproportionnées, le crime de Joe est pratiquement montré comme un accident (il était dans un état second) et dû en grande partie à l’insensibilité de la femme. Pire encore, Matt n’est pas condamné pour sa capacité à manipuler et torturer des IA, il est condamné car “c’est un pervers” et qu’il a oublié de signaler un meurtre. Alors qu’ aujourd’hui, les hommes coupables de violences sexuelles ne subissent que très peu de peines (même quand ils sont jugés coupables), il me paraît difficile de croire que Black Mirror montre les dérives qui pourraient se produire dans un futur proche.

On notera également que c’est une femme de pouvoir qui condamne nos deux pauvres hommes… Cela pourrait paraître anecdotique mais cette scène finale résume finalement assez bien un propos central de l’épisode et même de l’ensemble de la saison : les hommes souffrent à cause des femmes. Ils sont rejetés par les femmes, manipulés par les femmes, torturés par les femmes. Même quand les femmes subissent des violences genrées (comme Abi dans l’épisode 2 de la saison 1), c’est l’homme qui souffre. Ou plutôt, c’est l’homme dont on montre la souffrance.

black-mirrorL’affreuse mégère et ses pauvres victimes émasculées…

 

Julie G.

« Travelo » de Florent Peyre ou comment le dominant explique l’autodérision aux dominé-es…

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Le samedi 29 août 2015 était diffusée sur TF1 une émission intitulée “La grande soirée des parodies”. Parmi les dites parodies se trouvait une parodie du clip “Rise like a phoenix” de Conchita Wurst par l’humoriste Florent Peyre intitulée “Travelo”.

La vidéo à fait polémique au point que l’humoriste a présenté ses excuses (façon de parler…) et que la chaîne a retiré le clip de Youtube.[1]

Premièrement, pour ceux qui serait tentés de mettre en commentaire “C’est pas grave, c’est de l’humour”, allez faire un tour par-là : http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2012/08/lhumour-est-une-chose-trop-serieuse.html

Deuxièmement, nous allons voir pourquoi ce clip est aussi problématique.

Conchita Wurst est devenue célèbre en gagnant l’édition 2014 du concourt de l’Eurovision, avec sa chanson “Rise like a phoenix”. Sa participation avait fait polémique[2] et Wurst avait dû faire face à une campagne de boycott contre elle[3].

Conchita Wurst est un personnage de drag-queen et chanteuse autrichienne créée et interprétée par Thomas « Tom » Neuwirth. Neuwirth s’identifie comme homme cisgenre et drag-queen et non pas comme femme trans[4].

Conchita-Wurst-alias-Thomas-Neuwirth-lors-de-l-emission-Starmania-a-Vienne-le-23-janvier-2007_exact1024x768_pNeuwirth, l’interprète de Conchita Wurst

Une personne trans est une personne qui ne s’identifie pas au genre qui lui a été associé à la naissance, adopte une identité et/ou expression de genre différente et peut avoir recours ou non à de la chirurgie pour changer et/ou acquérir certaines caractéristiques physiques associées à ce genre.

Cf : http://nonbinary.org/wiki/Sex#gender_assigned_at_birth

http://nonbinary.org/wiki/Transgender

Une personne cis est une personne qui s’identifie au genre qui lui a été assigné à la naissance.

Il existe de multiples façons de vivre une identité trans : homme, femme, agenre[5], androgyne[6], genre fluide[7], etc…

Une drag queen est une personne (de n’importe quel genre) interprétant un personnage féminin basé sur un archétype de la féminité, généralement à des fins récréatives ou de spectacle.

Le cross-dressing (qu’on traduit généralement par « travestissement[8] ») est le fait de porter des vêtements généralement associés à un genre autre que celui auquel on vit de façon ponctuelle ou régulière.

Ces deux pratiques peuvent être pratiquées par des personnes cis et trans. Ce qui signifie que les personnes trans ne sont pas forcément crossed-dressed et que les personnes qui pratiquent le cross-dressing ne sont pas forcément trans.

conchita_wurst_orf_01_orf_by_thomas_ramstorfer

Voici donc le clip original de Conchita Wurst :

https://www.youtube.com/watch?v=ToqNa0rqUtY

Le clip joue sur une esthétique très “diva”, les paroles racontent l’histoire d’une femme blessée par une ou un partenaire et déclarant qu’elle va “s’en remettre” et qu’il va y avoir des “représailles”…

La parodie de Florent Peyre reprend la musique et la structure des paroles de “Color Gitano” de Kendji Girac, ainsi que l’esthétique du clip de Conchita Wurst :

https://www.youtube.com/watch?v=Z0WSRnSV9hI

La première chose qui pose problème est l’utilisation du terme fortement péjoratif “travelo” qui sert de titre à la chanson. Si certaines populations discriminées se sont appropriées des termes insultants pour en faire des revendications, ce n’est pas une raison pour que les dominants fassent de même. Utiliser une insulte par humour est un processus d’exclusion très violent.

La chanson fait également joyeusement l’amalgame entre personne trans et travestissement : “avec des seins et un zizi”, “une femme avec un cadeau”, “plus asticot qu’abricot”. Neuwirth est un homme déguisé en femme, il ne s’agit absolument pas d’une femme trans qui aurait conservé son pénis. Amalgamer les différentes identités de genre contribue grandement à les invisibiliser. Une identité trans ne se réduit pas à une performance scénique ou à une façon de s’habiller contrairement à ce que certains veulent bien croire. Conchita Wurst est un personnage de drag-queen construit selon des codes de féminité volontairement exagérés et exubérants (robe longue, pétales de roses, ventilateur dans les cheveux…). Les personnes trans ne se déguisent pas, ne se donnent pas en spectacles, ielles sont juste ielles-mêmes et s’habillent de la façon qui correspond à leur identité (quand ielles le peuvent). Alors que les trans se battent pour pour l’acceptation et la reconnaissance de leurs identités, les confondre avec les personnes pratiquant le cross-dressing et les drag-queen est profondément transphobe. Cela revient à nier les particularités des individus pour les mettre tous dans le même sac.

La plus grande partie de la chanson est dédiée à des considérations anatomiques :”y’a deux cerises sur le gâteau”, “y’a une surprise sous le capot”. Dans son émission “Last week tonight”, John Oliver dénonce le fait que les personnes trans sont en permanence ramenées à leur physique et en particulier à leurs parties génitales…

De 0:39 à 1:33 (mais si vous comprenez l’anglais, je vous conseille de regarder l’intégralité de la vidéo…)

https://www.youtube.com/watch?v=hmoAX9f6MOc

« But for all the strikes transgender people have made lately, let’s not get too complacent about how far we’ve come, because they still face a host of obstacles.

Even when the news media are trying to be supportive, they can make dumb mistakes…

  • Your private parts are different now, aren’t they?
  • Shush, I don’t want to talk about it, because it’s really personal
  • Don’t you feel funny with the wrong genitalia when you stand up in a women bathroom?
  • You’ve got breast implants?
  • You know…
  • They’re tasteful whatever’s going on there
  • Thank you
  • So if I saw you undressed, you would look like a woman to me, totally, yes?

What are you doing? It is no more okay to ask transgender people about their sex organs that it would be to ask Jimmy Carter whether or not he’s circumcised… »

 Traduction:

« Mais malgré toutes les avancées que les personnes transgenres ont obtenues récemment, ne soyons pas trop satisfait du chemin que nous avons parcouru, car ils doivent toujours face à de nombreux obstacles.

Même quand les medias tentent d’être bienveillants, ils font des erreurs stupides…

  • Vos organes génitaux  sont différentes, n’est-ce pas ?
  • Chut, Je ne veux pas en parler, c’est vraiment très personnel
  • Ne vous sentez-vous pas mal à l’aise quand vous êtes dans les toilettes des femmes avec les mauvaises organes génitaux ?
  • Vous avez des implants mammaires ? 
  • Vous savez…
  • Ils sont splendides quoi qu’il en soit 
  • Merci
  • Si je vous voyais sans vêtements, vous ressembleriez à une femme, totalement, n’est-ce pas ?

Qu’est-ce que vous faites ? Ce n’est pas plus approprié d’interroger les personnes transgenres sur leurs parties génitales que de demander à Jimmy Carter s’il est circoncis… »

Que cela soit fait avec ou sans intention malveillante, réduire en permanence les personnes à leur physique est objectifiant.  Illes ne sont alors plus considéré.e.s comme des individus à part entière, ayant une personnalité et un vécu propre, mais seulement comme des corps.

Comme le souligne Laverne Cox, actrice trans, se focaliser sur les parties génitales, la chirurgie et le corps des trans invisibilise aussi grandement les violences qu’ielles peuvent subir.

https://www.youtube.com/watch?v=sMH8FH7O9xA

« I think that the preoccupation with transition, with surgery, objectifies trans people, and then we don’t get to really deal with the real lived experiences, the reality of trans people’s lives, that still often we’re target of violence, we experience discrimination disproportionally to the rest of the community and unemployment rate is twice the national average, if you’re a trans person of color it’s four time the national average. The homicide rate in the LGBT community is highest among trans women. And when we focus on transition we don’t actually get to talk about those things. There’s a young woman named Islan Nettles who on August 17th was just walking on the streets with some friends, you know, minding her own business when she was catcalled by a couple of guys, once they realized she was trans, she was beaten into a coma and five days later she died. This is the reality of so many trans people’s lives in this country. Trans women of color whose lives are in danger simply for being who they are. And we’re looking for justice Islan Nettles and we’re looking for justice for so many trans people across this country and by focusing on bodies we don’t focus on that lived realities, on that oppression and that discrimination. »

Traduction :

« Je pense que le fait de se concentrer sur la transition, sur les opérations chirurgicales, objectifie les personnes trans, et que donc on ne s’occupe pas vraiment des expériences vraiment vécues, de ce que sont les réalités vécues par les personnes trans. Que souvent nous sommes les cibles de violences, nous subissons des discriminations de manière disproportionnée par rapport au reste de la communauté et le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Si vous êtes une personne trans racisée, il est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. Le taux d’homicides le plus élevé dans la communauté LGBT est celui des femmes trans. Et lorsque nous nous nous concentrons sur la transition, ce sont de ces choses dont nous ne parlons pas. Il y a une jeune femme qui s’appelle Islan Netlles, qui le 17 août était juste en train de marcher dans la rue avec quelques ami-e-s, vous voyez, simplement en train de s’occuper de ses affaires, lorsqu’elle a été sifflée par deux gars. Lorsqu’ils ont réalisé qu’elle était trans, ils l’ont battue et mise dans le coma et elle est morte cinq jours plus tard. Voilà la réalité vécue par tant de personnes trans dans ce pays. Les femmes trans racisées dont les vies sont en danger juste pour être qui elles sont. Et nous demandons justice pour Islan Nettles, et nous demandons justice pour tant de personnes trans à travers le pays… et en se concentrant sur nos corps, on ne fait pas attention aux réalités vécues, sur cette oppression et ces discriminations. »

La parodie de Florent Peyre fait à deux reprises une blague sur la difficulté pour les personnes trans de choisir s’ielles doivent se diriger du côté des hommes ou des femmes dans les sanitaires : “j’suis perdue au hammam, chez les hommes ou chez les dames”, “je reste debout pour faire pipi”. Quand on sait que l’accès au sanitaires genrés est un réel problème pour les personnes trans et que cela donne lieu à de nombreuses discriminations, la plaisanterie a de quoi faire rire jaune…

http://www.slate.fr/life/86997/toilettes-transgenres

Le clip et la chanson jouent également sur le trope de la femme transgenre qui « trompe » l’homme hétéro en lui faisant croire qu’elle est une « vraie » femme (« y’a une surprise sous le capot »). Rappelons que l’identité de genre et l’orientation sexuelle sont deux choses distinctes et qu’une femme trans peut parfaitement être homo, bi, pan, multisexuelle… Et qu’un homme hétéro peut parfaitement être attiré par une femme trans. De nombreux gags visuels du clip montrent des hommes indifférents ou effrayés par les avances de « Kenjita », sauf que les hommes attirés par des trans sont eux aussi victimes d’insultes et de rejet (même quand ils sont hétérosexuels et que leur partenaire est une femme trans), cette violence rejailli directement sur les femmes trans.

Comme le fait remarquer Janet Mock sur son site, relayé par Ovidie :

« The shame that society attaches to these men, specifically attacking their sexuality and shaming their attraction, directly affects trans women. It affects the way we look at ourselves. It amplifies our body-image issues, our self-esteem, our sense of possibility, of daring for greatness, of aiming for something or somewhere greater. If a young trans woman believes that the only way she can share intimate space with a man is through secret hookups, bootycalls or transaction, she will be led to engage in risky sexual behaviors that make her more vulnerable to criminalization, disease and violence; she will be led to coddle a man who takes out his frustrations about his sexuality on her with his fists; she will be led to question whether she’s worthy enough to protect herself with a condom when a man tells her he loves her; she will be led to believe that she is not worthy of being seen, that being seen heightens her risk of violence therefore she must hide who she is at all costs in order to survive. »

Traduction :

« La honte que la société inflige à ces hommes, attaquant spécifiquement leur sexualité et leur faisant avoir honte de leur attirance, affecte directement les femmes trans. Cela affecte la façon dont nous nous considérons. Cela amplifie les problèmes que nous avons avec la représentation de nos corps, notre estime de nous, notre perception des possibilités de ce qui nous est possible, de ce que nous pouvons oser pour être formidables, de notre capacité à viser quelque chose ou quelque part de plus grand.

Si une jeune femme trans croit que le seul moyen qu’elle a de partager des moments intimes avec un homme est au travers de liaisons secrètes, de plans cul ou de passes, elle sera poussée à avoir un comportement sexuel à risques qui la rendra plus vulnérable à la criminalité, à la maladie et à la violence ; elle sera poussée à dorloter un homme qui passera ses frustrations sexuelles sur elle avec ses poings ; elle sera poussée à se demander si elle vaut la peine de se protéger avec un préservatif quand un homme lui dit qu’il l’aime ; elle sera poussée à penser qu’elle n’est pas digne d’être vue, qu’être vue augmente les risques de violence envers elle et que par conséquent elle doit cacher qui elle est à tout prix si elle veut survivre. »

Source : http://janetmock.com/2013/09/12/men-who-date-attracted-to-trans-women-stigma/#.UjHzDmRtU5o.twitter

L’article d’Ovidie : http://www.metronews.fr/blog/ovidie/2013/09/17/ces-femmes-qui-font-fantasmer-mais-que-lon-nepouse-pas/#more-1526

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En plus d’être transphobe la chanson tombe également dans le sexisme le plus binaire : “j’fais de la danse et du rugby”, “ma passion c’est les fleurs, et les marteaux-piqueurs”. Parce que des filles qui aiment et, soyons fous, pratiquent le rugby ça n’existe pas, pas plus que des hommes qui dansent… Entre deux références phalliques, l’humoriste égraine joyeusement les stéréotypes sur les hommes et les femmes.

« Un homme pour de faux », « masculin par hasard », Peyre sous-entend que Conchita serait un homme « par erreur ». On retrouve ici deux idées problématiques :

– une vision binaire du monde où l’on est soi un homme, soit une femme, alors qu’en réalité il existe plein de genres qui ne sont ni masculins, ni féminins.

– l’idée que les femmes trans ne sont pas des « vraies » femmes. Cette idée est également présente dans les multiples références à l’appareil génital que contient la chanson. Or les femmes trans sont des femmes à part entière, ce ne sont ni des femmes pour de faux, ni des hommes pour de faux. Les renvoyer à une identité masculine qu’elles ne reconnaissent pas et/ou douter de la validité de leur féminité est profondément transphobe.

À la suite du scandale, Florent Peyre a “présenté ses excuses” :

« Tout d’abord je souhaite remercier sincèrement toutes celles et ceux qui ont ri devant le clip de Kenjita. Merci beaucoup pour vos nombreux messages, tweets et likes, de félicitation, de soutien et tout simplement de joie. Si cette parodie a heurté la sensibilité de certains d’entre vous, j’en suis désolé. Mais gardons tout de même présent à l’esprit que c’est un sketch dont le but est d’amuser et de divertir et en aucun cas d’attiser la haine envers qui que ce soit. »

« De nombreuses paroles de ma chanson ont été reprises mais jamais le dernier couplet qui dit : « C’est vos regards croisant le mien, C’que vous pensez je m’en fous bien, Je suis monsieur, je suis madame, Ce n’est pas un drame ». Pour moi cette chanson est un hymne à l’autodérision, au respect d’autrui et à la liberté de chacun à vivre sa vie comme il l’entend,« 

« Respectons-nous, parlons-nous, aimons-nous et rions ensemble de nous-même et des autres. »

Source : http://www.closermag.fr/people/people-francais/florent-peyre-reagit-aux-accusations-de-transphobie-554081

Quand on sait que 85% des personnes transgenres ont déjà subi un acte transphobe[9], qu’elles sont obligées d’être suivie par un psychiatre qu’elles ne peuvent pas choisir si elles veulent avoir une opération et/ou obtenir des papiers, que leurs opérations ne sont pas prisent en charge par la sécu[10], tout ce dont elles ont besoin, c’est qu’un dominant leur explique comment faire preuve d’autodérision. Heureusement que les dominants continuent de se battre pour pouvoir se foutre de la gueule des minorités, sinon où irait le monde…

Et d’ailleurs Peyre est tellement « désolé » qu’il continue de faire la promotion de ce clip transphobe sur les réseaux sociaux :

http://www.meltybuzz.fr/travelo-de-kenjita-wurst-malgre-la-critique-florent-peyre-assume-et-continue-la-promotion-de-sa-parodie-a448940.html

Pour en savoir plus :

http://fr.calameo.com/books/00056478425088321f3eb

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1414435-florent-peyre-parodie-conchita-wurst-sur-tf1-ce-clip-est-transphobe-pour-3-raisons.html

Edit : Après certains commentaires postés sur ce site et notre compte Facebook, j’ai modifié la définition de « cross-dressing » ainsi que la notion de discrimination appliquée aux partenaires des trans.

Julie G.

[1] http://www.chartsinfrance.net/Kendji/news-98682.html

[2] http://www.rtl.fr/culture/medias-people/eurovision-les-6-scandales-qui-ont-marque-le-concours-7778411020

[3] http://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/eurovision-2014-conchita-wurst-le-candidat-travesti-qui-fait-polemique-7771751591

[4]http://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/conchita_wurst_je_ne_suis_pas_transsexuelle_je_suis_une_drag_queen_344614

[5] Agenre (aussi appelé « genre neutre ») est un terme utilisé pour décrire une personne sans identité de genre. Cette personne peut être de n’importe quel sexe, mais son corps ne manque pas forcément d’une identité de genre. Il arrive que ces personnes ne se sentent pas ennuyées par leur sexe biologique, mais certaines cherchent à paraître androgynes. Une personne agenre peut aussi être neutrois.

[6] L’androgynie est un terme décrivant un genre à la fois masculin et féminin, et qui se situe donc entre les deux. Fréquemment, ces personnes cherchent à avoir une apparence ambiguë. Certains individus ne sont androgynes que dans leur aspect physique et non par leur genre.

[7] Genre fluide ou fluidité du genre est un terme décrivant une personne qui fluctue entre les genres mais pas nécessairement tous.

Toutes les définitions sont tirées du site AVEN wiki.

[8] Je préfère utiliser le terme anglais, car travestissement peut avoir en français une connotation négative.

[9]  http://www.sos-transphobie.org/85-des-personnes-trans-ont-subi-des-actes-de-transphobie

[10] http://misskoala.canalblog.com/archives/2015/03/18/31723631.html

La leçon de piano : Comment tomber amoureuse de son agresseur sexuel

TW : Le film et par conséquent cet article parle de violences conjugales et sexuelles.

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La leçon de piano, réalisé par Jane Campion et sorti en 1993, a été un succès public et critique. Le film a remporté 3 Oscars ainsi que la Palme d’Or, permettant à Jane Campion d’être la première – et à ce jour encore la seule – femme à avoir obtenu cette distinction[1].

La réalisatrice étant connue pour mettre en scène des rôles féminins forts et intéressants (Portrait de Femme, Bright Star, Top of the Lake…) et le film étant souvent qualifié de “féministe” par le web (il suffit de taper « The Piano feminist » sur un moteur de recherche pour s’en rendre compte), j’avais plutôt un a priori positif sur le film et fut extrêmement déçue en le voyant.

Il suffit qu’un film ait comme perso principal une femme et traite de sexualité féminine pour qu’automatiquement les critiques le qualifient de « féministe ». Malheureusement, c’est loin d’être le cas.

L’histoire est celle d’Ada McGrath, une jeune femme muette originaire d’Écosse qui voyage jusqu’en Nouvelle-Zélande avec son piano et sa fille de 9 ans, Flora, pour rejoindre l’homme à qui son père l’a vendue, Alisdair Stewart. Lorsque son nouveau mari vient la chercher sur la plage où elle a été débarquée, accompagné d’une équipe maorie ainsi que de son voisin George Baines, il refuse d’emmener le piano et le laisse sur place. Le lendemain Ada et sa fille vont demander à Baines de les emmener à l’endroit où est resté le piano. D’abord réticent, il finit par accepter. Baines, voyant l’attachement d’Ada pour son instrument décide de récupérer le piano et, sans consulter sa propriétaire, propose à Stewart un terrain qu’il possède en échange du piano et de leçons données par Ada. Stewart accepte et Ada se voit contrainte d’enseigner le piano à un homme qu’elle méprise. Lors d’une leçon, Baines embrasse Ada sur la nuque par surprise et lui propose un marché : si elle le laisse la toucher, au bout d’un certain temps (symbolisé par le nombre de touches noires du piano, chaque attouchement “valant” un certain nombre de touches), il lui rendra son piano. Au départ réticente, Ada finit par prendre goût à ces attouchements et par tomber amoureuse de Baines.

La coercition sexuelle, ou comment amener les femmes au plaisir

Le problème majeur de ce film est qu’il repose sur la même idée que 50 Shades of Grey et de nombreux films pornographiques : si on pousse une femme à faire des actes sexuels contre son consentement/son désir, elle finira par aimer ça, voire par tomber amoureuse.

Au début du film, Ada n’est absolument pas attirée par Baines. Lorsqu’elle apprend qu’il a récupéré son piano, elle s’énerve en déclarant qu’il est “un mufle, un illettré, un ignorant” et qu’elle ne veut en aucun cas qu’il touche à son piano “à elle”. Lorsque Baines l’embrasse sur la nuque alors qu’elle est en train de jouer, elle est profondément choquée, ce qui est plutôt logique puisqu’il s’agit déjà d’une agression sexuelle.

Le marché que Baines propose à Ada (récupérer son piano en échange de faveurs sexuelles) est tout simplement du chantage sexuel. En effet, contrairement à un-e travailleur-euse du sexe, Ada ne décide pas librement d’effectuer des actes sexuels contre service ou argent , elle y est poussée et quasiment obligée. Le film montre à plusieurs reprises que le piano d’Ada n’est pas un simple loisir pour elle mais une nécessité quasi vitale, puisqu’il s’agit de sa seule possibilité de s’exprimer. De plus, à plusieurs reprises, Baines agresse Ada sexuellement (il l’embrasse sur la nuque sans la prévenir, il déchire son corsage et l’entraîne de force vers le lit, il se déshabille sans la prévenir et la surprend en se montrant nu devant elle…), outrepassant les termes de leur “accord”.

vlcsnap-2015-08-26-15h40m14s257 vlcsnap-2015-08-26-15h40m26s933 vlcsnap-2015-08-26-15h40m30s786Viens-là femme, je vais t’apprendre le plaisir…

 

Lors des premières leçons, Ada se montre extrêmement mal à l’aise lorsque Baines lui demande de se déshabiller et la touche. Il est clairement montré qu’elle n’éprouve, au début des leçons, aucun désir ni aucun plaisir. Pourtant lorsque ce dernier finit par lui rendre le piano avant la fin de leur arrangement, parce qu’il veut “qu’elle se soucie de lui”, c’est elle qui le rejoint. Ils ont alors leur premier “rapport sexuel” (comprendre : leur premier rapport avec pénétration), parce que faire un film centré sur le désir et le plaisir féminin certes, mais il ne faudrait surtout pas oublier la sacro-sainte pénétration vaginale…

Au final, le schéma est exactement le même que celui de nombreux films pornographiques[2] mainstream et sexistes : “Force-la un peu, elle finira par adorer”. Dans son article consacré aux mythes sur le viol, le site « Sexisme et sciences humaines » montre que « Elle l’a voulu » ou « elle a aimé » est un des mythes sur le viol les plus répandus. Les mythes sur le viol ont des effets destructeurs pour les victimes puisqu’ils nient leurs souffrances, les privent de soutien social et entraînent du “victim shaming” ou “victim blaming”. Ils ont également une forte tendance à augmenter la propension au viol en déculpabilisant les agresseurs réels ou potentiels.

Liens (article en 5 parties sur le site « Sexisme et Sciences humaines ») : http://antisexisme.net/2011/12/04/mythes-sur-les-viols-partie-1-quels-sont-ces-mythes-qui-y-adhere/

http://antisexisme.net/2012/01/16/les-mythes-autour-du-viol-et-leurs-consequences-partie-2-les-consequences-pour-la-victime/

http://antisexisme.net/2012/01/31/les-mythes-autour-du-viol-et-leurs-consequences-partie-3/

http://antisexisme.net/2012/02/12/mythes-autour-du-viol-partie-4-les-mythes-sur-le-viol-augmentent-la-propension-au-viol/

http://antisexisme.net/2012/03/08/les-mythes-sur-le-viol-dans-les-media/

Certes le film ne dépeint pas à proprement parler un viol, mais plutôt de la coercition ou du chantage sexuel. Cependant, on retrouve l’idée qu’on peut imposer des pratiques sexuelles à une femme et lui faire aimer ça…

Une autre conséquence de ce schéma où les hommes prennent le pouvoir sur la sexualité des femmes (et elles adorent ça !) est la perte de pouvoir des femmes sur leur propre sexualité. Les femmes ne sont pas encouragées à explorer elles-mêmes leurs corps, leurs désirs et leurs sexualités mais à laisser un homme le faire. (Parce que bien sûr, elles sont hétéros, faudrait pas non plus montrer des femmes homo, bi, poly ou pansexuelles à l’écran, hein, ça ferait tâche)

Le problème est que si dans les films les hommes sont capables d’amener leur partenaire à l’extase sans jamais leur demander leur avis (et pas toujours leur consentement…), la réalité est tout autre. Ne serait-ce que parce les femmes ne sont pas un groupe homogène désirant toutes la même chose (une pénétration romantique en se regardant droit dans les yeux avec de la musique douce…).

Pourtant dès 1976, la chercheuse Shere Hite montrait que la majorité des femmes ne jouissent pas pendant la pénétration vaginale mais lors de stimulation du clitoris.

Source : http://www.slate.fr/story/33017/penis-la-fin-de-la-grande-debandade

En plus d’empêcher les femmes de prendre le pouvoir et l’initiative sur leur propre sexualité, cette idée de “l’homme dominant qui sait parfaitement comment faire jouir sa partenaire” est culpabilisante pour les femmes (« comment ça je n’arrive pas à jouir avec une pénétration romantique en se regardant droit dans les yeux avec de la musique douce ?! je dois être anormale… ») mais aussi pour les hommes (« comment ça je n’arrive pas à la faire jouir avec une pénétration romantique en se regardant droit dans les yeux avec de la musique douce ?! je dois être nul… »).

En résumé, ce film qualifié de “romantique”, “sensuel” et parfois même de “féministe” ne fait que reproduire des clichés relationnels et sexuels déjà vus mille fois ailleurs. Il est indéniable que La leçon de piano possède de nombreuses qualités cinématographiques (musique, photographie, décors…) mais ces qualités ne doivent pas faire oublier la violence du propos et empêcher toute lecture critique de l’œuvre.

L’agresseur sexuel, ce brave type au fond

Une autre mystification du film est de nous faire croire que Baines qui pousse Ada à accepter des rapports sexuels qu’elle ne désire pas est un brave type au fond. Pour cela deux mécanismes sont mis en place. Premièrement, faire comprendre au spectateur qu’il a des “sentiments”, hein, qu’il ne veut pas juste du sexe. Deuxièmement, le comparer à un autre homme (le mari d’Ada, Alisdair Stewart) qui, lui, s’avère finalement être vraiment un sale type.

Après après avoir multiplié les attouchements et repoussé les limites d’Ada, Baines a soudain des remords et décide de lui rendre son piano avant la fin de leur arrangement. Lorsqu’elle lui demande des explications, il lui explique que leur arrangement “fait d’elle une putain et le rend malheureux” : ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un homme souffrir de la domination et de la violence qu’il exerce sur une femme, le pauvre…

D’abord faire du chantage sexuel à une femme et ensuite la blâmer parce qu’on est malheureux, quel meilleur moyen de la faire tomber amoureuse ?

De la même façon, lorsqu’Ada revient le voir après qu’il ait mit fin à leur arrangement, Baines se lance dans un discours expliquant qu’il est “malade de désir” et qu’il “ne peux plus penser qu’à elle”, et conclut sa tirade d’homme victime d’une femme sans cœur qui ne veut pas l’aimer alors qu’il l’a agressée sexuellement et manipulée en lui donnant l’ordre de s’en aller si elle n’a pas de sentiments pour lui…

On retrouve ainsi une magnifique inversion de la situation où c’est l’homme qui se retrouve victime d’une situation qu’il a lui-même créée, culpabilisant la femme, cette « salope » qui ne veut pas l’aimer et faire du sexe avec lui…

Le film mobilise ainsi deux autres magnifiques mythes sur le viol : “c’est parce qu’il l’aime” et “les hommes ont des désirs qu’ils ne peuvent pas contrôler”. Ben oui, c’est parce qu’il l’aime que Baines a exercé de la coercition sexuelle sur Ada et l’a agressée, il n’a pas pu se contrôler le pauvre et maintenant il est malheureux…

On notera que Baines a beau être amoureux, il ne se demande jamais si ses actions ont fait du mal à Ada, si elle va bien, si elle n’est pas traumatisée.

vlcsnap-2015-08-26-15h43m06s014Je suis malheureux

vlcsnap-2015-08-26-15h43m16s340Parce que… je te veux…

vlcsnap-2015-08-26-15h43m24s614Parce que je ne peux penser à rien d’autre qu’à toi

vlcsnap-2015-08-26-15h43m37s461C’est pour ça que je souffre.

Un exemple de male tears s’est glissé dans cet extrait, sauras-tu le retrouver, lecteur attentif ?

On notera au passage que la souffrance, la vraie, c’est de ne pas pouvoir baiser. Subir une agression sexuelle, à côté, c’est de la gnognotte…

L’excuse de l’amour est parmi celles les plus utilisées pour justifier les comportements abusifs des hommes envers leurs compagnes (qu’il s’agisse de violence physique, sexuelle, ou de restriction de leur liberté). Dans les médias, de nombreux féminicides sont qualifiés de “crimes passionnels”. On excuse ainsi un crime sexiste en mettant en avant les supposés sentiments “amoureux” de l’homme. De plus, on transforme un problème sociétal, la violence sexiste et la domination masculine, en un problème individuel. Pourquoi remettre en question la domination masculine et le système patriarcal quand les violences sexuelles ne sont que le problème d’une minorité d’hommes “trop amoureux” et qui “ne savent pas se contrôler”? Et d’ailleurs c’est eux les plus malheureux dans l’histoire, pas la femme qu’ils viennent de battre/violer/tuer…

Régulièrement, lorsqu’une femme est victime de violences sexuelles ou conjugales visibles et évidentes (parce que lorsque les violences sont insidieuses, elles sont souvent niées…), la question “pourquoi reste-elle ?” est posée. Avec ce que ça implique d’insultant et de culpabilisant pour la victime, parce que bon c’est un peu de sa faute à elle si elle reste…

Lorsque la violence sexuelle et conjugale est montrée au cinéma, à la télévision, dans la littérature, dans les journaux comme une grande histoire d’amour passionnelle, comment s’étonner que les victimes se retrouvent piégées dans ce genre de relation ? Quand la violence elle-même est montrée comme une preuve d’amour, comment s’étonner que les victimes restent envers et contre tout ?

Bien sûr, il existe de nombreux autres facteurs qui font que les victimes restent avec leur conjoint violent : les manipulations émotionnelles et la culpabilisation par l’agresseur, la difficulté à reconnaître un statut de victime (le fait que ce statut soit largement nié par les médias et les gens à l’extérieur n’aide pas non plus), l’idée que si elle reste, elle pourra le sauver (une autre idée largement diffusée par Hollywood et les médias), l’isolement et l’aspect financier surtout si on est une femme sans emploi avec des enfants, etc…

Le pire dans l’histoire ? C’est le troisième article où j’analyse un film qui érotise des violences sexuelles  (après Twilight et 50 shades of Grey) et qui est réalisé par une femme (ici, Jane Campion). En effet, les 5 films Twilight ont été scénarisés par une femme, Melissa Rosenberg, d’après un roman écrit par une femme, Stephanie Mayer, et le premier film a été réalisé par une femme, Catherine Hardwick. De même, 50 shades of Grey est scénarisé par une femme, d’après un roman écrit par une femme, E.L. James, et réalisé par une femme, Sam Taylor-Johnson. Malheureusement, le fait qu’un film soit réalisé ou écrit par une femme n’est pas un gage de féminisme. Le sexisme est tellement ancré dans notre société, au point que certaines femmes ont tellement bien intégré la domination patriarcale qu’elles la considèrent non seulement comme « normale » mais plus encore comme « désirable ». On parle « d’intériorisation du stigmate » lorsqu’une population discriminée considère que les stéréotypes, dominations et discriminations qui lui sont associées sont justifiés ou contiennent une part de vérité. Concernant la violence conjugale, les médias (qu’il s’agisse de fiction ou de presse) ont tellement asséné aux femmes qu’elles avaient besoin d’être protégées de l’extérieur (alors qu’une femme est plus en danger dans son propre foyer), que les conjoints violents agissaient par amour, qu’elles devaient laisser les hommes contrôler leur sexualité… que certaines reproduisent ce discours.

Le mari violent, ce sale type

L’autre moyen utilisé pour dédouaner Baines de toute responsabilité aux yeux du public est d’utiliser le personnage du mari d’Ada, qui lui est un sale type et un « véritable » agresseur sexuel.

Au début du film, le mari d’Ada est montré comme un homme plutôt gentil. Il tente de d’obtenir de l’affection de la part de sa femme et de sa belle-fille et se montre patient face à leurs réticences. Il respecte notamment l’absence de désir de sa femme et ne lui impose aucun contact physique contre sa volonté, du moins au début. Néanmoins, il est montré comme un homme qui ne comprend pas les sentiments de sa femme et leur accorde peu d’importance.

Après avoir découvert la liaison entre sa femme et Baines, Stewart change brutalement d’attitude et devient violent et encore plus oppressif envers sa femme : il tente de la violer, l’enferme à l’intérieur de la maison et va jusqu’à lui couper un doigt à la hache, sous les yeux de sa propre fille, juste parce qu’elle a essayé de faire passer un message à Baine en cachette. La violence et la cruauté évidente de Stewart envers sa femme et la fille de celle-ci contribuent à relativiser, voire carrément invisibiliser la violence de Baines.

De plus, la violence de Stewart n’est pas montrée comme la domination d’un mari sur sa femme dans un système patriarcal et sexiste, mais comme la violence d’un homme “fou de jalousie”. Là encore, la violence masculine est montrée comme un problème individuel et non pas sociétal. Mise en perspective sociétale est encore plus évacuée, car Stewart semble passer brutalement d’un homme équilibré à un fou dangereux. Une belle représentation  psychophobe où les fous font du mal aux autres (alors que dans la réalité, ils sont beaucoup moins auteurs de violences que victimes). D’ailleurs, Stewart ne laisse partir Ada et Flora que parce qu’il pense qu’Ada (qui, rappelons-le, est muette) lui a parlé « dans sa tête » en lui demandant de la laisser partir. Si ce n’est pas le signe qu’il est devenu « fou »…

De nombreuses personnes pensent que la violence conjugale et sexuelle se manifeste toujours de manière évidente (par des coups, de la contrainte physique) et qu’elle est toujours perçue par la victime comme telle. Or la violence peut se manifester de manière beaucoup plus insidieuse (manipulation, pressions…), au point que certaines personnes ne se rendent pas compte qu’elles sont victimes d’abus. Plutôt que d’invisibiliser ce genre d’abus en mettant uniquement en avant les violences les plus extrêmes, il est important mettre en évidence la violence qu’ils contiennent  et d’arrêter de les “érotiser” ou de les excuser comme le fait le film, et plus généralement les médias.

Une absence totale de solidarité féminine

A son arrivée en Nouvelle-Zélande, Ada est accueillie par les femmes de la communauté. Aucun de ces personnages n’est particulièrement intéressante ou sympathique et surtout aucune de ses femmes n’est jamais un soutien pour Ada. Au contraire, Tante Morag exprime à plusieurs reprises à Stewart ses doutes sur son épouse et la juge sévèrement. Sa nièce, Nessie correspond au trope de la “Fat Idiot”, littéralement “Gros-se Idiot-e”, un bel exemple de grossophobie…

Source : http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/FatIdiot

Mais le pire reste probablement la trahison que commet Flora, à deux reprises, à l’égard de sa mère. Alors que la mère et la fille sont montrées comme très proches au début du film (de nombreuses séquences montrent leur complicité), lorsqu’Ada met sa fille à l’écart de sa relation avec Baines, cette dernière ne le supporte pas. Flora dénonce une première fois sa mère à Stewart, lui déclarant que parfois Baines et sa mère “ne jouent pas du tout de piano”, amenant ce dernier à découvrir la liaison de sa femme. La deuxième fois, alors que sa mère lui demande de porter à Baines une touche de piano sur laquelle est gravé un message d’amour, Flora l’amène directement à Stewart en déclarant qu’elle “ne trouve pas ça très correct” (ça commence tôt l’intégration de la domination patriarcale…). Le résultat étant que ce dernier se précipite sur sa femme pour lui couper un doigt avant de le tendre à la petite fille en lui disant de le porter à Baines. L’attitude et les paroles de Flora montrent que ce n’est pas par erreur ou par inattention qu’elle dénonce sa mère, mais qu’elle est bien consciente de la situation et qu’elle cherche à se venger.

L’absence de toute représentation de solidarité féminine est un grave problème dans les médias. Si le Bechdel Test a choisi comme critère d’avoir deux femmes nommées qui parlent d’autre chose que d’un homme comme critère, ce n’est pas un hasard. En plus d’invisibiliser les femmes en tant qu’individus, les médias montrent plus souvent des femmes opposées les unes aux autres (des rivales, des femmes qui se critiquent, des traîtresses, des femmes transmettant l’oppression patriarcale…) que des femmes se soutenant les unes les autres. Pourtant la solidarité est un point important du féminisme : comment s’organiser pour lutter contre une oppression quand on est poussées à se détester ?

Montrer les femmes comme leurs principales ennemies ou comme les principales ennemies de la cause féministe permet d’une part de dédouaner le patriarcat, d’autre part de les empêcher de s’organiser.

Les maoris, faire-valoir des blancs

En plus d’opposer Stewart et Baines sur leurs rapports aux femmes, le film oppose également les deux hommes sur leur rapport à la colonisation, au peuple et à la culture maorie.

Stewart est un homme qui ne comprend pas pourquoi les maoris refusent de vendre ou de cultiver des terres sur lesquelles sont enterrées leurs ancêtres. Il ne cherche qu’à faire du profit et se méfie des natifs de l’île. Au contraire, Baines est un homme qui parle la langue maori, arbore des tatouages traditionnels sur le corps et le visage, et comprend leur culture et leur traditions.

Il y a donc deux sortes de colons : le bon et le mauvais colon, qu’importe que les deux soient là pour exploiter une terre qui ne leur appartient pas, il y a la “bonne” et la “mauvaise” manière d’exploiter les gens.

Les personnages maoris que l’on voit dans le film sont toujours subordonnés aux blancs. À aucun moment le film ne questionne cette situation. Au contraire, les maoris semblent parfaitement heureux d’être au service des blancs.

vlcsnap-2015-08-26-15h32m23s442Les maories, parfaitement heureuses d’être par terre…

vlcsnap-2015-08-26-15h32m38s918…pendant que les blancs prennent le thé sur le divan.

Aucun personnage d’origine maori n’est jamais caractérisé personnellement ou ne fait réellement avancer l’histoire. Lorsque les maoris refusent qu’on utilise les terres où sont enterrés leur ancêtres, ils ne sont pas capables de se défendre seuls et ont besoin de l’aide de Baines. On aurait pu espérer qu’une scène comme celle-ci critique la colonisation, mais non, la séquence ne sert qu’à mettre en valeur Baines face à Stewart. C’est le trope du sauveur blanc déjà traité sur ce site ici : http://www.lecinemaestpolitique.fr/atlantide-lempire-perdu-retrouve-et-sauve-par-lhomme-blanc/ et ici : http://www.lecinemaestpolitique.fr/avatar-2009-le-prophete-blanc-et-ses-sauvages/

Durant tout le film, la culture maorie n’est utilisée que pour mettre en valeur le personnage de Baines. Ce dernier correspond d’ailleurs au trope “Going Native” où un blanc adopte une culture qui n’est pas la sienne. Le problème de ce trope est que pour montrer une culture étrangère, le film est obligé de passer par un personnage blanc, partant du principe que le spectateur sera perdu/ pas assez intéressé si on lui montre un natif de cette culture.

Le film utilise la culture maori de façon “décorative” afin de rendre le personnage de Baines plus intéressant, plus mystérieux, plus sensuel et dangereux aussi puisque les “sauvages” sont en général dépeints comme sensuels et dangereux (du moins dans l’imaginaire occidental). Il s’agit d’appropriation culturelle : on récupère des éléments d’une culture tout en volant la parole des natifs de cette culture.

vlcsnap-2015-08-26-15h28m48s528Oulala, regarde comme je suis sensuel et dangereux…

Pour en savoir plus sur l’appropriation culturelle :

http://everydayfeminism.com/2015/06/cultural-appropriation-wrong/

La traduction en français :

http://lechodessorcieres.net/quest-quil-y-a-de-mal-a-faire-de-lappropriation-culturelle-ces-9-reponses-revelent-pourquoi-cest-blessant/

Il est assez effrayant de constater qu’un film aussi sexiste et raciste puisse non seulement faire l’unanimité parmi la profession, les critiques et le public, mais également être qualifié de « féministe ». L’invisibilisation des femmes et de leur sexualité est tellement forte qu’un film traitant du sujet est immédiatement qualifié de féministe bien que la sexualité soit traitée de la manière la plus rétrograde possible. Le fait que le personnage principal soit une femme ne permet pas non plus de qualifier le film de féministe. En effet, Ada est passive tout au long du film, la majorité des décisions sont prises pour elle par des hommes (le fait qu’elle puisse partir avec son amant est décidé entre son mari et Baines, elle n’a pas son mot à dire). Si le film critique que son père la vende à un mari qu’elle n’a jamais vu, la principale amélioration de la vie d’Ada ne sera pas la capacité de prendre ses propres décisions, mais le fait qu’un homme qu’elle aime (Baines) prennent les « bonnes » décisions pour elle.

De la même façon que les maoris tout au long du film sont montrés comme heureux d’être au service des blancs. La femme est heureuse lorsque l’homme « prend soin d’elle » (Baines lui fabrique un doigt en métal pour qu’elle continue à jouer du piano). L’idéal quand on est une femme ou un racisé n’est donc pas d’être libre et de prendre ses propres décisions mais de trouver la bonne personne qui puisse prendre ces décisions à notre place.

On notera également qu’un film étiqueté « auteur » ne sera que peu ou pas critiqué sur les discriminations qu’il montre à l’écran, comme si le fait de faire un « film d’auteur » ou même un « chef d’œuvre » empêchait tout regard critique sur l’œuvre. C’est bien connu les génies ont tous les droits…

Pour aller plus loin un article de bell hooks : http://race.eserver.org/misogyny.html sur comment la violence conjugale est beaucoup mieux acceptée lorsqu’elle est perpétrée par des blancs que par des noirs et sur l’articulation du racisme et du sexisme de La Leçon de piano

Julie G.

Edit : Suite au commentaire d’une personne concernée, j’ai modifié certains passages problématiques concernant le travail du sexe.

[1] Et encore, elle l’a partagé avec Ken Paige pour Adieu ma concubine

[2] Bien sûr il existe d’autres formes de pornographie, y compris de la pornographie féministe qui ne véhicule pas ce genre de clichés.

50 shades of s*** : la violence conjugale monochrome

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NB : Cet article ne traitera que du film 50 shades of Grey, et pas du livre dont il est tiré.
NB 2 : Comme d’habitude, je ne traite que les aspects politiques de l’œuvre et en aucun cas sa qualité cinématographique.

Je n’avais pas lu le roman 50 shades of Grey avant d’aller voir le film. Cependant, j’avais lu pas mal d’articles sur le sujet et notamment le live-blog de Cécile Dehesdin pour Slate : http://www.slate.fr/dossier/41531/fifty-shades-le-live-blog, qui fait non-seulement un très bon résumé détaillé du livre mais en propose également une analyse intéressante. Contrairement à des blogueuses comme Rosie Waterland [1] ou Sarah de Barbieturix [2], je ne m’attendais pas à rire devant le film. Au contraire, j’ai été surprise de voir que le film était beaucoup moins atroce que ce à quoi je m’attendais vu ce que je savais du livre. Comme Twilight, le livre et le film ont beaucoup été critiqués pour leur “nullité” et leur “niaiserie” [3]. Cependant, lors de la sortie de Twilight, peu d’associations et de journalistes se sont émus de la glorification de la violence conjugale qui était faite dans l’œuvre, tandis que lors de la sortie de 50 shades of Grey, plusieurs associations de femmes battues ont appelé au boycott du film [4]. De plus, de nombreux pratiquants du BDSM ont contesté l’image donnée dans le film de cette pratique. Malheureusement, toutes ces protestations n’ont pas empêché le film de faire un démarrage record en salle [5].

Une histoire de Twilight… et de Cendrillon

A la base, 50 shades of Grey est une fanfiction inspirée de Twilight. Sans vampires qui brillent au soleil. Ou loups-garous. Ou interdiction de faire du sexe avant le mariage. En fait 50 shades of Grey n’a rien gardé de Twilight, sauf…

Sauf une relation entre une jeune fille dénuée de toute personnalité et de toute ambition et un jeune homme riche, beau, talentueux et… complètement abusif [6].

Twilight n’était d’ailleurs pas si original que ça puisqu’il reprenait l’histoire de Cendrillon en y ajoutant un nouvel élément : ici, le preux chevalier ne vient pas sauver sa damoiselle de la misère financière (bien qu’il soit très riche, parce que, hein, quand même), il vient sauver sa damoiselle de l’ennui d’une vie morne et banale (et accessoirement d’une horde de gens qui lui veulent du mal sans qu’on sache vraiment pourquoi…).

Bella et Anastasia, n’ont strictement aucune personnalité, aucune passion, aucun hobby (à part “la lecture”), aucun talent, aucune ambition dans la vie… et pourtant leurs princes charmants savent voir à quel point elles sont “spéciales” (et ils sont bien les seuls…) [7]. Anastasia et Christian sont supposés tomber amoureux sauf qu’à aucun moment dans le film on ne les voit parler d’autre chose que de sexe. Jamais ils n’échangent sur leurs vies personnelles ou leur passions, et la seule fois où ils parlent de littérature (ce qu’est censée étudier Ana) c’est pour servir de prétexte à un onéreux cadeau que Christian offre à Anastasia… [8] Maintenant que les femmes ont compris qu’elles peuvent être indépendantes financièrement et s’en sortir seules dans la vie, il est important de leur rappeler à quel point leur vie leur n’a aucun sens sans un homme pour les aimer et donner de l’intérêt à leur morne vie.

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De l’ambition professionnelle ? Et puis quoi encore ?

On retrouve ainsi dans le film ce que j’aime à appeler le cliché “Ce rêve bleu”, où l’homme montre à la femme les merveilles de la vie, parce qu’elle n’est pas foutue de les découvrir elle-même.

Dans Pretty Woman, Edward emmène Vivian à l’opéra, dans Twilight, Edward prend Bella sur son dos et l’emmène en forêt, dans 50 shades of Grey, Christian envoie Ana au septième ciel, d’abord en hélicoptère, ensuite en planeur.

Dans l’effet “ce rêve bleu”, il y a non-seulement un aspect sexiste mais également un aspect classiste (pour émerveiller chérie, mieux vaut faire chauffer sa carte bleue, le planeur c’est pas à la portée de toute les bourses…)

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“Cette carte bleeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeue, je n’y crois pas c’est merveilleux…” (air connu)

En plus de révéler à Ana les merveilles du monde, Christian va également révéler à Ana les merveilles du sexe… Quand Christian apprend qu’Ana est vierge, il “corrige la situation” (selon ses propres termes), en l’emmenant au lit et en lui montrant le plaisir. Plaisir qui est forcément phallo-centré : toutes les relations sexuelles qui sont montrées dans le film sont des relations de pénétration vaginale, bonjour la diversité du plaisir sexuel…

On retrouve encore et toujours, l’image de l’homme qui sait exactement ce que désire la femme. La femme n’est plus passive pour ne pas déplaire à l’homme, elle est passive parce que l’homme sait mieux qu’elle ce dont elle a envie… (mais l’important, c’est qu’elle soit passive comme il se doit…). Et ce dont elle a envie, c’est de rapports sexuels normés où elle est pénétrée, histoire de satisfaire son homme (et la seule chose qui peut combler un homme, c’est bien connu, c’est la pénétration…).

Alors que les livres et les films érotiques destinés aux femmes sont supposés les aider à explorer leurs propres sexualités et désirs, le schéma proposé est celui de l’homme tout puissant qui va tout leur apprendre… Les femmes ne sont pas invitées à faire preuve d’empowerment et d’initiative (en couple et toutes seules) afin de découvrir ce qu’elles désirent, ce qu’elles aiment, ce qui les excitent… mais simplement à attendre l’homme qui va tout leur donner (et ce dans un cadre parfaitement hétéronormé) [9].

50 shades of Grey exploite le “complexe de Cendrillon” que j’avais déjà défini dans mon article sur Pretty Woman :

En psychologie, le « complexe de Cendrillon » désigne un désir inconscient éprouvé par les femmes d’être prises en charge, le plus souvent par leur partenaire masculin. Cette théorie est développée pour la première fois par Colette Dawling dans son livre intitulé Le Complexe de Cendrillon. Le « complexe de Cendrillon » est problématique car il est le résultat direct d’une société patriarcale qui pousse les femmes à se mettre en position d’attente, telle Cendrillon attendant son prince Charmant, plutôt que d’être indépendantes et de prendre le contrôle de leur vie.

Le « complexe de Cendrillon » trouve principalement son origine dans l’éducation « différenciée » que reçoivent les filles et les garçons. En effet, les garçons sont éduqués pour l’action et les filles pour l’attente. De plus, les femmes sont éduquées pour être dépendantes des hommes, tant dans les modèles de fiction (les damoiselles en détresse sauvées par les héros virils et puissants) que dans les injonctions quotidiennes des médias (sois belle pour trouver un homme, ne te promène pas toute seule la nuit, tes enfants avant ta carrière). Le fait de créer ainsi de toute pièce une dépendance des femmes envers les hommes est l’une des bases du système patriarcal qui maintient la domination masculine sur les femmes.

Ce complexe est entretenu tout au long de la vie par les médias comme la télévision, les magazines féminins, le cinéma et la littérature, et notamment par des œuvres créées par des femmes pour des femmes telles que Twilight (que j’ai déjà analysé ailleurs sur le site) ou le roman érotique qui s’en est directement inspiré, 50 Shades of Grey. Dans ces deux ouvrages (et films pour Twilight), l’homme prend le contrôle sur sa partenaire féminine (qui adore ça). Il est effrayant de constater que l’on peut qualifier Edward Cullen et Christian Grey de « harceleurs », et pis encore que leur comportement est plébiscité non seulement par leurs héroïnes mais surtout par des milliers de femmes à travers le monde. Les histoires de Cendrillon où les femmes sont passives et les hommes actifs nous sont vendus comme des fantasmes apportant le bonheur à l’une comme à l’autre des deux parties. Le fait que ces ouvrages soient écrits par des femmes et plébiscités par des femmes montre à quel point les normes hétérosexistes et patriarcales ont été bien intégrées par les femmes elles-mêmes à force d’être martelées à longueur de temps.

L’obsession du contrôle

L’autre caractéristique du Prince charmant version années 2000 c’est son obsession à vouloir contrôl… pardon à vouloir protéger sa princesse. Contrairement à Bella, qui avait un certain don pour se mettre dans des situations impossibles, Anastasia n’est pas ou peu en danger. Dans une séquence absolument magique, Anastasia appelle Christian alors qu’elle est ivre en boîte en déclarant qu’elle va lui rendre l’édition originale de Tess d’Uberville qu’il lui a offerte (oui, on ne fait pas toujours des trucs intelligents quand on est bourré…). Alors qu’elle lui a expressément demandé au téléphone de la laisser tranquille, celui-ci ne trouve rien de mieux que d’arriver en courant, de dégager le jeune homme qui lui faisait des avances un peu trop appuyées (le consentement c’est important pour Christian, mais juste quand il est pas impliqué) et de la ramener à l’hôtel pour la coucher dans son propre lit.

GMoM4Touche pas à mes affaires !

Certes, Christian aurait pu la laisser avec sa meilleure amie et colocataire qui aurait pu prendre soin d’elle, mais ça aurait été trop facile. Le lendemain, Christian ne manque pas de faire la morale à Ana en lui expliquant que boire de l’alcool, c’est pas bien…

593249_w1000Oui, je me suis permis de te déshabiller sans ton consentement, mais c’était pour ton bien, hein…

Il y a ici une totale infantilisation des femmes, un discours doublement nauséabond qui d’un côté répète aux femmes qu’elles sont “en danger” afin de réduire leur liberté de mouvement, et de l’autre tend à insister sur le fait que les femmes ont besoin d’hommes pour les protéger… Le contrôle effectué par Christian est par là justifié puisque sa dulcinée est “en danger”. Un discours parfaitement mensonger puisque la majorité des femmes sont plus en danger dans leur propre foyer qu’à l’extérieur.

Là où le discours de 50 shades of Grey se démarque de celui de Twilight, c’est que l’obsession du contrôle de Christian est présentée assez vite comme « pathologique », alors qu’à aucun moment de la saga Twilight, le comportement d’Edward n’est remis en question.

HsauQJe contrôle tout, surtout mon style vestimentaire…

Il apparaît assez rapidement que Christian veut TOUT contrôler dans la vie d’Ana, il va jusqu’à la surveiller pour vérifier qu’elle fait bien ce qu’il lui demande, ce que le film fait apparaître, à juste titre, comme problématique.

Problématique mais sexy. En effet, Ana se rend assez vite compte qu’il y a un problème et que quelque chose ne tourne pas bien rond, son premier réflexe est de rendre le livre qu’il lui offre, de refuser de signer son contrat, refuser d’accepter la voiture… Mais elle ne peut s’empêcher de céder et finit par tomber dans une relation complètement abusive où Christian harcèle Ana : il se pointe à l’endroit où elle travaille, lui offre des cadeaux hors de prix, s’introduit chez elle et finit par contrôler toute sa vie : il lui impose son médecin et sa forme de contraception (au passage il serait gentil d’informer M. Grey que la pilule n’est pas la seule forme de contraception existante…), l’oblige à manger et lui interdit de boire, il lui impose un dîner dans sa famille sans la prévenir, tente de l’empêcher d’aller chez sa propre mère et finit par se pointer là-bas sans prévenir…

Et Ana accepte tout cela… par amour, parce qu’il est “irrésistible”.

On passe d’une violence conjugale déguisée en amour et volonté de protection à une violence conjugale “irrésistible”, érotisée et glorifiée.

grey3D’abord je vais te dire de te tenir éloignée de moi, puis je vais te harceler pour être certain que tu ne le fasses pas… comment ça, je me contredis moi-même ?

Méfie-toi ma petite, les gens qui font du BDSM sont tordus…

Cette érotisation de la violence conjugale n’est possible que grâce à un double processus : d’une part la pathologisation de Christian, de l’autre l’introduction du BDSM (« Bondage and Discipline, Domination-Submission, Sadomasochism ») dans l’histoire…

Par conséquent le film fait trois amalgames qui sont non seulement totalement faux, mais également dangereux politiquement :

• BDSM et violence conjugale

• BDSM et pathologie mentale

• Maladie mentale/traumatisme et violence conjugale

Le film exprime clairement que Christian est dérangé : dans une scène où il se confie à Ana endormie, il lui explique qu’il a été violenté enfant, que sa mère biologique était une prostituée toxicomane (ami-es de la putophobie et de la toxicophobie, bonjour…). Il déclare que son obsession du contrôle est pathologique et se qualifie lui-même de “50 shades of fucked-up” (50 nuances de bousillé). Il ne supporte pas qu’on le touche et est incapable de vivre une histoire d’amour. Il a de plus été abusé à 15 ans par une amie de sa mère, qui l’a initié au BDSM. La représentation de cette relation dans le film est ambiguë. D’un côté, Ana est choquée et qualifie cette femme de « pédophile », ce qui est une réaction plutôt appropriée face à un abus. De l’autre, Christian continue d’avoir des relations amicales avec cette femme qu’il considère comme une amie et un mentor. A aucun moment Christian ne qualifie cette relation d’abusive, alors que les relations d’hommes plus âgés avec des jeunes filles mineures sont à juste titre considérées comme relevant de pédocriminalité ou du détournement de mineur. Il y a ainsi souvent une certaine tolérance pour les agressions sexuelles commises par des femmes. Ce qui tend, non seulement tend à laisser des agresseuses sexuelles impunies mais également à invisibiliser la souffrance des victimes.

L’instabilité émotionnelle de Christian est directement connectée à son goût pour le BDSM. Même si Ana déteste cela, il n’est pas capable de s’en empêcher. Il déclare lui-même qu’il est obligé de la punir, alors même que cela n’apporte aucun plaisir à la jeune fille. Alors que le livre est un roman érotique et que le BDSM est érotisé, l’idée d’une sexualité “différente” de la norme est immédiatement pathologisée, signe d’un problème. Paradoxalement, alors que le film (et le livre avant lui) tend à démocratiser le BDSM et à donner envie aux gens de pratiquer, il contribue à normer la sexualité (avec d’un côté ce qui est « normal », de l‘autre ce qui ne l’est pas). Rappelons au passage qu’il n’y a absolument aucune corrélation entre la pratique du BDSM et le traumatisme ou la pathologie mentale…

jamie_dornan_fifty_shades_of_grey_a_lJe suis un homme torturé, la preuve, je fais la gueule très fort…

Le traumatisme de Christian sert également à justifier les abus qu’il inflige à Anastasia. Ainsi, son obsession du contrôle et sa façon d’intervenir sont “expliquées” par ses problèmes mentaux.

Cette façon de pathologiser la violence conjugale a un triple effet pervers :

• elle excuse les hommes violents et abusifs, dans une perspective totalement masculiniste.

• elle met les compagnes d’hommes abusifs en position de devoir les sauver par amour (ce qui, si on en croit la vidéo de Lacy Green, est exactement ce qui va arriver à Ana… [10])

• elle transforme un problème de société en un problème personnel : la dimension sociétale des violences conjugales est invisibilisée, et le problème est renvoyé à quelques individus « malades », alors que dans la réalité, il n’y aucun lien entre la maladie mentale et la violence conjugale. Les personnes malades mentales et handicapées sont d’ailleurs plus souvent victimes de violences conjugales et d’agressions sexuelles.

Il y a également un propos fortement masculiniste dans ce film. Christian a beau se montrer violent psychologiquement dans sa relation avec Ana, et la faire souffrir terriblement, on insiste sur sa souffrance à lui. Alors qu’il impose à Ana des règles qui la font terriblement souffrir, comme l’interdiction de le toucher ou une surveillance continue, on insiste sur le fait que LUI souffre de la faire souffrir et de mal se comporter (alors que s’il souffrait réellement à ce point-là, il se contenterait d’arrêter de la harceler et la laisserai vivre sa vie en paix). Le pire dans ce registre-là est probablement la scène ou Ana le confronte et lui déclare littéralement qu’elle n’aime pas le BDSM et que cela la fait souffrir, ce à quoi Christian lui répond qu’il est obligé et qu’il ne peut pas s’en empêcher. La question n’est pas qu’il ne puisse pas avoir d’autres relations que celles du BDSM, mais qu’il se sente obligé de harceler, manipuler et faire chanter une jeune fille pour qu’elle consente à des relations dont elle n’a pas réellement envie… parce qu’il est amoureux. On retrouve ici une justification extrêmement proche des discours pro-viols, comme quoi l’agresseur « n’a pas pu s’en empêcher » ou que « c’est par amour ».

Une notion floue du consentement

Encore plus que leur assimilation à des malades mentaux, ce qui a fait bondir les adeptes du BDSM à la sortie du livre et du film, c’est la représentation de la notion de consentement dans l’œuvre.

Le consentement est une notion clé pour les pratiquants du BDSM (bien que comme dans chaque type de relation, il existe des abus). La communication entre dominant-e et soumis-e est également cruciale. La plupart des témoignages et des sites de conseils insistent sur l’importance du dialogue entre les deux pratiquants. Quand il est pratiqué correctement, le BDSM est précédé d’une discussion qui permet de poser les désirs et les limites du dominant comme du dominé, cette discussion est souvent formalisée sous la forme d’un contrat écrit (comme dans le film), qui n’a aucune valeur juridique. Ce contrat ou accord oral peut être modifié si l’un des deux décide qu’il a envie d’aller plus loin ou au contraire que finalement certaines pratiques ne lui conviennent pas. Il est important de noter que normalement ce genre de contrats n’implique que la vie sexuelle des participants et en aucun cas le reste de leur vie, contrairement au contrat de Christian qui tend à régenter l’existence d’Ana dans ses moindres détails.

De nombreuses sources mettent également l’accent sur le fait que celui qui est le plus expérimenté se doit d’accompagner celui qui débute dans ses découvertes et questionnement. Ce que ne fait absolument pas Christian, puisqu’il pratique du BDSM « soft » (sexe attaché, fessée) sur Ana sans lui expliquer les tenants et aboutissants. Alors qu’Ana lui demande des informations, plutôt que de lui donner des références précises ou mieux de lui expliquer directement, il lui conseille de taper « soumission » sur Google (M. Grey a beau avoir fait fortune dans les télécommunications, il ne sait pas comment effectuer une recherche documentaire…).

Le problème de ce manque de communication entre Ana et Christian n’est pas seulement le manque d’information de cette dernière, mais également la détresse dans laquelle la plonge ce manque de soutien. Après la première fessée, Christian laisse Ana toute seule et elle fond en sanglots. En plus du contrôle que Christian effectue sur sa vie, le fait de créer de la souffrance psychologique chez sa partenaire s’apparente à de la violence conjugale [11]. De plus, dans le BDSM, l’aspect communautaire et le partage des expériences est très important, que ce soit en ligne via les forum et les sites web ou dans la vraie vie via les ateliers et les rencontres. Ici, Ana est isolée, elle n’a aucun point de repère sur ce qui est normal et sain dans la pratique du BDSM et ce qui ne l’est pas, et par conséquent aucun moyen de se rendre compte que Christian est abusif avec elle. Pire, Christian lui fait signer un contrat de confidentialité (légal celui-là) lui interdisant de parler de ce qui se passe entre eux, sous prétexte de se protéger face à la presse à scandales… Quel excellent moyen pour qu’Ana soit encore plus isolée et incapable de se défendre face à la violence conjugale ! Pour que personne ne puisse lui faire remarquer à quel point Christian est toxique et dangereux pour elle !

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Ana, seule et désemparée…

Contrairement à ce qu’annonce une des affiches françaises du film, Ana n’est pas curieuse du BDSM, en aucune façon. La seule raison pour laquelle elle accepte de s’y intéresser est parce que c’est la seule façon pour elle d’être avec Christian. Elle accepte donc de se plier à une pratique qui ne l’intéresse pas parce qu’il lui pose un ultimatum. Et lorsque qu’après avoir réfléchi et s’être renseignée, elle décide de refuser la relation qu’il lui propose (un contrat de soumise dépassant la question du sexe en restreignant sa vie, l’obligation d’être chez lui le week-end, le fait de dormir dans des lits séparés, l’interdiction de le toucher et l’impossibilité de sortir “en couple”), Christian s’introduit chez elle et la surprend dans sa chambre. Si le rapport sexuel qui suit est consenti, Christian exerce sur Ana une coercition sexuelle pour la pousser à faire ce dont elle n’a pas envie. Il ne cesse de lui répéter que le BDSM n’est pas seulement pour son plaisir à lui mais également pour son plaisir à elle. Et effectivement, certains actes sexuels de domination donnent effectivement du plaisir à Ana, mais au final il fait tout pour la pousser à faire ce qu’elle n’a pas envie de faire. Dans la séquence finale, Ana demande à Christian de la “punir” afin qu’elle voit ce que ça fait “le pire”. Le simple fait qu’Ana s’interroge sur le pire qui pourrait lui arriver est symptomatique d’un gros problème, puisque dans une relation sexuelle, BDSM ou non, il n’est pas censé vous arriver “le pire”, vous n’êtes supposé faire que ce dont vous avez envie et au besoin vous arrêter si quelque chose ne vous plaît pas (c’est tout l’intérêt du “safe word” [12] qui permet de s’arrêter n’importe quand). Christian retire alors sa ceinture et commence à donner six coups à Ana. Alors que la détresse de la jeune fille est évidente, aucun des deux ne songe à arrêter (alors qu’Ana est en possession d’un safe-word qu’elle pourrait utiliser et qu’il pourrait l’encourager à utiliser ou juste arrêter tout seul en cas de doute).

Durant tout le film il y a une confusion entre la domination BDSM et la coercition sexuelle. En général, dans une relation BDSM “saine”, ce sont les soumis qui sont demandeurs. Ils posent leurs limites. Certains vont jusqu’à dire que, paradoxalement, ce sont les soumis qui contrôlent la relation. Le processus de soumission est considéré par certains comme un processus d’emporwerment puisqu’il oblige le soumis à s’interroger sur ses désirs et ses limites de manière précise et concrète et qu’une relation BDSM n’exige pas seulement confiance en l’autre mais également confiance en soi. Or, Ana n’a pas réellement confiance en Christian (vu qu’il lui ment et la manipule c’est plutôt normal) et certainement pas confiance en elle. De la même façon, le film entretient la confusion entre “domination BDSM”, à savoir un ensemble de pratiques que les participants ont déterminé ensemble, et “domination abusive” (le contrôle que Christian exerce sur Anastasia).

Il y a cependant quelques séquences intéressantes dans le film où Ana reprend le contrôle sur sa vie, notamment la séquence de “négociations” dans laquelle Ana impose ses conditions et finit par refuser d’avoir un rapport sexuel avec Christian, retrouvant ainsi son libre-arbitre et sa capacité de décision. Cependant, cette scène présente la discussion comme une lutte où Christian tente de pousser Ana à se soumettre à ses désirs. Alors que, dans le BDSM, les discussions préliminaires sont supposées définir ce que soumis-e et le dominant-e ont envie de faire, ici il s’agit de définir jusqu’où Ana est prête à aller pour faire plaisir à son amant. La fin du film est également intéressante puisqu’après sa “punition”, Ana décide de mettre fin à sa relation avec Christian se rendant enfin compte qu’il est abusif est que cette relation est toxique pour elle. La fin fut donc un réel soulagement féministe. Malheureusement, je doute fort que les deux prochains films traitent de la façon dont Ana continue de se tenir à distance de Christian tout en se construisant une vie et une sexualité à elle…

Julie G.

Notes

[1] http://www.mamamia.com.au/rogue/fifty-shades-of-grey-review-rosie-waterland/

[2] http://www.barbieturix.com/2015/02/15/fifty-shades-of-grey-ou-la-culture-du-viol/

[3] Il est important de noter que 50 shades of Grey a reçu de nombreux retours méprisants, voire condescendants en partie en raison du fait qu’il s’agissait d’une œuvre écrite par une femme et à destination des femmes. http://www.ledeuxiemeregard.com/news/critiques/50-nuances-de-grey/

[4]http://www.huffingtonpost.fr/marielaure-makouke/50-nuances-de-grey-apologie-violence_b_6651870.html

[5]http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/En-un-week-end-50-Nuances-de-Grey-a-deja-attire-1-7-million-de-spectateurs-en-France-4133870

[6] Je n’ai absolument aucun problème avec le genre qu’est la fanfiction en général et n’éprouve absolument aucun mépris pour ses œuvres ou ses auteurs. La seule raison pour laquelle je cite l’origine de l’œuvre, est parce qu’elle est tirée d’une œuvre qui était déjà profondément problématique politiquement et que cela me semble important pour l’analyser.

[7] Je me demande si ce manque de caractérisation ne sert pas à faciliter l’identification des lectrices afin qu’elles puissent se fantasmer à la place de l’héroïne.

[8] Il lui offre une édition originale de Tess d’Uberville après qu’elle a déclaré aimer Thomas Hardy.

[9] http://fsimpere.over-blog.com/article-est-ce-ainsi-que-les-femmes-revent-120620101.html

Et je ressors mes chouettes articles sur l’obligation de la pénétration :
http://www.crepegeorgette.com/2013/08/07/lheterocentrisme-ou-lobligation-du-rapport-penetratif/
http://www.crepegeorgette.com/2013/06/17/la-sexualite-heterosexuelle-dans-le-patriarcat-est-elle-necessairement-sexiste/
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/185268-positions-sexuelles-stop-a-la-toute-puissance-de-la-penetration.html

[10] Une très chouette vidéo d’ailleurs : https://www.youtube.com/watch?v=o92hv7La9Sk

[11] Sources :
http://www.slate.fr/culture/63653/cinquante-nuances-de-grey-le-sm-de-fifty-shades-est-il-realiste
http://www.slate.fr/culture/63973/cinquante-nuances-grey-fifty-shades-bdsm-comprend-pas
http://www.cbc.ca/news/arts/fifty-shades-of-grey-critics-slam-bondage-stereotypes-1.1250140
http://rue89.nouvelobs.com/rue69/2012/03/27/sadomasochisme-les-regles-pour-que-la-douleur-soit-toujours-un-plaisir-230538
http://www.madmoizelle.com/fifty-shades-bdsm-temoignages-321226
http://cabinetsdecuriosites.fr/au-fond-des-choses/comptes-rendus-des-ateliers/compte-rendu-latelier-bdsm-fouette-cherie-stp/
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1327959-50-nuances-de-grey-je-pratique-le-sm-ce-film-en-presente-une-version-malsaine.html
http://auroraweblog.karmaos.com/post/1379

[12] Dans la pratique du BDSM, un « safe-word » est un mot défini à l’avance par les participants permettant de tout arrêter si la pratique va trop loin.

American Nightmare (2013) et American Nightmare 2 : Anarchy (2014) : Quand les riches tuent les pauvres

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American Nightmare, The Purge en version originale, et sa suite, sont deux films d’horreur/anticipation/action ayant pour point de départ le postulat suivant : une nuit par an, aux États-Unis, lors de la “Purge” annuelle, tout crime devient légal et les services de police et de secours sont indisponibles, afin que les citoyens puissent se débarrasser de toutes les émotions négatives qu’ils ont accumulées. Grâce à la purge, les taux de chômage et de pauvreté ont grandement baissé et l’économie est florissante…

Le premier film est un “Home invasion movie” dans lequel une famille riche, les Sandin, se retrouve attaquée par un groupe de jeunes gens s’adonnant à la purge car elle a donné refuge au sans-abri qui était leur cible. Le deuxième film est un “survival” dans lequel un groupe de personnes constitué un jeune couple de classe moyenne et une mère accompagnée de sa fille se retrouve coincé dehors lors la purge et tente de survivre sous la protection d’un homme mystérieux.

Bien que ces deux films aient été largement méprisés par la critique, très probablement car il s’agit de films d’horreur et de divertissement, ils proposent une réflexion intéressante sur les dérives du capitalisme et l’exploitation des pauvres par les riches.

 

Les pauvres, victimes des riches

Contrairement à Daybreakers, déjà analysé sur ce site, qui proposait une critique du système capitaliste par la métaphore (les vampires représentant les exploiteurs), le propos politique de The purge est très explicite. Dans les deux films, on retrouve l’idée que la purge n’existe pas pour que les américains puissent exprimer leurs frustrations et leur violence (comme le prétend le discours officiel), mais simplement pour éliminer les populations pauvres qui n’ont pas les moyens de se protéger. Cette idée est exprimée très clairement dans les deux films soit via des gens qui s’expriment dans les médias, soit dans la bouche des personnages eux-mêmes.

Dans le premier opus, le fils de la famille Sandin, Charlie décide de laisser entrer un sans-abri poursuivi par une bande de jeunes. Agacé que leur proie leur ai échappé, le chef de la bande pose un ultimatum à la famille Sandin : ceux-ci doivent leur livrer le sans-abri, sinon ils forceront l’entrée de la maison pour les massacrer. Dans le deuxième opus, le père et grand-père des deux héroïnes se sacrifie pour qu’elles aient une vie meilleure en devenant le “martyr” d’une famille riche qui pourra le torturer et de le tuer en échange d’une somme d’argent versée à sa famille. Également dans le deuxième opus, le groupe de héros est kidnappé pour servir de proies dans une chasse à l’homme organisée pour le divertissement d’un club de riches. Dans les deux films on constate que les riches ont une forte conscience de classe et de leur supériorité sur les “pauvres” qui transparaît fortement dans leur discours.

vlcsnap-2015-01-28-14h49m13s231La purge selon les riches…

 Les Sandin sont d’ailleurs attaqués par leur voisins car ils ont eux l’audace de s’enrichir sur le dos des gens du quartier (en leur vendant des système de protection) plutôt que sur le dos des pauvres comme tout riche qui se respecte.

 vlcsnap-2015-01-14-22h40m29s23La vérité c’est que vous êtes à nous, pas à eux.

 Malheureusement dans l’opus 1, la critique de classe est affaiblie par le fait que les jeunes agresseurs soient présentés comme fous ou malades mentaux : le leader tue son ami car il est agacé, les autres membres du groupes se comportent comme des forcenés… La violence ne serait donc pas due à une domination de classe mais plutôt à la santé mentale défaillante des protagonistes. Dans l’opus 2 au contraire, le club de purgeur est présenté comme constitué d’individus tout à fait civilisés considérant que l’argent leur donne la légitimité de massacrer plus pauvre qu’eux.

vlcsnap-2015-01-14-22h38m24s60Mais non je ne suis pas un psychopathe…

Ceux-ci se sentent tellement supérieurs aux pauvres qu’ils manifestent de la surprise et de l’indignation lorsque ces derniers osent se rebeller contre eux, alors même qu’ils n’essaient que de sauver leur propre vie.

Ainsi le chef du gang est scandalisé que le sans-abri ait osé se révolter alors qu’ils s’apprêtaient à le massacrer pour le plaisir, et la femme qui a vendu le groupe de héros aux enchères pour qu’ils servent de proies dans une chasse à l’homme est outrée lorsque l’homme mystérieux commence à se battre contre les chasseurs. Ces situations rappellent fortement les cris d’orfraie de la classe dominante lorsque les personnes discriminées (celles qui subissent le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, la pauvreté…) osent réclamer des droits.

vlcsnap-2015-01-28-14h56m32s9 vlcsnap-2015-01-28-14h56m41s93Les gens « civilisés »…

Dans le deuxième opus, les protagonistes comprennent que non seulement la purge sert à éliminer les populations pauvres, mais qu’en plus le gouvernement y participe en envoyant des soldats massacrer les plus pauvres dans des immeubles ciblés.

On retrouve ici l’idée clairement exprimée que le gouvernement se situe du côté des riches aux dépends des pauvres, ce qui tranche assez radicalement avec l’image du pays où tout le monde peut réussir qui est généralement développée par le cinéma hollywoodien. Il est d’ailleurs dommage que le film ne développe pas plus cette idée de la collaboration du gouvernement avec les riches pour écraser les pauvres.

Une des idées centrales de la saga pourrait s’exprimer de cette façon : « les riches sont plus libres que les pauvres ». En effet, la saga montre bien que si en théorie la purge est faite pour tout le monde, les seuls à pouvoir affronter la purge en toute tranquillité (ou du moins avec un semblant de tranquillité) sont les riches car eux-seuls ont les moyens de se défendre, de se protéger ou d’aller purger sans danger. Comme dans Hunger Games, déjà chroniqué sur ce site, on peut y voir une analogie du monde actuel ou la liberté formelle (tout le monde peut devenir riche et réussir) s’oppose très fortement à la liberté réelle (les personnes ayant de l’argent ont la possibilité de faire des études et donc plus facilement la possibilité de réussir).

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En plus de dénoncer les liens du pouvoir et de la richesse avec le gouvernement, la saga, avec le deuxième opus, prône une révolte active des pauvres au travers du mouvement anti-purge dirigé par Carmelo. En effet, la résistance anti-purge qui prône une rébellion active est valorisée dans le film à la fois par le crédit que lui accorde l’un des personnages principaux (Cali), la façon dont ils sont mis en scène et leur arrivée héroïque qui sauve le groupe de protagonistes d’une mort certaine.

Il est également dommage que la résistance anti-purge soit elle aussi très peu développée, on ne saura pas pourquoi les révolutionnaires attendent la purge avant de faire leurs actions (pour la portée symbolique ? parce que la police mettra plus de temps ?) Et surtout, on ne saura pas si l’action des révolutionnaires aura servi à quelque chose, s’ils vont réussir à renverser le gouvernement.

La fin est également ambiguë puisque l’alarme sonore semble indiquer un « retour à la normale » et à la sécurité. Or il a clairement été montré que le gouvernement était dangereux pour une certaine catégorie de la population. La révolution est-elle pertinente une fois le calme revenu ? Ou n’a-t-elle sa place que dans le cadre de la purge ?

La dimension ethnique de la pauvreté

La saga The purge est non seulement un des rares films de genre à s’intéresser à la question de la pauvreté, mais c’est également l’un des rares films à s’intéresser à la dimension raciale et ethnique de la pauvreté et des inégalités de classe. Dans le premier film, le sans-abri est un homme noir poursuivi par une bande de jeunes riches et blancs dans une banlieue quasiment intégralement blanche (l’une des voisines des Sandin est également noire).

Dans le deuxième film, l’un des personnages principaux, Eva est latino-américaine. Elle est serveuse dans un diner et lutte financièrement, au point que son père se sacrifie pour lui assurer une vie meilleure ainsi qu’à sa fille Cali. Le leader de la résistance anti-purge, Carmelo Jones, est noir américain, ainsi que la bande de jeunes qui kidnappent le groupe de héros pour se faire de l’argent. A l’inverse, les membres du club de Purgeurs ultra-riches participants à la vente aux enchères et les membres du gouvernement sont tous blancs.

vlcsnap-2015-01-28-14h52m32s171 vlcsnap-2015-01-28-15h02m52s233Carmelo Jones et la résistance anti-purge

 

Il est intéressant de montrer que les personnes racisées sont soit des victimes de la purge, soit des gens tentant de survivre à leurs difficultés financières. Alors que la bande de jeunes aux visages peints était présentée comme une menace majeure au début du film, il s’avère que finalement qu’il ne s’agit que de personnes tentant de survivre quitte à obtenir de l’argent par des moyens illégaux et d’intermédiaires pour une menace bien plus importante : celle du club des purgeurs.

Même si le film prend un parti pris intéressant en montrant les personnes racisées comme des victimes de la pauvreté, il n’empêche qu’il préfère s’attarder sur la riche et blanche famille Sandin plutôt que sur le sans-abri noir qui échappe à ses agresseurs. Dans l’opus 2, si deux personnages principaux sont latino-américains, aucun personnage noir n’est un personnage principal. Et on préfère s’attarder sur la rédemption de l’homme blanc plutôt que sur la révolution menée par les noirs.

Il est intéressant de noter que le leader de la résistance anti-purge évoque le défenseur des droits des afro-américains Malcolm X, insistant sur le lien entre origine ethnique et pauvreté.

Malgré une réflexion intéressante sur les liens entre classe sociale et origine ethnique, la saga perpétue allègrement le trope raciste du sauveur blanc : Dans l’opus 1, le sans-abris noir est sauvé d’abord par le fils puis par le reste de la famille. C’est d’ailleurs ce sauvetage qui permettra à James Sandin d’accéder à une prise de conscience (il se rend compte que la purge est une chose atroce) qui le mènera à la rédemption. Le personnage du sans-abri n’est jamais développé en tant que personnage, il ne sert que de prétexte scénaristique pour la prise de conscience et la rédemption de la famille Sandin.

Le refus de la vengeance

La vengeance est souvent glorifiée dans les médias de masse. De nombreux films s’articulent même partiellement ou entièrement sur la vengeance d’un personnage, à tel point qu’il existe même des genres cinématographiques comme le Rape and Revenge ou le Revenge Movie.

Les deux opus de The purge sont assez intéressants par leur condamnation quasi-systématique de la vengeance. Si, comme on le verra plus bas, le discours de la saga est assez ambigu sur le thème de la violence, il est relativement clair sur celui de la vengeance.

Dans le premier opus, alors que Mary a la possibilité de tuer ses voisins qui étaient venus l’exécuter, elle et ses enfants, elle décide de les épargner en disant “enough killing for tonight”.

 vlcsnap-2015-01-14-22h42m11s28N’as-tu pas entendu ce que j’ai dis ? Plus de meurtre ce soir !

 

Dans le deuxième opus, lorsque l’homme mystérieux croise la femme qui les a vendus aux enchères avec délectation, il décide de l’épargner. Et surtout, durant l’intégralité du film, l’homme mystérieux a pour projet de tuer l’homme qui a tué son fils dans un accident de voiture alors qu’il conduisait en état d’ivresse. Mais finalement, grâce à l’influence de Cali et Eva, l’homme mystérieux renonce à son projet de vengeance, et l’homme qu’il a épargné finit par le sauver lorsqu’il est agressé par “Big Daddy”. Les deux films semblent ainsi condamner fermement la vengeance. Cependant, lorsque son mari meurt dans une fusillade, Liz décide de rejoindre la résistance anti-purge. La phrase “I wanna purge” montre bien qu’elle veut se venger et venger la mort de son mari. Malheureusement le film ne s’attarde pas sur les raisons de ce choix. On ne sait pas si cette décision est motivée par la colère et la vengeance personnelle ou par une volontée de lutte contre l’injustice, ou les deux.

Globalement la saga condamne donc la vengeance la montrant comme une quête stérile et un mauvais choix.

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Un discours paradoxal sur la violence et les armes à feu

Si le discours du film est très clair sur son aspect social et anticapitaliste, il est beaucoup plus ambigu sur la violence. On se retrouve, comme avec Battle Royale, avec un film qui dénonce la violence dans ses paroles tout en la glorifiant dans ses images.

Paradoxalement, le film semble tour à tour valoriser une attitude violente et une attitude non-violente. La violence gratuite de la purge est explicitement condamnée mais les moyens utilisés pour lutter contre la purge sont exactement les mêmes que ceux des purgeurs : lorsque les Sandin se battent contre ceux qui attaquent leur maison, ils se défendent grâce à des armes à feu. A plusieurs reprises, des personnages en situation critique sont sauvés par un autre qui tire sur l’ennemi. Dans le 2, ce qui permet à l’homme mystérieux de protéger le groupe c’est le fait qu’il soit équipé avec des armes à feu (justement parce qu’il était parti pour aller purger) et la résistance armée de Carmelo contre l’oppresseur est valorisée.

Dans le film, ce ne sont pas tant les méthodes violentes qui sont critiquées mais les raisons d’utiliser ces méthodes. Ainsi le film distingue 2 usages de la violence : il condamne la violence des riches et de l’État sur les pauvres (ainsi que la violence vengeresse), et valorise la légitime défense et la violence révolutionnaire/contre l’oppresseur.

On retrouve le même discours ambivalent dans la représentation des armes à feu, au début du film, James et Eva sortent un revolver avec la même phrase ambiguë : “Just in case” (juste au cas où), sous-entendu “on n’aime pas se servir de ça mais on pourrait en avoir besoin”. De la même façon, ce qui permet à la famille Sandin de se défendre et à l’homme mystérieux de protéger le groupe, c’est une impressionnante collection d’arme à feu. Quand on sait que l’un des arguments les plus utilisé pour défendre le port d’armes aux États-Unis est l’autodéfense et le droit de se protéger, on est en droit de trouver cela douteux.

Un autre argument très utilisé pour défendre le port d’armes aux États-Unis est la référence au deuxième amendement, qui stipule que chaque citoyen américain a le droit de posséder et de porter des armes à feu. Or l’un des postulats du film est que la purge à justement mise en place par les “Nouveaux Pères fondateurs”. Cela est précisé au début du film, et à plusieurs reprises dans les deux films on voit des personnages négatifs se réunir pour faire une sorte de prière aux nouveaux pères fondateurs. Ainsi le deuxième amendement semble ainsi être critiqué et ceux qui le défendent assimilés à des fanatiques de la violence. Ce qui n’est pas hyper-cohérent avec la représentation des armes à feu qui est faite dans le film.

vlcsnap-2015-01-14-22h41m14s214 vlcsnap-2015-01-14-22h41m25s56 vlcsnap-2015-01-14-22h41m32s150

Le culte de la violence…

On peut aussi voir dans cette représentation de culte un critique de la politique hyper-religieuse des États-Unis ainsi que de la violence que cette politique engendre.

La femme passive et l’homme actif

Les deux films fonctionnent selon le même schéma ou c’est l’homme qui protège le groupe et prend les décisions. Dans le premier film, James prend toutes les décisions, qu’il s’agisse de livrer le sans-abri ou au contraire de se battre contre le groupe de jeunes. Certes, il prend les décisions sous l’influence du reste de sa famille, mais il n’empêche que celle-ci s’y soumet. De plus, James Sandin organise tout seul la défense de la maison en donnant des ordres à sa famille et notamment à sa femme, alors qu’il n’a aucune compétence particulière pour cela (du moins aucune qui soit justifiée par le scénario). Alors que sa femme est dominée quasiment immédiatement en combat singulier, James est montré durant une longue séquence en train de combattre les intrus avant de mourir héroïquement. Les seuls personnages s’opposant au patriarche sont les autres personnages masculins : le fils de la famille, Charlie et le petit ami de la fille, Henry. Le premier décide de laisser entrer le sans-abri, puis de l’aider à se cacher, le deuxième tente de tuer James car ce dernier désapprouve la relation qu’entretien Henry avec sa fille. On notera d’ailleurs que la domination patriarcale de James est déjà présente avant que la crise ne démarre : lorsque celui-ci rentre lui, sa femme lui dit qu’il devra faire quelque chose à propos de la relation entre Henry et leur fille, visiblement elle-même n’a pas voix au chapitre…

Dans le deuxième film, une femme et sa fille adolescente ainsi qu’un couple se retrouvent par un concours de circonstances sous la protection et les ordres d’un homme mystérieux. Contrairement à James Sandin, l’homme mystérieux a visiblement reçu un entraînement professionnel qui lui permet de se battre, de tirer et de survivre en milieu hostile, justifiant son rôle de protecteur du groupe (on apprendra tout à la fin du film qu’il est en fait sergent dans l’armée). On reste dans le trope de l’homme fort et viril qui protège tout le monde. Il a en cela le même genre de statut que James Sandin, celui du patriarche fort qui protège sa famille.

L’autre homme du groupe, Shane agit avec sa femme exactement comme James Sandin avec la sienne : en prenant toutes les décisions et en lui donnant des instructions. Cependant, contrairement au précédent opus où ce comportement était valorisé puisqu’il permettait à James de protéger sa famille, il est ici caricaturé, Shane se retrouvant pris dans un piège, puis sévèrement blessé alors qu’il tentait de jouer les héros sans avoir les compétences nécessaires.

Le premier opus, en plus de montrer les personnages masculins prendre toutes les décisions, se révèle assez décevant dans sa représentation des femmes. Alors que James Sandin, le mari et père est caractérisé par son métier, métier qui possède une réelle importance dans l’intrigue, on ne saura jamais ce que fait sa femme, Mary, ou même si elle exerce un métier tout court. De la même façon, le fils de la famille, Charlie, est un passionné d’électronique qui invente des machines élaborées tandis que ça sœur est uniquement caractérisée par le fait qu’elle entretient une relation que son père désapprouve avec un jeune homme plus âgé. Sans oublier la sexualisation de Zoey qui est pourtant supposée n’avoir que 15 ans…

vlcsnap-2015-01-14-22h36m07s226La fille…

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… et le fils de la famille

Les personnages sont moins caricaturaux dans le deuxième opus. Cali, la fille adolescente d’Eva, visionne des vidéos contestataires sur le web et développe une conscience politique tandis que sa mère fait preuve d’astuce et de courage pour survivre.

On notera également que les personnages les plus odieux de la classe bourgeoise sont des femmes : l’ignoble voisine jalouse (ce défaut tellement typique des femmes) qui est le leader du groupe qui vient assassiner les Sandin ainsi que la directrice des enchères qui vend les héros lors de la purge privée. Même dans ses antagonistes la saga reste caricaturale…

Rédemption du patriarche et glorification de la famille

Les deux films présentent une structure similaire ou un patriarche protège sa famille et obtient ainsi la rédemption pour ses actes passés.

Au début du premier film, James Sandin est présenté comme un individu odieux, égoïste, obsédé par sa réussite et par l’argent : le « raconte-moi ta journée » du repas est une tentative assez pathétique de renouer avec ses enfants et un prétexte pour se mettre lui-même en valeur. Lorsqu’il est sommé de livrer le sans-abri à la bande de jeunes, sa première réaction est d’accepter et de tout faire pour retrouver l’homme et le faire sortir de la maison. Il va jusqu’à demander à sa femme de torturer l’homme avec un coupe papier lorsque celui-ci se débat. Au milieu du film, sous l’influence de sa famille et notamment de sa femme, James amorce un virage moral puisqu’il décide de combattre la bande de jeunes plutôt que d’abandonner l’homme à une mort certaine. Le reste du film le montre en train de se battre afin de protéger héroïquement sa famille.

De la même façon, dans le deuxième film, l’homme mystérieux, au début obsédé par un projet destructeur et égoïste de vengeance parvient à la rédemption sous l’influence d’une famille symbolique qui prend la forme d’un groupe à protéger, et plus particulièrement grâce à l’influence d’une femme (Eva) qui l’amène à faire ce qui est juste. De manière assez symptomatique, le film éjecte à la fin Liz et Shane (l’une rejoint la résistance lors de la mort de l’autre) afin de laisser la place à une famille recomposée composée d’Eva, de sa fille et de l’homme mystérieux qui prend la place du père.

Les deux films ont donc pour personnage principal un héros qui entame une trajectoire rédemptrice en protégeant sa famille (réelle ou symbolique) et en devenant un martyr (James est tué, l’homme mystérieux est blessé ). Alors que le film remet en question l’idéologie patriarcale à un niveau étatique à travers la critique de la glorification de la violence et la figure caricaturale des « nouveaux pères fondateurs », il la valide à un niveau interpersonnel : la vision traditionnelle de la famille avec son attribution des rôles ultra genrée (le père protecteur, la mère douce et garante de la moralité) est valorisée.

L’influence de « LA » femme

Dans les deux films, ce sont les femmes qui poussent l’homme à faire ce qui est juste. Dans le premier film, James décide de ne pas livrer le sans-abri sous l’influence de sa femme et de sa fille. Contrairement au fils qui s’opposait radicalement à son père en contrant directement ses projets (il aide le sans-abri à sa cacher alors que son père le cherche pour le livrer aux assaillants), les femmes de la famille se contentent de manifester leur désapprobation, de préférence en pleurant mais sans s’opposer en actes ou en paroles au père, notamment Mary qui continue de suivre les instructions de son mari alors qu’elle n’est visiblement pas d’accord.

Dans le deuxième film, lorsqu’Eva et sa fille Cali comprennent que l’homme mystérieux a décidé de profiter de la purge afin de venger la mort de son fils, elles tentent de l’en dissuader, utilisant divers arguments et en continuant d’insister malgré l’hostilité de l’homme. De la même façon, au début du film, l’ex-compagne de l’homme mystérieux était venue tenter de le raisonner. Finalement, l’influence des femmes finira par fonctionner puisque l’homme mystérieux finira par épargner le chauffard responsable de la mort de son fils.

Ce schéma narratif est problématique pour deux raisons : d’une part parce qu’il cantonne les femmes à un rôle passif, elles n’ont pas le pouvoir d’agir directement sur les évènements, leur seul moyen d’action étant de passer par un homme, d’autre part parce qu’il corrobore l’idée essentialiste selon laquelle les femmes seraient “naturellement” moins violentes que les hommes. Ce point de vue peut paraître positif, considérer que les femmes sont plus raisonnables et moins enclines à la violence que les hommes, surtout dans le cadre du film ou d’une certaine façon le point de vue non-violent est valorisé, mais il est profondément essentialiste.

Cet essentialisme est, d’une part, extrêmement réducteur (réduisant les individus à des généralités qu’il présente comme naturelles et innées alors qu’il s’agit de normes imposées socialement : les hommes sont comme-ci, les femmes sont comme ça), d’autre part souvent utilisé pour justifier la violence masculine (les hommes ne peuvent pas s’empêcher d’être violents, c’est dans leur nature). En réalité, si les hommes ont des comportements violents, c’est parce que la société les autorise et même les encourage à avoir des comportements violents. Il est cependant important de noter que dans le deuxième film cette image de la femme non-violente qui raisonne l’homme violent est contrebalancée par le personnage de Liz qui après la mort de son mari décide de rejoindre la résistance anti-purge et de se battre. La phrase “I wanna purge” montre bien la dimension vengeresse de cet acte.

Finalement, la saga se montre très progressiste, voire révolutionnaire, sur certains sujets comme celui de l’exploitation des riches par les pauvres, et très réactionnaire sur d’autres comme la place des femmes.

Julie G.

500 jours ensemble (2009) et Elle s’appelle Ruby (2012) : Et le nice-guy rencontra la manic pixie dream girl…

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La Manic Pixie Dream Girl, abrégé MPDG, est un trope de personnage féminin utilisé dans de nombreux films. Le terme a été inventé par le critique cinématographique Nathan Rabin pour caractériser le personnage de Kirsten Dunst dans Rencontres à Elizabethtown.

« Dunst embodies a character type I like to call The Manic Pixie Dream Girl (see Natalie Portman in Garden Statefor another prime example). The Manic Pixie Dream Girl exists solely in the fevered imaginations of sensitive writer-directors to teach broodingly soulful young men to embrace life and its infinite mysteries and adventures. The Manic Pixie Dream Girl is an all-or-nothing-proposition. Audiences either want to marry her instantly (despite The Manic Pixie Dream Girl being, you know, a fictional character) or they want to commit grievous bodily harm against them and their immediate family. »

http://www.avclub.com/article/the-bataan-death-march-of-whimsy-case-file-1-emeli-15577

« Dunst interprète un genre de personnage que j’aime à appeler une MPDG (voir Nathalie Portman dans Garden State pour un exemple antérieur). LA MPDG existe uniquement dans l’imagination enfiévrée de metteurs en scène-scénaristes hypersensibles pour enseigner à des jeunes hommes rêveurs et attendrissants comment profiter de la vie et de ses merveilles. Avec une MDPG, c’est tout ou rien. Le public veut soit l’épouser sur le champ (en dépit son caractère fictionnel), soit lui infliger coup et blessures ainsi qu’à sa famille. »

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Comme le montre Anita Sarkeesian dans sa série de vidéos Youtube, Tropes vs. women, la MPDG est un trope sexiste car le personnage n’a pas d’existence propre, son seul et unique but étant de réconforter l’homme déprimé. Au lieu d’être un personnage féminin ayant ses propres attentes, désirs et envies, la MPDG est entièrement consacrée au bonheur de l’homme.

https://www.youtube.com/watch?v=uqJUxqkcnKA&list=PLBBDFEC9F5893C4AF

Rabin compare le trope de la MDPG avec le trope du “Magical Negro”, qui est un personnage noir (ou issu d’une autre minorité) qui inspire et aide le personnage principal qui, lui, est blanc. Comme la MPDG, le Magical Negro n’a pas d’autre but dans la vie que d’aider les hommes blancs à être heureux.

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/MagicalNegro

Ce trope existe également en version homosexuelle (on n’arrête pas le progrès dites donc !) avec ce que Bryan Safi appelle les Gayngels dans son segment de l’émission InfoMania, intitulé That’s gay.

https://www.youtube.com/watch?v=0T6cdMgm4U8

Parce que c’est bien connu, les femmes, les personnes racisées et les homosexuels n’ont pas d’autres buts dans la vie que d’aider et soutenir les hommes blancs hétérosexuels qui souffrent…

De son côté terme de “Nice-Guy” n’a pas été créé pour caractériser un personnage de fiction mais d’après “the nice guy syndrome” qu’on pourrait traduire par “syndrome du mec trop gentil”, qui qualifie les hommes considérant qu’une femme devrait coucher avec eux ou les aimer car justement ils sont gentils et s’occupent bien d’elle.

http://geekfeminism.wikia.com/wiki/Nice_guy_syndrome

Le site “Les questions composent” analyse très bien le phénomène du Nice Guy et les problèmes qu’il crée dans les rapports de genre dans une série d’articles mettant en scène le personnage de “Poire” :

http://lesquestionscomposent.fr/toutes-des-salopes-ou-le-mythe-du-mec-trop-gentil/

http://lesquestionscomposent.fr/poire-le-nice-guy-portrait-robot/

(Je n’en mets que deux en lien mais toute la série d’articles est intéressante).

J’ai l’intention d’analyser ici deux films : 500 jours ensemble et Elle s’appelle Ruby qui selon moi déconstruisent le trope de la Manic Pixie Dream Girl en la mettant face à un Nice Guy (bien que 500 jours ensemble figure dans la vidéo d’Anita Sarkeesian sur le trope de la MPDG).

500 jours ensemble raconte l’histoire de Tom (Joseph Gordon-Levitt) qui tombe fou amoureux de Summer (Zoey Deschanel) mais celle-ci refuse de s’engager et finira par le quitter.

Dans Elle s’appelle Ruby, Calvin (Paul Dano), un écrivain ayant écrit un roman à succès et incapable d’en écrire un autre depuis, crée le personnage de Ruby (Zoé Kazan), la fille de ses rêves. En se réveillant un matin, il découvre Ruby dans son salon. D’abord incrédule, il finit par accepter la situation et vivre une histoire d’amour avec elle, mais les choses ne tardent pas à se compliquer.

Les deux films ont en commun de mettre en scène une Manic Pixie Dream Girl et un Nice Guy, ou plus exactement un personnage féminin ayant des caractéristiques de MPDG et un personnage masculin ayant certains comportements de Nice Guy.

L’irréalité de la MPDG 

Ruby et Summer présentent plusieurs caractéristiques de la MPDG : elles sont délurées, enthousiastes, créatives, passionnées parfois enfantines et avec un style vestimentaire résolument girly. Elles ont également, du moins au début du film, un rôle typique de MPDG : grâce à elles, Tom et Calvin retrouvent leur inspiration et leur joie de vivre. Ruby et Summer ont également une autre caractéristique en commun : elles n’existent pas.

-Au sens littéral pour Ruby, que Calvin a créé dans un exercice d’écriture. En lisant le dit exercice d’écriture, Harry (Chris Messina) déclare que ce n’est pas une vraie personne et que ce genre de femmes n’existent pas dans la réalité, il oppose d’ailleurs Ruby (qui n’est pas encore apparue miraculeusement) à sa propre femme, Susie (Toni Trucks), en déclarant que quelquefois elle est chiante et incompréhensible mais que ça fait partie de la vie et que cela fait d’elle une vraie personne.

-Au sens figuré pour Summer, qui est perpétuellement idéalisée par Tom qui refuse à de nombreuses reprises de la voir telle qu’elle est et d’ouvrir les yeux sur leur relation. Alors que Summer répète à plusieurs reprises qu’elle ne veut pas être sa petite amie et qu’elle recherche qu’une relation “casual”, Tom se persuade que Summer est amoureuse de lui. D’ailleurs avant même que leur relation ait débuté, Tom idéalise Summer et projette sur elle ses fantasmes et ses angoisses, préférant faire des sous-entendus incongrus en espérant que Summer finira par comprendre ses intentions plutôt que de l’inviter directement.

500 jours ensemble et Elle s’appelle Ruby mettent donc en évidence le côté irréel et impossible de la MDPG et surtout remettent en cause l’une des principales caractéristiques de la MPDG : son dévouement complet à l’homme.

Passés les premiers mois idylliques de leur relation, Ruby éprouve et exprime le désir de voir d’autres gens, de se sociabiliser et de prendre un peu de distance dans sa relation avec Calvin. Elle commence alors à prendre des cours de peinture et à passer une nuit par semaine à son appartement au grand dam de Calvin qui supporte très mal la séparation temporaire d’avec sa bien-aimée. A la fin du film, Ruby finira par prendre son envol et par se séparer définitivement de Calvin.

De la même façon, Summer décide de se séparer de Tom à la grande incompréhension de celui-ci et finira par se marier avec un autre homme. Tout au long du film, Summer suivra ses propres désirs même s’ils ne correspondent pas à ceux de Tom. Lorsque ce dernier lui demande pourquoi elle a dansé avec lui au mariage d’une de leurs collègues alors que son futur mari était déjà dans sa vie, elle lui répond “Parce que j’en avais envie”.

Ruby et Summer choisissent de suivre leurs propres désirs plutôt que se dévouer à construire le bonheur du héros, en cela elles diffèrent profondément de l’image traditionnelle et fantasmée de la Manic Pixie Dream Girl.

Le Nice Guy est-il réellement une victime ?

Calvin et Tom apparaissent comme ayant des caractéristiques de Nice Guy : ils sont romantiques et ont une visions très idéaliste des rapports de couples, ils ont du mal à supporter quand la réalité ne correspond pas à leurs attentes et tendent soit à idéaliser les femmes, soit à les traiter de « salopes » lorsqu’elles ne correspondent pas à leurs attentes. On a là, surtout dans 500 jours ensemble, une inversion des rôles traditionnels genrés, puisque les personnages masculins possèdent des caractéristiques traditionnellement associées à la féminité : romantisme, idéalisme, tendresse… tandis que les personnages féminins possèdent des caractéristiques traditionnellement associées à la virilité : indépendance, non-croyance en l’amour…

Calvin et Tom sont tous les deux accompagnés d’un mentor : dans le cas de Calvin, il s’agit de son frère aîné, Harry, qui est son exact contraire : il est sportif, assez macho, travaille en entreprise et a les pieds sur terre. Dans le cas de Tom, il s’agit de sa sœur de 12 ans, Rachel qui fait preuve d’une maturité impressionnante pour son âge et tente d’ouvrir les yeux à Tom.

Le drame de Tom n’est pas que Summer refuse de coucher avec lui mais qu’elle refuse obstinément de tomber amoureuse de lui malgré le fait qu’ils soient très proches et ont une relation proche de la relation de couple. Tout au long du film, le rôle de Tom est plutôt passif : il n’ose pas inviter Summer, c’est elle qui l’embrasse, il met un temps fou avant de lui demander de définir leur relation alors que la situation le fait souffrir. Durant tout le film, Tom refuse de voir la réalité en face malgré les avertissements répétés non seulement de Summer qui précise plusieurs fois qu’ils ne sont pas en couple mais aussi de sa soeur et de ses amis. Lorsque Tom est confronté directement à ses désillusions : il s’énerve et tombe dans le déni (lorsque Summer lui redit qu’ils ne sont pas en couple, il se met en colère et déclare que si, ils sont un couple, qu’elle le veuille ou non) ou alors tombe en dépression (lorsque Summer le quitte ou qu’elle lui annonce son futur mariage).

vlcsnap-2015-01-14-15h54m16s2Summer prend l’initiative…

 

Durant tout le film, il est clairement exprimé que Tom n’est pas une victime de Summer mais une victime de ses propres désillusions. Le réalisateur Mark Webb à d’ailleurs déclaré :

« Yes, Summer has elements of the manic pixie dream girl – she is an immature view of a woman. She’s Tom’s view of a woman. He doesn’t see her complexity and the consequence for him is heartbreak. In Tom’s eyes, Summer is perfection, but perfection has no depth. Summer’s not a girl, she’s a phase. »

« Oui, Summer possède des caractéristiques de la MPDG – elle est une vision immature de ce que c’est qu’une femme. Elle est la vision que Tom a de ce que c’est qu’une femme. Il ne voit pas sa complexité et finit le cœur brisé. Aux yeux de Tom, Summer est la perfection, mais la perfection n’a aucune profondeur. Summer n’est pas une fille, c’est une phase. »

Tom passe donc une bonne partie à se plaindre de ce qui lui est arrivé sans comprendre pourquoi avant de se remettre en selle.

Au final, le film est ambigu sur le statut de victime de Tom. D’un côté, il est clairement exprimé que Tom aurait du comprendre que Summer ne l’aimait pas et que sa relation avec elle était sans issue. Cette idée est particulièrement bien exprimée dans la scène ou Tom a un rendez-vous arrangé et commence à se plaindre de Summer à la fille qui l’accompagne. Les commentaires de celle-ci ainsi que ses moues affligées sont assez éclairants :

vlcsnap-2015-01-14-15h58m03s234Et elle t’a dit dès le début qu’elle ne voulait pas de petit ami ?

 

Cependant, le point de vue adopté est systématiquement celui de l’homme, on ne sait que très vaguement ce qui arrive à Summer après sa rupture. Tout au long du film c’est le point de vue de l’homme qui est adopté et sa souffrance qui est montrée.

A aucun moment le film n’adopte le point de vue de Summer pour donner une explication de son comportement, à aucun moment on ne connait ses sentiments réels. Le personnage féminin, bien que possédant ses propres désirs et ambitions, n’est considéré que du point de vue des protagonistes masculins. Certes, ce point de vue est clairement présenté comme problématique et source de souffrance (pour lui !) mais il n’est jamais dépassé.

Calvin au contraire à un rôle plutôt actif dans le film, puisqu’il est le créateur de Ruby et la contrôle entièrement au travers de l’écriture. Alors que tout va bien entre lui et Ruby, Calvin est profondément choqué lorsque son frère lui suggère qu’il pourrait profiter de son contrôle sur Ruby pour la rendre physiquement plus attirante ou obtenir des faveurs sexuelles, il déclare alors qu’il n’écrira plus jamais un mot sur Ruby et qu’il veut qu’elle reste telle qu’elle est.

Ces nobles sentiments vont rapidement s’effriter lorsque Ruby réclamera plus d’indépendance et décidera de suivre des cours de peinture, de passer une nuit par semaine dans son appartement et surtout de passer une soirée improvisée avec des amis sans rentrer à la maison. Malheureux sans Ruby, Calvin décide de reprendre sa machine à écrire et d’écrire que Ruby est malheureuse sans lui. Les conséquences sont désastreuses car Ruby devient vite hyper-collante et ne supporte pas que Calvin ne s’éloigne d’elle ne serait-ce que pour aller aux toilettes ou décrocher le téléphone. La situation étant devenue intenable, Calvin décide de modifier encore Ruby avec des conséquences chaque fois plus désastreuses : Ruby devient tour à tour hystérique de joie et avec des sautes d’humeurs.

 vlcsnap-2015-01-14-16h12m25s123Y’a comme un problème…

Lorsque Calvin confie à son frère le problème, celui-ci lui répond d’écrire que Ruby est redevenue normale. Calvin refuse et déclare qu’il avait peur qu’elle ne le quitte, ce à quoi son frère répond que cela fait partie de la vie et que le risque de se faire quitter est inhérent à toute relation de couple.

Comme Tom qui réclamait à Summer la certitude qu’elle n’allait pas se réveiller un matin avec des sentiments différents, Calvin refuse l’incertitude et préfère tenter de changer Ruby afin qu’elle soit dépendante de lui et corresponde toujours à son idéal.

Lorsque Calvin croise son ex à une soirée, celle-ci lui reproche de ne pas l’avoir vue telle qu’elle était mais d’avoir choisi de ne voir qu’une vision idéalisée d’elle. Comme Tom, Calvin ne supporte pas lorsque la réalité ne correspond pas à ses fantasmes : qu’il s’agisse de son ex ou de sa mère qu’il ne supporte pas de voir changée par sa relation avec un autre homme que son père.

Sauf que Calvin est tout puissant sur Ruby car elle est sa création.

Lors d’une dispute provoquée par le fait que Ruby s’est baignée en sous-vêtements à une fête (comme elle déçoit son idéal féminin, Calvin la qualifie fort gentiment de « salope »), Ruby se plaint du contrôle qu’exerce Calvin sur sa vie en disant qu’il ne peut pas la contrôler. S’ensuit une séquence d’une cruauté inouïe ou Calvin oblige Ruby à effectuer diverses actions dont certaines dégradantes et/ou fatigantes : comme se déshabiller, aboyer à quatre pattes, sauter, tourner sur elle-même, dire qu’il est un génie…

 

vlcsnap-2015-01-14-16h16m38s103 vlcsnap-2015-01-14-16h17m03s106 vlcsnap-2015-01-14-16h17m33s159Calvin torture Ruby…

 vlcsnap-2015-01-14-16h17m40s227 vlcsnap-2015-01-14-16h17m27s94Mais il souffre alors on lui pardonne (pauvre chou…)

 

Cette scène peut s’assimiler a de la violence conjugale puisque Ruby est dépossédée de son propre corps au sens le plus littéral du terme et qu’elle souffre véritablement de la situation.

Au final, Calvin finira par libérer Ruby de sa domination et s’apercevra de son départ.

Finalement, alors qu’il était au début du film considéré comme une victime, Calvin se change en bourreau qui n’hésite pas à torturer Ruby lorsqu’elle refuse de correspondre à son idéal féminin.

Malheureusement, cette condamnation de l’attitude du personnage masculin est limitée car au final celui-ci est excusé pour son comportement. Le pire est probablement l’absolution que donne le film à Calvin après qu’il ait torturé Ruby. Alors que sa douleur à elle est consciencieusement ignorée, on s’attarde sur le fait que Calvin souffre de l’avoir fait souffrir comme il souffre qu’elle soit partie (après ce que tu lui as fait elle allait pas te sauter dans les bras !). On retrouve ici l’idée que la domination et les abus ferait avant tout souffrir les dominants.

Toute cette souffrance masculine permet à Calvin d’écrire un livre et de renouer avec le succès… De la même façon, on ne sait absolument pas ce qui arrive à Ruby après son départ alors qu’on voit l’évolution de Calvin.

La grosse contradiction des deux films est de vouloir critiquer l’imposition d’un fantasme masculin aux femmes sans jamais sortir du point de vue masculin. La démonstration que les femmes sont autre chose qu’un fantasme serait beaucoup plus probante si on montrait la souffrance des femmes qui sont ainsi cataloguées plutôt que la souffrance des hommes qui les cataloguent. De la même façon, alors que l’inversion des rôles genrés aurait pu remettre en question les stéréotypes de genre, ils finissent par simplement servir un propos masculiniste ou l’homme est malheureux de l’émancipation des femmes, alors lui qui ne demande qu’à être aimé ! L’homme victime du féminisme, en voilà une idée novatrice !

On s’attarde ainsi énormément sur la souffrance subie par les personnages masculins à cause de leur propre comportement mais jamais sur la souffrance des personnages féminins incomprises et idéalisées. Parce que c’est bien connu, l’immaturité et les comportements patriarcaux font avant tout souffrir les hommes.

vlcsnap-2015-01-14-16h19m07s52La souffrance de l’homme…

L’éducation sentimentale

Si Summer et Ruby diffèrent des héroïnes qui ont pour seul but de rendre leur homme heureux car elles ont leurs propres ambitions et désirs, elles se retrouvent paradoxalement avec pour seul rôle dans le scénario d’inspirer et d’éduquer le héros afin qu’il puisse être heureux non pas avec elles mais après elles.

Grâce à Summer qui l’encourage, Tom se remet à l’architecture alors qu’il était coincé dans un job inintéressant de rédacteur de cartes de vœux, et sa rupture lui donne l’impulsion de chercher un travail dans sa branche. De la même façon, le départ de Ruby inspire un nouveau roman à Calvin qui n’avait pas réussi à écrire depuis 10 ans.

vlcsnap-2015-01-14-15h59m57s90 vlcsnap-2015-01-14-16h00m21s77Tom se remet à l’architecture…

 vlcsnap-2015-01-14-16h19m19s198Et Calvin se remet à écrire.

 

Au final 500 jours ensemble et Elle s’appelle Ruby ne racontent pas une histoire d’amour entre deux personnages mais une histoire de progression et d’apprentissage d’un personnage masculin grâce à une femme.

De manière assez symptomatique, les deux films s’achèvent sur la rencontre du Nice guy avec une nouvelle fille qui est clairement un intérêt amoureux.

Les remplaçantes

Faire que le héros rencontre un nouvel intérêt amoureux permet de créer un happy end sans remettre en question la décision de la MPDG de partir. Cela montre également que c’est bien au personnage masculin que le spectateur est supposé s’identifier, puisque c’est à lui qu’on promet un avenir radieux.

Cependant dans les deux films on assiste au même genre de pirouette scénaristique :

A la fin de 500 jours ensemble, Tom se rend à un entretien d’embauche ou il flirte avec sa concurrente, qui se différencie de Summer sur pratiquement tous les points : le physique, l’attitude, les vêtements…

Lorsque la nouvelle fille annonce qu’elle s’appelle Autumn, toute l’individualité du personnage disparaît immédiatement, elle n’est littéralement que la suivante de Summer. (Summer en anglais, été, Autumn, automne).

vlcsnap-2015-01-14-16h28m32s78Enchantée, je suis la remplaçante…

On retrouve le même genre de fin dans Elle s’appelle Ruby où Calvin croise une femme ressemblant exactement à Ruby au parc (jouée par la même actrice avec simplement une coupe de cheveux différente) qui en plus est en train de lire son bouquin et en est fan. Ici la nouvelle fille n’est littéralement qu’un ersatz de Ruby, elle n’a même pas de prénom. Avec un peu de chance, il s’agira d’une réelle Manic Pixie Dream Girl qui cette fois pourra rendre le héros heureux !

 vlcsnap-2015-01-14-16h19m34s91Tu as vu ? Je suis en train de lire le livre que tu as écrit et je vais pouvoir te couvrir d’admiration…

Dans les deux cas, la femme que rencontre le héros n’a pas d’identité propre, elle n’est définie que par celle qu’il vient de quitter, elle est réduite au rang de lot de consolation pour éviter que le héros ne soit malheureux…

500 days of Summer et Elle s’appelle Ruby proposent des idées intéressantes sur la déconstruction du trope de la MPDG et les aspects problématiques des comportements de nice guy. Cependant, ces films restent entièrement centrés sur la souffrance de ces messieurs, diminuant ainsi grandement leur portée féministe.

 Julie G.

 

Sous les jupes des filles (2014) : des clichés pour les femmes et par des femmes

Souslesjupesdesfilles

Sous les jupes des filles, qui raconte les trajectoires croisées de 11 personnages féminins, est décrit par sa réalisatrice comme un « film de femmes pour les femmes » sauf que…

Un film SURTOUT PAS féministe

Cet excellent article met en lumière les contradictions ayant eu lieu autour de la communication du film : http://cheekmagazine.fr/culture/les-jupes-filles-pas-feministe-discours-aberrant-daudrey-dana-ses-actrices/

Ainsi, selon sa réalisatrice, le film est « militant » mais certainement pas « féministe ». Il est amusant de constater qu’en France on peut faire des films ouvertement « militants » sur le racisme (ou du moins qui se prétendent « militants » même si leur discours est contestable[1]) comme Neuilly-sa-mère ou Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, tandis qu’il est impossible de faire un film qui se revendiquerait explicitement féministe. Audrey Dana n’est pas la seule à dépolitiser complètement son discours pour en expurger tout féminisme, Céline Sciamma (qui réalise pourtant des films ayant clairement une dimension féministe, comme le prochain Bande de filles), fait exactement la même chose dans certaines de ses interviews : http://www.lecinemaestpolitique.fr/forums/topic/bande-de-filles-celine-sciamma/

Finalement, selon Audrey Fleurot le film serait « un mode d’emploi pour les hommes », un discours absolument pas essentialisant, parce que c’est bien connu que toutes les femmes fonctionnent pareil (et de manière hystérique)… Remercions chaleureusement Audrey Dana de donner à ces messieurs le mode d’emploi de l’éternel féminin si compliqué et si mystérieux, afin qu’ils puissent utiliser les femmes à leur guise.

De plus, c’est bizarre je croyais que pour une fois on faisait un film pour les femmes ? C’est amusant, les réalisateurs qui réalisent des films d’hommes pour les hommes (à savoir la quasi-totalité de la production actuelle) ne cherchent jamais à se justifier en disant que « c’est pour les femmes aussi ».

Les femmes sont dominées par leurs hormones

De manière assez symptomatique, le film s’ouvre sur Jo (Audrey Dana) qui est dans un état lamentable, PARCE QU’ELLE A SES RÈGLES, plus tard dans le film, ce même personnage expliquera à une amie que son désir sexuel et ses humeurs sont entièrement déterminés par son cycle menstruel. Mais bien sûr. Alors que des milliers de femmes et notamment des féministes voient leurs arguments sympathiquement rembarrés par la gente masculine a grand coup de « t’as tes règles ou quoi ? » et autres variantes, remercions Audrey Dana d’expliquer au monde qu’effectivement les humeurs des femmes sont déterminées par leur ovaires. Ou comment ramener perpétuellement les femmes à leur corps…

De la même façon, Lily (Isabelle Adjani), est traumatisée par sa ménopause, qu’elle refuse farouchement d’accepter. Parce que forcément, quand t’es ménopausée, t’es plus désirable et si tu n’es plus désirable aux yeux de la gente masculine, ta vie n’a plus de sens…

Mais le plus beau reste Rose (Vanessa Paradis), caricature ultime de businesswoman castratrice, à qui le médecin du travail explique par A+B que si elle est une femme de pouvoir, qu’elle n’a pas d’amies féminines, pas d’homme dans sa vie, c’est à cause de son taux de testostérone particulièrement élevé (non, non, ceci n’est pas une blague). Si le médecin se fait dûment rembarrer par Rose qui l’accuse d’être misogyne, tout son discours sera confirmé par l’attitude du personnage de Rose (elle est odieuse avec une de ses amies d’enfance, avec son assistante, « castratrice » avec ses collaborateurs, n’a pas d’amant, pas d’enfants…). Pire encore, tout l’axe narratif de Rose sera consacré à chercher des amies femmes afin de contredire le médecin qui déclare que ce n’est pas possible qu’elle s’entende avec d’autres femmes.

On retrouve donc ici, l’association traditionnelle du pouvoir et de l’ambition avec le masculin (la testostérone), parce que c’est bien connu, une femme qui fait carrière n’est pas vraiment une femme…

Pour changer, il aurait été intéressant de montrer une femme ambitieuse soutenue dans sa carrière par son mari/compagnon.

Selon Audrey Dana et ses co-auteurs, les femmes sont donc contrôlées par leurs hormones, cette assertion n’est pas seulement misogyne et totalement invalidée par les études scientifiques, elle est également un argument phare du discours essentialiste qui prétend que si les hommes et les femmes sont fondamentalement différents (et donc n’ont pas les mêmes compétences, et par extension ne méritent pas les mêmes droits…) c’est pour des raisons biologiques et notamment hormonales.

Les femmes sont toutes différentes… enfin pas trop quand même

Si le film a pour ambition d’être un film « de femmes pour les femmes », il s’adresse néanmoins en priorité aux femmes blanches, hétérosexuelles et aisées.

Sur 11 personnages principaux, seulement deux sont d’origine étrangère (Ysis et Adeline), trois sont de classes plus ou moins populaires (Ysis, Adeline et Fanny) et seulement une est lesbienne (Marie).

Sinon les femmes vivent dans de grands appartements parisiens, exercent pour la plupart des activités genrées (une majorité des personnages travaille dans la même boîte de lingerie, une est patronne d’une boîte de baby-sitting, une autre gynécologue…).

En plus de ne représenter qu’une frange limitée de la population féminine, le film réduit cette dernière à un ramassis de clichés tous plus ou moins misogynes : la businesswoman castratrice, la femme trompée qui veux se venger, la garce frigide, la cinquantenaire qui refuse de vieillir, la maîtresse qui rêve qu’on l’épouse…

Ysis, femme au foyer frustrée par son mariage vit une histoire d’amour passionnée avec Marie, qui après lui avoir demandé de se séparer son mari, finit par la quitter car elle est trop volage pour avoir une relation suivie avec quelqu’un. Ysis reviendra donc auprès de son mari. On retrouve dans cet axe scénaristique, deux tropes passablement homophobes : celui de l’expérience lesbienne qui au final n’est qu’une passade, la femme revenant au couple hétérosexuel, et celui de la lesbienne qui se comporte comme un Don Juan, séduisant tout ce bouge et incapable de se poser…

Si montrer des personnages féminins variés est une bonne intention, encore faudrait-il oser les faire sortir des clichés habituels.

De la solidarité féminine… mais faudrait pas abuser non plus

Un des tropes que l’on trouve le plus souvent au sujet des femmes est la fameuse rivalité féminine. Pire, on trouve assez peu d’exemple dans la fiction mettant en scène des femmes solidaires qui se soutiennent entre elles.

Le film montre effectivement quelques scènes de solidarité et de complicité féminine, par exemple entre Agathe et Jo, Rose et Adeline, Sam et Lily, mais le point d’orgue de la solidarité féminine apparait au moment de la braderie (forcément les fringues, ça rapproche) lorsqu’un certain nombre de personnages se retrouve coincé par l’orage. Toutes les femmes présentent dans la pièce décident d’un commun accord de soutenir Inès dans un bel élan de solidarité. Comment ? En harcelant la maîtresse de son mari au téléphone et en lui disant les pires horreurs.

La solidarité féminine a donc lieu au dépends d’une autre femme…

D’ailleurs, pourquoi Inès préfère-t-elle s’acharner sur la maîtresse de son mari, plutôt que sur ce dernier ? A ce qu’on sait c’est lui et pas elle qui lui avait juré fidélité…

Une évacuation systématique de la domination masculine 

Audrey Dana déclare que, dans son film, « Il y a un désir de parité très très fort », sauf que le film ne remet pas une seule fois en question le système patriarcal dans lequel évoluent ses héroïnes, et même lorsque celles-ci sont confrontées à des problèmes sociétaux, ceux-ci sont consciencieusement dépolitisés.

Bien que le nombre de personnages féminins soit très nettement supérieur au nombre de personnages masculins, la majorité des femmes du film ont une problématique soit liée à un homme en particulier, soit liée aux hommes en général. Les hommes sont présentés soit comme maladroits mais plein de bonne volonté (le mari d’Ysis), soit comme des piliers de calme face à des femmes fragiles et en détresse (le gynécologue que va voir Lily, l’amant d’Agathe…). Excepté le mari d’Inès, caricature d’homme lâche, totalement incapable de s’occuper de lui-même, les hommes ne sont jamais la cause des problèmes des femmes et celles-ci ne sont quasiment jamais soumises à la violence masculine.

Ainsi si Ysis, femme au foyer débordée et frustrée, ressent le besoin impérieux de changer de vie, ce n’est pas parce qu’elle est coincée dans une vie peu épanouissante avec un mari qui ne daigne pas l’aider pour les enfants, mais parce qu’elle va bientôt avoir 27 ans, âge à laquelle sa mère est décédée. D’ailleurs, après son aventure lesbienne forcément sans avenir, Ysis reviendra auprès de son adorable mari qui préfère lui organiser des flashs mob pour son anniversaire plutôt que de s’impliquer dans les tâches ménagères.

Bien qu’il s’agisse globalement d’une comédie, le film aborde néanmoins certains sujets importants, qu’on pourrait même qualifier de féministes ( !), comme la jouissance féminine et la pression sexuelle qui s’exerce sur les femmes, le cancer du sein et la violence conjugale.

Le problème est que ces sujets sont traités de manière complètement anecdotique, on passe beaucoup plus de temps sur les déboires sentimentaux des héroïnes que sur les conséquences psychologiques du cancer de Sam. De la même façon, le procès de la mère d’Adeline, qui a tué son mari à la suite d’abus répétés et de harcèlement moral, est principalement abordé sous l’angle de l’histoire d’amour qu’Agathe, l’avocate, mène avec son collègue à qui elle est venue demander conseil. Même avec un sujet aussi politique que les violences conjugales, le film parvient à évacuer toute velléité critique de son propos, ainsi la violence conjugale n’est pas un problème de société mais bien le problème individuel d’un homme violent. De plus, comme par hasard, c’est l’un des seuls personnages du film issu de l’immigration, Adeline, qui est concerné par la violence conjugale. On se retrouve ainsi dans un schéma antiféministe et raciste bien connu, à savoir déplacer les problèmes de sexisme vers les populations étrangères ou issues de l’immigration, ce qui permet au bon français de ne plus avoir à s’occuper des problèmes de sexisme qui le concernent directement tout en stigmatisant les populations étrangères.

De la même façon, Sophie (Audrey Fleurot) ne parvient pas à atteindre l’orgasme. Alors que le sujet était parfait pour s’interroger sur la pression et les injonctions sexuelles subies par les femmes et pour questionner la sexualité phallocentrée imposée par la société d’aujourd’hui, aucune référence ne seras faite au fait que la majorité des femmes jouissent par stimulation du clitoris et non pas par pénétration vaginale (on voit ainsi Sophie en train de demander à son mari de la « défoncer » sans jamais faire le lien avec son problème de jouissance) et le problème sera réglé lorsqu’on lui proposera un verre de vin. Là encore, le film évacue rapidement toute possibilité de réflexion sur la domination patriarcale et sur les injonctions que subissent les femmes. Pire, lorsque Sophie évoque les pressions qu’elle subit, c’est un groupe de femmes qu’elle engueule, parce que c’est bien connu, les femmes se mettent la pression les unes aux autres et le système patriarcal n’a rien à voir là-dedans.

Le film semble avoir l’ambition de traiter des sujets graves et importants mais les fait finalement passer au second plan et sans jamais remettre en cause le système patriarcal qui est le nôtre…

Pire, afin de montrer patte blanche et de montrer qu’il n’est SURTOUT PAS féministe, le film va jusqu’à placer un discours masculiniste dans la bouche de Sam qui plaint ces pauvres hommes à qui on demande à la fois d’être des pères et des amants, de faire le ménage et d’être virils… C’est vrai qu’on en demande beaucoup aux hommes et qu’aucune femme ne subit ce genre d’injonctions contradictoires…

Libération sexuelle

L’aspect le plus progressiste du film tiens probablement dans la libération sexuelle de ses héroïnes (ou du moins de certaines de ses héroïnes) ainsi Fanny annonce à son amoureux transi qu’elle désire du sexe avec pleins d’hommes différents et non pas une relation monogame. De la même façon Sam (Sylvie Testud) multiplie les relations sexuelles avec divers hommes et Jo se rend compte qu’elle préfère avoir des relations sans avenir avec des hommes mariés plutôt qu’une relation stable. Il est intéressant de montrer un film qui ne juge pas la vie sexuelle de ses héroïnes, même lorsque celle-ci va à l’encontre de la morale monogame traditionnelle, ainsi la femme trompée et la maîtresse sont toutes les deux représentées, et le couple n’est pas montré comme une finalité ou nécessité absolue.

Au final, Sous les jupes des filles finit par avoir exactement le même défaut que la majorité des films français qui se prétendent « militants » d’aujourd’hui, à savoir une volonté de mettre en valeur  des femmes ou des non-blanc-he-s, mais échoue dans son ambition par une incapacité à sortir des clichés et à remettre réellement en cause le système patriarcal et raciste de notre société.

Julie G.

[1] Cf : http://www.brain-magazine.fr/article/reportages/19648-Cam%C3%A9ra-Clich%C3%A9-:-ces-blockbusters-qui-renforcent-les-st%C3%A9r%C3%A9otypes

http://www.lecinemaestpolitique.fr/quest-ce-quon-a-fait-au-bon-dieu-2014-le-racisme-cest-rigolo/

http://www.lecinemaestpolitique.fr/neuilly-sa-mere-humilier-et-punir-le-gosse-des-cites/

Sherlock 2.0 : Les adaptations récentes de Sherlock Holmes

Ces dernières années, nous avons assisté à une déferlante d’adaptations de l’œuvre de Conan Doyle, plus ou moins fidèles au canon,[1] et plus ou moins sympathiques politiquement parlant. Cet article se propose d’étudier les implications politiques des diverses adaptations récentes de Sherlock Holmes.

NB 1 : Cet article se focalisera uniquement sur les adaptations modernes qui se revendiquent officiellement de l’œuvre de Conan Doyle, j’entends par là les séries dont le héros s’appelle effectivement « Sherlock Holmes », des œuvres comme Dr House ou The mentalist qui sont inspirées du personnage de Sherlock Holmes et de sa méthode ne seront pas traitées ici. Seront traités ici les deux films de Guy Ritchie : Sherlock Holmes (2009) et Sherlock Holmes : Jeu d’ombres (2011), la série de Steven Moffat et Mark Gatiss pour BBC One intitulée Sherlock ainsi que la série de CBS, Elementary.

NB 2 : Cet article contient des SPOILERS sur les films de Guy Ritchie, la série de CBS Elementary et la série de la BBC Sherlock, donc ne lisez pas si vous avez l’intention de regarder et que vous n’avez pas tout vu.

NB 3 : Cet article n’a pas vocation à comparer les qualités artistiques des différentes adaptations.

Sherlock est sexy

Sherlock Holmes est décrit par Conan Doyle comme un grand homme mince, sportif et élégant, mais il n’est à aucun moment présenté comme particulièrement beau ou séduisant. Si les anciennes adaptations tendaient à oublier le côté sportif de Sherlock Holmes et le côté militaire de Watson, les nouvelles adaptations insistent lourdement sur les capacités au combat de Holmes et Watson.

Alors que les personnages de Conan Doyle ne sont pas particulièrement beaux, on a choisi des acteurs séduisants pour les interpréter (Jude Law a été surnommé « Hotson », contraction de « Hot » et de « Watson » par la presse anglaise, dans la série de la BBC, John fait plusieurs références à la beauté de Holmes…). Ce choix est représentatif d’une vision très aphrodiste[2] de la production audiovisuelle actuelle. On choisit un personnage dont le physique ne devrait pas compter puisque sa caractéristique principale est l’intelligence pour en faire un personnage séduisant.

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Comment on est passé de ce personnage…

 

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A ce personnage.

De la même façon que Sherlock (et son acolyte) est passé au moule de l’aphrodisme, il est également passé à celui de l’héténormativité. Dans le canon, la sexualité de Sherlock Holmes n’est jamais abordée[3], comme c’est le cas pour un certain nombre de héros de la littérature et de la bande dessiné[4]. La majorité des anciennes adaptations ne mentionnent également pas la vie amoureuse du célèbre détective, celui-ci étant simplement qualifié d’« éternel célibataire ».

L’adaptation de la BBC est la seule à respecter l’absence de sexualité de Sherlock Holmes, mais alors que dans les livres, cette absence de sexualité est naturelle et à peine mentionnée, la série insiste lourdement sur l’anormalité cette asexualité. Cette anormalité est mise en valeur par le fait que Sherlock déchaîne les passions partout où il passe : Molly, Irène, Janine et bien sûr, Moriarty. On notera que l’asexualité de Sherlock est associée à son asperger tandis que l’homosexualité de Moriarty est associé à sa psychopathie… Pas étonnant que John passe son temps à répéter qu’il est hétérosexuel, c’est la seule façon d’être normal dans l’univers Moffat…

Stephen Moffat, exquis modèle de tolérance, a déclaré que « Sherlock n’est pas asexuel » et que « l’asexualité est inintéressante », alors que c’est pourtant ce qui est clairement montré dans la série. Les asexuels apprécieront…

http://www.asexualnews.com/index.php/entertainment/973-steven-moffat-says-sherlock-is-not-asexual

Dans l’adaptation de Guy Ritchie, Sherlock est un célibataire excentrique visiblement amoureux d’Irène Adler qui disparaît au 2ème épisode pour laisser sa place à Simza avec laquelle le détective entretient une certaine tension sexuelle qui n’est pas concrétisée dans le film.

Dans Elementary, Sherlock est traumatisé par la mort de sa bien-aimée et pratique une sexualité proche du BDSM. Notons que de nouveau, une sexualité « hors-normes » est associée à un trouble mental (en l’occurrence, le traumatisme).

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 Des menottes ? Ciel, cet homme a un problème…

Certes, en transformant Sherlock en homme séduisant, la série ou le film gagne en attractivité mais contribue de ce fait à entériner la vision aphrodiste qui existe dans le paysage audiovisuel. De même, en impliquant un personnage originellement asexuel dans une ou plusieurs relations amoureuses, on tend maintenir l’oppression que subissent les gens n’étant pas impliqués dans une relation amoureuse.

Mais la transformation de Sherlock n’a pas seulement pour effet de le rendre plus sexy mais aussi de le rendre plus viril. En effet, le détective voit sa masse musculaire augmenter à vue d’œil, et s’inscrit ainsi pleinement dans une tendance qui touche aujourd’hui de plus en plus d’acteurs et de personnages masculins…[5]

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 Sherlock est viril, donc Sherlock est violent

Si dans le canon original, Holmes pratique les arts martiaux et Watson sors de temps à autre son revolver, la série de romans est globalement non-violente et plutôt centrée sur l’intellect.

Le film, et dans une moindre mesure les deux séries, ajoutent des scènes d’actions plus ou moins justifiées aux enquêtes du célèbre détective. Si l’ajout de scènes d’action, quoique discutable, est compréhensible, le fait que Sherlock bascule dans la violence gratuite l’est beaucoup moins. Ce que j’appelle violence gratuite est la violence qui n’est pas imposée par la situation scénaristique. Si un personnage se fait agresser, il n’a pas d’autre moyen de se défendre, si un personnage agresse un quelqu’un qui ne lui à rien fait ou quelqu’un qui n’est pas ou plus en état de se défendre, on peut parler de violence gratuite. La violence gratuite est très souvent corrélée à la vengeance, et ces deux attitudes sont très souvent associées à la virilité. La vengeance et la violence gratuite sont nauséabondes en elles-mêmes, mais se retrouvent en plus convoqués pour asseoir encore un peu plus la domination masculine.

Dans le premier film de Guy Ritchie, Sherlock pratique la lutte de façon sportive. Alors qu’il s’apprête à quitter l’arène pour suivre Irène Adler, son adversaire lui crache sur la nuque. Pour ce simple affront, Sherlock élabore et applique une stratégie pour combattre son adversaire et annonce froidement au spectateur que ce dernier mettra 6 semaines à s’en remettre physiquement et 6 mois à s’en remettre psychologiquement. La séquence est traitée exactement de la même façon que lorsque Holmes s’en prend à un criminel alors que l’adversaire en question, quoi qu’antipathique, est très clairement innocent. Le film glorifie donc une forme de violence viriliste et gratuite, basée sur l’idée que défendre son « honneur » justifie le passage à tabac d’un innocent.

La série de la BBC rajoute aussi un certain nombre de scènes d’action et un Sherlock violent gratuitement. Lorsque dans l’épisode 1 de la saison 2, une bande d’agents américains prend Mrs Hudson en otage, alors que ces agents sont neutralisés et ne représentent plus de menace, Sherlock prend leur chef et le défenestre violemment. Lorsque Lestrade l’interroge, celui-ci se rend bien compte que Sherlock ment mais il ne montre quasiment aucun signe de désapprobation envers ce dernier.

Le film valorise donc la vengeance de Sherlock la montrant comme un élément comique et une preuve d’affection envers sa logeuse (parce que la traiter correctement, ça demande vraiment trop de temps et d’efforts).

vlcsnap-2014-03-30-19h21m27s173 vlcsnap-2014-03-30-19h21m43s103Un ennemi hors d’état de nuire…

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Non, c’est le voleur, il s’est blessé plutôt gravement.

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Quelques côtes cassées, le crâne fracturé, probable perforation du poumon…

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Il est tombé d’une fenêtre.

La série Elementary est l’œuvre qui va le plus loin dans la violence de son héros mais également celle qui affiche le plus de recul et de critique face à cette violence. Lorsque Sherlock retrouve la trace de celui qu’il pense être l’assassin de sa bien-aimée, Irène Adler, il conçoit immédiatement le projet de l’arrêter seul et de le torturer à mort pour se venger. Mais, le film (la série?) déconstruit non-seulement le trope de la femme dans le réfrigérateur mais également celui du héros vengeur qui fait justice lui-même. Ce type de personnage que l’on retrouve dans Taken ou Jack Reacher, est porteur d’une idéologie particulièrement nauséabonde.

Or la série déconstruit ce trope de deux façons : premièrement car Sherlock s’est trompé et s’apprêtait à torturer la mauvaise personne (il est important de noter qu’il s’arrête avant de le torturer), deuxièmement car cet agissement est fortement désapprouvé par deux autres personnages importants du show : Joan Watson et le capitaine Gregson. Le désir de vengeance de Sherlock est clairement montré par la série comme relevant d’une attitude pathologique et non pas comme une attitude normale et compréhensible, contrairement à de nombreux films ou la vengeance est glorifiée. Le désir de vengeance de Sherlock est également montré comme parfaitement inutile, puisqu’il s’apprêtait à torturer la mauvaise personne. Il est cependant dommage que Holmes blesse M.

Sherlock est un être supérieur

Dans les nouvelles et romans de Conan Doyle, Sherlock Holmes est un être parfaitement civil et adapté à la société. Certes il est original, se tient lui-même en haute estime et peut parfois manquer de tact, mais le personnage n’est jamais défini comme systématiquement odieux, ou débordant d’égo. Cette facette du personnage est plutôt bien retranscrite dans les anciennes adaptations, mais les nouvelles adaptions, qu’elles soient officielles ou non, se sont données comme mot d’ordre de faire de Sherlock un personnage plus ou moins asocial et plus ou moins systématiquement méprisant, le summum étant atteint avec le Sherlock de la BBC et le Dr House (qui ne sera pas étudié dans cet article, bien qu’il s’agisse d’un personnage intéressant).

Sherlock Holmes est, intrinsèquement et dans toutes ses adaptations, un personnage supérieurement intelligent, ses qualités le rendent indispensables dans un certain nombre d’enquêtes et en font un détective très prisé. Cependant, cette fameuse supériorité lui donne-t-elle le droit d’être blessant et méprisant envers le reste du monde ?

Si le Sherlock de Guy Ritchie est parfaitement calculé pour fournir une dose d’insolence comique tout en restant sympathique au plus grand nombre (le genre de rôle donc Robert Downey Junior s’est fait une spécialité), les auteurs de la BBC ont clairement voulu rendre leur Sherlock Holmes le plus antipathique possible, il est donc odieux, égotiste et méprisant et ne semble respecter absolument aucune des convention sociales, ce dernier point pouvant être expliqué par le fait qu’il souffre d’une forme d’autisme appelé Asperger (information suggérée mais jamais confirmée par la série).

Il y a dans le choix de faire de Sherlock un être odieux une triple dimension politique : premièrement, celle d’excuser un comportement dominateur en pathologisant celui qui l’effectue, deuxièmement celle d’accepter un comportement méprisant car l’individu est un génie, un être supérieur à qui on dois tout passer, et troisièmement celle d’accepter un comportement dominant sous couvert d’humour.

Pathologiser un comportement de dominant, en l’occurrence, le comportement de la personne supérieurement intelligente qui se permet de mépriser les autres c’est faire passer un problème politique et social (l’élitisme intellectuel et le mépris des gens qui n’appartiennent pas à la classe intellectuelle) pour un problème individuel. De la même façon, tous les personnages sont invités à excuser le comportement odieux de Sherlock tout simplement parce qu’ils n’ont pas le choix, celui-ci étant le seul à pouvoir arrêter le criminel. Le public est également invité à considérer l’aspect méprisant de Sherlock comme profondément comique et politiquement incorrect. Ben voyons, des dominants qui écrasent des dominés, voilà qui est profondément novateur. On notera que ce genre de rôle est systématiquement donné à des hommes blancs et hétérosexuels, jamais on oserait montrer une femme consciente de sa propre supériorité et méprisante tout en restant un personnage sympathique.

Le Sherlock de Elementary est clairement pathologisé, entre son traumatisme et son addiction aux drogues, cependant il est nettement moins méprisant que ses homologues envers ses collaborateurs : il reconnaît la qualité du travail de Watson et du détective Bell, présente ses excuses au commissaire Gregson… Ceux-ci ne se laissent d’ailleurs pas écraser par Holmes et n’hésitent pas à le remettre à sa place en cas de besoin. La série déconstruit d’ailleurs l’idéologie du génie inné de Sherlock Holmes en montrant clairement que les capacités de Holmes sont dues à un entraînement et qu’il est possible de les acquérir, ce que Watson commence à faire au cours de la saison 1.

Celui de Guy Ritchie n’est pas du tout pathologisé, on le qualifiera plus facilement d’excentrique que de malade mental, et n’est pas non plus extrêmement méprisant,

Sherlock fait du Queer-baiting… mais reste hétérosexuel

L’une des principales caractéristiques des trois nouvelles adaptations de Sherlock Holmes est la relation fusionnelle qu’entretiennent Holmes et le Dr Watson. Cette relation n’est pas du tout fidèle à l’oeuvre originale où Holmes et Watson sont simplement bons amis, dans un certain nombre d’aventures, ils ne sont même plus colocataires puisque Watson a emménagé avec sa femme (. Dans le cas de l’adaptation de Guy Ritchie et de celle de la BBC, on peut même qualifier la relation entre John et Watson de Bromance. La bromance, généralement attachée au genre de la comédie, dérive directement du buddy film qui lui est plutôt attaché au film d’action/policier. Sherlock et Sherlock Holmes reprennent donc les codes de la bromance (amitié masculine reprenant les codes d’une relation amoureuse) pour les remettre dans le cadre du film d’action/policier. Comme l’a expliqué Fanny dans son article intitulé Bromance vs Womance, la bromance n’est absolument pas progressiste car elle réinsiste en permanence sur les codes de la virilité et le désamorçage de toute suspicion d’homosexualité, sans oublier qu’elle permet d’évacuer les femmes de l’intrigue.

Le Sherlock Holmes de Guy Ritchie et plus encore le Sherlock de la BBC jouent non-seulement sur la bromance mais utilisent le queer-baiting comme élément comique récurrent. Le queer-baiting c’est le fait de sous-entendre une relation homosexuelle entre deux personnages clairement définis comme homosexuels. Le site The Next défini le Queer Baiting ainsi :

Queerbaiting occurs when heterosexual characters—generally male, and generally protagonists—are frequently hinted at having sexual chemistry or more than friendly feelings for each other. They are mistaken for gay lovers; they stare longingly into each others eyes for seasons at a time; they are deeply, inescapably important to each other. Yet the audience is never allowed to forget for long that these characters are also deeply, inescapably heterosexual.

 On peut parler de queerbaiting quand des personnages hétérosexuels-généralement des hommes, et généralement les personnages principaux-présentent de nombreux indices d’une alchimie sexuelle ou de sentiments plus forts que l’amitié. Ils sont confondus avec un couple homosexuel, se regardent longuement dans les yeux, sont profondément et inexorablement importants l’un pour l’autre. Pourtant, le public ne peut jamais oublier très longtemps que ces personnages sont également profondément et inexorablement hétérosexuels.

http://www.uwbnext.com/editorials/please-do-not-bait-the-queers

Ainsi dans le Sherlock Holmes de Guy Ritchie, Sherlock supporte très mal que le Dr Watson se marie et déménage, et se comporte de manière typiquement jalouse. L’interprète de Sherlock, Robert Downey Jr a même déclaré que le Sherlock qu’il a interprété était selon lui gay. (et ça a fait hurler les ayant droit…)[6]. Ainsi de nombreuses plaisanteries sont faites sur la relation « de couple » entre Holmes et Watson. Cependant il est par ailleurs clairement établi que Sherlock est amoureux d’Irène Adler, les références à une possible homosexualité de Sherlock ne sont donc bien que des « blagues ».

Car c’est bien là le problème du queer-baiting. Cela pourrait être progressiste que l’on suggère une relation amoureuse entre deux protagonistes masculins, si on n’insistait pas autant sur le fait qu’il ne s’agit que d’une blague. Le queerbaiting fonctionne sur le fait que les relations entre hommes sont encore taboues, et qu’une relation entre hommes est un sujet de plaisanteries. Au fond qu’est-ce qu’une relation homosexuelle sinon une vaste plaisanterie destinée à faire marrer le spectateur hétérosexuel devant sa télé ?

Le queer-baiting prétend intégrer des codes LGBT, tout en réaffirmant pleinement la norme hétérosexuelle. On peut ainsi attirer le public gay et lesbien en leur promettant des personnages qui leurs ressemblent, tout en restant consensuel et en reléguant les personnages effectivement homosexuels au second rang. Le queer-baiting ou sous-texte homosexuel/homoérotique avait un sens lorsque les relations homosexuelles étaient proscrites, aujourd’hui, il n’a plus de raison d’être.

Le queerbaiting fonctionne ainsi sur un double niveau : d’un côté faire marrer en jouant sur la bonne vieille blague de l’homosexualité, de l’autre faire miroiter la possibilité d’une relation homosexuelleà ceux qui rêvent de voir plus de personnages homosexuels LGBT à l’écran (qu’il appartiennent ou non à cette communauté).

Sherlock de la BBC est l’une des séries qui exploite le plus le queerbaiting. Dans le premier épisode de la série, Sherlock et John ont une conversation :

http://www.youtube.com/watch?v=-mYpOEqGBCo

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Est-ce que tu as un petit ami ? Ce qui ne poserai pas de problème d’ailleurs. Je sais que ça ne poserai pas de problèmes.

Toute la série va s’appliquer à déconstruire cette affirmation…

 Histoire d’être bien consensuel et politiquement correct, on fait déclarer aux deux personnages principaux qu’être gay c’est ok. Petite information à Steven Moffat et Mark Gatiss : Faire dire à ces personnages qu’être homosexuel est ok ne suffit pas si le reste de la série s’évertue à démontrer l’exact inverse.

Selon John Watson, être gay c’est OK, DU MOMENT QUE PERSONNE NE PENSE QUE LUI L’EST. En effet, John passe son temps à reprendre les personnages de la série qui pensent que John et Sherlock sont en couple (et ils sont nombreux !). Y’a pas de problème à être gay, hein, juste c’est humiliant que l’on pense ou puisse penser que je le suis.

On trouve d’ailleurs pas mal de best of vidéos illustrant bien ce leitmotiv :

http://www.youtube.com/watch?v=_FLz1TzWNi4

http://www.youtube.com/watch?v=U–S0_6l_mU

Et des mèmes internet :

http://knowyourmeme.com/memes/defensively-heterosexual-john-watson

D’une manière délicieusement ironique, alors que Moffat ne cesse de répéter que son héros n’est pas homosexuel, les fan-arts concernant le shipper Johnlock se multiplient, allant du dessin jusqu’à la web-série(http://www.lesinrocks.com/2014/02/01/cinema/sherlock-la-web-serie-gay-qui-va-faire-grincer-des-dents-11467546/). Une manière pour les fans de reprendre la main et d’insérer les relations vraiment homosexuelles là où il n’y a que du queerbaiting.

Moriarty, homocidal-maniac ?

Moffat et Gatiss poussent le bouchon un peu plus loin et vont jusqu’à l’homophobie dans le dernier épisode de la saison 1. Lors de la première apparition de Jim Moriarty, alors qu’on ne sait pas encore qu’il s’agit de la nemesis de Sherlock, celui-ci est présenté par Molly comme étant son petit ami. On voit alors Sherlock recueillir des indices selon le processus habituel de la série : du texte apparaît en blanc là où se trouvent les indices…

La série d’indices grâce à laquelle Sherlock déduit que Jim est homosexuel est tout simplement affligeante de clichés… Même si Sherlock déclare que l’indice le plus probant est qu’il a laissé son numéro de téléphone, à aucun moment les indices de l’homosexualité de Jim ne sont invalidés puisque l’infaillibilité bien établie de Sherlock en matière d’indices pousse les spectateurs à considérer ces fameux indices comme objectifs.

vlcsnap-2014-03-30-20h34m00s177Non, non-cils teintés, signes clairs de crème à la taurine autour des rides…

vlcsnap-2014-03-30-20h34m09s44Ces yeux fatigués de clubber.

vlcsnap-2014-03-30-20h34m43s130Et également ses sous-vêtements. -Ses sous-vêtements ?

vlcsnap-2014-03-30-20h34m50s193Visible au dessus de la taille. Bien visible. Marque bien particulière.

 Signes objectifs d’homosexualité…

 Au contraire, lorsqu’il rencontre Sherlock alors que son identité est révélée, Jim déclare que le caleçon qui dépasse du pantalon était un détail destiné à parfaire son déguisement de gay. Parce que c’est bien connu, tous les gays sont des fashions victims dont le caleçon dépasse du pantalon et si ton caleçon dépasse tu es forcément gay…

Même après que Moriarty soit apparu sous son vrai jour, un doute continue de subsister sur sa possible homosexualité… En effet, Moriarty utilise un vocabulaire de séduction pour s’adresser à Sherlock, et nourrit une obsession suspecte envers lui. L’interprétation extrêmement maniérée d’Andrew Scott contribue à renforcer cette idée. Alors que la série prend bien de réaffirmer régulièrement l’asexualité de Sherlock et l’hétérosexualité de John, elle laisse volontairement planer le doute sur la possible et même fort probable homosexualité de Jim ; Sherlock s’inscrit ainsi dans la grande tradition des personnages gays ou à la sexualité « déviante » qui sont en fait des psychopathes.

Plus d’exemples ici :

Feminist Frequency : http://www.youtube.com/watch?v=ZBlzjGnCMQk

That’s Gay : http://www.youtube.com/watch?v=g0fCyTSuIHQ

Comme le dit Anita Sarkeesian, ce genre de représentations contribue à renforcer la stigmatisation de l’homosexualité, l’idée que les homosexuels sont différents. Associer l’homosexualité au fait d’être psychopathe renvoie à l’idée qu’être homosexuel implique un dysfonctionnement du cerveau (rappelons que l’Association américaine de psychiatrie a cessé en 1973 de considérer l’homosexualité comme une maladie mentale, ce dont les auteurs ne semblent pas avoir conscience…) mais aussi à l’idée que les homosexuels sont dénués de morale et donc dangereux pour la société, idée qui a longtemps perduré. Cette astuce scénaristique est très efficace car elle joue sur la peur de l’homosexualité et de la perte de virilité mais elle tend à reconduire ces préjugés hétérosexistes et à entretenir cette peur de l’homosexualité.

A l’exact inverse, l’opposante de Sherlock Holmes, Irène Adler, deviendra une « gentille » en tombant amoureuse de Sherlock Holmes passant de l’homosexualité à l’hétérosexualité… Mais promis, on reparle d’Irène Adler…

 Dans l’épisode 3 de la saison 1, le frère d’une des victimes est une véritable caricature d’homosexuel, maniéré, délicat… et bien entendu il s’avère qu’il est effectivement homosexuel (il a une relation avec l’agent d’entretien de la maison) et responsable du meurtre avec son amant.

Dans le monde de Steven Moffat, les gays sont des assassins correspondants aux pires clichés homophobes et les lesbiennes deviennent hétéro devant l’incroyable sex-appeal du héros, mais être homosexuel-le ce n’est pas un problème…

Sherlock est anglais… et il a comme un problème avec les étrangers

Sherlock Holmes (de Guy Ritchie) est situé dans l’Angleterre victorienne, il ne fait apparaître aucun personnage non-européen, mis à part le personnage de Simza et son clan de gitans. Les personnages de gitans ne sont pas diabolisés mais restent tout de même traités avec leur lot de stéréotypes. Tout le folklore « typiquement gitan » y passe : la diseuse de bonne aventure qui est aussi lanceuse de couteaux, les gitans voleurs, le goulasch de hérisson… Même si le personnage de Simza est un des personnages principaux du film, elle ne dépasse jamais le cliché de la « femme gitane » avec tous ses attributs et manque singulièrement de consistance.

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Amis du cliché gentiment xénophobe, bonjour.

Sherlock aligne comme des perles les clichés sur les étrangers, pour commencer l’intégralité du casting principal est blanc (à l’exception de Sally Donovan qui est métisse mais reste un personnage anecdotique), ce qui était justifié dans le Londres victorien ne l’est plus vraiment dans le Londres des années 2010, mais MM Moffat et Gatiss n’ont visiblement pas souhaité pousser la modernisation jusqu’au bout. Sauf que quand on voit le traitement réservé aux personnages non-blancs, on est presque soulagé de ce constat. En effet, le personnage ethnicisés sont réduit à des clichés négatifs. Le deuxième épisode de la saison 2 se déroule au sein des triades chinoises, hormis la gentille fille chinoise qui s’occupe de théières. On retrouve donc des chinois cruels, experts en tortures raffinées et prêts à tout pour se venger.

Au contraire, les pakistanais de l’épisode 1 de la saison 2 sont loin d’être raffinés puisqu’en bons barbares misogynes ils s’apprêtent à décapiter une Irène Adler voilée… Bien que très courte, cette scène réussit à montrer un nombre records de clichés anti-islam. Pas mal pour une scène qui n’est justifiée par absolument rien dans l’intrigue…

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Des clichés islamophobes se sont glissés dans cette image… sauras-tu tous les retrouver, lecteur attentif?

Parallèlement à ça, Elementary intègre deux personnages non-blancs dans son casting principal, et plus important encore, ces personnages sont compétents et ne servent pas de simples faire-valoir. La série intègre deux personnages afro-américains dans son casting régulier, le détective Marcus Bell et le mentor de Sherlock aux drogués anonymes, Alfredo. Ces deux personnages sont traités de manière assez fine puisque tous deux viennent d’un milieu difficile et ont réussi à s’en sortir. La série propose donc des personnages noirs positifs, avec des carrières intéressantes, sans nier le contexte économico-politique dans lequel vivent de nombreux afro-américains.

 Sherlock a comme un problème avec les femmes

Les aventures originales de Sherlock Holmes sont atrocement pauvres en personnages féminins. Irène Adler n’apparaît que dans une seule nouvelle, Mrs Hudson et Mary Morstan ne sont mentionnée qu’au détour d’une phrase sans jamais être réellement développées, les clientes de Holmes sont généralement effacées et sans grand intérêt… Mais si le matériau original n’offre effectivement pas grand choix de personnages féminins intéressants, les adaptations modernes pourraient renverser cet état de fait en intégrant plus de personnages féminins à l’intrigue.

Joan Watson, partenaire de Sherlock

Elementary propose un parti pris fort puisqu’il transforme le personnage du Dr John Watson, en Joan Watson, femme non-blanche, interprétée par l’actrice d’origine sino-taïwanaise, Lucy Liu. Il est appréciable de constater qu’en plus de montrer une femme non-blanche à l’écran, la série n’en fait pas non-plus un cliché. Ainsi Joan Watson est un personnage intéressant, avec ses propres histoires en parallèle de Sherlock, une back-story et des compétences propres qui sont mise en valeur par la série. Elle échappe aux tropes propres aux femmes (elle n’est pas folle amoureuse de Sherlock et leur relation ne tombe jamais dans la séduction) et à ceux généralement réservés aux asiatiques (ce n’est pas une experte des arts martiaux et si elle finit par les pratiquer, c’est sous l’influence de Sherlock). Alors que leur lien est au départ purement professionnel (elle est son compagnon de sobriété), Joan Watson finit par avoir une réelle relation de partenariat et d’amitié avec Sherlock Holmes.

Cependant on peut tout de même noter que Watson n’est plus, contrairement à ses homologues masculins, un ancien médecin militaire mais une ancienne chirurgienne et qu’elle s’occupe souvent du « care » dans les enquêtes.[7] De même alors que les compétences apportées par Watson dans les livres et les autres adaptations sont généralement des compétences militaires, ici les compétences amenées par Joan sont très souvent médicales.

De compagnon de sobriété, Joan Watson, attirée par l’univers des enquêtes (quoi ? les femmes aussi peuvent s’intéresser à ce genre de choses et avoir envie d’aventure ?!) deviendra l’apprentie de Sherlock Holmes. Alors que la relation pourrait tomber dans un paternalisme insupportable, la série évite cet écueil puisque Joan, bien qu’en apprentissage, possède toujours des atouts que Sherlock n’a pas et aide à résoudre les enquêtes. La série en profite d’ailleurs pour souligner que les dons de Sherlock ne sont pas dus à une sorte de génie naturel et inné mais bien à un entraînement.

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Watson qui sert d’autre chose que de faire-valoir… et puis quoi encore ?

 Irène Adler, LA femme

Irène Adler est un personnage relativement discret du canon holmésien, elle n’apparaît que dans une seule nouvelle « A scandal in Belgravia » traduit en français par « Un scandale en Bohème ». Cependant, le personnage est très souvent représenté dans les adaptations car il s’agit de la seule femme ayant un minimum de consistance dans le canon (les autres se réduisant à la femme du Dr Watson, Mary, Mme Hudson et à quelques clientes) ainsi que l’une des quatre personnes ayant réussi à battre Sherlock Holmes. Certains analystes ont suggéré la possibilité d’un amour entre Irène Adler et Holmes mais Conan Doyle ne développe jamais sérieusement cette possibilité.

Dans la nouvelle « Un scandale en Bohème », le roi de Bohème, qui vient de se fiancer, se rend auprès de Sherlock Holmes pour lui demander de récupérer une photo compromettante en possession d’Irène Adler, son ancienne maîtresse, menace de diffuser par jalousie.

Par un concours de circonstances, Holmes devient le témoin de mariage d’Irène Adler. Plus tard il lui rend visite et découvre grâce à un stratagème où Irène cache la photographie, mais ne peut la récupérer tout de suite, il est ensuite percuté par un jeune homme qui se perd dans la foule.

En revenant chercher la photo le lendemain, Sherlock trouve une photo d’Irène accompagnée d’une lettre expliquant qu’elle a quitté l’Angleterre avec son mari et qu’elle garde la photo uniquement pour sa sécurité. Holmes comprend qu’il a été dupé lorsqu’Irène déguisée en jeune homme a reconnu le célèbre détective. Holmes conserve la photo d’Adler en souvenir.

On ne peut pas dire que la nouvelle de Conan Doyle brille par son féminisme, puisque les actes d’Irène sont déterminés principalement par ses sentiments (elle menace le roi de Bohème car elle est jalouse, y renonce car elle est amoureuse d’un autre homme…) et que l’auteur insiste copieusement sur l’exception que représente Irène Adler parmi les femmes, sans compter que Sherlock Holmes est généralement décrit comme misogyne. Cependant Irène Adler parvient à battre Sherlock Holmes grâce à son intelligence sans utiliser de séduction.

Les nouvelles adaptations tendent à impliquer Irène Adler dans une relation amoureuse avec Sherlock Holmes car il s’agit du seul personnage féminin pour lequel Holmes présente une quelconque forme d’intérêt : Celle de Guy Ritchie entretient une relation d’amour tumultueuse avec Sherlock Holmes, celle d’Elementary est sa seule femme qu’il ait réellement aimé et celle de la BBC est amoureuse de Sherlock. Ramener Irène à sa relation avec Sherlock est carrément réducteur et renvoie à une vision essentialiste de « LA femme », celle d’un être principalement défini et contrôlé par ses sentiments.

Dans Sherlock Holmes de Guy Ritchie, Irène Adler, interprétée par Rachel McAdams est une aventurière et une femme d’action. Il est montré qu’elle sait se battre, Watson mentionne àmoment donné qu’elle a battu Holmes 2 fois, et elle prend une part relativement active dans l’intrigue du premier film, aidant Holmes et Watson à arrêter Lord Henry Blackwood.

Cependant Irène souffre d’un certain nombre de clichés sexistes : elle devient damoiselle en détresse dans le premier volet, lorsqu’elle se retrouve suspendue à un crochet de boucher sur une chaîne de découpe après avoir été capturée par Lord Blackwood. Elle se retrouve également battue par Holmes à la fin du film, qui, non content de l’arrêter, se sent obligé de l’aider à s’évader en lui glissant la clé dans son corsage. Irène Adler se retrouve non seulement battue mais également de nouveau en situation de détresse avec l’homme qui vient la sauver.

vlcsnap-2014-04-02-23h21m56s243Damoiselle en détresse…

 Au début du deuxième volet, Irène Adler, qui était pourtant un personnage intéressant et fort devient ce qu’on appelle « une femme dans le réfrigérateur », c’est à dire un personnage féminin important pour l’intrigue qui meurt dans le seul but de rendre le personnage masculin plus intéressant. La mort d’Irène Adler sert à enrichir le personnage de Sherlock Holmes et à rendre personnel son combat contre Moriarty, mais ne développe aucune intrigue réelle, contrairement, par exemple, à la mort de Rachel Dawes dans The dark knight qui permettait de justifier le basculement de Harvey Dent dans la criminalité.

Le personnage d’Irène est sacrifiée sans que cela ait une réelle utilité pour l’histoire, simplement pour que Sherlock Holmes ait une backstory tragique (il a perdu la femme qu’il aimait) et pour montrer la cruauté de Moriarty.

vlcsnap-2014-03-30-23h42m05s150Sherlock est triste…

Stuffed into the fridge sur le site TVTropes :  http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/StuffedIntoTheFridge

La vidéo de Feminist Frequency sur la genèse de ce trope et pourquoi il est problématique :  http://www.youtube.com/watch?v=DInYaHVSLr8

Le film fait également preuve d’essentialisme en montrant une Irène Adler forcément trahie par ses sentiments (on a beau être une criminelle de classe internationale, on reste une fâââââââââme, on ne peut pas s’en empêcher) et très sexualisée, utilisant sa séduction comme une arme, notamment contre Sherlock.

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LA femme qui utilise sa séduction…

 Alors que l’héroïne de la nouvelle de Conan Doyle agissait seule et pour son propre compte, celle du film agit pour le compte de Moriarty, réduisant ainsi son intelligence aux compétences d’un homme.

C’est probablement la BBC qui maltraite le plus le personnage d’Irène Adler, interprétée ici par Lara Pulver. Si elle est sexualisée dans le film de Guy Ritchie, on ne peut pas dire qu’elle soit réduite à son corps et à sa sexualité, le personnage présente d’autres caractéristiques qui la définissent, tandis que dans la série de la BBC, le personnage est constamment renvoyé à sa sexualité et à sa féminité.

Dès sa première apparition dans la série, Irène est essentialisée, apparaissant au travers de gros plans sur des parties de son corps, de préférence associés à des attributs typiquement féminins, c’est-à-dire des plans de bouche en train d’être maquillée, d’yeux en train d’être fardés et de mains au ongles vernis. Ce découpage des femmes en morceaux, que j’avais déjà traité dans Pretty woman, est directement issu de la pornographie et permet de réduire les femmes à l’état l’objet, de la réduire à des parties de son corps. Ce qui est d’autant plus pervers c’est que la sexualité d’Irène Adler est son arme principale. Contrairement à Jim Moriarty qui n’utilise que son intelligence, Adler se sert de sa séduction pour dominer les hommes. On retrouve donc le double cliché de la femme manipulatrice et de l’homme dominé par son pantalon (ce cliché, qui, s’il peut paraître amusant quoique légèrement misandre est en réalité une façon de dédouaner les hommes du viol et d’essentialiser le besoin de sexualité chez ces derniers). L’hyper sexualisation d’Irène, qui est surtout là pour que le spectateur (forcément) masculin puisse se rincer l’œil, est ainsi habilement déguisée en empowerment… Male gaze, quand tu nous tiens…[8]

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La première apparition d’Irène à l’écran, ongles rouges et dentelles…

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LA femme…c’est ça.

Comme sa consœur américaine, Irène est trahie par ses sentiments pour Sherlock. Cependant, alors que le film traduit un respect et une affection mutuelle malgré la victoire de Sherlock (qui lui-même s’est fait avoir plusieurs fois à cause de ses sentiments pour Irène), l’Irène anglaise est allègrement humiliée par un Sherlock tout puissant qui, après l’avoir détruite et littéralement obligée à mendier se paiera le luxe de venir la sauver de méchants pakistanais. On se demande d’ailleurs bien pourquoi, alors qu’à aucun moment le scénario n’implique de personnages orientaux et qu’à aucun moment Karachi n’est mentionné, avoir ajouté de méchants arabes qui s’apprêtent à décapiter la femme voilée dans la dernière séquence ?)

vlcsnap-2014-03-30-20h24m49s75L’Homme est venu me sauver… Gloire à lui.

On rajoutera qu’Irène Adler et sa fabuleuse intelligence sont tout de même dépendante de Moriarty qui fournit le plan.[9]

Elementary détourne le personnage d’Irène Adler de façon intéressante, en déconstruisant à la fois le trope de la « femme dans le réfrigérateur » et celui de la damoiselle en détresse. Durant toute la saison 1, Sherlock est obsédé par l’assassinat atrocement brutal de l’amour de sa vie, Irène Adler, par Moriarty et est mu par un désir de vengeance. On se retrouve ainsi dans le schéma classique de l’homme souhaitant venger sa bien-aimée. Dans la fin de saison, Sherlock retrouve Irène dans une position de damoiselle en détresse (elle aurait été kidnappée et séquestrée durant plusieurs mois) et tente de la sauver. Ces deux tropes sont déconstruits lorsque Sherlock comprend qu’Irène est Moriarty. En transformant non-seulement le partenaire de Holmes mais également son pire ennemi en femme, les créateurs d’Elementary font preuve d’une forme audacieuse de genderbending et posent un parti pris féministe rafraîchissant, d’autant plus intéressant quand on voit le traitement des personnages féminins dans les autres adaptations et plus largement dans le reste de la production audiovisuelle actuelle.

Irène Adler est donc une femme compétente, capable de diriger un réseau et auquel des hommes obéissent, elle n’est pas caricaturée comme le sont d’habitude les femmes de pouvoir : elle n’est ni castratrice, ni hystérique, elle est traité quasiment comme un antagoniste masculin. Malheureusement le personnage n’échappe pas à des caractéristiques essentialistes : puisque encore une fois Adler/Moriarty est trahie par ses sentiments (décidément !). Sherlock la piège en lui faisant croire qu’il a fait une overdose et en allant le trouver à l’hôpital, elle est arrêtée par la police.

vlcsnap-2014-03-30-21h38m54s239Je suis un génie du mal, mais je le suis fait avoir car Sherlock était plus intelligent (normal, c’est le héros)

vlcsnap-2014-03-30-21h39m49s19Je suis un génie du mal, mais je le suis fait avoir car Sherlock était plus intelligent (normal, c’est le héros)

vlcsnap-2014-03-30-21h38m19s146Je suis un génie du mal mais je me suis fait avoir par mes sentiments  parce que je suis une femme.

Plus tard dans la saison 2, on apprend qu’Irène est mère d’une petite fille qu’elle a fait adopter par un couple. Lorsque celle-ci est kidnappée, Irène se bat évidemment de toutes ses forces pour la récupérer. Si les scénaristes évitent de caricaturer le personnage sur sa facette de méchante, pourquoi lorsqu’ils veulent humaniser le personnage et le rendre émouvant jouent-il exclusivement sur une vision essentialiste de « LA femme » à base de sentiments amoureux et de maternité ?

On pourrait objecter que les trois versions de Sherlock ont également des sentiments pour Irène Adler, et peuvent même se faire piéger par elle ou l’avoir été dans le passé. Cependant au final, Sherlock parvient à dominer ses sentiments pour triompher d’Irène alors qu’elle-même est submergée et ne peut lutter contre eux.

 Mary Morstan, madame Watson

Dans Elementary, le personnage équivalent à Mary Morstan n’a pas (ou pas encore) été exploité.

Dans les films de Guy Ritchie, Mary Morstan est relativement conforme au personnage des livres : douce, jolie, dévouée… Le personnage est très en retrait par rapport aux personnages masculins et à celui d’Irène Adler et ne tient aucun rôle réellement actif dans l’intrigue. Le personnage, qui est uniquement défini par sa relation avec John Watson, sert principalement à développer et mettre en valeur la relation entre Sherlock et le docteur Watson. Son mariage avec ce dernier bouleverse le lien qui unit les deux hommes et rend le célèbre détective terriblement jaloux. Le personnage sert également à introduire quelques effets comiques, commele personnage de Mycroft Holmes. Cela devient problématique lorsque l’effet comique joue sur une violence envers les femmes. Au début du deuxième film, Sherlock jette Mary hors du train alors que celui-ci passe au-dessus d’un pont. Certes, cet acte est justifié scénaristiquement, puisque le train est attaqué et qu’il permet de mettre Mary en sécurité (toujours éloigner les femmes de l’action, on ne va pas non-plus leur laisser une vraie place dans le film !) mais la façon donc la séquence est mise en scène amène le spectateur à rire d’un acte de violence envers une femme. Le personnage de Mary n’a pas d’existence réelle, pas de personnalité, est n’est qu’un faire-valoir pour mettre en valeurles autres protagonistes de l’histoire.

vlcsnap-2014-03-30-23h34m06s236 vlcsnap-2014-03-30-23h34m13s33 vlcsnap-2014-03-30-23h34m25s169 vlcsnap-2014-03-30-23h34m31s230

La femme poussée hors du train… un grand classique de comédie.

 A l’inverse, le personnage de Mary Morstan dans la série de la BBC est une véritable bouffée d’air frais, surtout en comparaison de la pauvreté des autres personnages féminins. Elle possède une réelle personnalité, un solide sens de l’humour et lors des deux premiers épisodes, bien qu’elle soit parfois en périphérie, ses actes ont de réelles conséquences sur l’intrigue. Lors du troisième épisode on apprend que Mary est loin d’être celle que l’on croit, elle est en fait un ancien agent qui a changé d’identité. Le personnage est ainsi doté de compétences (que l’on entrevoyait dans les deux épisodes précédents), d’une backstory, d’une psychologie développée et d’un rôle réel dans l’intrigue.

Une femme d’action compétente ! Voilà une chose à laquelle Moffat ne nous avais pas habitué-es !

vlcsnap-2014-03-30-20h56m21s55On aurait dû se douter qu’il y avait baleine sous gravillon…

 Malgré toutes ses compétences et sa brillante intelligence, Mary se retrouve dans le rôle peu valorisant et peu actif de la damoiselle en détresse. Elle est même carrément exclue de l’intrigue dans la dernière partie de l’épisode, puisqu’elle est droguée par Sherlock.

vlcsnap-2014-03-30-20h54m07s251La femme, passive, comme il se doit…

 Avec le personnage de Mary, la série retombe dans le même écueil qu’avec Irène Adler, un personnage féminin présenté comme compétent et intelligent se retrouve à la merci des hommes qui doivent la sauver. Il est particulièrement frustrant de voir un personnage avec autant de potentiel être réduit à si peu, d’autant que Sherlock insiste sur le fait que Watson est systématiquement attiré par le danger (son meilleur ami est détective privé, il travaillait dans l’armée-le premier épisode insistait d’ailleurs sur le fait que Watson s’ennuyait dans sa vie quotidienne et désirait plus d’action-et que c’est justement le fait qu’elle soit une dangereuse tueuse qui l’attirait vers Mary, sans qu’il s’en rende compte.

Même quand elles sont des tueuses à gages internationales, chez Steven Moffat, les femmes ne rêvent que de revenir à une vie tranquille et conjugale, contrairement aux hommes qui eux ne rêvent que de danger et d’excitation.

 Mrs Hudson, la logeuse

 Mrs Hudson est traitée de façon relativement classique dans le film de Guy Ritchie, il s’agit d’une femme entre deux âges, plutôt soigneuse et sévère. Le personnage n’a pas réellement d’utilité dans l’intrigue ou le film et ne sert encore une fois qu’à mettre l’excentricité du personnage de Sherlock en valeur.

Mrs Hudson dans la série de la BBC est un personnage plus intéressant et travaillé, mais guère moins misogyne. En effet, Mrs Hudson est principalement là pour l’effet comique, constamment à côté de la plaque, traitée en domestique par ses deux locataires et perpétuellement humiliée par Sherlock… Le personnage ne cesse de répéter qu’elle n’est pas leur femme de ménage tout en continuant à le faire. L’exemple type de la femme qui tente de se rebeller contre son rôle domestique pour la forme mais au fond est ravie de servir du thé aux hommes.

Encore une fois Elementary fait un choix artistiquement et politiquement audacieux puisque Mrs Hudson, devient une jeune femme transgenre à la vie sentimentale mouvementée qui trouve refuge chez Holmes et Watson. Miss Hudson est une experte en grec ancien et si elle accepte de faire le ménage pour Watson et Holmes ce n’est que temporairement, le temps de retrouver une situation plus stable et de devenir indépendante. Ms Hudson est respectée par Holmes et Watson et ses compétences sont mises en valeur puisqu’elle est la seule qui parvient à classer correctement les livres de Holmes. Malheureusement, ce personnage très progressiste n’apparaît que dans un seul épisode et n’est plus citédans la suite de la série. On appréciera néanmoins que le rôle ait été proposé à une actrice transsexuelle et non pas à une actrice cisgenre comme c’est trop souvent le cas.

vlcsnap-2014-03-30-21h49m56s201Miss Hudson…

 Molly Hooper, l’amoureuse transie

 Molly Hooper est un personnage créé pour la série Sherlock. Si ajouter des personnages féminins alors que le canon en manque cruellement part plutôt d’une bonne intention, le personnage de Molly est tellement misogyne qu’il aurait mieux valu s’abstenir. Que l’on soit bien clair, le fait de montrer une femme amoureuse d’un homme qui ne l’aime pas en retour n’est en aucun cas sexiste. Par contre, ce qui est profondément misogyne c’est de définir un personnage féminin par le seul et unique fait qu’elle est amoureuse du héros, de lui faire adopter une attitude soumise de façon quasi systématique, tout particulièrement quand le héros est là et de la montrer se faire humilier régulièrement par ce même héros. Que Molly ne puisse s’empêcher d’aimer Sherlock même si cet amour n’est pas réciproque, certes, mais est-elle obligée de s’écraser systématiquement devant lui ? Dans une scène de l’épisode 3 de la saison 1, Molly en vient elle-même à dire qu’elle ne compte pas…

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Vous pouvez me voir. Je ne compte pas.

Si c’est toi qui le dis…

 Si Molly et son travail de légiste ont parfois une utilité dans la résolution des enquêtes, elle reste en général en périphérie des intrigues, à sa place de femme…

 Les autres

D’une manière générale, Sherlock compte son lot de femmes qui sont soit de douces femmes en détresse (Soo-Lin Yao dans l’épisode 2 de la saison 1), soit perpétuellement ramenées à leur séduction (surtout sur Watson) (le Dr Mortimer dans l’épisode 2 de la saison 2, les petites amies de John…), soit tout simplement de véritables garces vénales (Kitty Riley la journaliste manipulatrice aux dents qui rayent le parquet dans l’épisode 3 de la saison 2, ou Janine, cliché ambulant sur pattes qui ne rêve que de se marier avec un homme rencontré quelques semaines plus tôt mais se remet parfaitement d’avoir été manipulée et utilisée en vendant son histoire aux magazines…).

La série met également en scène quelques antagonistes comme Shan (S1E2) et Irène Adler mais celles-ci dépendent complètement de Moriarty, parce qu’une femme c’est incapable de construire des plans toute seule…

vlcsnap-2014-03-30-22h51m25s224Vous me dégoûtez.

Le sentiment général de Sherlock envers les femmes…

Des adaptations modernes, Elementary est probablement la plus progressiste et la plus intéressante politiquement, la série se démarque des autres par des choix politiques audacieux et plutôt engagés. Sherlock Holmes, lui, reste au niveau des autres productions hollywoodiennes, c’est-à-dire que le film n’est ni pire, ni meilleur politiquement que les autres sorties des studios (autres sorties qui sont assez affligeantes politiquement, il faut dire…)

Sherlock est certainement la pire adaptation des trois d’un point de vue politique, reflétant sans surprise l’atmosphère générale des séries Stephen Moffat[10]

 Julie G.

 

[1] On designe par « Canon Holmesien » les romans et nouvelles écrits par Conan Doyle lui-même.

[2] Pour plus d’infos sur l’aphrodisme au cinéma et pourquoi il est problèmatique l’article de Paul Rigouste : http://www.lecinemaestpolitique.fr/en-finir-avec-laphrodisme-au-cinema/

[3] Certains commentateurs considèrent qu’il existe une relation homosexuelle entre Holmes et Watson cachée dans l’œuvre.

[4] Tintin, Blake et Mortimer, etc…

[5] Cf. L’article de Paul Rigouste sur l’augmentation de la masse musculaire à Hollywood

[6]http://www.telegraph.co.uk/culture/film/film-news/6874415/Robert-Downey-Jr-hints-Sherlock-Holmes-was-gay.html

[7]Cependant ce fait peut s’expliquer par l’asociabilité et le manque de tact de Holmes ainsi que par le fait qu’elle exerce le métier de compagnon de sobriété.

[8] L’article de „ça fait genre“, sur le male gaze : http://cafaitgenre.org/2013/07/15/le-male-gaze-regard-masculin/

[9]L’article de Liam sur l’épisode « The woman » : http://www.lecinemaestpolitique.fr/sherlock-saison-2-episode-1-the-woman/

[10]http://www.madmoizelle.com/steven-moffat-sexisme-230364

 

 

 

Atlantide, l’empire perdu, retrouvé et sauvé par l’homme blanc

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Sorti en 2001, Atlantide, l’Empire Perdu est un film des studio Disney inspiré officiellement par l’univers de Jules Verne et beaucoup moins officiellement par l’animé Nadia, le secret de l’eau bleue, le film d’animation Le château dans le ciel des studios Ghibli et le film Stargate.1

Atlantide, l’Empire Perdu raconte l’histoire de Milo Thatch, un jeune linguiste dont le rêve est de découvrir la cité perdue d’Atlantide. Grâce au mécénat d’un excentrique millionaire, il se retrouve à la tête d’une expédition jusqu’à la cité perdue, qu’il découvre être en grand danger.

Un héros moins viril que d’habitude…

Milo Thatch est un intellectuel chétif, maladroit et dégingandé, tranchant par là avec la virilité triomphante que l’on retrouve généralement chez les protagonistes masculins de Disney.

Paul Rigouste a montré dans son article que les méchants était souvent « représentés comme étant efféminés » et les gentils très virils. Ici, on trouve le schéma inverse : le méchant, le commandant Rourke est présenté comme un homme viril et charismatique qui ne correspond pas aux caractéristiques classiques du « méchant Disney » mais plutôt aux caractéristiques du héros de film de guerre. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’acteur qui le double, James Garner, un habitué de genre de rôles, a été choisi.2

De la même façon, le Dr Sweet est un personnage beaucoup plus viril dans le graphisme et l’attitude que Milo. La virilité de Milo est ouvertement mise en doute et moquée par les autres personnages notamment lorsqu’Audrey dit « J’avais l’habitude de racketer ce genre de types ». De plus on le voit souvent être maladroit et peu sûr de lui.

Il est intéressant de voir un personnage adulte3 sortant des standards de virilité chez Disney malheureusement Milo rentrera bien vite dans le rang.

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Avant j’étais maladroit et maniéré…

…mais qui devient un homme viril quand même (faut pas déconner non plus)

Lors de l’expédition, lorsque la foreuse tombe en panne, Audrey la mécanicienne qui est pourtant terriblement compétente, (dans le film il est même dit que c’est même une des meilleures dans son domaine, et que c’est pour cela qu’elle intègre une expédition si prestigieuse si jeune) est incapable de déterminer d’où vient la panne. Milo arrive et règle le problème en quelques secondes. Certes sa compétence est justifiée humoristiquement par le fait qu’il s’occupait de la chaudière dans le musée, mais le schéma qui est présenté est celui d’une femme qui, aussi compétente soit elle, est incapable de régler un problème qu’un homme règle en y réfléchissant à peine.

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Surtout ne touche à RIEN…

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M’en fous j’y vais quand même…

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Aussi compétente sois-tu, t’es pas un homme…

On remarquera qu’Audrey est la seule à avoir besoin de Milo pour l’aider à faire son boulot, ses collègues masculins, eux, maîtrisent complètement leur travail.

De la même façon, Kida est incapable de faire démarrer les véhicules laissés par ses ancêtres. Là encore, Milo trouve la solution (qui est en fait très simple) rapidement alors que Kida réflechissait sur le problème depuis plusieurs milliers d’années. Ici encore, alors que Kida est supposée être la plus compétente (après tout il s’agit de sa culture et de son peuple) c’est Milo qui règle le problème, expliquant à Kida ce qu’elle n’avait pas compris.

On retrouve ici le double trope du blanc qui explique à la « sauvage » et celui de l’homme qui explique à la femme, sans compter le ts original et HILARANT cliché de la femme qui ne connaît rien à la mécanique…

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Mais bien sûr que j’y ai pensé, ça fait jamais que 6 000 ans que je réflechis au problème…

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Ah ça j’y avais pas pensé…

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Tu vois ça marche, ce dont tu avais besoin c’était d’un homme!

Alors que le personnage de Milo est présenté comme étant peu viril au début du film, plus celui-ci avance, plus Milo devient viril. Lorsque Kida est kidnappée par le méchant, Milo exhorte les troupes de l’Atlantide pour aller la sauver (parce qu’ils sont pas fichus de savoir tout seuls comment sauver leur princesse…). Tous les Atlantes, qui sont supposés être un peuple très avancé, se retrouvent donc sous les ordres du héros blanc et viril qui dirige toute l’opération SUR LEURS TERRES et avec LEURS MACHINES.

On retrouve donc le schéma bien machiste de l’homme qui non seulement vole au secours de sa bien-aimée (ben ouais une femme ça à besoin d’être sauvée…) mais aussi devient un homme de la seule façon possible : en se battant (parce que la linguistique et les études c’est bien 5 minutes, mais pour devenir un homme un vrai il faut se battre…)

Milo termine son apprentissage de la virilité par un combat au corps avec le méchant (la méchante, elle, a été éjectée rapidement, afin de faire place à un duel phallocentré4). On remarquera tout de même que Rourke à physiquement le dessus, jusqu’à ce que Milo parvienne à le blesser.

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Ayé, je suis devenu un homme viril…

Atlantide met donc en scène un personnage qui tranche au départ avec les standards traditionnels de virilité des studios Disney mais fini par s’y conformer. La virilité « excessive » de Rourke est au final écrasée par la virilité « équilibrée » et bienveillante de Milo.5

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Des représentations de la féminité diverses et variées… mais toujours stéréotypées

Helga la femme fatale

Helga Sinclair est le lieutenant de Rourke et le second antagoniste du film. De la même façon que Rourke ne correspond pas aux schémas traditionnels du méchant, Helga ne correspond pas non plus aux canons des méchantes de Disney6 qui sont généralement très laides tandis qu’Helga est très belle.

Au début du film Helga Sinclair est présentée comme une femme fatale (mystérieuse, séduisante, sexuellement agressive…), la scène ou elle se présente à Milo est un pastiche d’une séquence de film noir. Plus tard, ses compétences militaires et ses compétences de direction ne feront aucun doute. Bien que très belle, Helga a en commun avec les autres méchantes Disney d’être une femme de pouvoir (une femme qui dirige des hommes, c’est forcément louche, dans le monde merveilleux de Disney, les femmes ne dirigent JAMAIS) et une femme consciente de sa beauté et sexuellement agressive. Au contraire, Kida, la gentille, ne semble pas avoir conscience de son pouvoir de séduction pourtant très puissant (on voit les hommes baver devant elle) et, bien que sachant se battre (ou étant supposée savoir se battre), reste douce et fragile.

La volonté de séduire, ou dans le cas d’Helga la conscience et l’utilisation d’un pouvoir de séduction, est un trait qui se retrouve fréquemment chez les méchantes de Disney qui s’attifent et se pomponnent bien souvent en vain, au contraire des héroïnes qui sont séduisantes sans rien faire et surtout ne semblent pas vouloir se servir de leur séduction pour obtenir un pouvoir sur les hommes (elles ATTENDENT l’amour, à la limite elles sont autorisées à minauder un peu, hors de question d’aller le chercher ou de lui faire des avances).

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Non seulement je suis belle, mais en plus je m’en sers… (et ça c’est pas pardonnable)

Les injonctions sont donc contradictoires : soit séduisante, mais sans faire d’efforts et surtout ne te sers pas de cette séduction… et surtout pas contre un homme !

Helga a également en commun avec les autres méchantes de Disney d’être d’une certaine façon masculine (ses attitudes sont autoritaires et combatives, bien qu’elle conserve toujours grâce et sensualité) et de s’approprier des attributs masculins (agressivité, compétences au combat, maîtrise des armes à feu…).

Une femme de pouvoir qui maîtrise et utilise sa séduction et possède des attributs masculins est donc forcément une méchante.

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Fatale et armée… Méchante en puissance

Audrey le garçon manqué

Audrey est une autre femme qui possède des attributs masculins (ses compétences en mécanique), mais contrairement à Helga elle n’a aucun pouvoir hiérarchique, et bien qu’étant dessinée comme étant plutôt jolie, elle n’use à aucun moment de son pouvoir de séduction. Il est à plusieurs reprises indiqué qu’elle est extrèmement jeune7, ce qui justifie qu’elle ne soit pas hypersexualisée8 et ne semble pas intéressée par l’amour.

Audrey est une exception parmi les personnages féminins de Disney. En effet, elle est le seul personnage féminin du film à n’être ni clairement laide, ni hyper-sexualisée. C’est un personnage actif (on la voit courir, agir sur ses machines) mais dont les mouvements ne sont pas esthétisés (contrairement à ceux d’Helga qui, même quand elle se bat, reste gracieuse et sensuelle).

Sans titre

Audrey personnage actif et fort…

Audrey est clairement identifiée comme étant un archétype de « garçon manqué ». A un moment donné, elle explique que son père voulait des fils, un pour boxer et l’autre pour reprendre le garage. Elle finit son explication en déclarant que sa soeur est championne de boxe et qu’elle va ouvrir un deuxième garage avec son père.

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UNE mécanicienne et UNE boxeuse…

Le personnage d’Audrey est extrêmement progessiste : un personnage féminin actif, compétent, non-sexualisé, et n’ayant aucune intrigue romantique.

On peut simplement regretter que le personnage doive ses capacités simplement à l’influence de son père et non pas à ses désirs personnels. Et que le personnage soit aussi secondaire, les petites filles seront plus poussées à s’identifier à Kida, l’effet positif d’Audrey étant ainsi grandement diminué…

Kida la princesse sauvage

Si le personnage d’Audrey est carrément progressiste, le personnage de Kida, que l’on peut considérer comme le premier rôle féminin et love interest du héros, réunit tout ce qu’il y a de plus sexiste chez les héroïnes de Disney.

Comme le personnage de Pocahontas, Kida est animalisée. Dans la première séquence où on la voit, elle se déplace comme un animal sauvage, accroupie et revêtue d’un masque (qui la renvoie à son identité ethnique « primitive »). Kida est animalisée à la fois en tant que femme et en tant que « sauvage ». En effet, les femmes et les population dites « primitives » sont généralement plus associées à la nature. Le sexisme se double donc d’ethnocentrisme. Bien que l’Atlantide soit une civilisation avancée, Kida se déplace pieds nus, grimpe, saute… Tous ses mouvements sont esthétisés, pour le plaisir des yeux (masculins). De la même façon, Kida est hypersexualisée, portant des vêtements très échancrés. Un pur exemple de male gaze9. C’est tout particulièrement flagrant lorsqu’elle se déshabille avant de plonger et que Milo, ébahi, bafouille « pretty girl » à la place de « pretty good »…

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« I know how to swim pretty girl — good! Pretty good, I swim pretty good. »

Le male gaze dans toute sa splendeur…

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La femme objet, au sens figuré…

Kida se retrouve bien vite émerveillée par les capacités intellectuelles de Milo qui trouve immédiatement comment démarrer le véhicule et sait lire son écriture (ou plus exactement l’écriture de ses ancêtres, puisque plus aucun Atlante n’est capable de la déchiffrer aujourd’hui…)

Il est impressionné par sa beauté, elle est impressionnée par son intelligence, l’ordre normal des choses en somme…

Alors qu’elle est supposée savoir se battre, Kida se retrouve bien vite en position typique de la damoiselle en détresse : difficile d’être plus passive puisqu’elle est littéralement tranformée en objet lorsque le cristal prend possession d’elle.

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…Et au sens propre.

Le film reprend un autre trope misogyne : celui de la figure féminine sacrificielle. Le film s’ouvre sur le sacrifice de la mère de Kida qui est « absorbée » pour préserver le cristal. Plus tard le père de Kida lui expliquera qu’en temps de crise, le cristal choisit quelqu’un, toujours de sang royal, qui sera uilisé pour protéger le cristal et la ville. Plus tard, Kida sera également happée par le cristal.

Lorsqu’un homme se sacrifie c’est toujours de façon active et héroïque tandis que lorsqu’une femme se sacrifie c’est de façon passive, elle se donne « en offrande ». C’est particulièrement flagrant dans Atlantide, car lorsque Kida et sa mère sont saisies par le cristal, elles entrent en transe et sont inconscientes.

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Le sacrifice de la femme…

De plus, lors de sa rencontre avec Milo, Kida est clairement identifiée comme étant dans le domaine du « care », c’est à dire le domaine du « prendre soin » , puisqu’elle le soigne grâce à son cristal… Le rôle de la femme, c’est bien sûr de soigner l’homme et de s’occuper de lui.

Kida cumule donc une bonne partie des pires tropes sexistes : la femme offerte au male gaze, la damoiselle en détresse et la figure féminine sacrificielle.

Mme Packard, ou le dégoût de la vieillesse…

Le dernier personnage féminin est celui de Mme Packard (Mme Placard en VF), il s’agit de l’opératrice radio du Léviathan. Le personnage fait partie d’une longue lignée de personnages que l’on pourrait qualifier de « comiques car excessivement laids et dégoutants », catégorie dans laquelle on retrouve également Mole le géologue et le cuisinier Cookie.

A moment donné, il est mentionné que Mme Packard dort nue et souffre de crises de somnambulisme. Ce qui amène Sweet a dire a Milo : « tu ne veux pas voir ça ». Ben oui, le corps d’une vieille femme, quoi de plus répugnant ?

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Elle marche dans son sommeil… Un corps de vieille femme, quelle horreur !!!!!

De plus, Mme Packard apparaît portant un masque de beauté et des bigoudis, on retrouve ici une thématique généralement typiquement associées aux méchantes Disney : celle de la vieille femme qui tente (sans résultats, bien sûr) de retrouver sa beauté perdue.

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La vieille moche qui fait des efforts pour être belle… quoi de plus pathétique ?

Plus encore que ses camarades « comiques parce que laids », Mme Packard synthétise bien la pensée aphrodiste de Disney : la seule beauté c’est la beauté naturelle et celles qui tentent de retrouver la beauté grâce à des artifices sont ridicules. Comme pour Helga, l’injonction est double et contradictoire : soit belle mais ne fais aucun effort, sinon tu seras ridicule (surtout si tu est laide).

Une critique de l’impéralisme ?

Lorsque le film est sorti au sorti au cinéma, certains critiques y ont vus une critique du capitalisme et du colonialisme. En effet, le commandant Rourke veut utiliser le cristal à des fins monétaires quitte à entraîner la destruction de la cité et la mort de tous les Atlantes. Il se qualifie d’ailleurs lui-même de « capitaliste de l’aventure » à un moment. Le journaliste Mark Pinsky, auteur d’un livre intitulé« The Gospel According to Disney: Faith, Trust, and Pixie Dust » qui traite de la morale de la religion chez Disney, compare la situation présentée dans le film avec celle des Incas, des Aztèques ou des Indiens d’Amérique du Nord qui furent massacrés par les colons anglais et espagnols.10

Selon le professeur d’université et auteur Keith Booker, le film fustigue le capitalisme et l’impérialisme américain.11

Là où le bas blesse, c’est que lors de la colonisation, il s’agissait de gouvernements européens qui voulaient conquérir et coloniser les populations amérindiennes, tandis que dans le film tout ceci est symbolisé par un seul individu et son lieutenant. Comme dans de nombreux films12, un problème structural de la société est transformé en un problème du à un nombres restreint d’individus. Même si la colonisation fut décidée par les gouvernements et donc par un nombre restreints de personnes, ils s’agissaient d’une domination exercée en toute légalité et impunément par les nombreux gouvernements et non pas d’un seul individu, mercenaire et hors-la-loi. De plus, le film valorise une forme de colonialisme « bienveillant » qui est peux-être encore plus toxique…

Le prophète mâle américain qui mène les « autres »

Atlantide est le premier Disney à présenter autant de personnages venant d’origines ethniques variées. L’équipe est composée de membres de diverses nationalités : Gaetan Molière est français, Vinnie est italien, Audrey d’origine latino-américaine et le Dr Sweet est un métisse amérindien/noir-américain.

Il est grandement progressiste de montrer des personnages venant d’horizons variés, d’autant plus que la majorité des personnages ont un passé et un embryon d’histoire personnelle.

Malheureusement, tout ces personnages restent non seulement au niveau du cliché, mais aussi très souvent au niveau du cliché ethnique.

Gaetan Molière alias Mole est français. Il faut savoir que l’un des clichés concernant les français à l’étranger est qu’ils sont sales13, ce n’est certainement pas ce personnages qui va faire évoluer les mentalités.

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Recule, j’ai du savon et je n’ai pas peur de m’en servir…

Est-il utile de mentionner le côté FORCEMENT libidineux de Mole ?

Mole est un exemple typique de « French Jerk » : http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/FrenchJerk

 Audrey est latino-américaine. Comme nous l’avons vu, il s’agit d’un personnage plutôt positif… Excepté qu’elle cumule les tropes sur les latino-américains : elle est aggressive et une de ses répliques laisse supposer qu’elle était autrefois une « racaille ». Même son domaine de spécialité, la mécanique, est très connoté « métier précaire ». Cette representation est problèmatique car d’une part elle enterine dans l’esprit des enfants et plus généralement des gens la representation des latino-américains en tant que personnes venant de milieu populaire, agréssives et déliquantes. Les latinos- D’autre part, elle ne propose aux enfants latino-américains que des modèles stéréotypés à suivre, pourquoi ne pas montrer aux enfants que si une fille peut devenir chef-mécano, un-e latino américain-e peut être linguiste, géologue ou chef d’équipe ?

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La racaille latina…

Contrairement aux clichés sur les personnages de Vinnie et Mole qui sont basés sur de purs fantasmes ne correspondant à aucune réalité, le cliché des latinos-américains appartenant à un milieux défavorisé renvoie à une situation réelle : les latinos-américains aux Etats-Unis sont effectivement cantonnés à des emplois peu qualifiés car ils n’ont pas accès aux études et sont discriminés…. Le problème, c’est qu’en attribuant le choix de carrière d’Audrey a un désir de faire plaisir a son père, le film ne remet pas la situation dans son contexte social (le manque de perspectives pour les latinos-américains et les discriminations qu’ils subissent).

Au final, le film ne propose pas de nouvelles perspectives, ni ne remet dans son contexte le stéréotype, au contraire il fait passer une situation réelle où les options sont limitées (de nombreux latinos exercent des métiers manuels comme mécanos) pour un choix (Audrey a choisi sa carrière et est valorisée dedans).

Vincenzo « Vinnie » est une pure caricature de l’italien mafieux et dur à cuire. On appréciera le cliché de l’italien qui travaille en famille…

Le docteur Joshua Sweet est le premier personnage métisse dans l’univers de Disney. C’est également le seul personnage qui n’est pas horriblement stéréotypé en fonction de ses origines… Au contraire sa médecine traditionnelle indienne est valorisée par Milo qui en apprécie l’efficacité. On regrettera qu’il n’y ait pas plus de personnages comme ça dans les productions Disney. Il est également intéressant d’avoir un homme, physiquement musclé et viril dans son attitude, associé au domaine du « care », puisque Joshua est médecin. Il est cependant musclé d’une façon limite démesurée ce qui le renvoie à son corps, à la supposée puissance physique des afro-américains.

« Le fait de penser le Noir d’abord en tant que corps renvoie à une longue tradition culturelle héritée de l’esclavage et de la colonisation. Dans l’inconscient collectif blanc en effet, le Noir occupe des fonctions purement physiques : le corps noir est sportif (boxeurs, sprinters, footballers), il est le plus souvent érotisé (cf. La Légende du sexe surdimensionné des Noirs de Serge Bilé), le corps noir est synonyme de « force noire » (expression renvoyant aux tirailleurs sénégalais) et bien sûr, le corps noir est une marchandise et une force de travail (de l’esclave au travailleur immigré). Bref, pour le Blanc, le Noir est d’abord un corps comme le rappelle Pascal Blanchard dans son article « De l’esclavage au colonialisme : l’image du « Noir » réduite à son corps ») »(Régis Dubois, Les Noirs dans le cinéma français, p. 112-113)

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Moitié afro-américain, moitié indien… Hey les mecs on a réussi à caser deux ethnies en un seul perso ! Ça va être plus simple pour les quotas !

On notera tout de même le côté idyllique du soldat noir qui épouse une indienne, ce n’est pas comme si un des peuples était réduit en esclavage et l’autre génocidé… Disney réécrit l’histoire des Etats-unis…

Dès le début l’équipe est séparée de Milo par se préoccupations : lui est là pour l’aventure et la découverte tandis que tout les autres sont là pour l’argent.

Plus tard lorsque Rourke emmène Kida, les autres sont près à le suivre, c’est Milo qui les interpelle et les ramène à des sentiments plus nobles. Les immigrants (et la vieille !) ont besoin du blanc (américain) qui leur dise quoi faire pour les ramener à la morale. Les immigrants sont donc tous subordonnés à Milo à la fin du film, alors qu’au début du film, il était le « nerd » qui avait du mal s’intégrer parmis le groupe.

Plus tard, ils font tous partie de l’équipe de sauvetage sous les ordres de Milo, bien entendu…

Le prophète blanc qui sauve les sauvages

Pire encore, le schéma narratif du film reprend des idées qui ont servi de justification à la colonisation. En effet, l’idée que les populations dites « primitives » ont besoin de l’aide des colons européens pour se développer et accéder à la civilisation a été un prétexte utilisé par les européens pour coloniser et exploiter différents territoires aux dépens des populations indigènes. Le film critique donc le colonialisme pour justifier une sorte de néo-colonialisme qui se présente comme bienveillant envers les peuples de « sauvages » : « nous les blancs avons le devoir de les aider car nous savons ce qui est bon pour eux » (sous entendu « et eux non ») .

Milo apparaît comme le sauveur de l’Atlantide. Il comprend mieux leur culture que les Atlantes eux-mêmes car, contrairement à eux, il est capable de déchiffrer leur écriture14 et de faire fonctionner leur technologie. Les Atlantes qui sont supposés être une civilisation « avancée » possédant une culture et une technologie supérieures à celles des populations actuelles se retrouvent donc dépendants du héros blanc et occidental qui vient leur expliquer leur civilisation.

Les réalisateurs se seraient inspirés de l’arrivée de Napoléon en Egypte pour le scénario de l’Atlantide, l’Empire perdu.

Selon Don Hahn, « les réalisateurs décrivaient souvent les Atlantes en utilisant l’Egypte comme exemple. Quand Napoléon a conquis l’Égypte [lors de la Campagne d’Egypte], les gens avaient perdu les traces de leur civilisation d’antan. Ils étaient entourés par des objets de leur grandeur passée mais souvent ignorant leur signification. » (Source : Wikipédia)

En admettant que cette source d’inspiration soit historiquement correcte15, on notera tout de même que de tous les évènements ayant eu lieu en rapport avec les sociétés antiques les scénaristes choisissent le plus ethnocentrique (ils auraient pu choisir l’une des innombrables fois où les chercheurs étaient persuadés de tout savoir sur la civilisation et se trompaient royalement). De plus, les Egyptiens ignoraient peut-être leur passé, mais n’étaient pas pour autant une civilisation en voie de disparition attendant un prophète blanc pour les sauver.

Lorsque la princesse Kida est kidnappée, les Atlantes restent passifs et attendent sans bouger que des étrangers enlèvent leur héritière au trône et leur retirent leur source de vie, ce qui conduira à la destruction de leur civilisation et à la mort de milliers de personnes.

C’est Milo qui, fort de son statut de mâle (il doit sauver la faible femme qui n’est pas capable de se sauver toute seule) et de son statut de blanc (il doit motiver la population atlante qui n’est pas capable de prendre une initiative pour éviter sa propre destruction), devient le leader des Atlantes en montant une expédition pour secourir la princesse.

Bien que le film critique violemment le génocide des populations amérindiennes pour le profit, il adopte tout de même un point de vue très ethnocentriste16. Bien que l’Atlantide soit au centre de l’histoire, seuls deux personnages atlantes sont différenciés (Kida et son père) et aucun des deux n’est réellement actif dans l’histoire, les seuls à prendre des décisions qui influent sur le cours des évènements étant Milo et Rourke (et éventuellement notre millionnaire excentrique au début du film). Les Atlantes sont donc passifs. Non seulement ils laissent un étranger prendre des décisions à leur place, mais le film les présente clairement comme dépendants de cet étranger.

On retrouvera le même schéma quelques années plus tard dans Avatar17, et ce trope est régulièrement réutilisé au cinéma.18

A la fin du film, Milo décide de rester en Atlantide. La dernière scène semble suggérer qu’il épouse Kida et règne avec Kida sur l’Atlantide19. Le film fantasme une domination de l’inrieur, nécessaire, bienveillante et acceptée par la population elle-même (c’est à se demander comment les peuples « primitifs » ont pu vivre aussi longtemps sans nous !), en opposant cette domination de l’intérieur incarnée par Milo à la domination/exploitation extérieure incarnée par Rourke.

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Voilà, laisse-moi t’expliquer ce que veut dire ton propre langage, et peut-être qu’alors JE sauverai votre nation toute entière et votre mode de vie !

Est-ce moi où c’est mot à mot le trope filmique du « blanc tout-puissant » ?

(Source : http://feministdisney.tumblr.com/)

Julie G.

1Disney est coutumier de ce genre de procédés, souvenez-vous du roi Léo…

http://www.reviewdepresse.com/article-le-roi-lion-hommage-ou-plagiat-le-roi-leo-simba-3d-103190921.html

2Le fait que Rourke ne corresponde pas aux caractéristiques habituelles du méchant permet que son statut d’antagoniste ne soit révélé qu’à la moitié du film, contrairement aux autres antagonistes qui sont généralement identifiés comme tels dès le début du film.

3Les autres personnages correspondant à ce genre de description sont généralement des enfants comme Moustique ou Mowgli dans le livre de la jungle, ce qui leur laisse tout le temps d’apprendre à devenir des hommes. D’ailleurs Milo apprend d’une certaine façon à suivre les traces de son grand père et a devenir un homme.

4C’est tout de même Helga qui met fin au combat en tirant sur Rourke depuis le sol avant de mourir.

5Bien que la virilité de Rourke soit moins excessive que celle de Gaston ou de Shen Yu.

6Probablement pour les mêmes raisons que Rourke, à savoir ne pas être identifiée comme antagoniste immédiatement.

7Elle est qualifiée de teenager à plusieurs reprises dans le film.

8Remercions Disney d’arrêter de sexauliser et marier des jeunes de 16 ans, remember Ariel ?

12On peut citer par exemple Django Unchained où l’esclavage était personnifié sous les traits de Calvin Candy au lieu d’être traité comme un problème global de la société de l’époque, ou le bâteau de Pocahontas qui est rempli de gentils colons pacifiques avec à leur tête un méchant capitaliste qui veut de l’or.

14On peut penser qu’en quelques milliers d’années, le père de Kida, qui était déjà adulte au moment de la chute de l’Atlantide, aurait pu apprendre à sa fille à lire…

15Malgré mes recherches, je n’ai trouvé nulle part confirmation de cette affirmation.

16L’ethnocentrisme est le fait de prendre sa propre culture et civilisation et de comparer toutes les autres cultures en fonction de celle-ci.

18http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/MightyWhitey

19On notera quand même comme point positif que c’est elle qui porte la couronne.

Pretty Woman et le complexe de Cendrillon

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En psychologie, le « complexe de Cendrillon » désigne un désir inconscient éprouvé par les femmes d’être prises en charge, le plus souvent par leur partenaire masculin. Cette théorie est développée pour la première fois par Colette Dawling dans son livre intitulé Le Complexe de Cendrillon. Le « complexe de Cendrillon » est problématique car il est le résultat direct d’une société patriarcale qui pousse les femmes à se mettre en position d’attente, telle Cendrillon attendant son prince Charmant, plutôt que d’être indépendantes et de prendre le contrôle de leur vie.

Le « complexe de Cendrillon » trouve principalement son origine dans l’éducation « différenciée » que reçoivent les filles et les garçons. En effet, les garçons sont éduqués pour l’action et les filles pour l’attente. De plus, les femmes sont éduquées pour être dépendantes des hommes, tant dans les modèles de fiction (les damoiselles en détresse sauvées par les héros virils et puissants) que dans les injonctions quotidiennes des médias (sois belle pour trouver un homme, ne te promène pas toute seule la nuit, tes enfants avant ta carrière). Le fait de créer ainsi de toute pièce une dépendance des femmes envers les hommes est l’une des bases du système patriarcal qui maintient la domination masculine sur les femmes.

Ce complexe est entretenu tout au long de la vie par les médias comme la télévision, les magazines féminins, le cinéma et la littérature, et notamment par des œuvres créées par des femmes pour des femmes telles que Twilight (que j’ai déjà analysé ailleurs sur le site) ou le roman érotique qui s’en est directement inspiré, 50 Shades of Grey. Dans ces deux ouvrages (et films pour Twilight), l’homme prend le contrôle sur sa partenaire féminine (qui adore ça). Il est effrayant de constater que l’on peut qualifier Edward Cullen et Christian Grey de « harceleurs », et pis encore que leur comportement est plébiscité non seulement par leurs héroïnes mais surtout par des milliers de femmes à travers le monde. Les histoires de Cendrillon où les femmes sont passives et les hommes actifs nous sont vendus comme des fantasmes apportant le bonheur à l’une comme à l’autre des deux parties. Le fait que ces ouvrages soient écrits par des femmes et plébiscités par des femmes montre à quel point les normes hétérosexistes et patriarcales ont été bien intégrées par les femmes elles-mêmes à force d’être martelées à longueur de temps[1].

Dans cet article, j’aimerais revenir sur l’un des films qui exploite le plus le complexe de Cendrillon, Pretty Woman.

Pretty Woman raconte l’histoire de Vivian (Julia Roberts), travailleuse du sexe sur Hollywood Boulevard, qui rencontre par hasard Edward, un riche businessman ayant des problèmes sentimentaux. Tombé sous le charme de Vivian, Edward lui propose de l’accompagner pour le reste de la semaine.

Au début du film, le personnage de Vivian est très clairement en galère, sa colocataire a utilisé l’argent du pot commun pour acheter de la drogue et elle n’a plus de quoi payer le loyer. Sa rencontre avec le personnage d’Edward lui permet d’être à l’abri du besoin et d’évoluer dans un monde de luxe auquel elle n’aurait jamais eu accès sinon. Edward sort littéralement Vivian de la misère. Elle devient donc financièrement dépendante de lui et les deux personnages finissent en couple à la fin du film, il est difficile d’envisager pour Vivian un autre avenir que celui de « femme de ».

« Pretty », sa principale qualité

Comme la majorité des personnages de conte de fée, Cendrillon est principalement définie comme étant jolie (mais elle est aussi douce et soumise, des qualités « typiquement  féminines »). Pretty Woman reprend cette caractéristique en faisant du physique et du look de son personnage féminin principal l’un des éléments clés du film. Certes, la majorité des films sont aphrodistes[2] et les actrices sont généralement choisies pour leur physique avantageux, mais Pretty Woman (littéralement « Jolie Femme » en français, ce qui annonce déjà la couleur…) pousse le concept très loin.

Pour commencer le personnage de Vivian est hypersexualisé.

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La première apparition de Vivian à l’écran…

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et la première apparition d’Edward.

Le film profite du fait que Vivian soit une prostituée afin de l’objectifier sans complexe… Elle est utilisée comme « eye candy » pour le personnage d’Edward ainsi que pour le spectateur masculin qui se serait égaré à aller voir une comédie romantique…

En plus d’être un procédé violent envers les femmes, il s’agit également d’une forme de violence envers les prostituées, partant du principe que que comme elles vendent leur corps, le réalisateur a le droit de les filmer comme il veut… Paradoxalement, alors que le film se positionne contre le travail du sexe, il utilise également le corps des femmes pour vendre…

Mais soyons honnête avec le personnage de Vivian, ce n’est pas seulement un objet sexuel, non c’est aussi un portemanteau… Le film se délecte des longues séquences de shopping et d’essayage de Vivian, la filmant sous tous les angles et de préférence décapitée.

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Vivian sous son meilleur jour…

Dans la scène d’introduction de Vivian et dans les scènes de shopping, le corps de Vivian est morcelé, découpé en morceaux. C’est un procédé très souvent infligé aux femmes dans cinéma traditionnel comme dans la pornographie, qui permet de les réduire à l’état d’objet dont l’homme peut disposer à volonté. La femme est littéralement « réduite » à ses seins, ses fesses ou son sexe.

En plus d’être morcelée et sexualisée, Vivian est un exemple typique de femme offerte au « male gaze »[3], c’est-à-dire les femmes dont le corps est perpétuellement offert au regard masculin, que ce soit celui d’Edward, celui des autres personnages (qui la reluquent allègrement) ou celui du spectateur. Qu’elle soit sexualisée au début du film ou élégante à la fin du film, Vivian est toujours offerte au regard masculin.

Le problème du « male gaze » n’est pas que les femmes suscitent du désir chez les hommes mais que la femme n’existe QUE dans le regard de l’homme, QUE par rapport à lui. De nouveau, la femme est dépendante de l’homme, d’une manière différente que lorsqu’elle est sauvée ou réduite au rang de ménagère, mais non moins aliénante. En plus de subir des injonctions de la part de la société afin de satisfaire le « male gaze » (sois belle, épile-toi, maquille-toi, mets-toi au régime…), les femmes sont dépossédées de leur liberté et de leur indépendance.

La différence d’âge entre les deux acteurs (Richard Gere a 40 ans et Julia Roberts a 22 au moment de la sortie du film), corrobore cet état de fait. En effet, ce que l’on recherche chez une femme, ce n’est pas seulement la beauté mais aussi la jeunesse. Les écarts d’âge entre les acteurs, l’homme étant bien sûr beaucoup plus âgé que sa partenaire, sont loin d’être rares au cinéma :

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Source : http://www.vulture.com/2013/04/leading-men-age-but-their-love-interests-dont.html

Les écarts d’âge entre les protagonistes ne sont pas anodins, car ils naturalisent des rapports de domination : on attend d’un homme qu’il soit intelligent, riche, séduisant, puissant , et d’une femme qu’elle soit belle. On envoie donc un message doublement violent aux femmes : tout ce qu’on te demande c’est d’être belle et si tu es vieille, tu n’es plus belle, et par conséquent tu ne vaux rien.

Le pygmalion

Plus problématique encore, Edward ne joue pas seulement le rôle de Prince Charmant qui vient sauver Vivian et la sortir de la misère, mais également le rôle de Pygmalion qui remodèle Vivian à sa convenance. Dans une des séquences emblématiques du film, Edward emmène Vivian sur Rodeo Drive (plus ou moins l’équivalent de l’avenue Montaigne à Los Angeles) pour qu’elle puisse acheter de nouveaux vêtements. Si Vivian est comblée d’être traitée comme une princesse auquel le personnel de la boutique fait d’innombrables courbettes (car c’est bien connu le plaisir ultime de la femme, c’est le shopping), le but d’Edward est de la rendre « présentable » afin qu’elle puisse l’accompagner aux différents événements. Vivian fait beaucoup d’efforts (pas toujours récompensés) afin de correspondre aux standards du monde d’Edward, elle apprend à se tenir à table, à être élégante, etc… Paradoxalement alors que c’est la spontanéité de Vivian qui séduit Edward au début du film, il se sent obligé de la modeler afin qu’elle convienne aux standards du monde dans lequel il évolue.

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Je prends ça ?

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Nnnnnon

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Ça oui poupée, ouais ouais

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Ça bof bof, limite…

Toujours demander l’avis d’un homme, c’est important…

Plus encore que l’accès à l’éducation et aux bonnes manières, Edward offre à Vivian l’accès à la culture en l’emmenant à l’Opéra pour la première fois de sa vie. L’émotion de Vivian à l’écoute de la Traviata semble suggérer que tout le monde peut apprécier la grande musique et pas seulement les gens « éduqués », ce qui est vrai en un sens. Ce qui est problématique, c’est que le film semble oublier que l’appréciation de la culture est également liée à notre éducation et à notre milieu social, et que les inégalités sociales se reflètent énormément dans l’accès à l’art et à la culture. De surcroît, on se retrouve typiquement dans le schéma de l’homme qui impressionne la femme et lui fait découvrir le monde (que l’on pourrait appeler le schéma « Ce Rêve Bleu », décrit dans l’article sur Aladdin).

A la fin du film, tout ce que possède Vivian de valorisé par le film (ses vêtements et son élégance, ses bonnes manières, son embryon de culture), elle le doit à Edward.

La relation entre Vivian et Edward est biaisée car Vivian est, tout au long du film, redevable à Edward. Au départ, leur accord est professionnel et monétaire, Vivian doit donc se montrer « disponible » pour des rapports sexuels. Puis au fur et à mesure qu’Edward l’initie à « la grande vie », Vivian se retrouve dans une situation de reconnaissance envers Edward.

La dignité retrouvée

Lorsque Vivian tente d’aller seule acheter des vêtements, elle est violemment rabaissée par les employées de la boutique qui pensent qu’elle n’a pas les moyens d’acheter dans le magasin.

En tant que personne issue d’un milieu modeste, elle a besoin de l’aide du directeur de l’hôtel, puis de celle d’Edward afin de s’acheter des vêtements chics. C’est lorsque qu’Edward pénètre dans le magasin en promettant de dépenser des sommes d’argent « indécentes » que Vivian est traitée comme une princesse. Dans une scène très représentative, on voit un vendeur obséquieux s’approcher d’Edward qui désigne Vivian en répondant laconiquement : « Pas moi, elle ».

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T’inquiète pas chérie, l’HOMME RICHE va s’occuper de tout…

Vivian ne doit donc le respect qui lui est témoigné qu’à la seule présence d’Edward et à son argent. L’argent est donc, du moins pour Vivian, le seul moyen d’obtenir le respect et la dignité. C’est habillée de ses nouveaux vêtements chics et chers que Vivian vient se venger des vendeuses qui l’avaient humiliée la veille.

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Humiliation

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et vengeance.

Lorsqu’Edward révèle à son associé qui est réellement Vivian, celle-ci est fortement contrariée et s’emporte dès leur retour à l’hôtel. De la même façon, Vivian est contrariée lorsqu’Edward lui propose de l’installer dans un appartement et, à demi-mots, de l’entretenir…

Vivian est donc blessée dès qu’on la ramène à sa condition de travailleuse du sexe, son estime d’elle-même est donc basée sur le comportement des gens, qui est lui-même basé sur un mensonge (Edward ne dit à personne que Vivian est une travailleuse du sexe et qu’elle est payée pour rester avec lui une semaine)… Le film ne questionne que très peu ce manque d’estime d’elle-même qu’a Vivian, d’autant qu’au début elle semble s’assumer entièrement, allant jusqu’à provoquer le couple qu’elle croise dans l’ascenseur. Comme si le film tentait de nous dire qu’en plus de la sauver d’une condition sociale misérable, l’HOMME RICHE va également sauver la femme de sa condition honteuse en lui apportant le respect sur un plateau (celui des autres et celui qu’elle a pour elle-même…).

A aucun moment le film ne questionne réellement l’attitude de mépris envers les prostituées. Pour Vivian la seule possibilité d’échapper à ce mépris est d’échapper à sa condition de travailleuse du sexe (grâce à l’Homme Riche). Plutôt que d’affronter la problématique de la condition des prostituées ou d’expliquer d’où elle vient, le film préfère régler le problème grâce au sauvetage par l’Homme Riche.

En montrant Vivian avoir honte de son travail et de sa condition le film reconduit implicitement l’idée que les travailleur-euses du sexe sont méprisables.

Je ne sais pas ce qui est plus dérangeant, que dans ce film le respect témoigné à Vivian soit entièrement lié à l’argent ou qu’il ne dépende que d’un homme…

Oppresseurs et Opprimés

Le film tente de mettre en parallèle la souffrance de Vivian et celle d’Edward.

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Être riche et puissant c’est un tel poids dans la vie…

De la même manière que le film montre Edward et Vivian comme souffrant de la même condition (faire un travail qui leur oblige à mettre de côté leurs sentiments et à privilégier la dimension financière), il les montre aussi comme se sauvant mutuellement :

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En mettant en parallèle les souffrances d’Edward et Vivian, le film présente une double imposture :

-Il fait croire que les exploiteurs souffrent autant que les exploités

-Il prétend que la relation entre Vivian et Edward et symétrique et égalitaire.

Tout au long du film, Edward est présenté comme un homme qui souffre, il est quitté par sa fiancée au début du film et se sent terriblement coupable d’être un salaud qui exploite les gens… et qui, au fond, souffre autant que Vivian. Sauf que justement Vivian et Edward ne souffrent pas de la même façon : elle souffre parce qu’elle n’a pas d’argent et doit exercer un métier qu’elle déteste tandis que lui souffre car il est un exploiteur et ne supporte plus son métier. Excepté qu’ Edward a parfaitement la possibilité de changer de travail et de cesser « de baiser les gens pour de l’argent », Vivian n’a pas cette possibilité là. Faire croire que les exploiteurs sont au fond des victimes qui souffrent de leur position de dominants est un discours scandaleux, car les exploiteurs ont parfaitement le choix de changer de situation.Ce genre de discours tend également à faire passer au second plan et donc à invisibiliser tous les bénéfices qu’ils tirent de la domination qu’ils exercent, et donc aussi à invisibiser toute la souffrance dont ils sont responsables chez celleux qu’ils dominent. Vivian ne produit pas de souffrance, elle n’exploite personne, contrairement à Edward qui en plus tente de se faire plaindre.

Le film tente de nous faire croire que la relation entre Vivian et Edward est réciproque et égalitaire, ce qui n’est pas le cas. Déjà car ce que chacun apporte dans la relation est défini par des stéréotypes sexistes : l’homme amène l’argent, la dignité, la culture tandis que la femme amène le sexe, les sentiments et le « care ». De plus les scènes qui montre Edward donner à Vivian sont beaucoup plus nombreuses que les scènes montrant l’inverse. Enfin, c’est elle qui est dépendante de lui, financièrement et socialement.

Cette souffrance du dominant est également exprimée dans la relation entre Edward et James Morse, le propriétaire de la compagnie qu’Edward veut démanteler. Edward exprime très clairement qu’il a souffert à cause de son père et que c’est en partie le désir de vengeance qui l’a poussé à choisir cette carrière (la troisième société qu’il a démantelée était celle de son père). Il trouve en Morse une figure paternelle bienveillante qui l’aide à sortir de cette affreuse souffrance de dominant qui l’oblige à démonter des compagnies de gens qu’il apprécie. On notera que c’est bien sa sympathie pour Morse qui le pousse à vouloir sauver la compagnie, les emplois de gens qui travaillent, pas grand-chose à faire…

Une vision biaisée de la prostitution et de la sexualité

Les rapports sexuels entre Vivian et Edward donnent une image fausse et problématique de la prostitution. Même si Vivian confie dans une scène ses souffrances en rapport avec son métier, lors des scènes de sexe entre Vivian et Edward, celle-ci semble y prendre du plaisir. Le film encourage donc l’idée relativement répandue dans l’imaginaire des hommes que les travailleur-euses du sexes (particulièrement les femmes) prennent du plaisir dans leurs rapports professionnels. Cette représentation est problématique car, que l’on soit ou non contre le travail du sexe[4], celle-ci reste une activité professionnelle, dans la plupart des cas (et c’est le cas dans le film) pratiquée par obligation en l’absence de toute autre ressources, et ne doit pas être « glamourisée ».

Les relations sexuelles entre les personnages sont ambiguës : au début du film, Vivian explique à son nouveau client, Edward, qu’elle n’embrasse pas sur la bouche. Règle que bien entendu, Edward tente de transgresser à la première occasion (cf. la scène du piano) en tentant d’embrasser Vivian, ce qu’elle refuse. Lors de la séquence, ils sont donc a priori encore dans un rapport professionnel, pourtant le film traite visuellement les rapports sexuels tarifés comme de véritables scènes d’amour. Vivian semble même prendre du plaisir à s’offrir à Edward, on retrouve ici subrepticement instillé le cliché qui veut que les travailleuses du sexe (j’utilise le féminin car ce cliché s’applique principalement aux personnes assignées femmes) prennent systématiquement du plaisir lorsque le client est « doué ».

Étrangement, l’esthétique de la scène est exactement la même que pour les scènes d’amour, alors que le film met très clairement en scène « un turning point » lorsque Vivian embrasse Edward et lui avoue son amour, leur relation passe alors du « professionnel ambigu » au personnel.

Même lorsqu’elle bascule dans le personnel, la relation entre Edward et Vivian n’est jamais entièrement déconnectée du travail du sexe, Vivian restant toujours dépendante d’Edward au niveau financier et Edward jouant de son argent pour couvrir Vivian de cadeaux et l’impressionner…Il y a aussi la célèbre réplique à la fin qui va totalement dans ce sens, quand le majordome dit à Edward qui rend le collier : « Ce doit être difficile de se séparer de quelque chose d’aussi beau ». Vivian est ainsi clairement comparée à un objet, certes un objet précieux mais un objet tout de même, qu’Edward possède.

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La prostitution… un métier fabuleux, quelle joie d’être soumise à un homme.

L’idée est bien évidemment problématique car elle dénie aux femmes le droit et la possibilité de prendre du pouvoir sur leur propre sexualité.  Ce genre de représentations ultra-répandues au cinéma, qui montrent les femmes prendre automatiquement plaisir dans des relations sexuelles entièrement contrôlées par des hommes est problématique car elle entraîne l’idée qu’une femme ne peut prendre du plaisir que dans une relation sexuelle entièrement contrôlée par un homme et par conséquent empêche les femmes de chercher à devenir les maîtresses de leur plaisir et de leur sexualité ». Cette idée est malheureusement de plus en plus développée dans les médias. On peut notamment penser à l’héroïne de 50 shades of Grey qui attend l’homme qui la révèle à sa propre sensualité et sexualité.

La sexualité est donc entièrement contrôlée par les hommes et très souvent phallocentrée (Vivian fait au début une fellation à Edward, puis lorsqu’ils « font l’amour » c’est avec l’inévitable pénétration). Cette représentation phallocentré du sexe est très présente dans les médias (par exemple les suppléments sexes des magazines féminins ne proposent que des positions de pénétration).

Pour aller plus loin sur la question de l’inévitable pénétration :

http://www.crepegeorgette.com/2013/08/07/lheterocentrisme-ou-lobligation-du-rapport-penetratif/comment-page-1/

http://www.crepegeorgette.com/2013/06/17/la-sexualite-heterosexuelle-dans-le-patriarcat-est-elle-necessairement-sexiste/

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/185268-positions-sexuelles-stop-a-la-toute-puissance-de-la-penetration.html

 

Comparaison avec Maid in Manhattan, une autre histoire de Cendrillon

 

Maid in Manhattan (Coup de foudre à Manhattan) est lui aussi une histoire de Cendrillon, avec deux personnes diamétralement opposées dans le système social qui tombent amoureuses l’une de l’autre.

Marisa Ventura est femme de chambre dans un luxueux hôtel new-yorkais. Un jour, poussée par sa collègue et amie, elle essaye pour s’amuser la tenue luxueuse d’une cliente de l’hôtel et croise par hasard Chris Marshall, candidat au sénat. Après une journée passée ensemble, celui-ci est persuadé que Marisa fait partie de la haute société new-yorkaise et cherche à la revoir tandis qu’elle doit absolument l’éviter si elle ne veut pas perdre son travail.

Maid in Manhattan reprend exactement le même type de scénario que Pretty Woman, ou une femme dans une position peu enviable tombe amoureuse d’un homme puissant.

Paradoxalement, Maid in Manhattan se rapproche plus du conte original (on retrouve le Bal, le malentendu, la quête de l’inconnue, les méchantes sœurs, la bonne fée, etc…) mais est beaucoup moins nauséabond politiquement.

Pour commencer, Marisa est beaucoup moins désespérée que Vivian. En effet si son travail n’est pas épanouissant, celle-ci à l’ambition de devenir manager dans l’hôtel ou elle travaille. Cette ambition sera conservée tout au long du film et même atteinte dans l’épilogue.

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Ce n’est pas parce que tu as rencontré le prince charmant, que tu dois renoncer à tes ambitions…

Alors qu’on voit clairement le personnage de Vivian se transformer pour correspondre aux attentes d’Edward. Marisa reste entière tout au long du film, n’hésitant pas à défendre ses valeurs et à donner des opinions bien tranchées.

De plus la relation entre Chris et Marisa n’est pas principalement monétaire, si Marisa se retrouve à porter de luxueux vêtements à deux reprises dans le film, ceux-ci sont « empruntés » à une cliente de l’hôtel et non pas fournis par son « prince charmant ». De même les activités qu’ils font ensemble (promener le chien, aller au zoo) ne sont pas des activités « de luxe », on peut donc voir que Marisa apprécie Chris pour sa compagnie et non pas pour les avantages qu’il lui apporte.

Si Maid in Manhattan est beaucoup moins sexiste que Pretty Woman, le film n’évite pas certains poncifs, notamment avec le personnage de Caroline Lane. Elle est, avec son amie Rachel, l’équivalent des deux méchantes sœurs de Cendrillon dans le conte.

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Les deux méchantes « sœurs » au meilleur de leur forme…

Caroline est une riche mondaine sortant d’une rupture qui s’est mis en tête de séduire Chris Marshall, son personnage est la caricature typique de l’hystérique, à la fois dans sa gestion de la rupture et dans ses tentatives pour séduire Chris Marshall. Car au cinéma une femme prenant l’initiative de séduire un homme est le plus souvent soit une femme fatale, soit une hystérique désespérée. De plus, Caroline devient la méchante de l’histoire car c’est elle qui dénonce Marisa par pure rivalité féminine.

Le film est également problématique car si Chris ne « sauve » pas Marisa, il remplit cependant un manque dans sa vie, en devenant un père de substitution pour son fils, on retrouve ainsi la fameuse famille « normale » si chère aux médias…

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La famille parfaite…

Bien qu’il reste beaucoup plus fidèle au conte original (c’est d’ailleurs cette fidélité qui lui confère des éléments sexistes comme les deux méchantes sœurs), Maid in Manhattan reste néanmoins beaucoup moins sexiste que Pretty Woman, principalement grâce à un personnage féminin fort et intransigeant et à une relation beaucoup moins basée sur l’argent. Le film valorise également l’empowerment des femmes au travers de leur carrière professionnelle. Il est donc possible d’adapter un conte de fée d’une façon qui ne soit pas atrocement sexiste.

La damoiselle en détresse, ennemie de l’indépendance des femmes

L’histoire de type Cendrillon n’est au fond pas autre chose qu’une dérive du schéma de la damoiselle en détresse, qui est l’un des schémas que l’on retrouve excessivement souvent dans les œuvres de fiction et qui s’adresse aux hommes comme aux femmes. On retrouve ce schéma dans quasiment toutes les cultures patriarcales et à quasiment toutes les époques. On peut considérer qu’il s’agit que l’un des éléments fondateurs de notre société patriarcale.

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/DamselInDistress?from=Main.DistressedDamsel

Le trope de la damoiselle en détresse enseigne aux femmes que plutôt de se sortir d’une situation elles-mêmes, il faut attendre l’aide d’un homme. Plutôt que de prendre leur vie en main, les femmes sont donc maintenues dans la dépendance des hommes.

Que ce soit sous forme de conte de fée, de film ou de livre, les histoires de Cendrillon, et par extension de damoiselle en détresse, sont problématiques car elles façonnent nos fantasmes, nos désirs, nos attentes et nos relations avec l’autre sexe. Ces tropes ont un double effet pervers : maintenir les femmes dans la passivité et imposer des normes quasi-inaccessibles aux hommes.

En effet ceux-ci doivent absolument faire preuve de puissance, de richesse et de pouvoir afin d’être désirables. Les hommes subissent également la pression patriarcale, et plus encore ceux qui ne correspondent pas aux clichés traditionnels de la virilité : les homosexuels (même s’ils ont des comportements « virils », la société les considère souvent comme des « peu masculins »), les hommes voulant exercer un métier traditionnellement réservés aux femmes, les hommes dit « sensibles ». Les hommes souffrant de la pression patriarcale ont d’ailleurs tout intérêt à déconstruire le genre comme les féministes le font plutôt que de rejoindre les rangs des masculinistes…

Les femmes sont tout de même les premières victimes des injonctions patriarcales venant des tropes de damoiselle en détresse et des contes de fée qui non seulement les privent de toute forme de pouvoir, mais leur font en plus croire que cette absence de pouvoir et cette soumission à l’homme sont la clé d’un réel bonheur qui répond aux « aspirations naturelles » de « lafâme »[5].

Julie Gasnier

Edit : Suite au commentaire d’une personne concernée, j’ai modifié le terme « Prostitué-e » par le terme « Travailleur-euse du sexe », j’ai également modifié quelques formulations qui me paraissaient problématiques. Le sens de l’article n’a pas été modifié.

Sur Pretty Woman, voir aussi sur ce site l’article de Paul Rigouste : Sleeping with the Enemy (1991) : le cauchemar de Pretty Woman

[1] Un lien qui analyse cette nouvelle standardisation des fantasmes : http://fsimpere.over-blog.com/article-est-ce-ainsi-que-les-femmes-revent-120620101.html

[2] L’aphrodisme est le système de domination consistant à valoriser dans une société donnée les individus correspondant aux normes de beauté physique de cette société, tout en dévalorisant ceux/celles qui n’y correspondent pas. L’aphrodisme est analogue à d’autres systèmes de domination comme le sexisme ou le racisme en tant que, comme eux, il construit socialement une inégalité à partir d’une différence physique qu’il a arbitrairement posée comme significative, voire essentielle. Cf : L’article de Paul Rigouste : http://www.lecinemaestpolitique.fr/en-finir-avec-laphrodisme-au-cinema/

[5] Oui, lafâme, vous savez, cet éternel féminin qu’on trouve beaucoup dans les médias et si peu dans la réalité…

Anastasia (1997) : La révolution russe pour les nul-le-s

Lorsqu’ Anastasia est sorti en 1997, nombreux sont ceux qui ont cru qu’il s’agissait d’un film des studios Disney, bien qu’il s’agisse en fait d’un film de Don Bluth et Gary Goldman pour la Fox Animation Studio. En y réfléchissant bien, il est finalement logique que la majorité des gens aient pu prendre Anastasia pour un Disney, car le film reprend un certain nombre de « ficelles Disney » au niveau des personnages et du graphisme.

Un plagiat Disney ?

Une (belle) princesse :

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Un (beau et viril) jeune homme ambitieux (qui tombe amoureux de la princesse) :

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Un méchant (moche) longiligne et dévirilisé :

méchants-05méchants-0954293250Cherchez l’intrus…

et des petits animaux mignons…

Pooka

ou rigolos…

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En bref, Anastasia reprend les stéréotypes et les graphismes de Disney avec tout ce que cela implique de politiquement nauséabond. En effet, on retrouve les mêmes normes aphrodistes et hétérosexistes[1] qui existaient déjà chez Disney (ainsi que dans une bonne partie de la production cinématographique et littéraire…).

On retrouve également les mêmes normes spécistes que chez Disney, où les petits animaux mignons ou rigolos n’existent que pour le plaisir/service des humains. C’est particulièrement flagrant avec Bartok, qui est un sbire typique (comme peuvent l’être les hyènes pour Scar ou bien Sébastien pour le roi Triton), mais Pooka est également, avec son côté adorable, un personnage très spéciste car il est entièrement soumis et dévoué à sa maîtresse, comme peuvent l’être Polochon pour Ariel, Meiko pour Pocahontas…

Comme une bonne partie des méchants Disney, Raspoutine est dévirilisé, il a de longues mains fines et des ongles excessivement longs. De même, il parle souvent d’une façon précieuse et affectée. Sa virilité défaillante est opposée à la virilité éclatante de Dimitri et à la virilité tranquille du tsar Nicolas II. Associer les méchants à une virilité défaillante est à la fois sexiste et homophobe. Sexiste car un personnage ayant des attitudes « féminines » est diabolisé et homophobe car les hommes ayant des attitudes féminines sont, dans l’imaginaire collectif de notre société hétéropatriarcale, souvent assimilés à des homosexuels.[2]

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Je suis tellement dévirilisé que je me déguise en fille !!!

Une vision déformée de l’histoire

Anastasia se base sur une légende inspirée d’une histoire vraie, celle de la grande duchesse Anastasia de Russie qui aurait miraculeusement survécu à la révolution bolchevique, et prend pour toile de fond la révolution russe. Il se base également sur la légende qui veut que Raspoutine ait eu des talents occultes.

Le film prend de nombreuses libertés avec ce que l’on sait de l’histoire de la famille Romanov (ils ont été assignés à résidence avant d’être assassinés, Anastasia avait 17 ans et non 10 lors de la révolution en 1917, Raspoutine a été assassiné en 1916, avant la révolution russe, l’impératrice Marie ne s’est pas exilée à Paris après la révolution mais au Danemark, pas loin de Copenhague…)[3] et, plus problématique, avec l’histoire et le contexte de la révolution russe.

Comme pour toutes les révolutions, les causes de la révolution russe sont nombreuses et complexes : les défaites successives de la Russie lors la première guerre mondiale, la famine, la crise économique…

Dans le film la révolution russe n’est due qu’à une seule et unique chose : la vengeance de Raspoutine qui, grâce à ses pouvoirs occultes, manipule la foule pour lui faire attaquer le palais…

vlcsnap-2013-09-23-15h00m59s84La révolution pour les nuls : alors il suffit d’une personne avec des pouvoirs paranormaux…

vlcsnap-2013-09-23-15h00m19s214Pour que la foule stupide se déchaîne…

La famille royale et le pouvoir en place (qui était tout de même une monarchie absolue) sont absolument dédouanés de toute responsabilité vis à vis de la révolution (ce n’est pas comme si l’oppression du peuple par le pouvoir jouait un rôle quelconque dans les révolutions).

De plus le peuple est traité comme une masse stupide et facilement manipulable par un seul individu.

De la même façon, le portrait de « l’après-révolution », dix ans plus tard, insiste sur le fait que « c’était mieux avant, lorsque le tsar était au pouvoir », et d’ailleurs la seule chose qui console les braves habitants de Saint-Pétersbourg c’est la rumeur à propos d’Anastasia. Bien sûr quand le peuple meurt de faim de froid et d’ennui, sa première préoccupation c’est le sort de la famille royale.

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Avant le communisme on ne bossait pas, ne mourrait pas de froid et on ne s’ennuyait pas !!!

Si le film critique le communisme de façon tout à fait primaire (notamment avec la chanson du début, où le peuple se plaint de la faim et du froid), il ne mentionne absolument pas la répression mise en place (arrestations politiques, manque de liberté, déportations…) par le régime stalinien. Les références claires au communisme sont très légères et humoristiques, pour ne pas dire complètement cliché (Anya appelle la patronne de l’orphelinat « camarade », l’encre des saufs conduits est rouge, on voit un marteau et une faucille sur une toque).

La révolution russe et ses conséquences sont totalement décontextualisées et vidées de leur signification politique, ce qui est quand même un comble pour une révolution. Pire, une révolution contre le pouvoir devient la conséquence d’une manipulation par un être maléfique, comment diaboliser l’idée même de révolution et de renversement du pouvoir… Et plus particulièrement si ledit renversement de pouvoir mène au communisme.

Une valorisation du pouvoir

On retrouve une présentation très valorisée du pouvoir, et en particulier du pouvoir royal, héréditaire et absolu, notamment dans le discours de l’impératrice Marie qui introduit le film. D’autant plus que la majorité des personnages positifs sont des nobles ou anciens nobles de la cour de Russie : Anya/Anastasia, Vladimir, Sophie et l’impératrice Marie. On peut aussi mentionner la représentation de la populace de Saint-Pétersbourg, qui est une foule composée de gens laids et vulgaires, tellement différents de « la royauté », et opposés ainsi à la foule du palais composée de gens beaux et distingués.

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La populace…

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le film ne remet quasiment jamais en cause le pouvoir politique absolu des Romanov, ni leur comportement.

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Qu’il est bon de donner de grandes fêtes pendant que le peuple meurt de faim et de froid….

L’idée que de toute façon certaines personnes sont terriblement et héréditairement supérieures aux autres transparaît également dans le choix du film de raconter l’histoire de quelqu’un d’exceptionnel, puisqu’il s’agit d’une princesse, la dernière héritière des Romanov. (Par opposition à tous ces gens banals et pas intéressants de Saint-Pétersbourg).

On insiste tout particulièrement sur ce point au début du film, lorsque la directrice de l’orphelinat, une femme particulièrement caricaturale, se moque d’Anya qui veut aller à Paris et lui explique qu’elle lui a trouvé du travail à la poissonnerie, la rabaissant consciencieusement. Le film semble alors suggérer l’idée que certaines personnes exceptionnelles ont un destin à accomplir et que la masse vulgaire tente de les en empêcher…

De la même façon lorsqu’Anya regarde son reflet dans l’eau d’un air triste, Vladimir la console en lui disant qu’elle est une princesse, et donc une femme exceptionnelle…

vlcsnap-2013-10-14-13h18m30s22Parce que tu vois les femmes normales elles sont pas exceptionnelles, toi si…

Dimitri, contre-exemple prolétarien ?

Le personnage de Dimitri est le seul de tous les personnages principaux qui ne soit pas de sang noble. Des références sont faites par rapport à son statut social « inférieur » et à la souffrance qui en est la conséquence. Notamment dans la toute première séquence où la perfection de la somptueuse fête des Romanov est très légèrement contrebalancée par la présence de Dimitri, alors serviteur au palais, qui se fait fermement rabrouer pour n’avoir pas su ou était sa place.

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Une légère injustice quelque part, non ?

A plusieurs reprises dans le film, Dimitri fera référence à son statut social qui le sépare d’Anastasia : « Les princesses n’épousent pas les domestiques. » Lorsqu’Anya croise Dimitri dans les escaliers et qu’un serviteur lui indique qu’il doit s’incliner devant elle, alors qu’ils sont proches et partageaient auparavant une relation d’égal à égal, on trouve un embryon de critique du statut de princesse qui serait supérieure, « par nature et hérédité » aux autres. Seulement cette scène semble être là plus pour insister sur le côté romantique que sur le côté critique. C’est plus l’histoire d’amour impossible qui semble intéresser les auteurs que l’injustice sociale et la souffrance des prolétaires.

A la fin du film, Anya décide de renoncer à son statut de princesse (sans abandonner sa grand-mère qu’elle promet de revoir bientôt) afin de pouvoir vivre son histoire d’amour avec Dimitri (qui avait refusé la récompense financière pour avoir retrouvé la princesse disparue). Au final les deux héros choisissent l’amour plutôt que l’argent et le pouvoir. Contrairement aux films Disney où celui qui est le plus bas dans l’échelle sociale finit par s’élever afin de rejoindre l’autre, ici c’est le contraire. Finalement, l’orpheline (re)devenue princesse décide d’être une femme normale et libre. (Mais elle reste exceptionnelle parce que malgré tout, c’est une princesse !)

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L’amour ou la couronne ?

Si on retrouve chez Dimitri, et notamment dans sa relation avec Anastasia, une certaine critique du système social injuste, on retrouve également le principe du « 1 sur 10000 ». Comme Django dans Django Unchained était « le nègre sur 10000 », Dimitri est, d’une certaine façon, LE prolétaire sur 10000, celui qui est exceptionnel et profite de ce côté exceptionnel pour s’élever au-dessus de la masse et gagner la princesse…

Une princesse moins passive

Les princesses Disney sont très souvent réduites au rang de « damoiselles en détresse », complètement passives, l’action étant réservée aux hommes. On pense par exemple au Prince qui tue la sorcière dans Blanche-Neige, celui qui tue le dragon dans La Belle au Bois Dormant, Eric qui tue Ursula dans La Petite Sirène, bref… c’est quasiment toujours l’homme qui vainc le méchant…[4]

Dans Anastasia nous retrouvons quatre scènes d’actions :

  • l’attaque du palais par les révolutionnaires
  • la scène de l’attaque du train
  • la scène d’hypnose sur le bateau
  • la scène finale de combat contre Raspoutine

Dès le début du film, Anya est sauvée par Dimitri, qui leur permet, à elle et à sa grand-mère de s’enfuir discrètement.

Dans la deuxième scène d’action, le train dans lequel voyage les protagonistes s’emballe sous l’effet de la magie noire de Raspoutine. Dimitri prend l’initiative mais c’est Anya qui trouvera finalement la clé de la solution au problème en trouvant un bâton de dynamite qui permettra de détacher le wagon de la locomotive (preuve d’intelligence). Elle relève également Dimitri (elle fait preuve de force) et incite les deux autres à sauter du wagon (preuve de courage).

Dans la troisième scène d’action, Anya se retrouve dans le rôle de la damoiselle en détresse puisqu’elle est hypnotisée par Raspoutine qui l’incite à se jeter du bateau. Sauvée in extremis par Dimitri elle est dans cette scène absolument passive et se jette pleine de reconnaissance dans les bras de l’homme qui l’a sauvée…

C’est la dernière scène d’action qui est la plus intéressante d’un point de vue féministe puisque lorsque Anya se retrouve à affronter Raspoutine dans les jardins du palais, Dimitri arrive pour lui porter secours mais se retrouve hors-jeu assez rapidement.

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Tiens bon Anya j’arrive pour te sauver !

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Ah ben raté…

Anya affronte et vainc sa Némésis (presque) seule, ce qui est un signe d’empowerment et de puissance chez une héroïne. Le film propose ainsi aux petites filles un exemple d’héroïne positive et active.

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Pas grave, je vais me débrouiller toute seule…

On est donc loin de la princesse passive qui attend son héros.

Anya et Dimitri ne cessent de se taquiner tout au long du film et, souvent, Anya a le dessus. D’autre part, le personnage de Dimitri est présenté comme un affreux macho, notamment quand il veut exclure Anya de l’action dans le train (« J’avais dit Vlad ! »), ou qu’il déclare qu’il ne pas aimer les femmes de caractère. La prise d’action d’Anya (qui trouve la dynamite, le relève dans le train, entraîne les autres à sauter du wagon) tend à ridiculiser le côté macho de Dimitri…

De plus, Anya fait preuve de répartie et n’hésite pas à tenir tête à Dimitri, montrant une personnalité bien trempée.

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Cependant, malgré quelques séquences et dialogues plus progressistes, la caractérisation des personnages est quand même très sexiste : Anya est douce, féminine, ne rêve que d’une famille, adore les jolie robes (elle est ravie quand Sophie les emmènent faire les boutiques à Paris) tandis que Dimitri est actif, courageux, acrobate, protecteur envers Anya.

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La féminité (enfin !) retrouvée

Si Anya est relativement active dans les scènes d’actions et fait preuve de répartie, elle n’a malheureusement aucun pouvoir décisionnel. Si au début du film elle prend des initiatives (aller à Saint-Pétersbourg dans le but de se rendre à Paris, aller au Palais), à partir du moment où elle rencontre Dimitri, c’est lui qui prend la majorité des décisions : prendre le bus puis le bateau, rencontrer Sophie pour obtenir une audience avec l’impératrice…

Lorsque Dimitri propose son plan à Anya, celle-ci commence par refuser mais Dimitri, sûr de lui, entame un décompte à la fin duquel Anya le rappelle effectivement, comme il l’avait prévu. Encore une fois, c’est l’Homme qui maîtrise la situation.

C’est également Dimitri qui réalise qu’Anya est la véritable grande duchesse et prend l’initiative de réunir Marie et Anya malgré leur refus à l’une et à l’autre de se voir.

Bien qu’étant moins passive que la majorité des princesses Disney, et même qu’une bonne partie des personnages féminins dans les films d’animation, Anastasia n’est pas complètement maîtresse de son destin, au fond c’est l’Homme qui contrôle la situation. Mais il le fait pour son bien, évidemment…

Apprendre à devenir une femme, une vraie

Les injonctions à la féminité

Au début du film, Anya est présentée plutôt comme un garçon manqué, elle porte des vêtements larges, les cheveux attachées et se tient librement, sans tenir compte des conventions.

Mais la féminité est bien présente et ne demande qu’à être révélée chez Anya. Cela est montré une première fois lorsqu’elle se souvient d’une fête au palais, une de ses amies lui met un collier et en tourbillonnant elle se retrouve habillée d’une robe de princesse.

Mais la séquence qui insiste le plus sur la féminité retrouvée d’Anya est la séquence où Vladimir, aidé de Dimitri, apprend à Anya à être une princesse.

Bien que soumise à de multiples injonctions restreignant sa liberté de mouvement,  le film montre cette éducation à la féminité comme quelque chose d’amusant.

En présentant les injonctions qu’ont toujours subies les femmes et plus particulièrement les femmes de haute naissance (sois belle, tiens-toi droite, sois gracieuse, féminine, etc…) comme quelque chose d’agréable et d’amusant, le film refuse de tenir compte du côté patriarcal de ces injonctions et de la souffrance ainsi que de l’oppression qu’elles peuvent représenter pour les femmes.[5]

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Que c’est fun d’apprendre à être une femme/princesse et de restreindre ses mouvements !

Le fait que deux hommes soient responsables de cette transformation est également problématique car on retrouve littéralement deux hommes en train de façonner une femme, tel deux pygmalions. L’homme impose donc une façon d’être à la femme qui adore ça et ne rêve que de correspondre aux attentes de la gente masculine.

Ironiquement, la même année sort Mulan des studios Disney qui, dans la séquence de la marieuse, déconstruit l’idée que l’apprentissage de la féminité est quelque chose de naturel et de forcément plaisant. Cette idée de la féminité comme un carcan est également dénoncée dans Rebelle où Mérida est engoncée dans la robe que lui impose sa mère.[6]

L’idée de la femme qui adore se soumettre aux injonctions patriarcales de beauté est très prégnante aujourd’hui, notamment dans la presse féminine. Les injonctions à la beauté y sont présentées non-seulement comme absolument nécessaires, mais également comme amusantes.

Bien sûr, il est possible de trouver dans l’expression de la féminité (j’entends par là, par exemple, le maquillage ou la mode) quelque chose d’agréable et d’amusant. Ce qui est problématique, c’est que d’une part on tend à considérer que cette expression de la féminité est inhérente à toute les femmes de façon naturelle (alors qu’il s’agit de quelque chose de culturel), et que d’autre part exprimer sa féminité (ou du moins cette forme de féminité) devrait être un choix et non pas une injonction.

On remarquera que les progrès d’Anya se font toujours sous le regard admiratif et normatif de Dimitri, l’apprentissage de la féminité se fait donc grâce au regard de l’homme (male gaze)[7].

Dès leur première rencontre, il l’examine d’un œil critique (même s’il s’agit en l’occurrence de déterminer ou faire semblant de déterminer si elle est la princesse Anastasia.) Plus tard il ne cessera de l’admirer, impressionné devant sa beauté (LE critère le plus important quand on est une femme…). Son intelligence, son humour, son courage… tout ça passe à la trappe. (On notera d’ailleurs que Dimitri commence à regarder Anya dès qu’elle (re)devient féminine). La femme se définit donc principalement grâce au regard de l’homme, ce qui rejoint l’idée des deux hommes qui façonnent la femme. Et plus généralement l’idée que la femme se définit principalement par rapport à l’homme.

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Le but ultime en tant que femme c’est de mettre un homme dans cet état…

Les gros, sources inépuisable de jovialité et de rire…

Le film présente deux personnages secondaires et positifs qui sont en surpoids : Sophie et Vladimir. Ces deux personnages sont traités avec une bonne partie des tropes réservés aux personnages en surpoids. Les deux personnages gros sont donc des personnages comiques[8] (c’est bien connu, le gros est ridicule…) débordant de jovialité et bonhomie (le gros n’est JAMAIS de mauvaise humeur, sauf quand c’est un méchant, bien entendu). De plus, une bonne partie des blagues en rapport avec Vladimir tournent autour de la nourriture. (Il regrette la perte du wagon restaurant, compare Sophie à un gâteau…). Vladimir est l’archétype du « meilleur ami gros » (« Fat best Friend »)[9] qui sert de valoir au personnage principal, en l’occurrence Dimitri.

Sophie de son côté est une « grosse belle femme »(« big beautiful woman »)[10]. C’est une femme en surpoids qui assume sa séduction et sa féminité. Ce qui est plutôt positif, sauf que cette séduction est toujours traitée sur un mode comique, le spectateur étant amené à rire du décalage entre l’attitude sensuelle de Sophie et son physique. Contrairement à Anya, Sophie surjoue la féminité et la séduction d’une manière excessive, comme si, en tant que grosse, sa séduction ne pouvait pas être naturelle. Il est intéressant et extrêmement positif de montrer un personnage féminin à la fois en surpoids et séduisant, mais pourquoi traiter obligatoirement cette séduction sur le mode comique ?

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Sophie, tout en nuances et en subtilité…

De la même façon l’histoire d’amour entre Sophie et Vladimir est traitée sur le mode comique. S’il est extrêmement positif de voir des personnages non-aphrodistes vivre des histoires romantiques, il est regrettable de voir ces histoires systématiquement traitée sur le mode comique. Il est également regrettable, plus particulièrement dans les dessins animés, de voir les personnages ne correspondant pas aux critères de beauté être réduit à des rôles comiques ou d’antagonistes.

Alors que Disney, à la même époque, proposait des héroïnes novatrices comme Pocahontas (1995) ou Mulan (1997), Bluth et Goldman, pourtant créateurs du progressiste Fievel et le nouveau monde, semblent vouloir revenir à une vision rétrograde des femmes et surtout à une vision arrangée de l’histoire….

Julie G.


[1] Même si nous verrons plus bas qu’Anastasia est, par certains côtés moins hétérosexiste que la majorité des productions Disney.

[2] Cf. l’article de Paul Rigouste sur les méchants Disney : http://www.lecinemaestpolitique.fr/mechants-et-mechantes-chez-disney-2-hommes-faibles/

[4] Même si on retrouve des héroïnes plus actives comme Mulan, la tendance est quand même fortement à la passivité…

[5] Des films comme Rebelle ou Mulan déconstruisent ce rapport idéalisé a la féminité…

[7] Cf. l’excellente analyse du «male gaze » de A.C. Husson sur le site « ça fait genre » :

http://cafaitgenre.org/2013/07/15/le-male-gaze-regard-masculin/

[9] http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/FatBestFriend

On retrouve dans cette catégorie Petit Jean dans Robin des Bois.

ParaNorman (2012) : Et si les méchants n’étaient pas ceux qu’on croyait ?

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ParaNorman, sorti en 2012, est le deuxième long métrage des studios Laika, après Coraline. Comme son prédécesseur, ParaNorman est un film d’animation en stop-motion.

Le film raconte l’histoire de Norman un jeune garçon dont l’encombrant pouvoir lui permet de voir les morts et de discuter avec eux. Alors que sa ville est envahie par les zombies à la suite d’une malédiction séculaire, Norman va utiliser son pouvoir pour sauver sa ville.

Le film est un pastiche des films de série B et Z (dont il montré à plusieurs reprises que le personnage de Norman est fan) dont il reprend les codes pour mieux les détourner.

Un détournement des clichés

Les personnages du film sont tous des clichés du cinéma de genre horrifique et plus particulièrement de type slasher et film de zombies. On retrouve un garçon mal-aimé, une bimbo, un side-kick attachant, une star du lycée bodybuildé, une brute stupide, une première de la classe… Le film démarre d’ailleurs par une parodie de film d’horreur (qui est le film que Norman regarde à la télévision) où l’on voit une bimbo blonde courir et hurler de façon complètement grotesque.

Les clichés du film ont un intérêt culturel et humoristique, puisqu’il s’agit de références parodiques aux films de série B et Z, mais également un intérêt politique. Courtney, la sœur de Norman qui est au départ présentée comme une fille superficielle et mesquine est la première à soutenir son frère lorsqu’il s’oppose à la foule.

Le cas de détournement de cliché le plus intéressant est Mitch le frère de Neil, Mr. Muscle Bodybuildé pas très intelligent après lequel Courtney court tout au long du film. A la toute fin, Mitch apprend à Courtney et au spectateur, au détour d’une phrase, de façon tout à fait naturelle, qu’il est homosexuel.

Les personnages de Courtney et Mitch sont donc des anti-stéréotypes, c’est-à-dire des personnages donc les stéréotypes sont déconstruits[1].

En associant l’homosexualité à un cliché généralement attribué à des personnages hétérosexuels, le film signifie clairement qu’être gay ne constitue pas un trait de personnalité ou « character design » suffisant. Contrairement à ce que pourrait laisser croire certaines séries, dont la personnalité et les storylines de certains personnages se résument à « il est gay ».

https://www.youtube.com/watch?v=HCry8TvCsng

https://www.youtube.com/watch?v=0T6cdMgm4U8

De plus, la façon complètement naturelle avec laquelle Mitch parle de son petit copain rappelle qu’être gay c’est normal et que ce n’est pas quelque chose dont il faut faire tout un plat.

Les parents de Norman sont eux aussi des clichés, mais ce sont plus des clichés de la famille « traditionnelle » américaine (et plus généralement de la famille traditionnelle occidentale) : un père qui désespère que son fils ne soit pas plus viril et une mère douce et aimante.

En ce sens, le père et la mère de Norman sont plus des caricatures, que le film utilise pour critiquer l’attitude viriliste et normative du père (devient un homme mon fils et cesse de voir des fantômes) et la passivité de la mère (dont il est à plusieurs reprises montré qu’elle est en désaccord avec le père mais ne s’oppose jamais réellement à lui). Des attitudes qui existent dans la réalité, contrairement aux autres personnages qui sont plus des caricatures typiques de cinéma.

L’ignorance qui mène à l’intolérance 

Au début du film, Norman est persécuté par ses camarades qui se moquent de son pouvoir qu’ils ne comprennent pas. De la même façon, ses parents et sa sœur le sermonnent et s’inquiètent car ils ne le croient pas. Au fur et à mesure du film, le pouvoir de Norman est démontré et se révèle même capital pour sauver la ville.

Bien que la raison du harcèlement de Norman soit originale et relève du fantastique, le harcèlement en lui-même est assez typique de ce que subissent les victimes de bullying à l’école. D’ailleurs son ami Neil est lui brutalisé pour une raison beaucoup plus triviale, à savoir son poids.

Le film fait une réelle critique du bullying (il n’existe pas de traduction exacte, on pourrait parler de harcèlement ou de persécution) en adoptant le point de vue d’un enfant martyrisé. Les gens ont tendance à rejeter tout ce qui sort de « la norme », soit parce qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ont peur (dans le cas de Norman), soit tout simplement par rejet de la différence.

Plus flagrant encore est le traitement qui est réservé aux zombies. Le zombie est en général, l’exemple type de l’ennemi inhumain, sans sentiments et avec lequel on ne peut pas négocier[2].

Alors qu’en général les zombies terrifient la population, le film prend le parti pris inverse et les zombies ne sont en fait que de pauvres hères ne désirant que reposer en paix et terrorisés par la population qui les prend en chasse.

Le film montre de manière très ironique et très critique la vindicte populaire qui s’empare de la foule au moment où elle décide de partir à la chasse au zombie. Ici encore la foule en colère réagit par incompréhension, au lieu d’essayer de comprendre la situation, la foule réagit instantanément par la violence.

Même si grâce à Norman la situation est arrangée avant d’avoir pu dégénérer, le film fait écho à de nombreuses situations où la haine et la violence s’expliquent principalement par le préjugé et la méconnaissance de l’autre. Personne n’essaie de comprendre le point de vue de Norman, les gens préférant se baser sur leurs préjugés plutôt que de faire un effort de compréhension. Le film montre bien comment l’incompréhension mène à l’exclusion et au rejet. Sans compter la position confortable de dominant dans laquelle les « rejeteurs » s’installent… car oui, tenter d’adopter le point de vue des dominés et des rejetés, ça veut dire abandonner sa position de dominant, comme Alvin à la fin du film…

Pacifier plutôt que vaincre

Dans de nombreux films, y compris les films d’animations destinés aux enfants (et donc en théorie moins violents), le héros vainc le « méchant », soit en le tuant, soit en le mettant hors d’état de nuire (en prison ou autres…).

Nous avons vu que contrairement à la majorité des films qui mettent en scène des méchants foncièrement mauvais dont le mal fait partie intégrante de leur personnalité, ParaNorman présente des antagonistes plus subtils dont les mauvais agissements sont expliqués par leur vécu. En effet, la sorcière ayant jeté une malédiction sur la ville n’est en fait qu’une petite fille de 11 ans, violemment traumatisée par son exécution sommaire. Plutôt que de la vaincre, Norman préférera utiliser son pouvoir pour parler avec Agatha, tenter de la raisonner et l’amener à des sentiments plus humains.

Voir ce genre d’attitude au cinéma est extrêmement rare, le film Dragons proposait un héros ne correspondant pas aux codes de virilité traditionnels et considérant comme des alliés ce que les autres considéraient comme des ennemis (à savoir les dragons), malheureusement le film ne tenait pas ses promesses jusqu’au bout, le héros finissant par affronter héroïquement et violemment un dragon géant (alors que les trois-quarts du film consistent à montrer que la paix et l’amitié entre les deux espèces sont possibles…).

ParaNorman va au bout de ses promesses, même si Norman est d’une certaine façon héroïque puisqu’il risque sa vie pour parler à Agatha et la raisonner, il n’est jamais agressif, ni violent envers elle.

De plus l’influence positive de la grand-mère de Norman ainsi que la critique du viriliste via la caricature du père, tend à valoriser des attitudes traditionnellement associée à la féminité et à dévaloriser des attitudes machistes ou virilistes.

De manière très symbolique, la fin du film laisse tout le monde gagnant : la ville et ses habitants débarrassés de la menace qui pesait sur eux, Norman et sa famille qui sont devenus plus proches, les zombies qui peuvent maintenant reposer tranquilles et Agatha qui a finalement trouvé la paix.

Julie G.


[1] Par opposition au contre-stéréotype, qui consiste juste à proposer une représentation opposée au stéréotype mais sans le déconstruire préalablement.

[2] Bien que de plus en plus de livres et de films se proposent d’humaniser les zombies et de leur donner des sentiments comme par exemple Warm bodies.

Landes (2013) : Emancipation d’une femme et prise de conscience d’une patronne

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Jeune veuve, Liéna Duprat décide de prendre le contrôle des forêts industrielles et des métairies dont elle a hérité afin de poursuivre le rêve de son défunt mari, électrifier l’intégralité du domaine. Elle se heurtera à une grève et aux refus des autres patrons.

Inspiré d’une histoire vraie, le film montre la double évolution de Liéna, son émancipation et sa prise de pouvoir en tant que femme et sa prise de conscience des conditions de vie des ouvriers en tant que patronne. Les deux évolutions sont intimement liées : c’est en prenant conscience des réels besoins des ouvriers que Liéna abandonnera les mesures de son mari pour choisir d’effectuer ses propres mesures améliorant les conditions de vie des ouvriers, qui seront les réformes Duprat.

Au début du film, Liéna décide d’électrifier la Landes, ignorant la grève et les revendications des ouvriers (à savoir obtenir le salariat, de meilleurs conditions de vie et arrêter de donner des avantages en nature à leur patronne), persuadée d’agir pour leur bien et de savoir mieux qu’eux ce dont ils ont besoin. Elle est ainsi dans une démarche très paternaliste vis-à-vis des ouvriers, ne voulant que leur bien mais se plaçant aussi quasi automatiquement comme supérieure à eux.

On retrouve cette vision « condescendante » dans de nombreuses actions sociales et humanitaires. Si cette vision est motivée par le sentiment positif d’aider les gens, elle est non seulement dégradante pour les gens aidés que l’on considère comme incapables de s’occuper d’eux-mêmes ou de savoir de quoi ils ont besoin, mais en plus amène le risque d’être purement et simplement à côté de la plaque en apportant au gens des choses inutiles alors qu’ils manquent cruellement du nécessaire.

Un autre effet pervers de ce genre de mesures, particulièrement dans un cadre patron/ouvriers, est que l’on maintient les ouvriers dans une forme de domination. Au début du film, Liéna explique d’une façon paternaliste au délégué syndical que l’exploitation donne du travail aux gens de la région (oui, au fond ce qu’on recherche nous les patrons ce n’est pas tellement le profit, c’est plutôt vous donner du travail… Regardez comme on est généreux avec vous…)

Au fur et à mesure du film Liéna reconnaîtra son erreur et finira par accepter les revendications des ouvriers.

Au début du film Liéna est principalement motivée par le désir de son mari défunt, elle se construit donc principalement par rapport à lui avant de découvrir qu’il n’avait peut-être pas compris certaines choses. L’émancipation vis-à-vis de son mari se fait donc grâce aux revendications des ouvriers ou plus exactement quand Liéna commence à écouter les ouvriers et cesse de penser de considérer son mari comme un visionnaire ayant forcément raison. Elle cesse de se définir comme la garante de l’œuvre de son mari et commence « son œuvre » à elle.

Liéna s’émancipe donc non seulement vis-à-vis des autres patrons (qui sont principalement des hommes) mais également vis-à-vis de son mari.

Il est rare d’avoir un film qui montre une femme forte dans une position de pouvoir, rappelant ainsi que OUI, les femmes peuvent occuper des postes à responsabilités.

Le film n’est pas exempt de défauts, j’aurais aimé avoir un peu plus souvent le point de vue des ouvriers et de leur organisation en syndicats. Bien que les ouvriers soient à quelques reprises montrés en train de s’organiser, le film se place plutôt du point de vue de Liéna.

Et surtout, pourquoi avoir choisi une femme comme ennemi principal de Liéna ? Alors qu’il est clairement montré que la majorité des patrons sont des hommes, c’est une femme, Mme Hector, qui est l’adversaire le plus terrible de Liéna. Pire encore, Mme Hector correspond au cliché des femmes de pouvoir au cinéma : mesquine, hypocrite, manipulatrice… Il est dommage de développer un personnage intéressant et positif de femme de pouvoir pour lui opposer la caricature d’une autre femme de pouvoir, d’autant que le réalisateur a avoué avoir romancé l’histoire.[1]

On regrettera également que l’accent ne soit pas mis les difficultés qu’a Liéna à diriger sa propriété en tant que femme, en effet les seules critique qu’elle semble subir de la part des autres patrons portent sur ses mesures d’électrification. Il semble peu probable que dans les années 20 les hommes aient laissé aussi facilement une femme accéder au pouvoir.

Le film esquisse une intersectionnalité intéressante entre l’émancipation de Liéna vis à vis de son mari et la libération des ouvriers mais je regrette que l’oppression envers les femmes (qui était encore pire dans les années 20 qu’aujourd’hui) et l’oppression envers les ouvriers ne soit pas d’avantage mises en parallèle.

Malgré ses défauts, Landes est un film doublement intéressant d’un point de vue politique puisqu’il met en scène un personnage féminin fort et intéressant et traite des réformes sociales.

J’ai été très frustrée de ne trouver absolument aucune information sur la vraie Liéna Duprat ou sur les réformes Duprat. Serait-ce encore une femme oubliée par l’histoire ?

 Julie G.


[1] Pour écrire le scénario de Landes, François-Xavier Vives s’est inspiré de l’histoire de sa propre famille et en particulier celle de la sœur de son arrière arrière-grand-mère : « Mon grand-père m’a souvent parlé d’elle. Une femme très autoritaire qui avait perdu son mari très tôt et choisi de le remplacer à la tête de ses domaines, ce qui était assez original au début du siècle. Dans ce milieu encore très masculin, très patriarcal, cette forte tête avait vraiment réussi à s’imposer comme patronne : elle était crainte et très respectée. J’aimais beaucoup cette figure féminine – c’était une héroïne idéale. Je l’ai romancée bien sûr. Dans la réalité, la Liéna de ma famille était infiniment moins moderne et progressiste que la Liéna du film. Et elle ne partageait certainement pas les mêmes rêves », explique le réalisateur.

Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-208551/secrets-tournage/

 

Batman : Y a-t-il une femme à Gotham City ?

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En plus d’être dérangeants politiquement sur un certain nombre de points qui sont analysés dans la première partie de cet article (ici et ici), les films de Christopher Nolan sont de plus profondément sexistes. Cet article a pour but d’analyser les personnages féminins et le sexisme de la saga Batman.

Paternalisme et patriarcat à tous les étages

Figures paternelles

L’une des caractéristiques que l’on retrouve dans toute la saga et plus particulièrement dans le premier volet, Batman Begins, est son insupportable paternalisme.

L’image sexiste et rétrograde du patriarche sage et bienveillant est omniprésente dans le premier volet, et revient à intervalles réguliers dans la saga.

Les parents de Batman sont présentés de manières très différentes, alors que la mère n’existe pratiquement pas à l’écran, la présence et l’influence du père de Bruce Wayne sont déterminantes pour l’histoire.

Lorsque Bruce tombe à 5 ans dans la fosse ou il est attaqué par les chauves-souris, son père l’en sort et en profite pour lui asséner une sympathique petite leçon de morale, histoire de lui apprendre à être un homme…

 vlcsnap-2013-07-02-17h04m16s85vlcsnap-2013-07-02-17h04m22s156vlcsnap-2013-07-02-17h05m05s81Les petites leçons de morale de Papa…

Cette phrase reviendra tout au long de la saga, prononcée notamment par Alfred, une autre figure paternelle.

Lorsque Bruce se sent mal à l’opéra, Thomas Wayne se sent obligé de mentir pour couvrir son fils, afin que sa mère ne sache pas qu’il a eu peur… Ben oui, on ne va pas montrer ses faiblesses à une femme, même si c’est Maman, nos faiblesses, on les garde entre hommes.

Régulièrement durant le film seront faites des références au père de Bruce et à son héritage.

vlcsnap-2013-07-02-17h15m26s146vlcsnap-2013-07-02-17h15m31s190vlcsnap-2013-07-02-17h19m01s239vlcsnap-2013-07-02-17h07m47s163Et l’avis de Maman, on s’en tape ?

De la mère, rien, elle n’a pratiquement aucune ligne de texte, on ne connait ni son métier, ni son prénom, elle est fondamentalement inexistante…

Le père de Bruce n’est pas la seule figure patriarcale que l’on trouve dans la saga. On retrouve également le commissaire Gordon, bon père de famille, qui pose un manteau sur les  épaules de Batman après la mort de ses parents… Alfred qui prend soin de Bruce après la mort de ses parents et se place dans la lignée directe du père. Dans une certaine mesure Lucius Fox, qui crée des prototypes et conseille Batman. Et bien entendu, Ra’s Al Ghul, qui malgré son statut d’antagoniste, n’en reste pas moins un mentor pour Bruce, et l’une des raisons qui lui permettent de devenir Batman. Tous ces personnages ont un rôle actif dans l’histoire et font avancer l’intrigue, qu’ils soient antagonistes ou adjuvants.

Le summum du paternalisme est atteint lorsque Batman lui-même devient une figure paternelle bienveillante envers Blake, le futur Robin, qui devait déjà supporter les attitudes paternalistes de Gordon…

Le pouvoir entre hommes

Durant toute la saga, le pouvoir est détenu par les hommes, il n’est montré que deux femmes en position de pouvoir : le juge Surillo qui meurt avant d’avoir eu une quelconque influence sur l’intrigue et Miranda Tate qui prend les commandes de Wayne Enterprise et dont nous reparlerons plus loin dans l’article.

Cette exclusion des femmes du pouvoir est particulièrement visible dans The Dark Knight, on voit Gordon, Dent et Batman se retrouver au sommet du building ou se trouve le bat signal et planifier la suite des événements.

vlcsnap-2013-07-02-16h15m53s252Que c’est bon de tout contrôler entre hommes…

En tant que substitut du procureur et étant engagée dans des relations avec deux des personnages principaux, on pourrait supposer que le personnage de Rachel Dawes a un rôle actif dans l’histoire. Cependant les deux hommes s’arrangent pour la maintenir à l’écart de toute prise de décision.

Ce qui caractérise principalement les femmes dans la saga de Nolan, c’est leur absence, les femmes ne sont nulle part.

http://morpheastouch.blogspot.fr/2013/05/batman-begins-ou-sont-les-femmes.html

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/601850-the-dark-knight-rises-dis-batman-ou-sont-les-femmes-dans-gotham-city.html

A part Rachel et la mère de Bruce qui n’a même pas trois lignes de texte, il n’y a aucun personnage féminin parlant dans Batman Begins.

Dans The Dark Knight, on ne retrouve que trois personnages féminins parlants : Barbara Gordon et Rachel Dawes qui se retrouvent toutes les deux en position de damoiselles en détresse et Anna Ramirez qui elle, est une traitresse, ayant trahi Gordon pour payer les soins de sa mère.Alors qu’il n’y a quasiment aucune femme dans le film, pourquoi avoir choisi de faire du traître une femme ?

On retrouve de plus le cliché essentialiste qui considère que les femmes sont « plus sensibles » que les hommes, ce cliché est particulièrement pernicieux car il sous-entend qu’en tant que personnes plus sensibles, les femmes sont plus faibles et moins dignes de confiance, et par conséquent moins aptes que les hommes à occuper des postes à responsabilités… [1]

Dans The Dark Knight Rises, Nolan nous gratifie de deux personnages féminins principaux, tous les deux aussi antiféministes l’un de que l’autre.

Absente des personnages parlants, les femmes sont également absentes parmi les figurants, il n’y a aucune femme dans la ligue des Ombres (alors qu’il y en a dans la BD), pratiquement aucune femme dans la police (excepté Ramirez la traitresse), aucune femme dans la révolte pour sauver Gotham…

vlcsnap-2013-07-02-16h47m55s242 « Va attendre dans la cuisine, chérie »

Où sont les femmes ? Ben, à leur place voyons…

Le plus amusant est l’orphelinat POUR GARÇONS, présent dans le troisième volet. Blake et Wayne sont très concernés par le sort des petits garçons de l’orphelinat, puisque l’un est bénévole et tente de les sortir de Gotham, tandis que l’autre donne de l’argent et leur lègue son manoir.

De deux choses l’une, soit il n’y a aucune orpheline à Gotham City, soit tout le monde se fout de leur sort…

Rachel Dawes, de la damoiselle en détresse à la femme dans le frigo

Un personnage passif…

Rachel Dawes est le seul personnage principal de la saga à avoir été créé spécialement pour le film, le personnage n’existant dans aucun des comics.

En théorie, Rachel est un personnage intéressant, fille des domestiques de Wayne Manor et amie d’enfance de Bruce, jeune et brillante substitut du procureur…

Rachel est présentée comme une femme intelligente et courageuse, n’hésitant pas à s’attaquer à la pègre de Gotham City et à sermonner les bretelles de Bruce quand il dévie. Cependant si le personnage est intéressant dans ses paroles et dans ses attitudes, il l’est beaucoup moins dans ses actes. En effet, malgré son intelligence et ses compétences, Rachel n’a jamais de rôle actif dans l’histoire.

Dans Batman Begins, elle se retrouve à trois reprises dans le rôle de la damoiselle en détresse que Batman doit sauver, et deux fois quand The Dark Knight. Même quand elle fait preuve de courage, elle part se jeter bravement dans la gueule du loup…

vlcsnap-2013-07-02-17h09m37s223Rachel, agressée par des voyous…

vlcsnap-2013-07-02-17h13m08s45Rachel, droguée par le Dr Crane…

vlcsnap-2013-07-02-17h16m49s203Rachel, agressée par les habitants de Gotham, sous drogue…

vlcsnap-2013-07-02-16h17m48s117Rachel, précipitée dans le vide par le Joker…

vlcsnap-2013-07-02-16h19m19s4Bref, Rachel, éternelle damoiselle en détresse…

Ses seules interventions « utiles » sont celles qu’elle exécute sous les ordres de Batman.

Dans le deuxième volet de la saga, les actions de Rachel en tant que procureur sont toutes supplantées par Harvey. Au début du film, il est montré qu’elle connait le cas et qu’elle pourrait plaider mais c’est tout de même Harvey qui plaide, de la même façon lorsque Rachel interroge un suspect, c’est Harvey qui trouve l’idée qui permettra d’inculper la pègre.

vlcsnap-2013-07-02-16h14m05s168Peut-être, mais c’est quand même pas toi qui va plaider…

Harvey est montré comme étant très amoureux de Rachel, ce qui ne l’empêche de la traiter avec une condescendance insupportable, en plus de faire semblant de tirer à pile ou face la plaidoirie (la pièce est truquée), il se fait passer pour Batman sans daigner la prévenir alors qu’elle est tout de même sa collaboratrice et sa fiancée, et lorsque celle-ci s’indigne à juste titre de ne pas avoir été prévenue, Harvey ne prend même pas la peine de lui répondre et la fait taire en l’embrassant.

Rachel et Harvey sont dans une agissent selon une conception très hétéronormée du couple, avec un homme fort, viril, actif et une femme admirative. C’est Harvey qui réserve le restaurant et emmène sa dulcinée au ballet…

…qui n’existe que par les personnages masculins

D’une manière générale, les choix et les paroles de Rachel ne sont pas là pour développer son personnage mais pour enrichir les deux personnages masculins. Dans le premier volet, Rachel influence Bruce et l’inspire pour devenir Batman (ce sera d’ailleurs sa seule réelle influence sur l’histoire…). Toutes les actions de Rachel semblent destinées à faire souffrir et rendre plus humain le personnage de Bruce : son refus d’avoir une relation avec lui tant qu’il est Batman, sa relation avec Dent…

Tristement la plus grande influence que Rachel aura sur l’histoire de la saga ce sera en mourant. Rachel devient ce qu’on appelle une « femme dans le réfrigérateur », c’est-à-dire un personnage féminin important dont la mort ne sert qu’à enrichir et torturer le personnage principal. Rachel aura au moins l’honneur d’être « une double femme dans le réfrigérateur » puisque sa mort servira pour le développement de deux personnages masculins: Bruce Wayne sera dévasté et Harvey Dent basculera dans la folie en devenant Doubleface.

vlcsnap-2013-07-02-16h19m42s239Un homme brisé…

vlcsnap-2013-07-02-16h20m12s19Un homme brisé (bis)

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/StuffedIntoTheFridge

http://www.youtube.com/watch?v=DInYaHVSLr8

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/StuffedIntoTheFridge

Miranda Tate, l’espoir déçu

Au début de The Dark Knight Rises, le personnage de Miranda Tate est enthousiasmant : une femme intelligente, puissante et écologiste, puisqu’elle développe un réacteur fournissant de l’énergie propre.

Certes, Alfred et Lucius se sentent obligés de préciser à Bruce qu’elle est charmante, précision qu’ils n’auraient certainement pas fournie à Bruce s’il s’était s’agit d’un homme… et les scénaristes se sentent obligés d’en faire un « love interest » pour Bruce… Néanmoins, il s’agit d’un personnage fondamentalement réjouissant après l’insupportable passivité de Rachel.

Miranda est nommée par Bruce à la tête de Wayne Enterprise et se porte volontaire pour traquer les camions transportant la bombe (c’est d’ailleurs la seule femme à vouloir défendre Gotham, toutes les autres s’étant volatilisées on ne sait où…).

Bref, un personnage franchement enthousiasmant d’un point de vue politique…

On aurait dû se douter qu’il y avait baleine sous gravillon. Qu’une femme puissante et écologiste dans un film ne pouvait être qu’un piège. Car Miranda Tate n’est autre que la fille de Ra’s Al Ghul, Talia, et ne cherche rien d’autre qu’à finir « l’œuvre » de son père.

On retrouve quand même un schéma légèrement dérangeant, puisque lorsque Bruce confie les rênes de son entreprise à une femme, celle-ci s’en sert pour détruire la ville… Une femme au pouvoir et c’est forcément la catastrophe…

De plus, Miranda/Talia n’est même pas indépendante dans son crime puisqu’elle ne fait que poursuivre ce qu’a démarré son père, sous la protection d’un homme (sans qui elle n’aurait jamais pu sortir de sa prison).

vlcsnap-2013-07-02-16h46m09s208Quand je vous disais que le paternalisme était un fléau dans ce film…

Catwoman ou la domestication du chat

Au début du film, Selina Kyle alias Catwoman apparaît elle aussi comme un personnage féminin intéressant et puissant.

Selina est une cambrioleuse qui utilise autant des armes « féminines » (son sex-appeal, jouer la comédie) que des armes « masculines » (combat au corps à corps, techniques de cambriolage). Il y a quelque chose d’extrêmement jouissif à voir Catwoman jouer sur les clichés et se faire passer pour une faible femme alors qu’elle vient de vaincre tous les hommes présents dans la pièce…

Au début du film on voit Selina vaincre Batman en lui volant ses empreintes et un collier de perles, et quand il récupère les perles, elle lui vole sa voiture. De la même façon Selina se sort d’une mauvaise situation grâce à son intelligence et ses capacités au combat. (Malheureusement, comme pour Miranda Tate, le potentiel féministe du personnage n’est jamais atteint…

En effet, si le personnage est au début du film un personnage fort, plus le film avance et moins le personnage est fort…

Catwoman devient elle-aussi une « damoiselle en détresse » lorsqu’elle est poursuivie par les hommes de Daggett et à besoin de l’aide de Batman pour s’en sortir. Certes le personnage est moins passif que Rachel, mais elle se retrouve tout de même dépendante d’un homme pour se sortir d’un mauvais pas.

On remarquera d’ailleurs, que Selina réussit à battre Bruce Wayne, cependant Catwoman ne réussit jamais à vaincre Batman… La virilité triomphante de l’homme chauve souris est donc saine et sauve…

Selina est également arrêtée (« Vaincue ») par Blake à l’aéroport de Gotham City alors qu’elle tente de quitter la ville.

vlcsnap-2013-07-02-16h33m40s152vlcsnap-2013-07-02-16h33m46s219La femme, vaincue par l’homme…

Dans les comics, Catwoman est traditionnellement l’un des rares personnages à avoir compris quelle est la véritable identité de Batman, dans le film, malgré les indices évidents, Catwoman semble surprise lorsque Bane révèle qui est Batman. Ce qui est une insulte à l’intelligence du personnage.

Alors que Catwoman est dans les comics, soit une antagoniste de Batman, soit une anti-héroïne aidant ponctuellement Batman, le film la transforme en simple « side-kick » féminin du héros. Il donne les ordres et prend les décisions, qu’elle se contente d’exécuter. Catwoman ne prend même pas elle-même la décision de venir en aide à Batman, pour obtenir son concourt celui-ci est obligé de négocier et de supplier. Celle-ci le mène à Bane et le regarde se faire se faire tuer sans même tenter d’intervenir… Certes on pourrait considérer le refus de Selina comme un signe d’autonomie vis-à-vis des hommes, mais, d’une part, Selina finit par se ranger de l’avis de l’homme et d’autre part cela montre surtout une femme qui a moins de sens moral que l’homme…

Alors que Batman tente d’entraîner Catwoman à sauver la ville, celle-ci tente de le convaincre de s’échapper… L’homme choisit l’héroïsme, la femme la facilité…

(Mais l’homme ramènera la femme sur le droit chemin…)

Au début du film, Selina est accompagnée de son amie et colocataire Jen, interprétée par Juno Temple, qui l’assiste. Leur relation est passablement ambiguë  car très peu développée, mais peut-être interprétée comme une relation lesbienne. La scène ou Jen prend Selina dans ses bras semble corroborer cette hypothèse.

Le personnage de Jen disparaît complètement lors de la dernière partie du film. Alors que Selina propose à Bruce de s’enfuir avec elle, elle semble s’être complètement désintéressée du sort de la pauvre Jen… Il se peut qu’il ne s’agisse que d’une simple faiblesse scénaristique, mais la symbolique de tout cela est tout de même assez violente : Selina, qui est au début du film potentiellement lesbienne, abandonne complètement sa « petite amie » dès qu’un homme entre en scène… On retrouve cette idée prégnante dans notre société occidentale, que la sexualité lesbienne n’existe pas réellement, que les lesbiennes ne sont au fond que des hétéros qui s’ignorent et qui n’ont pas encore trouvé l’Homme …

df

batmancatwomanAu début du film, j’avais une (petite ?) amie, mais maintenant tout le monde s’en fout et moi la première…

vlcsnap-2013-07-02-16h37m44s252Je sais que tu es une bonne personne, je suis un homme, je sais mieux que toi…

Batman adopte d’ailleurs ce fameux ton paternaliste si cher à la saga tentant de convaincre Selina qu’au fond elle est quelqu’un de bien….

Tandis que dans les comics Selina est généralement une voleuse puissante qui assume parfaitement ce qu’elle fait, dans le film il est explicité que Selina n’a pas choisi sa vie et qu’elle souhaite désespérément en changer, notamment en mettant la main sur un programme qui permettrait d’effacer son nom de toutes les bases de données du monde entier.

La saga Batman de Christopher Nolan présente plusieurs personnages féminins potentiellement intéressants, malheureusement ses personnages se retrouvent dans une attitude passive malgré leurs compétences (Rachel, Catwoman) ou bien s’avèrent être des traitresses (Anna Ramirez, Miranda/Talia).

Les films manquent également de personnages secondaires et de figurantes féminines… N’y a-t-il donc aucune femme à Gotham City ?

Les films de Nolan sont souvent pauvres au niveau de leurs personnages féminins, ceux n’existant pas réellement pour eux-mêmes mais simplement par rapport aux personnages masculins…

Le personnage de Mal dans Inception, correspond au même trope que Rachel, elle n’existe que pour enrichir le personnage de Cobb qui est torturé par sa disparition.

Au final, les personnages féminins de Nolan correspondent tous à des conventions scénaristiques traditionnelles : la damoiselle en détresse, la femme dans le frigo… Il est franchement dommage, alors que Nolan est reconnu pour l’originalité de ses scénarii que ses personnages féminins soient aussi conventionnels. D’autant que ces conventions scénaristiques  sont sexistes et font passer les femmes au second plan…

On peut d’ailleurs remarquer que, dans Batman, les femmes ne sont pas les seules à souffrir de l’overdose de clichés…

Le film présente également une vision bien stéréotypée des populations non-blanches, les prisons d’Asie Centrale et la ligue des Ombres sont montrées de façon bien exotique et très défavorable au travers du prisme de l’imaginaire occidental. De la même façon, les pègres de Gotham sont afro-américaines ou italiennes…

Paradoxalement, si tous les méchants « mineurs » sont racisés, tous les méchants « majeurs » sont caucasiens : Crane, Ra’s Al ghul, Le Joker, Harvey Dent, Bane et Talia Al Ghul.  Et trois de ces méchants (Ra’s Al Ghul, Talia et Bane)  sont « whitewashés », c’est-à-dire, qu’alors qu’ils étaient racisés dans les comics, ils sont devenus blancs dans les films. Nous avons donc des hordes de méchants racisés (la ligue des ombres, la pègre de Gotham…) dirigés par des méchants blancs (Ra’s Al Ghul dans Batman Begins, Le Joker dans The Dark Knight, et Talia dans The Dark Knight Rises). On est complètement dans le trope de l’homme blanc qui guide les étrangers…

N’oublions le magnifique cliché du physicien russe, pas tellement insultant mais tellement éculé …

Nombreux sont les réalisateurs, producteurs et scénaristes qui continuent à diffuser des tropes sexistes et/ou racistes sans s’interroger sur le sens et leur véritable signification. Il s’agit d’un privilège de dominant que de se permettre de réutiliser des tropes racistes, homophobes ou sexistes sans les interroger…

Julie G.

Sur Batman, voir aussi sur ce site :

[1]L’essentialisme désigne des natures féminine et masculine différentes par essence, ce qui s’oppose au constructionnisme.

 

Les nouvelles adaptations de contes de fées sont-elles vraiment féministes ?

Montage-contes-de-féesLes contes de fées mobilisent le plus souvent des schémas profondément sexistes : les personnages féminins, généralement loués pour leur beauté et leur douceur, sont passifs tandis que les personnages masculins, héroïques et intelligents sont actifs dans l’histoire.

Faisant partie intégrante du patrimoine culturel occidental, les contes de fée ont souvent été adaptés de façon relativement fidèle[1] au cinéma, on peut citer La belle et la bête de Jean Cocteau en 1946, Peau d’âne de Jacques Demy en 1970, Le petit poucet de Michel Boisrond en 1972, et bien entendu les nombreux films Disney inspirés de contes de fées, tradition de la maison de production depuis Blanche-Neige et les 7 nains, leur tout premier long-métrage en 1937.

Sorti en 2001, Shrek des studios Dreamworks lance une nouvelle mode des contes de fées décalés et parodiés, suivrons des suites (Shrek 2, 3 et 4) et des films plus ou moins réussis (La Véritable Histoire du Petit Chaperon rouge en 2005, Cendrillon et le Prince (pas trop) charmant en 2007, La Véritable Histoire du chat botté en 2009 et Cendrillon au Far West en 2012).

Récemment Hollywood a commencé à sortir en série de nouvelles adaptations de contes de fées, façon film d’horreur gothique (Le chaperon rouge de Catherine Hardwick en 2010), épopée de fantasy (Blanche-neige et le chasseur de Rupert Sanders en 2012), comédie féerique (Blanche-Neige de Tarsem Singh en 2012) et film d’action gore (Hansel et Gretel : Chasseurs de sorcières). Sans compter que sortira courant 2013 le film Jack Chasseur de Géant de Brian Singer.

Inspirés de Cendrillon et sortis respectivement en 1998 et 2004, A tout jamais d’Andy Tennant et Ella au pays enchanté de Tommy O’Haver étaient déjà des précurseurs de cette nouvelle vague de contes de fée réadaptés.

Le point commun de ces contes de fées « réadaptés »[2] est qu’ils proposent des personnages féminins plus forts et plus actifs que dans les contes originaux ou les adaptations « traditionnelles », cela en fait-il pour autant des films féministes ?

Des héroïnes plus fortes et plus présentes

L’une des avancées principales des adaptations de contes de fées « nouvelle génération » est qu’ils présentent des personnages féminins plus forts, plus intelligents, plus développés et surtout plus actifs dans l’histoire.

Dans Ever After (A tout jamais), le personnage principal Danielle de Barberac est loin d’être douce et soumise comme son modèle Cendrillon. En effet, alors que la Cendrillon du conte est louée pour son obéissance, Danielle n’hésite pas à se rebeller contre sa belle-mère en allant libérer en cachette un serviteur que sa belle-mère a vendu pour payer ses dettes et va jusqu’à infliger un coup de poing à son odieuse belle-sœur. Danielle prend également le dessus sur plusieurs hommes (le prenant pour un voleur, elle inflige une correction au Prince, elle bat son meilleur ami au combat et parvient à se libérer de l’homme à qui elle a été vendue en le menaçant à l’épée).

vlcsnap-2013-03-25-19h24m59s202vlcsnap-2013-03-25-19h25m47s222vlcsnap-2013-03-25-19h25m51s23vlcsnap-2013-03-25-19h26m30s142La soumission, c’est plus ce que c’était…

Danielle est également présentée comme ayant des qualités morales et intellectuelles, elle lit énormément (notamment L’Utopie de Thomas More) et s’oppose au prince en lui parlant de mesures que l’on pourrait qualifier de sociales ou d’humanistes. Contrairement au personnage du conte dont la principale préoccupation est d’aller au bal et de rencontrer le Prince, Danielle souhaite améliorer la société et construire des universités accessibles à tous.

Dans le film Ella Enchanted (2001), la fameuse obéissance de Cendrillon est détournée : en effet, dans sa petite enfance, Ella reçoit d’une fée « le don d’obéissance » (gift of obedience) qui fait qu’à chaque fois que quelqu’un lui ordonne quelque chose, elle est obligée d’obéir. Là où dans le conte de Perrault, l’obéissance et la soumission de Cendrillon étaient présentées comme des qualités, dans Ella Enchanted le « don » d’Ella est clairement une malédiction dont elle cherche à se débarrasser tout au long du film. Elle parvient même à s’en libérer seule grâce à sa force de volonté.

Comme Danielle, Ella possède également des qualités morales et intellectuelles, elle est une brillante étudiante avec des engagements politiques (elle n’hésite pas à manifester contre le pouvoir en place).

Danielle et Ella sont toutes les deux opposées à leur Prince charmant la première fois qu’elles le rencontrent, car il n’est pas en accord avec leurs opinions politiques.

La Blanche-Neige de Blanche-Neige et le chasseur et celle de Mirror Mirror deviennent toute les deux des héroïnes d’action (l’une récupère son trône à la tête d’une armée et l’autre devient voleuse de grand chemin) tout comme Gretel qui devient chasseuse de sorcière. Ce sont donc des femmes physiquement fortes qui savent se battre. De plus ce qui motive la Blanche-Neige de Mirror Mirror à combattre la méchante Reine n’est pas son propre sort mais celui de son peuple oppressé par les impôts…[3]

Snow-White-(10)Blanche-Neige avant… vlcsnap-2013-03-27-17h31m23s184vlcsnap-2013-03-27-17h28m37s60Et BlancheS-NeigeS après…

Valérie, l’héroïne du petit chaperon rouge est moins active physiquement mais reste cependant au centre de l’histoire qui est racontée de son point de vue. Le personnage et ses contradictions sont développés, Valérie s’interroge sur sa violence et sur côté « sauvage » qu’elle pourrait avoir en elle. Le personnage de la grand-mère est également un personnage fort et indépendant. Le personnage de la mère qui peut sembler antipathique au premier abord (elle veut absolument marier sa fille contre son gré au fils d’un homme riche) est lui aussi développé et nuancé.

Les personnages féminins ne sont plus réduits au stéréotype de la damoiselle en détresse qui attend que son prince vienne la sauver, les scénaristes jouent même à renverser les clichés avec des personnages féminins qui volent au secours de leur prétendant.

L’émancipation des femmes passe forcément par les hommes

Il est franchement agréable de voir des personnages féminins actifs et même héroïques cependant il faut cependant constater un sérieux bémol dans ce féminisme apparent et revendiqué… C’est pratiquement toujours un homme qui permet à l’héroïne de s’émanciper.

Danielle et Ella tiennent toutes les deux leur culture et leurs engagements politiques de leur père qui les a éduquées après la mort de leurs mères. Ce sont des pères tendres et affectueux mais qui restent quand même dans le traditionnel rôle du « mentor », le père qui détient le savoir et inspire la vocation. C’est principalement grâce à eux si leurs filles sont capables de se défendre face à l’adversité. Si ce n’est pas le Prince qui vient libérer Danielle à la fin d’Ever After, c’est cependant grâce à son père qu’elle parvient à se libérer, car c’est lui qui lui a enseigné le combat à l’épée.

C’est le chasseur qui apprend à la Blanche-Neige à se battre et à se défendre, c’est précisément le mouvement de défense qu’il lui enseigne qui permet à Blanche-Neige de tuer la méchante reine.

Pareillement, les 7 nains de Mirror Mirror entraînent Blanche-Neige à devenir une combattante et une voleuse.

Gretel est un cas à part puisqu’apparemment elle et son frère ont appris ensemble à devenir des chasseurs de sorcière. Cependant, malgré ses qualités de combattante, elle se retrouve deux fois dans le cas de figure de la damoiselle en détresse, contrairement à son frère.

Valérie se retrouve également dans le cas de la damoiselle en détresse que ses deux fiancés viennent secourir, toujours cette idée que c’est le devoir de l’homme de protéger sa partenaire et surtout que les femmes ont besoin d’être secourues…  De plus, Valérie est la proie du loup qui veut l’emmener pour qu’elle devienne à son tour un loup-garou, elle est donc malgré elle un objet de convoitise.

C’est une avancée non-négligeable d’avoir des personnages féminins forts et actifs qui sont des moteurs de l’histoire. Cependant, il est dommage que cette force vienne systématiquement des hommes. Les contes de fées ainsi que les Disney apprennent aux petites filles à être dépendantes des hommes pour régler leurs problèmes. La psychothérapeute et écrivain Colette Dawling a d’ailleurs qualifié de « Complexe de Cendrillon » la peur de l’indépendance et le désir d’être prise en charge par autrui des femmes[4].

Si les personnages féminins des adaptations « nouvelle génération » gagnent en indépendance vis-à-vis des hommes, cette indépendance se fait paradoxalement toujours grâce à un homme ! Comme s’il était impensable qu’une femme obtienne son indépendance seule ou grâce à la solidarité féminine !!!

La femme puissante, un ennemi à détruire

Si les films cités précédemment ont pour point commun d’avoir des héroïnes fortes, ils ont aussi en commun d’avoir le plus souvent pour méchants des femmes puissantes.

Il est relativement logique que les films aient conservé les antagonistes des contes originaux. Cependant, le traitement à l’écran de ces méchantes est loin d’être anodin.

Dans Ever After, la belle-mère de Danielle/Cendrillon, la baronne de Ghent, est une femme ambitieuse et froide qui tient absolument à marier sa fille aînée au Prince. Si le personnage n’est pas très développé, le jeu d’Anjelica Huston laisse cependant apparaître quelques faiblesses qui donnent au personnage une certaine humanité. Comme pour les deux belles-mères de Blanche-Neige, la vie avec la belle-mère devient un enfer alors que la vie avec le père était heureuse…

Dans Ella Enchanted, la belle-mère, mais surtout les belles-sœurs de Ella sont absolument caricaturales : cruelles, superficielles et manipulatrices. Le fan-club du Prince Charmant, composé notamment des belles-sœurs d’Ella est un regroupement de femmes hystériques, ridicules et superficielles. Quel est l’intérêt de créer un personnage féminin intéressant et nuancé si c’est pour le présenter comme une « exception » au milieu des femmes superficielles ?

 vlcsnap-2013-03-27-18h16m33s132vlcsnap-2013-03-27-18h16m47s28L’éternel féminin, hystérique devant un homme…

La Reine Clementianna, la méchante belle-mère de Blanche-Neige dans Mirror Mirror est une femme superficielle, obsédée par son apparence physique, qui a ruiné le pays à force d’organiser d’extravagantes fêtes. Elle convoite ardemment le prince Charmant, à la fois pour son physique et pour son argent. Sa superficialité la pousse à la manipulation et à la cruauté puisque c’est ce qui la pousse à faire tuer Blanche-Neige. Ce personnage est relativement proche du personnage du conte, puisque la Belle-Mère décide de faire exécuter Blanche-Neige par pure jalousie.

Dans une séquence du film, on voit tous les traitements barbares que la Reine s’inflige afin de rester jeune, cette séquence se veut une critique de la société actuelle ou les femmes s’imposent les produits et les traitements les plus délirants pour rester jeunes. Sauf que dans le film, si la reine fait cela, c’est tout simplement parce qu’elle fondamentalement superficielle. Dans la vie réelle, si les femmes sont obsédées par leur apparence physique, c’est parce que la société patriarcale et les grandes marques de cosmétiques font peser une pression énorme sur les femmes, les enjoignant à une perfection physique inaccessible. Notons que le message du film n’est pas que la beauté physique est secondaire, puisque Blanche-Neige et son prince se démarquent tout de même par leur beauté. Le film nous enseigne ainsi, conformément au discours aphrodiste traditionnel[5], que l’apparence physique est capitale mais qu’il ne faut pas s’en préoccuper !

Au contraire, dans Blanche-Neige et le chasseur, les motivations de Ravenna, la méchante Reine sont beaucoup plus développées et le rôle du patriarcat dans la souffrance des femmes est beaucoup plus explicite. Elle a beaucoup souffert de la main des hommes et a reçu par sa mère un sortilège qui fait de sa beauté son arme principale (sa beauté et sa jeunesse sont liées à ses pouvoirs, si elle vieillit elle perd ses pouvoirs). Les souffrances subies par Ravenna à cause des hommes permettent d’expliquer sa haine des hommes et pourquoi sa beauté est aussi importante pour elle. Elle est sa seule arme pour se défendre, ou du moins elle en est persuadée après ce que lui a dit sa mère. On peut voir dans le film une critique du fait que l’on fasse croire aux femmes que leur seul pouvoir passe par leur apparence, fait qui est tellement bien intégré par les femmes qu’elles le relayent. Elle n’est donc pas comme Clementianna un être vain et superficiel mais un être en souffrance qui se sert de son physique comme une arme, car c’est la seule qu’elle pense avoir.

vlcsnap-2013-03-27-17h38m43s234vlcsnap-2013-03-27-17h38m52s65vlcsnap-2013-03-27-17h39m32s197

Ravenna correspond donc au trope de la vamp ou de l’Evil Demon Seductress[6], un personnage qui utilise sa sexualité et sa séduction pour manipuler et dominer les hommes. Ce trope est problématique à plusieurs égards :

Il suggère que les belles femmes ont le pouvoir sur les hommes. En réalité une belle femme aura globalement plus de chances d’être une victime de harcèlement sexuel qu’une femme qui qui pourra manipuler n’importe quel homme à loisir… Ce trope tend à faire passer les hommes pour des victimes de la domination des femmes alors que c’est le plus souvent l’inverse.

Il suppose également que la seule arme d’une femme est sa séduction et qu’il est impossible qu’une femme réussisse par son intelligence ou son talent. Cette arme est d’ailleurs entièrement dépendante de l’homme et de son regard, malgré sa prétendue puissance, la femme se définie toujours par rapport à l’homme. Cette partie du trope est cependant relativement nuancée par le film puisque Blanche-Neige réussi à vaincre la méchante reine sans trop utiliser sa séduction (ce qui est logique puisqu’il s’agit d’un duel entre femmes).

De plus la vamp ou Evil demon seductress est généralement complètement déconnectée de sa sexualité, il ne s’agit que d’une arme et non pas quelque chose qu’elle peut apprécier…

Sans compter qu’il entretient le mythe de l’homme dominé par ses instincts est non seulement dégradant pour les hommes mais peut également servir de justification au viol.

De la même façon la principale méchante de Hansel et Gretel chasseurs de sorcières peut prendre l’apparence d’une jolie femme afin de tromper et séduire ses victimes. De plus dans le film, les êtres maléfiques, les sorcières, sont par essence féminins et dominent les trolls, des êtres masculins, qui sont leurs serviteurs. Nous avons donc des personnages féminins, dont le chef peut prendre l’apparence d’une femme séduisante, qui exploitent et dominent des êtres masculins… Certes le film n’a absolument pas vocation à être réaliste mais alors que dans la réalité les femmes sont généralement dominées et victimes des hommes dans une société patriarcale, il est dérangeant de voir Hollywood tenter de nous faire croire que c’est l’inverse.

Les antagonistes masculins

Parmi ces films, deux présentent un antagoniste masculin : Ella Enchanted (les belles-mères et belles-sœurs sont des antagonistes secondaires, le méchant principal étant l’oncle du Prince) et le Chaperon Rouge qui présente deux antagonistes masculins : le grand-méchant loup/loup-garou qui est en fait le père de l’héroïne et le père Solomon, un prêtre extrémiste venu aider à chasser le loup-garou du village.

Le méchant d’Ella enchanted est un méchant relativement classique, inspirés des méchants des films de cape et d’épée et des méchants des dessins animés Disney. On retrouve ici dans l’attitude du personnage un certain maniérisme, de la coquetterie et une faiblesse physique. On retrouve le trope assez classique du méchant « dévirilisé »[7]. Parce qu’une héroïne peut avoir des qualités « masculines » mais il ne faudrait surtout pas qu’un homme ait des caractéristiques « féminines ».

Les méchants du Chaperon Rouge sont tout particulièrement intéressants puisqu’ils se rapprochent chacun d’une forme d’oppression sexiste. Le père de Valérie qui est en fait le loup-garou qui terrorise le village agresse sa femme pour la punir de son « infidélité » (elle était enceinte d’un autre homme lorsqu’ils sont se sont mariés) et le prêtre Solomon, qui possède des connaissances exactes et pertinentes sur les loups-garous mais tombe facilement dans l’extrémisme et les jugements hâtifs. La capture de Valérie rappelle les chasses aux sorcières qui avaient lieu en Europe entre le XVème et le XVIIIème siècle. Ces chasses aux sorcières étaient fondamentalement sexistes puisqu’elles ne concernaient que les femmes et accusaient celles-ci entres autres d’être trop émancipées par rapport aux hommes et d’être sexuellement trop libérées. Le père Solomon torture également un jeune homme handicapé mental à cause d’un indice mal interprété (il est persuadé que le jeune homme est un sorcier car il possède une carte de tarot).

De plus le film revient sur la difficile condition des femmes dans cet univers pseudo-médiéval. En effet, la mère de Valérie a été séparée de l’homme qu’elle aimait afin d’être mariée à un homme qu’elle n’aimait pas et s’apprête à imposer exactement la même chose à sa fille en croyant sincèrement faire pour le mieux. On retrouve ici une critique des présupposés sexistes qui ont été intégrés par les femmes au point qu’elles les imposent elles-mêmes à leurs propres filles. La grand-mère de Valérie suscite la suspicion des villageois car elle est indépendante et vit seule en dehors du village, on retrouve cette suspicion face aux femmes indépendantes et libres.

De manière générale le film propose une vision relativement nuancée de la virilité et de féminité. Par exemple la démonstration de virilité que veulent faire les hommes du village en allant tuer le loup est un échec cuisant, Henri, l’un des deux prétendants de Valérie qui au départ refuse de participer est entraîné car les autres hommes se moquent de lui en suggérant qu’il n’est pas assez viril. L’injonction à la virilité imposée par le plus grand nombre est donc directement source de catastrophes puisqu’Henri va perdre son père dans la bataille. Cependant le film n’évite pas certains lieux communs sexistes notamment dans le traitement de la relation entre Valérie et ses deux prétendants, en effet, ils considèrent qu’il est de leur devoir de la protéger. De plus Valérie a effectivement besoin d’être sauvée et quand il faut agir ce sont les hommes qui s’en chargent…

Cependant la relation entre Valérie et Peter est relativement équilibrée, puisque à plusieurs reprises c’est elle qui prend l’initiative.

On peut considérer que les nouvelles adaptations de contes de fée sont un réel progrès par rapport aux anciennes adaptations et même à un certain nombre d’héroïnes… Cependant, ces nouvelles adaptations ne sont pas dépourvues des vieux stéréotypes notamment ceux associés aux antagonistes féminines et si on donne de la puissance et de l’indépendance aux héroïnes, on réaffirme cependant qu’elles les doivent à la bonne volonté de personnages masculins.

Julie G.


[1] Quand je dis de façon de façon relativement fidèle, je veux dire que la structure du conte ainsi que son ambiance générale sont conservés même si des détails sont modifiés ou rajoutés.

[2] Je ne compte pas Jack chasseur de géant qui vient de sortir en salle et que je n’ai pas encore vu.

[3] On remarquera quand même que si Danielle, Ella et la Blanche-Neige de Mirror Mirror souhaitent une amélioration des conditions de vie de leur peuple (et c’est tout à fait louable), le dit peuple attend sagement qu’une princesse viennent prendre le pouvoir et arrêter l’oppression. Dans Blanche-Neige et le chasseur le peuple participe activement à sa propre libération, mais attend tout de même d’être guidé par la souveraine légitime avant d’enfin renverser le pouvoir en place.

[5] http://www.lecinemaestpolitique.fr/en-finir-avec-laphrodisme-au-cinema/

Spring Breakers

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Film évènement de cette année, Spring Breaker d’Harmony Korine a fait couler beaucoup d’encre, notamment en montrant des actrices affiliées aux productions Disney hyper-sexualisées et en train de consommer de la drogue à l’écran. Au-delà de la polémique et de la publicité, qu’en est-il vraiment de Spring Breakers ?

The sujet de Spring Breakers ne semble qu’être un prétexte afin de montrer un maximum de corps féminins hyper-sexualisés, le réalisateur multiplie à l’excès les gros plans sur les fesses et les poitrines dénudées des participantes. Le film se situe ainsi typiquement dans la mouvance qui consiste à montrer et à sur-sexualiser le corps des femmes. Mouvance qu’on retrouve à l’excès dans la pub et dans le clip vidéo. Les femmes présentées sont ainsi « charcutées », réduites à une seule partie de leur corps.

De la même façon quand les femmes ne sont pas réduites à une seule partie de leur corps, elles sont présentées dans des positions de soumissions conformes aux fantasmes masculins. Leur corps est utilisé pour boire de l’alcool ou consommer de la drogue. Le danger de cette mouvance est que la femme n’est pas sujet mais objet. Elle ne contrôle pas sa propre sexualité, elle se contente d’être un objet du désir masculin. Le semble présenté le fait d’être un objet sexuel comme l’amusement  et la libération absolu pour les femmes…

De la même façon, Spring Breakers montre un certain nombre d’actes sexuels, simulés ou réels, présentés dans le film comme hautement subversifs et libérateurs qui sont en fait des fantasmes « standardisés » que l’on retrouve très fréquemment dans les médias. Ainsi Brit et Candy veulent « de la bite », on retrouve des simulations de fellation, des filles qui s’embrassent et se caressent en public et du triolisme entre Brit, Candy et Alien. On remarquera que tous ces fantasmes sont tous très phallocentrés, certes une femme peut éprouver du plaisir à faire une fellation mais l’érotisme que l’on nous présente dans les médias tend à faire rapporter la sexualité au pénis et à la pénétration. Par exemple, les traitements dans les médias du cunnilingus et de la fellation sont très différents, alors qu’on peut considérer que ce sont deux pratiques « équivalentes ».

On remarquera également la traditionnelle utilisation de la sexualité lesbienne pour exciter les hommes…

Une des scènes les plus édifiantes du film est quand Brit et Candy volent chacune un pistolet à Alien afin de le dominer et de l’humilier, le gangster se retrouve à simuler une fellation sur le pistolet que Brit tient au niveau de son entrejambe pour simuler un pénis en érection. Si l’inversion des rapports de pouvoir peut sembler hautement subversive, la séquence ne fait que répéter des idées bien intégrées dans l’inconscient collectif. La fellation comme acte de soumission/humiliation, l’idée que le pouvoir se rapporte au pénis et que pour avoir le pouvoir la femme a besoin d’un substitut de pénis (ici un pistolet)…

Il y a beau avoir quatre actrices au générique de Spring Breakers, aucun des quatre personnages principaux féminins n’est vraiment  développé ou nuancé… Paradoxalement, c’est le personnage masculin et le personnage principal ayant le moins de présence à l’écran qui est le plus développé, on en sait plus sur Alien que sur aucune des quatre filles. Rien n’explique pourquoi les quatre filles et surtout Brit et Candy partent à la dérive de cette façon.

Alors qu’il semble être un divertissement rebelle et sulfureux, Spring Breakers ne fait que réaffirmer des idées rétrogrades et bien patriarcales… On est bien loin de la rébellion…

Julie G.

Sexisme aux Oscars 2013

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La cérémonie des oscars 2013 fut animée par l’acteur, réalisateur et scénariste Seth McFarlane, créateur notamment de la série American Dad et du film Ted. La cérémonie fut un festival de blagues racistes (faire semblant de confondre Denzel Washington et Eddie Murphy), antisémites (tout un sketch entre Ted et Mark Walhberg sur les juifs qui domineraient Hollywood…), homophobes (après avoir interprété une chanson avec le Gay Men’s Chorus of Los Angeles, McFarlane insiste bien sur le fait qu’il n’est pas gay) et surtout sexiste.

Le site Buzzfeed s’est même amusé à comptabiliser les pires blagues sexistes de McFarlane durant la cérémonie : http://www.buzzfeed.com/hillaryreinsberg/sexist-things-at-the-oscars

Certaines blagues étaient simplement sexistes : des commentaires sur le poids de la chanteuse Adèle et sur la supposée pilosité faciales des Kardashians, déclarer que Jennifer Aniston est une ancienne stripteaseuse, annoncer que la prochaines cérémonie des Oscars sera animée par Salma Hayek et Penelope Cruz, que l’on ne comprendra rien mais c’est pas grave parce « qu’elles sont tellement belles », déclarer que le film Zero Dark Thirty est la preuve que les femmes sont rancunières…

Mais d’autres étaient bien plus choquantes…

« This is the story of a man fighting to get back his woman who has been subjected to unthinkable violence or as Chris Brown and Rihanna call it, a date movie. Oh. Oh, no. No, that’s what we were afraid he would do ». 

(En parlant de Django Unchained) : « C’est l’histoire d’un homme qui se bat pour récupérer sa femme qui a subi des violences impensables ou selon Chris Brown et Rihanna, un film romantique ? Oh. Oh, non. Non, ça c’est ce que nous craignons qu’il fasse. »

La violence conjugale, un sujet de plaisanterie hilarant.

Lors d’un sketch avec Ted, l’ours en peluche du film, ce dernier demande à Mark Walhberg ou aura lieu l’orgie post-cérémonie… Celui-ci lui répond qu’elle aura lieu dans la maison de Jack Nicholson. Impayable référence au viol d’une adolescente de 13 ans par Roman Polanski en 1977, précisément à cet endroit-là.

Et tant qu’à rester sur désopilant sujet de la pédophilie autant suggérer que la jeune nominée Quvenzhané Wallis (9 ans) sera dans 16 ans trop vieille pour George Clooney.

Mais le pire de la cérémonie fut très probablement la chanson « We saw your boobs » chantée par McFarlane.

Dans cette chanson, McFarlane fait la liste des actrices présente dans la salle dont il a vu la poitrine dénudée dans un film.

http://www.youtube.com/watch?v=NTKEDXNQAcc

« We saw your boobs in the movie that’s what we saw we saw your boobs. Meryl Streep we saw them in « Silkwood » and Naomi Watts in « Mulholland Drive » and Angelina we saw them in « Gia. » Anne Hathaway we saw them in « Brokeback Mountain. » And Halle Berry in « Monster’s Ball. » Nicole Kidman in « Eyes Wide Shut » and Marisa Tomei but not Jennifer Lawrence’s at all. We saw your boobs. We saw your boobs. Kristen Stewart we saw them « On the Road » and we saw Charlize Theron’s. Helen Hunt we saw them in « The Sessions. » Scarlett Johansson we saw them on our phones. Jessica Chastain we saw your boobs in « Lawless. » Hilary Swank and Kate Winslet in « Heavenly Creatures » and « Hamlet » and « Titanic » and whatever you’re in right now we saw your boobs. Ladies and gentlemen, the gay men’s chorus of Los Angeles. We saw your boobs we saw your boobs, boobs. We saw your boobs, we saw your boobs. »

Non content de réduire allègrement la prestation et le talent de ces actrices à leur physique (et même à une partie de leur physique) McFarlane se permet de d’intercaler dans sa chanson des images d’actrices choquées laissant croire qu’elles sont scandalisées par sa prestation… Parce que c’est bien connu les femmes n’ont aucun humour. Sauf que si on compare les robes de la vidéo et celles des actrices lors de la cérémonie on s’aperçoit que ce ne sont pas les mêmes, les réactions des actrices ont été préenregistrées, probablement sur d’autres cérémonies.

http://nymag.com/thecut/2013/02/charlize-jlaw-and-naomi-react-to-the-boob-song.html

Il est intéressant de noter que nombre des films cités par McFarlane ou des actrices apparaissent seins nus sont des films sur le viol ou dépeignant un viol.

C’est le cas de Monster avec Charlize Theron, de Boy’s don’t cry avec Hilary Swank, de Monster’s Ball (A l’ombre de la haine) avec Halle Berry et de The Accused (Les Accusés) avec Jodie Foster.

Apparemment tout ce que Seth McFarlane retient d’une scène de viol, ce sont les seins de l’actrice principale.

http://www.feministes-radicales.org/2013/02/26/rape-joke-quand-les-virils-font-de-lhumour/

http://www.salon.com/2013/02/26/we_saw_your_boobs_is_a_celebration_of_rape_on_film/

La référence aux photos volées de Scarlett Johansson est également dérangeante, doit-on rappeler que le vol et la diffusion de ces photos sont une agression sexuelle et une atteinte à sa vie privée ? Il est choquant de voir que les gens n’hésitent pas à se moquer des violences sexuelles alors qu’on ne plaisanterait pas avec une agression à caractère non sexuel.

Heureusement certainEs se sont révoltés contre le sexisme de McFarlane, la sénatrice Hannah-Beth Jackson et Bonnie Lowenthal, membre de l’assemblée d’Etat de Californie, toutes deux démocrates ont écrit une lettre réclamant le désaveu de Seth McFarlane par l’académie des Oscars.

La comédienne ouvertement féministe Jane Fonda a violemment critiqué la chanson et suggéré que la réciproque listant les pénis des hommes soient également faite.

http://www.huffingtonpost.com/2013/02/28/jane-fonda-seth-macfarlane-boobs_n_2783839.html

Ce qui a effectivement été fait par le site « Tastefully offensive » avec une chanson intitulée « we saw your junk ».

http://www.tastefullyoffensive.com/2013/02/we-saw-your-junk-seth-macfarlane-oscar.html

Julie G.

Whitewashing et Racebending

Alors que j’écrivais mon article sur Hunger Games, je suis retombée sur la polémique provoquée aux États-Unis par le casting. En effet, lorsque certains fans du livre ont découvert que les acteurs interprétant Rue, Thresh et Cinna (les deux tributs du district 11 et le styliste de Katniss) étaient interprétés par des acteurs noirs américains (Amandla Steinberg, Dayo Okeniyi et Lenny Kravitz), des propos haineux sont apparus sur le web.

Une avalanche de tweet racistes, mentionnant notamment le personnage de Rue, plus importante dans l’histoire que les deux autres, ont suivi cette « révélation ». Pourtant Rue est décrite dans le livre comme étant « une petite fille de douze ans venant du district 11. Elle avait une peau et des yeux brun foncés »  « […], a twelve-year-old girl from District 11. She has dark brown skin and eyes, […]. » Il est donc logique de choisir une petite fille afro-américaine pour interpréter le personnage. L’auteure du livre elle-même, a confirmé que Rue était bien noire.

De la même façon, Thresh est décrit comme ayant la peau et yeux brun foncés.

Seul Cinna interprété par Lenny Kravitz diffère foncièrement de la description qui est faite du personnage dans le livre, puisque que Cinna est supposé avoir une vingtaine d’années et être, caucasien, brun avec des yeux verts.

Cependant, si le physique de Rue a déclenché une polémique, rares sont ceux qui se sont émus du choix de Jennifer Lawrence pour interpréter Katniss. Dans le livre, Katniss est décrite comme ayant la peau mate et de longs cheveux noirs. Cependant, le casting n’était ouvert qu’aux actrices caucasiennes et l’actrice finalement choisie pour le rôle est claire de peau et aux cheveux auburn.

On pourrait objecter que Primrose, la petite sœur de Katniss est blonde avec une peau claire et donc que choisir une actrice à la peau foncée créerait un trop grand décalage pour qu’il soit crédible qu’elles soient sœurs… Cependant quitte à modifier le physique d’un personnage pour des questions de crédibilité, il serait logique de modifier le personnage secondaire et non pas le personnage principal.

Le « Whitewashing », qui consiste à considérer que dans une adaptation les personnages « ambigus » sur le plan ethnique sont quasiment toujours blancs, ou pire, à faire jouer par des acteurs caucasiens les personnages qui sont clairement non-caucasiens, est un problème global à Hollywood. Le fait de changer l’origine ethnique d’un personnage s’appelle le « racebending ». S’il a généralement tendance à blanchir des personnages, le racebending, peut consister à faire jouer des personnages originalement blancs par des acteurs non-caucasiens. Le site « Racebending » analyse de nombreux exemples de whitewashing et de racebending, le racebending étant bien entendu beaucoup plus rare que le whitewashing, sans compter que dans une majorité d’œuvres originales les personnages sont blancs.

Paradoxalement, le film Hunger Games pratique le racebending dans les deux sens puisque le personnage de Katniss, qui est supposée avoir la peau mate est interprétée par une actrice a la peau claire (whitewashing) et qu’à contrario le personnage de Cinna qui est supposé être blanc est interprété par un acteur noir (racebending).

Le problème du Whitewashing est loin d’être le problème d’un seul ou d’un seul studio.

Par exemple le film Prince of Persia est supposé mettre en scène des personnages venant de Perse, soit l’actuel Iran, on pourrait donc s’attendre à des acteurs pas forcément iraniens, mais ayant au moins un physique moyen-oriental… Or le seul personnage étant interprété par un personnage au physique un tant soit peu oriental est… le méchant.

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On retrouve le même problème dans l’adaptation de la série Avatar, le dernier maître de l’air :

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De nouveau, tous les personnages sont « éclaircis » sauf le méchant qui est interprété par un acteur d’origine indienne.

Source de l’image : http://colorlines.com/archives/2010/07/whitewashing_of_hollywood.html

Plus grave encore, Hollywood blanchit des personnages ayant réellement existés dans les films qui leur sont consacrés.

Le film Argo, sorti en 2012 raconte comment l’agent de la CIA Tony Mendez a permis de faire sortir 6 personnes d’Iran lors de la crise des otages en 1979. Mendez était de diverses origines ethniques et notamment mexicaine avec un physique très latino-américain.

CarterTony Mendez (à gauche) avec le président américain Carter.

Dans le film, Mendez est interprété par Ben Affleck et le premier choix pour le rôle était Brad Pitt. Si le personnage réel était d’origine mexicaine, pourquoi choisir des acteurs caucasiens pour l’interpréter ?

De plus un personnage ayant joué un rôle important lors de la crise des otages est complètement absent du film : Julio, le partenaire de Tony Mendez qui est parti avec lui en Iran.

Sources : http://www.racebending.com/v4/history/missed-opportunities-justifications-argo/

http://www.pajiba.com/seriously_random_lists/mindhole-blowers-what-couldve-been-edition-early-casting-choices-for-twenty-2012-films.php?utm_source=zergnet.com&utm_medium=referral&utm_campaign=zergnet_41988

Une autre dérive du whitewashing est de faire interpréter des personnages « ethniques » par des acteurs caucasiens maquillés, comme Angelina Jolie qui interprète la journaliste Mariane Pearl dans le film « A mighty Heart ». Si même les rôles ethniques sont donnés à des acteurs blancs maquillés, quels rôles reste-il aux acteurs non-caucasiens ?

A l’opposé, mais beaucoup plus rare certains personnages originellement blancs dans les œuvres originales sont « ethnicisés » dans les adaptations cinématographiques. On peut citer par exemple la série « Elementary », avec dans le rôle du Dr Watson, une femme asiatique, Lucy Liu, qui est à la fois un racebending et un genderbending (changement de genre) ou le film Thor avec le comédien Idris Elba dans le rôle du Dieu Nordique Heimdall.

D’autres exemples et pour aller plus loin :

Le site Racebending qui analyse le racebending et le whitewashing à Hollywood

http://www.racebending.com/v4/

Le site Colorlines qui étudie les questions de racisme en général, avec notamment un article sur le whitewashing à Hollywood :

http://colorlines.com/archives/2010/07/whitewashing_of_hollywood.html

Le whitewashing à la française avec Gérard Depardieu qui interprète Alexandre Dumas :

http://www.rue89.com/2010/02/09/quand-le-cinema-francais-blanchit-alexandre-dumas-137510

Divers :

http://herocomplex.latimes.com/uncategorized/racebending/

http://www.geekquality.com/hollywood-whitewashing/

http://www.filmjunk.com/2010/06/02/why-hollywoods-lazy-whitewashing-must-end/

http://abcnews.go.com/Entertainment/story?id=4991235&page=1

http://www.salon.com/2012/05/14/whitewashing_a_history/

http://www.tor.com/blogs/2011/03/whitewashing-akira-wheres-the-hollywood-wakeup-call

http://www.youtube.com/watch?v=Qv3wjBXhq1E

http://www.wellesleynewsonline.com/arts/whitewashing-the-hunger-games-1.2841780#.URUrhmdWO0d

Julie G.

Hunger Games (2012) : « Puisse le sort vous être toujours favorable »

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La dictature totalitaire comme miroir d’une réalité économique ?

Dans un futur indéterminé, une nation autoritaire et totalitaire[1], Panem, s’est construite sur les cendres de l’Amérique du Nord. Elle est composée de 12 districts, chacun spécialisé dans un domaine de production particulier, et d’une capitale, « Le Capitole ».

Les Hunger Games naquirent après que la rébellion du 13ème district fut violemment réprimée, afin de rappeler aux habitants de Panem ce qu’il en coûte de s’en prendre au Capitole.

Le système politique de Panem comprend des éléments appartenant aux régimes autoritaires et totalitaires antiques et modernes.

Les Hunger Games ont une double utilité, il s’agit d’un instrument d’oppression envers les populations des districts, les obligeant à offrir un tribut et donc à vivre dans la peur, d’être choisi ou de perdre un proche, mais également d’un moyen de divertissement pour la population du Capitole.

Comme nous le verrons plus bas, les Hunger Games sont inspirés des jeux du cirques romain et plus particulièrement des combats de gladiateurs. Cependant, les jeux romains n’étaient pas utilisés comme un instrument de terreur sur la population, mais plutôt comme un divertissement. Tandis que les Hunger Games sont clairement utilisés dans un but répressif, les jeunes gens tirés au sort pour participer étant appelés « tributs » (rappelons qu’un tribut est à l’origine une contribution matérielle donnée en signe de soumission ou d’allégeance). En prenant les enfants des districts, Le Capitole assoit son pouvoir. Les Hunger Games servent aussi à divertir le public du Capitole au dépend des districts dont les enfants vont mourir.

La peur et la répression sont des éléments fondamentaux des dictatures et régimes totalitaires, et les Hunger Games cristallisent ces deux éléments en les poussant à leur paroxysme. Cependant le régime totalitaire et la dictature transparaissent au travers d’autres éléments.

Les pacificateurs sont une milice totalitaire utilisée pour surveiller, contrôler et réprimer la population. L’utilisation d’une milice, de la police ou de l’armée pour surveiller et réprimer la population est un élément récurrent dans les systèmes autoritaires et totalitaires (on peut songer aux SS en Allemagne Nazie ou au KGB dans la Russie Soviétique). Lors des séquences se déroulant dans les districts, les pacificateurs apparaissent de temps à autre à l’image pour rappeler la surveillance à laquelle sont soumis les habitants de Panem.  De même, ils interviennent pour écraser l’insurrection qui suit la mort de Rue dans le district 11.

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De la même façon, les barbelés qui entourent Panem sont un symbole fort et clair du manque de liberté de la population.

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L’utilisation de la propagande[2] est elle aussi vivement critiquée tant dans le film que dans le livre. Lors du tirage au sort, un film propagandiste (c’est-à-dire utilisant des mensonges dans le but de servir une idéologie précise) est diffusé aux potentiels tributs et aux spectateurs. De la même façon l’expression « Happy Hunger Games » et la gaîté de la présentatrice alors qu’il s’agit pour la majorité de la population d’un évènement atrocement triste sont un exemple frappant de propagande.

Bien qu’il en partage des éléments clés (la milice, les barbelés, la propagande, la misère du peuple…), le régime totalitaire de Panem ne s’apparente à aucun régime totalitaire existant ou ayant existé.

Etroitement lié à ce régime totalitaire, le  système économique est foncièrement inégalitaire : les 12 districts de Panem sont chacun spécialisés dans un domaine de production précis et contrôlés par le Capitole. Le Capitole est la partie la plus riche du Pays, puis la richesse des Districts décroit en fonction de leur rangs : les districts 1 et 2, spécialisés respectivement dans le luxe et la maçonnerie sont les plus riches, tandis que les districts 11 et 12, spécialisés dans l’agriculture et la mine sont les plus pauvres. Comme le livre, le film insiste sur l’extrême misère du district 12 qui contraste violemment avec l’opulence du Capitole.

Bien qu’il puisse s’agir d’un prétexte scénaristique ou d’une critique de la dictature en général, selon moi, la dictature du Capitole est une métaphore du système économique actuel.

La dictature serait donc une métaphore du manque de choix où se trouvent les gens dans la misère. En effet de nombreuses personnes ont la « liberté » de s’en sortir (dans le sens ou aucune loi ne les en empêche), mais aucune possibilité réelle de s’en sortir car ils sont entièrement enfoncés dans la misère. L’exploitation des districts par le Capitole correspondrait alors à l’exploitation des populations par les classes dominantes. Les districts ne sont pas tous exploités de la même façon tout comme les populations ne sont pas exploitées au même niveau.

vlcsnap-2013-01-15-15h37m13s249De la misère du district 12…

vlcsnap-2013-02-07-22h01…au fastes du Capitole.

Je vois surtout dans Hunger Games, une critique du déterminisme social et de l’exploitation. En effet, un enfant qui nait dans un district ne pourra jamais quitter son district et s’il a eu le malheur de naître dans un district pauvre il ne pourra jamais en sortir.

Le seul moyen de devenir riche pour un enfant venant d’un district pauvre est de gagner les Hunger Games, et théoriquement les chances sont les mêmes pour tous. Cependant, les enfants des districts riches, les tributs de carrière, ont reçu un entraînement depuis leur enfance et sont bien nourris tandis que les autres étaient principalement occupés à essayer de ne pas mourir de faim. De ce fait, les gagnants des Hunger Games sont principalement des gens venants des districts riches. Sur 74 éditions, il n’y a qu’un seul gagnant du district 12.

On retrouve ce déterministe dans la réalité. Dans les pays développés, les enfants venant de familles riches ou même aisées ont plus de chance de réussir dans la vie que les enfants venant de familles pauvres…[3] Il existe certes des exemples de « self-made men » qui ont réussi en étant partis de rien, mais cela reste rare. De la même façon, la formule « Puisse le sort vous être toujours favorable »  semble fondamentalement ironique, car si en théorie les chances entre les tributs sont égales (interdiction de s’entraîner avant les jeux), en pratique les tributs de carrière s’entraînent effectivement avant les jeux.

En plus du déterminisme social, la notion d’exploitation est très présente dans le livre comme dans le film, puisque le Capitole « exploite » les districts qui travaillent pour lui. On retrouve ce rapport entre exploitants et exploités dans de nombreuses entreprises, notamment les entreprises qui sont délocalisées dans les pays pauvres pour employer des enfants. La notion du plus grand nombre de gens qui travaillent pour que seule une petite partie de la population en profite résonne comme une métaphore du monde actuel puisque qu’on sait que 10% des habitants les plus riches de la planète possèdent 83% de la richesse mondiale[4].

La métaphore du capitalisme comme dictature répressive permet d’illustrer les principaux travers du capitalisme (l’exploitation, les populations réduites à la misère) mais présente deux défauts majeurs.

La métaphore est caricaturale et n’intègre pas tous les éléments du Capitalisme dans sa critique comme par exemple la concurrence entre entreprises ou les échanges internationaux.

Et surtout, le fait que le régime soit une dictature porte à confusion. Si le film dépeint un système oppresseur basé sur l’exploitation, le capitalisme est quant à lui, par définition, basé sur le libre-échange et la libre concurrence. Le fait d’utiliser la dictature semble paradoxalement dédouaner le capitalisme en rejetant la faute sur le système policier.

La violence et son spectacle 

L’utilisation des Hunger Games comme instrument de divertissement rappelle la Rome antique impériale et ses jeux du cirque ainsi que des combats de gladiateurs. Le nom de « Panem » vient d’ailleurs très probablement de l’expression du poète satyrique romain Juvénal : « Panem et circenses » qui signifie littéralement « Du pain et des jeux ». Dans la Rome antique, les gladiateurs étaient soient des professionnels biens entraînés, soient des esclaves ou des prisonniers de guerre volontaires n’ayant d’autre choix pour changer de vie.

Aujourd’hui, la violence est non seulement très présente dans notre société (dans la fiction comme dans la réalité), mais elle devient même parfois un but, une fin en soi, comme par exemple dans le sous-genre du cinéma d’horreur qu’est le torture porn. En effet, dans ce genre de film, le scénario n’est généralement qu’un prétexte pour filmer les pires tortures infligées aux personnages. Pareillement, dans certains jeux vidéo, comme Grand Thief Auto ou Manhunt la violence n’est plus un moyen de survivre, d’affronter ses ennemis ou de réussir la quête mais la but même du joueur (celui-ci gagne des points en agressant ou en commettant des crimes).

Plus effrayant encore, le déferlement de la violence dans la vie réelle, qu’elle soit physique ou morale. Nombreux sont les personnes apparues à la télévision ou sur internet qui sont ridiculisée et moquées. Il existe des sites spécialisés en images violentes réelles comme des accidents, des tortures, des mutilations… Et un nouveau mouvement, le happy slapping, consistant à filmer l’agression d’une personne avec un téléphone portable et à diffuser ensuite les images sur le net. Internet, grâce à son anonymat et ses possibilités d’accéder à de multiples informations à favorisé ce déferlement de violence.

Lors d’une courte scène, le film interroge sur l’effet dans la vie réelle de tant d’exposition à la violence : alors qu’il est dans le Capitole pour dénicher des sponsors, Haymitch observe un petit garçon poursuivre et brutaliser sa petite sœur avec une épée.

Certaines études ont montré une corrélation entre l’exposition à la violence et les comportements violents ou agressifs dans la vie réelle[5].

Le livre Hunger Games dénonce clairement la violence des Jeux et le plaisir que prennent les spectateurs à regarder cette violence. Le fait que les participants aux Hunger Games aient entre douze et dix-huit ans exacerbe cette violence. Si les participants étaient des adultes, les Hunger Games seraient sans doute beaucoup moins terribles.

Adapter le film en livre présente un piège majeur : à l’image la violence est très souvent rendue photogénique et divertissante, comment adapter un livre qui présente des évènements violents pour dénoncer la violence sans valoriser celle-ci ?

A mon avis, le film réussit globalement à ne pas rendre la violence attractive à l’écran, notamment en ne s’attardant pas sur les scènes de combat et en cadrant volontairement serré afin que l’horreur de la situation ne soit pas montrée à l’écran mais exprimée par les personnages.

Là où l’horreur de la situation est la mieux exprimée est bien entendu la mort de Rue (qui est la plus jeune tribut). L’émotion de Katniss se répercute dans le district 11, soulevant un début de rébellion. Cependant lors de la mort des « anonymes » et surtout lors de la mort des tributs de carrière, l’émotion est loin d’être la même.

Les tributs de carrières sont clairement présentés comme des personnages antipathiques, brutaux et impitoyables : ils éprouvent de la joie à tuer et dans l’arène ce sont les ennemis majeurs de Katniss. Pourtant, ils sont eux-mêmes des victimes du système. Ils ont été élevés et entraînés dans l’optique de devenir des tueurs aguerris et de gagner la compétition. Dans le livre comme dans le film, les tributs de carrière sont déshumanisés, ils sont présentés comme des monstres n’ayant aucune émotion hormis le plaisir de tuer. Les seuls tributs que Katniss tue dans l’arène sont des tributs de carrière, leur déshumanisation sert-elle à justifier ou excuser le fait que Katniss devienne une tueuse ? Ou simplement à créer de « bons » méchants que le public pourra facilement détester ?

vlcsnap-2013-01-15-16h10m05s7Comment définir un personnage efficacement

Dans l’une de ses vidéos, la blogueuse féministe Anita Sarkeesian explique que lorsqu’elle a vu le film au cinéma, le public a manifesté de la joie lors de la mort de Clove, qui sauve Katniss et venge partiellement la mort de Rue. D’autant plus que Clove fait preuve d’une immense cruauté lorsqu’elle s’apprête à tuer Katniss avant que Thresh ne l’en empêche. Il est problématique que dans un film qui a pour but de dénoncer la violence, la mort brutale d’une enfant, aussi odieuse soit-elle, provoque la joie du spectateur.

Le film retombe donc malheureusement dans les travers qu’il cherche à dénoncer. En déshumanisant les tributs de carrières, il récrée un schéma relativement manichéen de « gentils » et de « méchants », où les méchants doivent être vaincus par les gentils, alors que le réel « ennemi » est le système entier. Les tributs de carrière sont des victimes de ce système et le film aurait gagné à critiquer plus ce formatage d’adolescents en machines de guerre.

vlcsnap-2013-01-15-16h55m05s118vlcsnap-2013-01-15-16h55m20s24vlcsnap1Mais ne l’avait-elle pas un peu mérité ?

Il est intéressant de voir que Cato, le principal antagoniste, le tribut de carrière le plus brutal et dangereux est finalement humanisé à la toute fin du film (un élément qui n’apparaissait pas dans le livre), regrettant cette éducation à tuer qui est peut-être finalement aussi atroce que la misère dans laquelle ont grandi les autres tributs. Malheureusement, cette humanisation arrive un peu tard et aurait mérité une meilleure introduction…

vlcsnap-2013-01-15-17h02m39s65 vlcsnap-2013-01-15-17h03m00s247 vlcsnap-2013-01-15-17h03m08s104Finalement tribut de carrière c’est peut-être pas la joie…

Malgré ses failles, Hunger Games a le mérite de dénoncer la violence omniprésente de notre société et la façon dont nous consommons cette violence à titre de divertissement. Regarder un candidat de télé-réalité se faire humilier est une forme de violence, regarder un film de torture ou pire une vidéo avec des gens réels pour le plaisir de voir des gens souffrir aussi. Pourquoi consommons-nous la violence à titre de divertissement ?

vlcsnap-2013-01-15-16h22m48s224 vlcsnap-2013-01-15-16h22m55s41Non ils ne sont pas devant un match de foot, ils vont regarder des gosses s’entretuer…

La solidarité et le refus de la violence, une nécessité et un moyen de lutter contre l’oppression 

En plus de critiquer les inégalités sociales, Hunger Games présente la solidarité comme une nécessité, tant lors de la vie dans les districts que dans les jeux de la faim. Au début du film Katniss et son ami Gale s’entraident, ils chassent ensemble, partagent leurs vivres… Katniss va jusqu’à demander à Gale de prendre soin de sa famille lorsqu’elle part pour les jeux de la faim. Lorsque Katniss va vendre son butin au marché noir, une vendeuse lui fait généreusement cadeau d’une petite broche ornée d’un geai moqueur. Dans un flashback, il est montré que Peeta à un jour fait preuve de générosité envers Katniss en lui lançant une miche de pain. Dans l’arène, bien qu’il n’y en ait qu’un seul qui puisse s’en sortir, la solidarité reste une valeur fondamentale. Katniss n’aurait clairement pas pu s’en sortir sans l’aide de Rue qui l’aide sans rien demander en retour et sans l’aide Peeta qui lui dit de fuir.

Non seulement la solidarité est montrée comme la seule façon de survivre à des situations atroces, mais le refus de la violence est lui aussi posé comme une façon de lutter contre l’oppression.

Car l’important dans la trilogie n’est pas tant l’oppression que la façon dont le peuple va lutter pour la supprimer. Si le premier tome (et donc le premier livre) sont consacrés à l’exposition des personnages, de l’univers et des Hunger Games, le reste de la trilogie est consacrée à la révolte.

Le premier film annonce déjà cette révolte lors du soulèvement du district 11 après la mort de Rue. Le film annonce également des éléments symboliques qui vont avoir de l’importance dans la suite de l’histoire, comme le symbole de Katniss avec la main levée et surtout la broche ornée du geai moqueur.

Katniss va être l’élément déclencheur de la révolution, en s’opposant au Capitole elle va le devenir presque malgré elle le symbole de la révolte. Au début du film, l’unique préoccupation de Katniss est de survivre et de revenir vivante des Hunger Games, mais son opinion change au fur et à mesure du film. Les actes de solidarité et de refus de la violence sont autant de révoltes contre le système brutal.

Lorsque Rue est tuée par un tribut de carrière, Katniss tue ce dernier par réflexe de survie, pas par vengeance. Sa colère ne s’exprime pas par la violence (contrairement à de nombreux films ou la quête du personnage principal est de venger quelqu’un) mais par l’installation d’un semblant de sépulture pour l’enfant.

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La mort de Rue et la façon donc Katniss « sacralise » sa mort créent une révolte dans le district 11 annonciatrice de la révolution qui commence à gronder.

A la fin, elle finit par décider de s’opposer au Capitole en choisissant de se suicider avec Peeta plutôt que d’en laisser un se sacrifier. Bien qu’elle prétende avoir agi par amour pour Peeta afin d’échapper la vindicte du Capitole, la broche au geai moqueur qu’elle arbore lors de son couronnement marque son opposition discrète.

Dans une société qui valorise énormément les notions de compétition et de réussite à tout prix, il n’est pas innocent de présenter des gens solidaires en dépit d’un contexte où tout est fait pour monter les gens les uns contre les autres… Il suffit de regarder un épisode de téléréalité pour constater que même quand il n’est pas question de vie ou de mort, les gens sont prêts à allègrement manipuler et se trahir les uns les autres. Les notions de solidarité et de refus de la violence sont logiques puisque les deux critiques principales du film sont l’injustice sociale et le spectacle de la violence.

Télévision, manipulation et distorsion de la réalité 

Comme nous l’avons vu plus haut, Hunger Games ne critique pas seulement la violence de la société, mais également le fait que le public se délecte de cette violence. Cet élément est particulièrement pertinent aujourd’hui dans nos sociétés où les médias sont devenus un relais de la violence, non-seulement de la violence physique à travers des œuvres de fiction comme des films, des séries télé ou des jeux vidéo particulièrement violents, mais également de la violence morale : nombreux sont les exemples de « bashing » (une attaque violente et souvent gratuite envers une personne ou un groupe de personnes) ou les moqueries envers les gens via la télévision ou le net. Certains candidats de la téléréalité font partie des victimes de la violence morale. En effet, si certains (et ils sont peu nombreux) réussissent à tirer leur épingle du jeu ou reprennent une vie plus ou moins normale, nombreux sont ceux qui sombrent dans l’oubli, tombent en dépression ou font des tentatives de suicide. Les émissions de téléréalité sont nombreuses et variées et il est difficile de savoir dans quelle mesure les candidats sont manipulés par les productions. De plus, il est probable que de nombreux candidats soient castés pour être des éléments comiques dont les spectateurs pourront se moquer ou des éléments désagréables qui seront détestés.

Les Hunger Games reprennent le concept de la téléréalité, les candidats sont filmés 24h sur 24 et le public peut influencer le jeu en aidant les candidats (en leur envoyant des cadeaux qui peuvent les aider à survivre dans l’arène).

Comme des candidats de téléréalités, les tributs des Hunger Games sont obligés de jouer un rôle afin d’attirer la sympathie du public. Katniss et Peeta se retrouvent donc à jouer celui des « amants maudits du district 12 ». Ce qui est intéressant c’est qu’à force de jouer le jeu de la popularité et de l’amour, les deux adolescents se retrouvent confus à propos de leurs propres sentiments.

Lorsque Katniss et Peeta arrivent au Capitole, ils sont accueillis par des vivats et des acclamations. Peeta se retrouve à saluer la foule, surpris par les acclamations qu’il suscite et semblant même y prendre plaisir, oubliant que ce même public applaudira probablement sa mort dans quelques heures. vlcsnap-2013-01-15-16h13m53s254

De la même façon lors de son interview avec le présentateur, Katniss semble apprécier de tourbillonner dans sa robe de soirée sous les vivats du public.

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Katniss et Peeta sont également troublés par leur « histoire d’amour », lorsque Peeta avoue son amour pour Katniss lors de l’interview, celle-ci est très en colère et l’accuse de se servir d’elle. De la même façon, Katniss fait semblant d’aimer Peeta afin de lui sauver la vie lorsqu’il est blessé. Dans leur dialogue il est difficile de différencier ce qui relève de la comédie et ce qui relève de leurs véritables sentiments.

Lors de leur retour, après la fin des jeux, Katniss et Peeta sont toujours piégés dans cette relation, comme des candidats de téléréalités coincés dans leur stéréotype.

Évidemment, aucun candidat de téléréalité n’est jamais forcé de participer à une émission et les enjeux ne sont pas comparables (la vie contre la célébrité et de l’argent). Cependant les mécanismes à l’œuvre dans l’arène et la téléréalité avec ce qu’ils impliquent de manipulation et d’ambiguïté sont similaires.

Le film dénonce donc deux aspects différents de la téléréalité : le spectacle de la violence (car oui assister à l’humiliation d’un candidat en direct à la télévision c’est une forme de violence) et la fausseté des relations qu’implique un public (tant la relation avec le public que la relation entre les candidats entre eux, car il est impossible d’être naturel alors qu’on se sait regardé, a fortiori si l’amour du public est un enjeu).

Dépasser les traditionnels stéréotypes genrés 

Il est rare qu’un film d’action à gros budget mette en scène une femme forte et active, sans qu’elle soit excessivement sexualisée (comme dans Lara Croft ou Charlie’s Angels). Pourtant, des films comme Alien ou Kill Bill ont prouvé qu’une femme pouvait porter un film d’action qui soit un succès commercial sans être nécessairement ultra-sexualisée.

On remarquera que s’il est rare de voir une héroïne s’approprier des comportements typiquement masculins (se battre, agir héroïquement, être des meneuses…), il est encore plus rare de voir des hommes adopter des comportements et des valeurs féminines et QUE CELA SOIT VALORISE dans le film[6].

L’héroïne de Hunger Games, Katniss, est une héroïne forte et active. Elle prend en charge sa famille. Lors d’une conversation avec Peeta, elle déclare qu’elle n’a pas la possibilité d’avoir des scrupules dans l’arène, et surtout vient au secours de ce dernier en lui sauvant la vie.

Bref, selon les normes de la société, Katniss est une héroïne « masculine » et son comportement guerrier est valorisé dans le film.

Le principal personnage masculin, Peeta, est lui un personnage aux valeurs plutôt féminines : il est romantique (il confie son amour pour Katniss au présentateur et la suite du film semble confirmer qu’il était sincère), généreux, plutôt non-violent (lors de sa conversation avec Katniss il souhaite résister pacifiquement au système). De plus, alors que le talent de Katniss est de tirer à l’arc, donc un talent « actif », son principal talent est de créer des camouflages, donc un talent « passif » (passif mais très utile puisque cette capacité permet de lui sauver la vie).

Ce qui est intéressant, c’est que même si Katniss reste le personnage central de l’histoire et est donc plus mise en valeur, les qualités « féminines » de Peeta sont également valorisées, même lorsqu’il est en position de faiblesse le personnage n’est pas ridicule.

Peeta et Katniss conservent cependant chacun des qualités typiques de leur sexe : Peeta est très fort physiquement et Katniss adopte à plusieurs reprise la fonction typiquement féminine du « care » (en français le soin aux autres).

Elle prend soin de sa sœur et de sa mère après la mort de son père et de Peeta lorsqu’il est blessé. C’est même sa sœur et sa mère qui lui donnent cette volonté absolue de survivre. Cependant Katniss gère le « care » de façon à la fois masculine et féminine :

vlcsnap-2013-01-15-15h35m54s219Elle console sa petite sœur qui a fait un cauchemar (fonction féminine et maternelle)

vlcsnap-2013-02-07-22h12Avant de partir chasser pour nourrir sa mère et sa sœur (fonction masculine de l’homme qui fait vivre sa famille)

vlcsnap-2013-01-15-16h50m30s195Elle soigne les blessures de Peeta et le nourrit (fonction féminine)

vlcsnap-2013-01-15-16h51m14s139Elle risque sa vie pour lui (fonction masculine)

De la même façon, c’est à un homme, son ami Gale qu’elle confie la tâche de prendre soin de sa famille. On peut supposer que Gale adoptera les mêmes fonctions à la fois féminines et masculines de Katniss : lorsque Katniss se sacrifie il entraîne sa sœur à l’écart (fonction féminine de s’occuper des enfants) et lorsqu’il vient lui dire adieu elle lui dit « Don’t let them starve »/« ne les laisse pas mourir de faim » (fonction masculine : nourrir la famille).

Dans le district, les rôles genrés sont clairement définis. La plupart des hommes travaillent à la mine, et les femmes s’occupent de leur foyer, tandis que dans l’arène la notion de genre disparait et tous les candidats sont à égalité dans la compétition.

Il est intéressant de montrer des héroïnes fortes et actives qui ne soient pas sursexualisées. Une étude de l’Annenberg School for Communication & Journalism a montré qu’il y avait seulement 30% de rôles féminins parlants au cinéma (et nous ne parlons même pas des premiers rôles). De plus les rôles féminins sont généralement moins importants que les rôles masculins.

Les filles manquent de personnages féminins importants et développés auxquels s’identifier. Et quand on leur propose des personnages féminins importants, on leur propose soit des femmes concentrées uniquement sur l’amour et les hommes (cf. les articles sur Twilight, Bromance vs Womance, Pocahontas), soit des héroïnes modelées selon les fantasmes masculins (Lara Croft, Charlie’s Angels, Sucker Punch…)

Hunger Games dépasse les stéréotypes genrés, non-seulement en proposant un personnage féminin fort, intéressant et développé, mais également en proposant des personnages masculins qui sortent des stéréotypes de la virilité.

Hunger Games est un film complexe et intéressant, défendant des valeurs rares dans les blockbusters hollywoodiens (une héroïne forte, une critique de la violence, de la télé-réalité…). On peut cependant regretter que le film soit ambigu sur sa position envers le capitalisme.

Julie G.


[1] Pour mémoire, un rappel de la différence entre un régime autoritaire et un régime totalitaire :

http://leconservateur.bafweb.com/index.php?2007/11/01/998-differencier-autoritarisme-et-totalitarisme-l-exemple-des-dictatures-du-xx-eme-siecle

[2] L’utilisation de la propagande n’est pas le monopole des régimes totalitaires, certains pays libres l’ont utilisé lors des grandes guerres.

[3] Et ce pour de multiples raisons : les familles riches sont mieux éduquées, ils peuvent donc aider les enfants à faire leur devoirs ou payer des cours particuliers, prix d’accès aux études, etc…

[6] Quand je parle de valeurs ou de comportements masculins ou féminins, je parle bien sûr de comportements que la société considère comme masculin ou féminin.

Les mondes de Ralph : un Disney étonnamment progressiste

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Attention spoilers !

Ayant vu récemment au cinéma le dernier Disney sorti pour Noël (car oui j’ai beau critiquer, il m’arrive d’aller voir Disney au cinéma !) j’ai été étonnée et ravie de voir que le film était nettement plus progressiste que ses prédécesseurs.

Tout d’abord le film propose des personnages au physique relativement non-aphrodiste, le héros, Ralph est extrêmement baraqué, loin des canons de la beauté Disney et son compagnon Felix est tout petit, aux traits plus comiques que séduisants.

Les personnages féminins sont eux plus conventionnels, Vanellope est une jolie petite fille et le sergent Calhoun une beauté sculpturale moulée dans une combinaison en latex.

Cependant les personnages féminins sont intéressants car ils ne sont pas de simples faire-valoir des héros masculins ou uniquement préoccupées par le grand amour (préoccupation numéro 1 des femmes chez Disney !), Vanellope et Calhoun ont des désirs et des préoccupations propres, indépendamment des hommes. Les femmes font preuve d’héroïsme et sont capables de gérer des séquences d’action. Certaines scènes sont même absolument délectables d’un point de vue féministe : comme lorsque deux garçons refusent de laisser leur place à une fille sur un jeu tout rose et que celle-ci finit par jouer à Hero’s Duty (variante de Call of Duty). Ou lorsque Vanellope sort de sa robe de princesse en disant « c’est pas moi ça » !! Une fille chez Disney qui refuse d’être princesse ????????

De plus le gros balaise est juste en manque d’amour et de reconnaissance tandis que la petite fille est super casse-cou, le sergent Calhoun est héroïque tandis que Felix est super romantique… On inverse un peu les traditionnels rôles genrés et ça c’est cool.

Le couple Calhoun/Felix est intéressant car il est rare de voir un couple aussi mal assorti, dans Le bossu de Notre-Dame, Quasimodo laisse les deux « beaux » être ensembles et dans Shrek, Fiona s’enlaidit pour épouser son ogre bien-aimé. Ici Felix et Calhoun s’aiment et se marient en dépit de leurs différences. Certes la supériorité physique et l’héroïsme du sergent Calhoun face à Felix sont source de gags mais leur histoire reste touchante.

On retrouve également des idées plutôt sympathiques comme une réflexion sur l’exclusion, la possibilité de changer son destin, l’amitié et le fait de pouvoir faire de sa différence une force.

Certes le film reste un Disney et n’est donc ni révolutionnaire, ni subversif mais reste à mon avis bien plus progressiste que l’auto-proclamé féministe Rebelle.

 Julie G.

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