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Carnage (2011), petit traité de cynisme et de misogynie

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Réalisé par Roman Polanski en 2011, ce film est une adaptation fidèle de la pièce de théâtre Le Dieu du carnage de Yasmina Reza. Il met en scène la rencontre entre deux couples de la bourgeoisie new-yorkaise cherchant à régler à l’amiable un problème concernant leurs fils. En effet, le jeune Zachary Cowan a blessé au visage son camarade de classe Ethan Longstreet lors d’une altercation dans un parc. Les parents du premier, Nancy et Alan Cowan (Kate Winslet et Christoph Waltz), se rendent donc chez les parents du second, Penelope et Michael Longstreet (Jodie Foster et John C. Reilly), pour rédiger ensemble un compte rendu des faits. Au départ placée sous le signe de la courtoisie, la réunion d’envenime progressivement. Petit à petit, le vernis social se craquèle jusqu’à ce que les personnages se disent en face leurs quatre vérités. Finie l’hypocrisie. Les masques tombent. Et le règlement de compte s’achève finalement sur un tableau pathétique où les quatre protagonistes n’ont plus rien d’autre à contempler que leur médiocrité mise à nue.

Il est intéressant de remarquer que le critique français qui a saisi à mon avis avec le plus d’acuité le sens politique de ce film (à savoir Philippe Lançon pour Libération[1]) semble en reprendre à son compte tout le cynisme et la misogynie (cf. dans le même genre la connivence de classe et de genre entre Polanski et les critiques français lors de la sortie de The Ghost Writer). J’essaierai donc d’analyser et de discuter à la fois le film de Polanski et la critique complaisante qu’en fit ce journaliste de Libération, pour essayer de mettre en évidence ce que peut avoir de nauséabond un tel propos d’un point de vue politique.

Comme le résume lui-même Polanski, le film se veut une « satire des valeurs bourgeoises conventionnelles, du politiquement correct et de l’hypocrisie des politesses mondaines avec ses sourires factices »[2]. Le réalisateur déclare ainsi que ce qui lui a plu dans la pièce de Yasmina Reza, c’est que les « personnages révèlent leur véritable nature humaine, c’est-à-dire qu’ils sont capables de haïr, d’être égoïstes, bien que tout cela soit dissimulé sous un vernis typique de la classe moyenne, chez des gens qui se veulent respectables »[3].

Cela posé, que constate-t-on lorsqu’on examine le degré d’aveuglement (ou de lucidité) qu’a chacun des quatre personnages du film par rapport à son « hypocrisie », son « égoïsme », sa « véritable nature humaine », etc. ? On remarque que celles qui sont le plus aveuglées sont les femmes (et en particulier Penelope, incarnée par Jodie Foster), et que le personnage le plus cynique (c’est-à-dire, dans l’esprit du film, le plus lucide et le plus intelligent) est un homme : Alan (incarné par Christoph Waltz).

La chose est à mon avis loin d’être anodine, car toute la jouissance qu’est à mon avis censé tirer le public de ce film réside principalement dans le spectacle de l’aveuglement de ces gens qui se croyaient civilisés alors qu’ils ne sont en fait que des « monstres (…) prêts à la fin à se sauter à la gorge »[4]. Du coup,  les plus ridicules dans l’histoire sont les femmes. Ce sont elles qui incarnent le plus l’aveuglement dont se moque le film. Elles sont donc de fait les cibles principales de ce pamphlet cynique.

Penelope la castratrice

Déjà, ce sont elles qui sont à l’origine de cette réunion. Michael reproche à un moment à Penelope de l’avoir embrigadé dans ce guêpier. Et du côté des Cowan, c’est toujours Nancy qui s’éternise, alors qu’Alan essaie au contraire constamment d’y échapper, conscient qu’il est dès le départ de l’inutilité de cette mascarade.

Mais surtout, c’est dans leur bouche qu’est mis le discours bien-pensant que le film ridiculise. Au début, Penelope se félicite que cette réunion ait pu avoir lieu (« certains d’entre nous ont encore le sens de la communauté »). Elle ne cesse de faire de la fausse modestie alors qu’on comprend très vite qu’elle a une haute idée d’elle-même. Et c’est aussi elle qui emploie le vocabulaire le plus moralisateur, comme lorsqu’elle sous-entend aux Cowan qu’ils devraient « responsabiliser » leur fils. Alan le lui fera d’ailleurs remarquer : « cela fait beaucoup de “devrait” Mme Longstreet : “il devrait venir”, “il devrait en parler”, “il devrait s’excuser”. Vous êtes décidément beaucoup plus évoluée que nous ».

Devant une pile de livres d’art qu’elle expose sur la table de son salon, elle déclarera à Nancy avec un air profond : « Je suis vraiment convaincue que la culture peut être une puissante force pacificatrice ».

Pour couronner le tout, elle s’avère peut-être au final être le personnage le plus infantile, alors qu’elle ne cesse précisément de vouloir se faire passer pour la représentante de l’humanité civilisée et évoluée. Elle cherche ainsi à plusieurs reprises à montrer que son fils est supérieur à celui des Cowan, comme lorsqu’elle insinue que Zachary avait peut-être mérité que ses camarades le traitent de balance. On pourrait continuer longtemps comme ça tellement Penelope cumule toutes les tares dénoncées par le film.

Comme s’il ne suffisait pas qu’elle soit le personnage le plus antipathique du scénario, son incarnation à l’écran par Jodie Foster en rajoute dans l’insupportable. Il serait bon à mon avis de s’interroger sur les raisons de ce parti pris : pourquoi continuer à s’acharner ainsi sur ce personnage même jusque dans la direction d’acteur alors que le dialogue original suffisait amplement à la rendre détestable ?

Enfin, loin de se contenter de la dépeindre comme le personnage le plus antipathique, le film lui fera subir une humiliation à la hauteur de sa suffisance. Penelope trépigne, geint, hurle, pleurniche, bafouille et perd complètement la face.

Dans cette manière qu’a le film de faire d’un personnage féminin l’incarnation de tout ce qu’il vomit et de s’acharner sur lui de manière si violente, j’ai personnellement du mal à ne pas voir à l’œuvre une profonde misogynie.

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Loin de relever cette misogynie et d’éventuellement la critiquer (mais peut-être est-il naïf d’attendre d’un critique qu’il ait un minimum d’esprit critique…), Philippe Azoury abonde au contraire dans le sens du film, en laissant s’exprimer sans retenue tout son antiféministe : « le texte semble avoir été écrit pour dénoncer un certain type de femme “libérale”, comme on dit là-bas, saturée de moralisme et d’un féminisme tue-mouches ». Le critique de Libération n’invente rien ici, il ne fait que reprendre le discours que sort Alan à Penelope à a fin du film : « J’ai vu votre amie Jane Fonda hier soir à la télé. J’ai failli courir acheter un poster du Ku Klux Klan (…). Vous êtes la même sorte de femmes investies, solutionnantes. On n’aime pas ce genre de femmes. On les aime sensuelles, folles, pleines d’hormones. Les gardiennes du monde qui veulent montrer leur clairvoyance… Rebutant. Même ce pauvre Michael, votre mari, est rebuté ».

On pourrait m’objecter que le film invite à condamner ce genre de discours misogyne et antiféministe. Sauf que si c’était là son intention, c’est à mon avis complètement raté (le critique de Libération en est d’ailleurs une preuve vivante). Si le film voulait condamner ce discours, il ne fallait pas le mettre dans la bouche du personnage qu’il présente depuis le début comme le plus lucide et le plus intelligent. Et surtout, il ne fallait pas créer un personnage féminin qui incarne précisément ce stéréotype misogyne que mobilise tranquillement Alan. Car cela revient évidemment à lui donner raison.

Attardons-nous donc un peu sur ce personnage d’Alan, que le film présente comme l’opposé de Penelope.

Alan, le cynique lucide et intelligent

Le critique de Libération le qualifie avec acuité de « mufle pertinent et impertinent ». Et en effet, c’est le seul personnage à avoir déjà compris depuis le début que tout ceci allait être au mieux absolument vain, au pire complètement pathétique. De plus, loin de se contenter d’être un observateur amusé de la scène, il intervient souvent pour pointer les contradictions de chacun-e, ou pour énoncer, avec un indéniable sens de la formule, des vérités qui ne seront pas démenties par le film, bien au contraire.

C’est d’ailleurs une de ses répliques qui donne à la pièce et au film leur titre : « Moi, je crois au dieu du carnage. C’est le seul qui gouverne, sans partage, depuis la nuit des temps ». Dans le même esprit, lorsque Michael refusera de jouer une seconde de plus la comédie que lui impose sa femme et s’exclamera qu’il est un « sale con caractériel », Alan ajoutera : « Nous le sommes tous ».

A la fin, lorsque tous les personnages commenceront progressivement à révéler leur vrai visage sous l’emprise de l’alcool, il sera le seul à rester lucide, continuant à avoir le dessus sur les autres, notamment face à une Penelope de plus en plus pathétique.

Par son jeu distancié et jubilatoire, l’acteur Christoph Waltz ajoute en plus à chacune des interventions d’Alan une délectation toute communicative.

Au final, c’est son cynisme qui le rend supérieur à tous les autres personnages. Il ne vaut pas mieux qu’eux (il est même d’ailleurs pire, comme nous le font rapidement comprendre ses incessants coups de téléphone), mais au moins il en a conscience, et il l’assume. Du coup, étant donné que la morale du film est précisément qu’aucun des personnages ne vaut mieux que les autres, Alan est de ce point de vue depuis le début le seul détenteur de la vérité. Le critique de Libération l’a d’ailleurs très bien vu : « Il n’est pas impossible qu’Alain-Alan, avec tous ses défauts, soit le porte-parole de Reza et de Polanski ».

Qu’en est-il maintenant des deux autres personnages ?

Michael, le beauf de droite qui assume sa médiocrité

Loin d’être présenté comme aussi lucide et intelligent qu’Alan, Michael Longstreet est au contraire dépeint comme un homme assez vulgaire, une sorte de « beauf » tout aussi aveuglé sur lui-même que l’est sa femme. Du moins au départ, car il avouera très rapidement ne pas supporter ce genre de mascarade bien-pensante : « Toutes ces délibérations et ces considérations à la con, j’en ai ma claque (…). Vous savez, ma femme me déguise en type de gauche, mais en fait je ne supporte pas ces bons sentiments à la noix. Je suis un sale con caractériel ».

Si Michael avait l’air aussi idiot que les autres, c’était donc uniquement parce que c’est un pauvre type complètement dominé par sa femme. Parce que dans le fond, il est mille fois plus proche d’Alan que de Penelope. C’est elle qui persiste à vouloir le « déguiser » en type bien, mais lui sait pertinemment au fond de lui qu’il est un « sale con » égoïste.

Et pour bien enfoncer le clou, le film nous fait comprendre que Michael n’est pas seulement dominé par sa femme, mais aussi par sa mère. C’est vrai qu’une femme castratrice ne suffisait pas, il en fallait au moins deux…

Michael n’est donc au fond pas si bête qu’il en a l’air. Certes, il n’a pas l’intelligence d’Alan, mais au moins il ne s’aveugle pas sur lui-même comme le font les deux femmes. Il est ainsi tout à fait logique que ce soit le premier à prendre conscience (ou plutôt à révéler, car il en avait déjà conscience) sa véritable nature de « sale con caractériel » (si on excepte Alan bien sûr, celui-ci dès le début en possession de la vérité).

Un autre détail qui le distingue des deux personnages féminins et le rapproche d’Alan, c’est qu’il a lui aussi accès à une vérité dont les autres n’ont pas conscience. En effet, son travail de grossiste (il vend des casseroles, des poignées de portes, des chasses d’eau, etc.) en fait au départ un personnage assez méprisable car nageant dans le matérialisme le plus vulgaire. Or justement, une des thèses du film est qu’au fond ces bourgeois sont tous de vulgaires matérialistes. Chacun des personnages (excepté Michael) se révèlera ainsi à un moment ou à un autre profondément attaché à un objet de manière fétichiste et complètement maladive (Penelope avec ses livres d’art, Nancy avec son sac à main, et Alan avec son portable). Parce qu’il assume totalement dès le départ la nature bassement matérialiste de son métier (comme en témoigne la description ironique qu’il fait à Alan des différents types de chasse d’eau), ce personnage a ainsi sur ce point une longueur d’avance par rapport aux autres dans la reconnaissance de sa propre médiocrité.

Nancy la névrosée

Le dernier personnage est celui de Nancy, la femme d’Alan. Au départ, celle-ci semble certes un peu crispée, mais globalement assez intelligente dans ses interventions (elle tente le plus souvent de recadrer le débat quand il dégénère, cherche à être conciliante, et ne lance pas de piques). Mais voilà, un tel comportement est forcément un leurre pour ces cyniques que sont Reza et Polanski. La suite aura donc pour but de révéler la névrose qui se cache sous ces apparences bienveillantes.

La première étape est évidemment la fameuse scène du vomi. Alors que Penelope et Michael l’accusent de se désintéresser de l’éducation de son fils, elle vomit subitement sur la table basse du salon, en plein sur les livres d’art de Penelope. Là encore, il me semble que la violence que le film inflige à ce personnage féminin n’a absolument pas d’équivalent chez les personnages masculins. Mais ce n’est même pas là l’essentiel. Outre l’humiliation « physique » complètement gratuite que subit ici Nancy, cette scène a en plus pour fonction de nous montrer à quel point cette femme refoule ses névroses et sa haine.

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 A la fin, avec quelques grammes d’alcool de plus dans le sang, elle explosera en déclarant agressivement à Penelope : « Je suis contente que notre fils ait tabassé le vôtre, et je me torche le cul de vos Droits de l’Homme ». Michael soulignera alors la métamorphose de Nancy : « Ouah, un petit coup de gnôle et bam, son vrai visage apparaît. Où est passée la femme sage et gracieuse aux yeux doux ? ». Et Penelope de renchérir : « Je te l’avais dit que cette femme était fausse. Cette femme est totalement fausse ». Parce qu’elle est peut-être la dernière à vraiment craquer (si l’on excepte encore une fois Alan), Nancy apparaît donc finalement comme le personnage le plus aveuglé sur lui-même, celui qui a le plus refoulé sa « véritable nature humaine ».

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A un moment du film, lasse que son mari interrompe constamment la conversation pour répondre au téléphone, elle lui prend son portable des mains et le jette dans un vase. Alors que Michael et Alan tentent de le refaire fonctionner, elle ne moque ouvertement de son mari en pointant son manque de virilité : « Les hommes sont si attachés à leur jouets, ça les diminue, ils perdent leur crédibilité. Je sortais avec ce type. Et je l’ai vu avec ce sac en bandoulière. Un sac d’homme, en bandoulière. C’était fini. Le sac en bandoulière, c’est le pire. Mais le portable, toujours à portée de main, c’est le pire aussi. Un homme doit avoir les deux mains libres. Les deux mains libres. Moi aussi j’ai une idée de la virilité à la John Wayne. Il avait quoi ? Un colt .45. Un truc qui fait le vide. Un homme qui ne fait pas cet effet solitaire n’a pas de consistance ».

Il faut à mon avis mettre en rapport ce laïus avec le moment, plus tôt dans le film, où Nancy accuse Alan de ne pas s’occuper des enfants et de tout ce qui se passe à la maison. A ce discours proto-féministe que pouvait tenir Nancy alors qu’elle était sobre vient se substituer ici le discours d’une femme qui reproche à son mari de ne pas être assez viril. L’alcool nous révèle ainsi que Nancy désire en fait au fond d’elle-même être dans le rapport de domination qu’elle critiquait au début. Si elle déclare vouloir être l’égal de l’homme, elle ne désire au fond qu’une chose : être la femme d’un homme viril et protecteur à la John Wayne.

Le film semble ainsi avoir des conceptions assez différentes de la « véritable nature humaine » suivant le genre du personnage. En effet, qu’est-ce qui finit par apparaître quand le vernis social craque et que la « vrai nature » de chacun-e apparaît ? Que les Longstreet sont un couple malheureux parce que Penelope domine trop son mari, et que Nancy est malheureuse parce que son mari n’est pas assez viril pour elle. On retrouve ainsi dans les deux cas le même discours normatif qui dit que les hommes doivent être virils et « porter le pantalon », tandis que les femmes doivent être douces et soumises. Et implicitement la condamnation du discours féministe qui s’y oppose comme relevant d’une sorte d’hypocrisie politiquement correcte ignorant la vraie nature des hommes et des femmes.

Le renversement au cœur de cette idéologie « anti-politiquement correct » est au passage assez scandaleux, puisqu’il fait du féminisme (et toutes les autres « idéologies politiquement correctes ») une sorte de dictature de la pensée qui obligerait les gens à tenir des discours allant contre leur « vraie nature ». La mystification à l’œuvre ici consiste à faire passer le féminisme pour un ensemble d’injonctions normatives restreignant la liberté des individus, alors que le féminisme ne cesse justement de combattre de telles injonctions.

La scène qui est peut-être la plus misogyne du film en rajoute une couche en humiliant au passage encore une fois Nancy. Alors qu’elle est en train de dire à Penelope que son fils n’est pas totalement innocent, cette dernière s’énerve et balance son sac à main à travers la pièce. Nancy se rue alors par terre comme si son sac était un être vivant ou la chose la plus importante de sa vie. Elle reproduit ainsi exactement ce qu’elle moquait juste avant chez son mari lorsque celui-ci s’accrochait maladivement à son portable pour essayer de le rallumer. En plus de poser ce personnage féminin comme pathologiquement attaché à son sac à main, cette scène ridiculise donc a posteriori le seul moment où Nancy a eu le dessus sur son mari.

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Alors qu’elle ramasse un à un les objets contenus dans son sac à main, elle hurle à son mari : « Alan, fais quelque chose (…). Défends-moi ! Pourquoi tu ne me défends pas ? ». A partir de là, elle restera pathétiquement collée à son mari, recherchant auprès de lui consolation et protection.

carnage08La femme vaincue et le mari triomphant

Si l’on fait le bilan entre personnages masculins et féminins, on s’aperçoit donc que la donne n’est pas du tout la même des deux côtés. Les hommes apparaissent au final clairement supérieurs aux femmes en ce qu’ils s’aveuglent beaucoup moins qu’elles sur leur véritable nature humaine, et parce qu’ils ont plus généralement le monopole de la vérité et de la lucidité. Au contraire, les femmes sont celles qui se fourvoient le plus sur elles-mêmes. Incarnation de tout ce que le film critique, elles subissent une série d’humiliations successives qui n’a aucun équivalent chez les personnages masculins.

Connivences masculines

Au fur et à mesure que le film avance, les alliances se déplacent. Alors qu’au départ les couples s’attaquent mutuellement (Cowan VS Longstreet), l’opposition prend progressivement la forme d’une « guerre des sexes » (hommes VS femmes). Chaque couple explose et déballe son linge sale devant l’autre.

Etant donné que le mouvement du film consiste à débarrasser les personnages de leur vernis social pour faire apparaître leur véritable nature humaine, j’ai bien peur que Carnage mobilise du coup une conception assez essentialiste de la « différence entre les sexes ». En effet, lorsque la « vraie nature profonde » des personnages s’exprime, ceux-ci se rangent du côté de leur « sexe » contre le « sexe opposé ».

Plus exactement, c’est surtout les hommes que le film autorise à partager une connivence de genre. Nombreux sont les moments où ceux-ci se retrouvent autour de souvenirs (« moi aussi j’ai été chef de bande »), d’un verre de whisky, d’un cigare, ou d’une même position (« je dois dire que je partage complètement la position de Michael »).

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A l’inverse, les femmes n’ont jamais droit à une telle complicité. Il me semble qu’elles ne se soutiennent que sur la question du hamster. Or non seulement leur position apparaît a posteriori comme ridicule (vu que le hamster n’est pas mort), mais leur « solidarité » s’exprime en plus très froidement, contrairement à celle qui affleure souvent entre les deux hommes.

Un autre moment où semble se dessiner une union entre les femmes est celui où toutes deux réclament de l’alcool, puisque les hommes s’en sont servi sans leur en proposer. Ce passage peut sembler intéressant dans la mesure où les femmes pointent ici du doigt leur exclusion arbitraire d’un plaisir qui fut longtemps privilège masculin. Mais le film neutralise rapidement cette piste proto-féministe en montrant les femmes complètement pathétiques sous l’emprise de l’alcool. Comme le dit Michael : « certains tiennent mieux l’alcool que d’autres ». En résumé, elles auraient mieux fait de s’abstenir et de laisser les trucs d’hommes aux hommes.

Enfin, la seule scène ressemblant le plus à une connivence féminine est celle où Penelope et Nancy se moquent de leurs maris en train d’essayer de sécher le portable d’Alan. Or Polanski fait de cette scène un monument d’« hystérie féminine ». Les deux femmes rient pendant des heures d’une manière tellement insupportable qu’il va de soi que le public n’est pas invité à rire avec elles, mais bien plutôt à les trouver pathétiques.

En plus de constamment mépriser et humilier ses personnages féminins, le film ne les autorise donc à aucun moment à nouer une quelconque complicité (alors que ce plaisir est plusieurs fois accordé aux personnages masculins). Le film finit d’ailleurs presque sur un affrontement entre les deux mères (de loin les personnages les plus haineux dans les dernières scènes).

Autoriser les femmes à s’unir contre le patriarcat ? Non mais quelle idée ! Ça va pas la tête ! Les atomiser et les humilier, voilà ce qu’il faut faire.

Un matriarcat étouffant

Comme l’a bien vu le critique de Libération (qui a d’ailleurs très justement intitulé son article misogyne « Telles mères, tels vices »), le film fait finalement le portrait d’un matriarcat étouffant : « ce sont [les femmes] qui donnent le ton. Ce sont donc elles les cibles principales. Aussi lâches, égoïstes ou immatures soient-ils, les maris sont finalement de braves gars qui suivent malgré eux le mouvement. Ils pataugent, l’un cynique, l’autre accablé, dans un terrible matriarcat ».

Ce sont effectivement les femmes qui incarnent cette volonté (illusoire) d’entretenir à tout prix des rapports civilisés avec autrui. Ces malheureuses ont la naïveté de croire que l’égoïsme et la violence inhérente à la nature humaine peuvent être dépassés. Elles s’acharnent à vouloir pacifier et moraliser des relations qui ne relèvent au final du rapport de force. Du coup, elles voient des problèmes fondamentaux là où il n’y a rien d’autre que des choses tout à fait « naturelles » qui se résoudraient tout « naturellement ».

Le film illustre cette idée à l’aide de deux cas. Tout d’abord bien sûr celui de la bagarre entre les deux enfants. Les femmes ne cessent de relancer le débat pour savoir comment « responsabiliser » leurs fils et éviter que ce genre de violence ne se reproduise. Leurs délibérations ne mènent à aucune entente, mais au contraire à un « carnage ». Or, comble de l’ironie, les deux gamins se sont pendant ce temps déjà réconcilié. L’incident semble déjà pour eux complètement oublié.

carnage14C’était pas la peine d’en faire tout un flan

Là encore, c’est Alan qui avait raison, lui qui expliquait à Penelope que l’incident était à relativiser : « Ils sont jeunes, ce sont des gamins, les gamins se battent dans la cour de récré. Ils l’ont toujours fait et le feront toujours, c’est une loi de la nature (…). Substituer la loi à la violence, ça s’apprend. L’origine de la loi, comme vous le savez sûrement, est la force brute ».

Le deuxième cas qui sert à montrer à quel point les femmes sont à côté de la plaque avec leurs « délibérations à la con » est le cas du hamster. Michael a en effet abandonné le hamster de sa fille dans la rue parce le bruit qu’il faisait devenait trop insupportable. Outrée par cet acte, Nancy essaie plusieurs fois de faire prendre conscience à Michael de la cruauté dont il a fait preuve à l’égard de l’animal. Le débat à ce sujet se durcit quand Penelope se range du côté de Nancy en demandant à son mari de reconnaître qu’il a eu tort. Le cas du hamster sert même à Nancy d’argument pour pointer une contradiction chez Michael, puisque celui-ci ne ressent aucune culpabilité vis-à-vis du hamster alors qu’il ne comprend pas que le fils Cowan puisse ne pas ressentir de la culpabilité vis-à-vis de ce qu’il a fait à son fils.

Mais là encore, toutes ces questions sont ridiculisées a posteriori dans un plan où l’on voit le hamster heureux de gambader dans le parc.

carnage15C’était VRAIMENT pas la peine d’en faire tout un flan…

Les femmes ne font donc que créer des problèmes là où il n’y en a pas. Autrement dit, la vie serait quand même plus simple sans ces chiantes qui passent leur temps à nous prendre la tête pour des broutilles…

Cynisme et anti-politiquement correct

Comme je l’ai dit, une des thèses principales du film est que tout le monde est au fond égoïste, car c’est là un trait essentiel de la nature humaine. Cette thèse cynique (d’une subtilité étourdissante…) est évidemment bien commode pour qui veut se déculpabiliser de son apolitisme ou de son égoïsme. Elle permet de mettre tout le monde dans le même sac, sans distinction. Sous couvert d’une vision apolitique de la « nature humaine », ce cynisme ne fait que proposer une vision du monde naturalisant des rapports de domination dont l’origine est en fait sociale, et qui peuvent donc être déconstruits.

Ainsi, dans le film, le seul personnage qui manifeste un minimum de conscience politique (Penelope) est complètement ridiculisé. Tout le but du film est de nous montrer que Penelope n’est pas moins égoïste que les autres, que son discours politique n’est au fond qu’une manière de se mettre en valeur et de se donner bonne conscience.

Alan, qui a encore une fois tout compris, lui explique d’ailleurs clairement à un moment : « Personne ne se soucie d’autre chose que de soi-même. On aimerait croire à une amélioration possible dont on serait l’artisan, libre de toute considération égoïste. Comme vous qui écrivez ce livre sur le Darfour (il pouffe de rire). Je trouve ça super. Je comprends qu’on se dise “je vais prendre un massacre, l’histoire en est pleine, et je vais écrire un livre dessus”. On se sauve comme on peut ». Pour le film, les gens qui ont des valeurs cherchent donc juste à « se sauver », à se donner bonne conscience. Mais au fond tout cela n’est qu’hypocrisie puisque leur seule motivation est bassement égoïste.

Le film nous montre ainsi Penelope trahir les véritables motivations de son engagement politique en utilisant celui-ci pour se valoriser :

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En ridiculisant Penelope de la sorte, c’est évidemment toute forme d’engagement progressiste et égalitariste que le film ridiculise.

Ce cynisme est à lier à l’idéologie « anti-politiquement correct » toujours bien en vogue aujourd’hui, et que le film réactive avec complaisance. Polanski s’en réclame d’ailleurs explicitement lorsqu’il dit que Carnage est une « satire des valeurs bourgeoises conventionnelles, du politiquement correct et de l’hypocrisie des politesses mondaines avec ses sourires factices » [5].

Cette idéologie vient en fait de la droite néoconservatrice états-unienne qui déforma le sens premier de l’expression « à tel point qu’aujourd’hui, le politiquement correct n’est plus utilisé que comme une référence négative, renvoyant à une dictature de la pensée. Les croyances propagées par les anti-politiquement correct peuvent se résumer à l’idée que les minorités ont le pouvoir aujourd’hui, qu’elles menacent la cohésion républicaine voire l’unité des luttes. Pire, le groupe dominant, celui des hommes-blancs-bourgeois-hétérosexuels, connaîtrait un diktat de la part des groupes minorisés »[6]. Par cette expression, les dominants tentent donc de balayer d’un revers de main toutes les remises en cause de leur domination, afin de pouvoir continuer à en jouir tranquillement. La fonction politique de cette idéologie est évidente : empêcher de réfléchir aux questions d’oppressions, de privilèges, d’éducation, de domination (physique ou symbolique), etc.

Dans Carnage, c’est bien évidemment Penelope qui incarne la menace du « politiquement correct ». C’est elle qui étouffe les hommes avec ses discours « à la Jane Fonda » (le féminisme est historiquement la cible n°1 des « anti-politiquement correct »).

Pour le critique de Libération, Polanski ne fait ici que se défendre contre les « puritains » qui ne cessent de le « persécuter » depuis toujours : « Grande proie des puritains de toute éternité, [Polanski] adapte le texte de [Reza], avec son aide, sous ce titre simplifié : Carnage. On retrouve, à quelques coupes et changements près, canevas et répliques de la pièce. Elle se déroulait à Paris. Polanski la déplace à Brooklyn, où il ne peut tourner : ça lui permet de régler ses comptes avec le politiquement correct qui sévit là-bas – cet hybride d’idéologie et de frustration. Pendant une heure vingt, le cinéaste s’amuse des mentalités qui l’ont persécuté. »

Le critique n’explicite pas ici à qui il fait allusion lorsqu’il parle de ces « puritains », mais j’ai comme l’impression qu’il s’agit ici de ces sales harpies de féministes qui osent demander que Polanski soit jugé comme tout le monde pour le viol qu’il a commis il y a maintenant plus de 30 ans sur une mineure de 13 ans. Il parle en effet de « féminisme tue-mouche » un peu plus bas, et le portrait-robot qu’il dresse des « persécuteurs » en les qualifiant d’« hybride d’idéologie et de frustration » me semble ne laisser aucun doute sur la question : les responsables sont bien ces « mal baisées » qui cherchent à émasculer les hommes avec leur « idéologie du genre »…

Ces « grands esprits » se rencontrent donc dans un antiféminisme totalement décomplexé. Qu’une telle connivence masculiniste puisse s’exprimer ainsi sans la moindre honte dans un film aussi distribué et dans un quotidien « de gauche » aussi lu me laisse tout simplement pantois.

 Paul Rigouste


[3] “The characters reveal their true human nature, that is, that they are capable of hating, of being selfish, though everything is concealed under a middle-class veneer of people who want to be respectable.” (http://www.worldcrunch.com/roman-polanski-interview/culture-society/the-roman-polanski-interview/c3s3863/#.UOc1fnfCbTo )

[6] Extrait tiré d’une brochure disponible ici : http://lagitation.free.fr/spip.php?rubrique37

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16 réponses à Carnage (2011), petit traité de cynisme et de misogynie

  1. Très bon texte, encore une fois, sur ce site ! La critique de l’idéologie de l’anti-politiquement correct est très intéressante, d’autant plus qu’elle peut paraître subversive et utilisée par des gens dits de gauche ou progressiste, alors qu’elle est clairement la nouvelle idéologie des dominants.

    • « La critique de l’idéologie de l’anti-politiquement correct est très intéressante, d’autant plus qu’elle peut paraître subversive et utilisée par des gens dits de gauche ou progressiste, alors qu’elle est clairement la nouvelle idéologie des dominants. »

      Oui et non : attention de ne pas aller trop vite en besogne. Il existe effectivement un poncif du discours ultra-conservateur qui passe par l’anti-politiquement correct, que M. Rigouste analyse assez bien ma foi – de là à dire que toute critique du concept de « politiquement correct » relève de cette idéologie…

      Par exemple, je suis personnellement très méfiant vis-à-vis de l’application pratique que certains font de cette idée d’une non-violence du lanage ; non au titre d’une absurde dictature des minorité, mais par l’idéologie du langage lui-même qu’il véhicule. Ce qu’il y a de potentiellement dangereux en effet avec ce concept, c’est qu’il autorise la dérive de pensée suivante, à savoir que la violence symbolique repose sur le lexique seul, sans implication du sous-texte. Or, heureusement ou malheureusement, il n’est nul besoin d’être grossier pour être cinglant, et un euphémisme ou point l’ironie peut se révéler bien plus performatif dans l’agression que n’importe quelle insulte folklorique.

      Exemple. C’est beaucoup plus positif de dire « j’ai nouveau collègue au bureau, c’est un Black » que « j’ai un nouveau collègue au bureau, c’est un nègre » – parce que « black », popularisé par la campagne « black is beautiful », c’est in, c’est cool, ça fait jeune et américain, alors que nègre, oulah ! ça renvoie tout de suite à l’esclavage. N’empêche que quel que soit le langage employé, passé la simple apparence de respectabilité, il se peut tout à fait (même si ce n’est pas non plus obligatoire) que le locuteur n’en pense pas moins ; seulement, son racisme sera visible, affleurant, s’il parle de « nègre », alors qu’il sera bien plus intériorisé avec l’autre formule… Notons au passage qu’Aimé Césaire, chantre de la « négritude », n’avait pas besoin de ce tour de passe-passe lexical pour se déclarer parfaitement fier d’être nègre…
      Masquer la violence symbolique ne la fait pas nécessairement disparaître, par contre, cela interdit presque toute possibilité de répartie, de critique : on peut traîner en justice quelqu’un qui a traité son voisin de « bamboula », c’est explicitement une insulte, par contre s’il a seulement dit « pas étonnant qu’il soit en retard, v’savez, les personnes de couleur… » la charge de la preuve quant à son manque de respect sera moins évidente, plus « pardonnable »…

      Je ne dis pas que le langage ne contient pas lui-même une part de violence : ainsi, dans l’apostrophe, l’insulte, se faire traiter de « sale gouine ! » blesse possiblement plus sur le coup qu’un simple « lesbienne ! ». Mais ça ne vient pas tant du mot en lui-même, ça vient surtout de l’intention, du sous-texte. D’ailleurs certaines n’ont aucun mal à retourner l’insulte, parfois même jusqu’à en faire un terme affectif, et à surnommer leur compagne « ma petite gouine »…

      Bon, je m’arrête-là, ce commentaire est déjà bien trop long pour ce qui n’est qu’un petit paragraphe de l’article ; n’ayant pas vu le film, bien qu’en ayant entendu parler, je ne saurai poursuivre la discussion principale.

      • J’ai peut-être mal compris mais est-ce que vous ne réduisez pas le politiquement correct à une sorte de « police du langage », qui lui-même se réduirait à faire gaffe dans des échanges inter-personnels?

        Le politiquement correct a une portée beaucoup plus large que ça, et entend toucher aux schémas narratifs et symboliques des productions culturelles, aux stéréotypes qui ne tiennent pas dans un mot, aux échanges hautement médiatisés des politiques (pour ne prendre qu’un exemple) et DONC AUSSI à ce qui est acceptable à dire et à penser lorsque l’on a à faire aux gens, surtout celleux qu’on ne connait pas.

        « « Le Politically Correct ou PC (Politiquement Correct)
        vient des Etats Unis, plus précisément des milieux universitaires de gauche. Le terme political fait
        référence au fait que les relations interpersonnelles s’inscrivent dans un contexte social général et par
        la même deviennent politiques.» tiré de http://1libertaire.free.fr/mariepasclaire1.html

        Je ne veux pas m’aventurer trop dans l’interprétation de ce que vous dites, mais il me semble que dans votre commentaire vous dépolitisez ou cherchez à dépolitiser quelque chose qui est éminemment politique, à savoir la mainmise des dominants sur les discours médiatiques, politiques, culturels etc. qui parsèment notre société.
        Ce que « dit » le politiquement correct, pour moi, c’est « vous êtes des dominants et votre langage, votre comportement, votre politique, vos histoires etc. en sont des signes. Et va falloir que toute cette domination cesse ».

        Je reprend aussi la définition wiki (en anglais car je la trouve bien meilleure) « PC is a term which denotes language, ideas, policies, and behavior seen as seeking to minimize social and institutional offense in occupational, gender, racial, cultural, sexual orientation, certain other religions, beliefs or ideologies, disability, and age-related contexts »

        Alors, je ne dis pas que le politiquement correct n’est pas critiquable en soi, bien évidemment. Je dis juste que votre critique me semble pour le moins réducteur.

        Vous avez raison lorsque vous dites que c’est l’intention derrière le mot qui compte, mais vos exemples sont tellement « individualisants » qu’elles perdent toute portée politique, qui me semble être la raison majeure derrière le « politiquement correct », et j’ai peur qu’en vous lisant l’on peut être amené à l’oublier.

        Après je me dis que peut-être vous êtes d’accord dans l’ensemble avec le politiquement correct, mais que vous vouliez juste en critiquer un aspect, ou plutôt une dérive possible du politiquement correct.

        Mais du coup, vous ne semblez pas être d’accord, ou en tout cas pas en accord total, avec l’idée que l’anti-politiquement correct est « clairement la nouvelle idéologie des dominants ». J’ai bien compris le truc? Et si oui, pourquoi n’êtes vous pas d’accord, ou alors qu’est-ce que voudriez nuancer dans cette idée? Comme vous le dites, c’est peut-être juste certaines « applications pratiques » qui vous gêne?

        Je trouve ce problème intéressant, parce qu’il pose peut-être le problème de la censure. Car je suis tout à fait d’accord avec vous, je préfère entendre quelqu’unE sortir son horreur raciste, homophobe, sexiste plutôt que l’intérioriser. Premièrement parce que cette personne à le « droit » de s’exprimer tout comme moi, et d’autant plus si je suis en total désaccord avec cette personne, et deuxièmement parce que c’est d’autant plus facile à démonter et à combattre, et donc beaucoup plus intéressant politiquement, pour moi en tout cas.
        Mais cela n’est pas pour moi la même chose que ne pas critiquer un discours (appuyé par une structure) de dominants, au nom de la liberté d’expression. Si la liberté d’expression veut dire quelque chose, il faut qu’il y ait une égalité dans les moyens d’expressions, sinon on est dans l’hypocrisie la plus totale. Du coup je me dis que le politiquement correct est une stratégie de la part des dominés pour tenter d’aplanir un terrain qui ne l’est pas et ne l’a jamais été, mais que les dominants aiment bien faire croire qu’elle l’est, et y arrive assez bien vu qu’illes ont une mainmise sur les moyens d’expressions. C’est ça pour moi l’intérêt du politiquement correct, c’est qu’elle met les dominants devant leurs contradictions et fait, en quelque sorte, apparaître leurs dominations au grand jour. D’où les backlashs horribles de la part des réacs certes, mais aussi de la part de la gauche bien-pensante en France comme ailleurs, la gauche qui veut bien laisser quelques miettes de plus aux opprimé-e-s, et veulent bien user de rhétorique progressiste, mais qui ne veulent absolument pas qu’on les montre pour ce qu’illles sont, à savoir des dominants elleux-aussi.

        • Je ne nie pas que le politically correct ait, au départ et aux États-Unis, une assise comme une visée bien plus large que la peau de chagrin que l’importation et la traduction du concept en Europe continentale en gardé ; vous me comprenez bien en lisant ma remarque comme s’appliquant seulement aux tentatives d’applications pratiques du concept, pas en général mais chez nous où il est fort appauvri, applications souvent bien intentionnées mais qui manquent la plupart du temps leur but et, surtout, offrent trop souvent prise à la caricature et le ridicule.
          Alors ça ne veut pas dire que ce qui a échoué quelque fois échouera toujours, néanmoins l’expression « politiquement correct » est devenur tellement connotée en français que je doute fortement qu’on puisse redonner sa force au concept ; pour ce qui est de tenter de rouvrir le champ de l’expression politique aux dominés, j’ai plus confiance aujourd’hui dans ceux qui tentent de réinventer l’éducation populaire que dans les campagnes de promotion du politiquement correct…

          • Tout à fait, je comprends votre point de vue, et c’est vrai que des fois je me dis aussi qu’il pourrait être plus stratégique d’abandonner ce concept au profit d’autres, moins connoté. La seule chose qui me fait penser l’inverse, c’est à quel point ça reste un concept utilisé, à tord et à travers, pour justifier n’importe quel propos horrible. Si jamais le concept était juste tombé dans l’oubli, je ne verrais peut-être pas grand intérêt à le défendre. Mais vu qu’il est plutôt utilisé très souvent pour lui faire dire n’importe quoi, j’ai plutôt tendance à au moins vouloir proposer un point de vue différent, qu’en France n’est jamais relayé, sur le politiquement correct. Après tout ça c’est des histoires de stratégies, et donc ça dépend des moments, des contextes, de rapports de forces etc. enfin comme tout le reste, mais encore plus! 🙂

            En tout cas comme vous je suis globalement fan des actions d’éducation populaire 🙂

            Et du coup désolé de vous avoir fait dit ce que vous n’aviez pas dit dans l’autre post, c’était plus pour être sûr qu’autre chose.

  2. Ah c’est marrant, moi j’en avais fait une autre analyse parce qu’à la base, c’est une pièce de théâtre écrite par une femme.
    http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.de/2012/04/le-dieu-du-carnage.html

    Cela dit, je dois être la seule spectatrice au monde (ou pas) à avoir fait cet analyse.

    • Ce ne serait pas la première fois qu’un film donne une vision différente, voire inverse, de celle de son œuvre d’origine. Je pense à Virgin Suicides par exemple (même si ce n’est pas forcément un excellent exemple), où le roman contient un machisme ambiant assez ancré, tandis que dans le film les garçons sont plus tournés en ridicule qu’autre chose.

    • Merci pour ce lien. Feriez-vous la même lecture du film que celle que vous faites de la pièce ?

      Personnellement je n’ai pas vu (ni lu) la pièce originale, donc je me demande si celle-ci est différente du film dans son propos. C’est tout à fait possible, mais deux choses me laissaient présupposer le contraire : 1/ le fait que Reza ait participé activement au film avec Polanski, et 2/ le fait que le film est apparemment assez fidèle à la pièce (du moins c’est ce que j’ai entendu dire).

      Après il se peut aussi que la pièce soit ambiguë et puisse donc se lire de deux façons (en gros la vôtre et la mienne), et que le film tendent à gommer cette ambiguïté. La chose est à mon avis fort possible, étant donné le rôle qu’a le jeu des acteurs dans la création du sens du film (comme j’ai essayé de le montrer). Ou alors il se peut que la pièce soit tout à fait différente du film, et que Polanski en ait du coup complètement retourné le sens (d’une critique du « virilopotisme » comme vous dites, à de l’antiféminisme hargneux). Après, il se peut aussi que l’un-e d’entre nous soit à côté de la plaque dans son interprétation. Tout est possible quoi …

      PS : et merci à Nîme pour l’info sur Virgin Suicides, je ne savais pas que ce film était tiré d’un bouquin, et ce que vous en dites me donne envie de le lire

  3. J’ai détester ce film, c’était pour moi une vrai souffrance de le voire et pour exactement les raisons décrites ici. J’ai vraiment eu l’impression que polanski y ferait l’apologie du viol de fillettes de 13 ans, un truc naturel, viril, pas puritain… Et que l’impunité était bien la moindre des choses. Que les feministes etaient les vrai criminelles(en s’opposant a la nature des mâles et a leur domination naturelle elle aussi). C’est la dernière fois que je regarde un film de polanski.
    J’ai été aussi très déçu par Judy Foster, je ne pensait pas qu’elle se commenterait dans un rôle aussi nauséabond.

    Merci pour votre analyse Paul Rigouste, je la partage totalement.

  4. Cet anti « politiquement correct » est en fait de gauche puisqu’il fustige l’hypocrisie des nantis…

    • Comme je n’arrive pas à savoir si vous êtes ironique ou pas, je réponds au cas où 🙂 :
      Dire que l’ « anti-politiquement correct est en fait de gauche puisqu’il fustige l’hypocrisie des nantis » revient à faire le jeu de cette idéologie en reprenant son discours mystificateur. En effet, le but des gens qui la mobilise est de faire passer tout discours « progressiste/égalitariste/de gauche/etc. » pour une hypocrisie bien pensante de bourgeois qui essaient de se donner bonne conscience. Cette idéologie essaie donc de faire croire que la lutte pour l’égalité n’est pas avant tout la lutte légitime des « groupes minorisés » contre la domination qu’il-le-s subissent de la part des hommes-blancs-hétéros-bourgeois, mais avant tout un délire de « nantis » ou de « bourgeois » qui veut se distinguer. Vous voyez ce que je veux dire ?

  5. Comment peut-on à ce point mal comprendre une oeuvre. il ne faut rien avoir lu de Reza pour interpréter cette histoire comme mysogine. Reza a toujours dépeint des personnages aussi ridicule les uns que les autres. D’où tirez-vous que les femmes sont pires car moins lucides ? Ne pensez vous pas qu’au contraire Christophe Walz qui est le plus attaché à ce monde de pacotille (je vous rappelle qu’il pleure presque quand son téléphone est noyé) est le plus ridicule ? En quoi Joie Poster serait-elle castration et ridicule alors que c’est la seule à essayer de maintenir ses idéaux et donc la plus louable ? Ce que Reza montre c’est qu’au contraire ce monde comique basé sur le paraitre rejette ce qui essaye le.plus de s’en sortir. Elle montre justement à quel point notre prisme est biaisé et à quel point notre monde est égoïste en plaçant Jodie Foster en porte à faux. Je trouve que cette critique est trop faite dans le prisme de la mysogine omniprésente pour être valide.

    • Excusez moi pour les fautes j’écris avec un téléphone avec correction automatique et ce n’est pas évident.

      • Bonjour, pas de soucis pour les fautes.

        L’analyse se base sur le film et non pas sur la pièce originale. Car selon la façon donc la pièce est filmée, dirigée et interprétée le résultat est tout à fait différent.

        Pénélope (Jodie Foster) est ridicule car même si ses intentions sont a priori louables, l’interprétation et la mise en scène suggère qu’elle est hypocrite, en réalité l’afrique et la culture elle s’en fout elle se donne juste un genre…

        • Justement j’ai vu le film après avoir vu la pièce mise en scène par Reza elle-même et je n’ai pas trouvé de différence dans le message que chacun véhicule. si je parle de Reza plus que de Polanski c’est qu’elle a été très impliquée comme toujours dans ce qui touche à ses pièce. Elle a tpujours refusé que ces pièce soient jouée sans son accord il est certain qu’elle a eu un droit de regard sur le film. Comment airait-elle pu laisser faire ça ? De plus le personnage de Jodie Foster était alors joué par Isabelle Huppert qui je pense était encore plus hystérique et allait plus dans votre sens. Je voulais juste dire que cet article est peut-être entaché par la réputation de Polanski qui je dois l’avouer ne joue pas en sa faveur. Mais pour ce film je réserverais mon jugement.

    • J’ai essayé d’expliquer en détail dans l’article « d’où je tenais que les femmes sont pires car moins lucides », donc je ne vais pas me répéter.

      Je trouve personnellement que les quelques minutes de ridicule de Christoph Waltz n’ont vraiment aucune commune mesure avec tout ce que se prennent les femmes dans la tronche pendant la totalité du film. En plus, le personnage de Christoph Waltz a juste ce petit passage à vide au moment où il se fait momentanément noyer son portable, mais ça ne l’empêche pas de revenir plus tard à la charge en continuant à énoncer ses vérités avec le sourire, contrairement à tous les autres personnages qui ont à la fin complètement perdu la face et ne se remettent jamais de leur moment de « craquage ».

      Et après je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez que « Christoph Walz est le plus attaché à ce monde de pacotille ». Pour le film, j’ai l’impression que le monde « de pacotille » est celui des sourires et des politesses factices, celui du politiquement correct. Bref, celui de Jodie Foster plus que celui de Christoph Waltz. Au contraire, ce dernier est le seul à vivre dans le « vrai monde », le seul qui existe au final, celui de la violence et du cynisme. C’est comme ça que je comprends le fait que le film se termine sur le portable qui se remet à fonctionner. Comme si celui-ci incarnait au final le monde qui reste derrière les apparences qui viennent de s’effondrer.

      Pour le personnage incarné par Jodie Foster, je suis bien d’accord qu’elle est « la seule à essayer de maintenir ses idéaux et donc la plus louable » (Kate Winslet n’est pas mal non plus à ce niveau d’ailleurs). Le problème, c’est comment le film la présente. Et le film la présente comme castratrice, pathétique, etc. Ce qui est important à mon avis, ce n’est pas tant quel type de personnes et de valeurs qu’incarne chaque personnage, mais plus comment le film dépeint ce type de personnes ou de valeurs. Dans la manière dont il représente ces types, le film prend position (en les valorisant, ou au contraire en les ridiculisant/caricaturant). En l’occurrence globalement pour Christoph Waltz et contre Jodie Foster. Vous comprenez ce que je veux dire ?

      Vous dites que « ce que Reza montre c’est qu’au contraire ce monde comique basé sur le paraitre rejette ce qui essaye le.plus de s’en sortir ». Là je ne comprends pas ce que vous voulez dire. « Le monde comique basé sur le paraître » dont vous parlez est bien celui des sourires factices et du politiquement correct ? Si oui, en quoi « rejette-t-il ce qui essaye le plus d’en sortir » ? Vous voulez dire que le personnage de Christoph Waltz avec son cynisme est rejeté par Jodie Foster ? Dites moi car je ne comprends pas du tout, et peut-être c’est parce que je suis passé à côté de quelque chose.

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